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TOURISME D’AVENTURE AU CANADA

Robert Vranich, Jerry Isaak et James Rodger

Tour d’horizon

Les vacances offrent l’occasion de rompre avec la routine quotidienne. Certains optent pour le luxe et la détente dans une station balnéaire ou en croisière dans les Caraïbes. D’autres en font une expérience éducative ou une immersion culturelle. Pour bon nombre, les voyages inoubliables sont imprégnés d’aventure. Il n’est donc pas surprenant que le tourisme commercial se soit adapté au cours des dernières décennies pour répondre aux besoins et aux désirs des voyageurs en quête d’explorations.

Les gens ont leurs propres conceptions d’une aventure parfaite. Le volet aventure de l’industrie touristique mondiale très diversifié propose toute une gamme d’activités, allant de courtes excursions en paravoile et des sauts à l’élastique aux expéditions fluviales de plusieurs jours et aux ascensions guidées du mont Everest. Cette variété d’offres reflète, en partie, la taille impressionnante et la croissance continue du secteur. En 2014, le marché du tourisme d’aventure était estimé à 263 milliards $ US (OMT, 2014), dépassant les 900 milliards en 2020 pour atteindre 1,16 billion d’ici 2028 (ATTA, 2020).

Le potentiel économique du tourisme d’aventure est énorme. Les passionnés d’aventure dépensent plus pour leurs expériences que les autres touristes pour leurs voyages et activités (ATTA, 2022). Néanmoins, le Canada reste à la traîne à mesure que la concurrence mondiale s’intensifie dans ce marché lucratif. Selon l’Adventure Tourism Development Index (2020), il se classe au septième rang mondial des pays développés ayant un fort potentiel de compétitivité dans le tourisme d’aventure. Cependant, depuis 2016, le pays régresse dans le classement des destinations prisées pour les voyageurs d’aventure. De nouveaux projets gouvernementaux, comme la stratégie fédérale pour la croissance du tourisme et d’autres démarches similaires provinciales et municipales, visent à rectifier le tir par l’augmentation d’investissements publics et privés dans l’industrie canadienne du tourisme. De telles stratégies misent sur la richesse touristique pour stimuler l’économie et la création d’emplois dans toutes les régions du pays. Le tourisme d’aventure connaît une croissance exponentielle et est un des secteurs de l’industrie les plus lucratifs au monde. Il sera la clé pour la prospérité du milieu au Canada.

Le présent chapitre présente le contexte des récentes évolutions. Il présente d’emblée une réflexion sur la notion du tourisme d’aventure et sur son évolution comme secteur unique de l’économie touristique. S’ensuivent une courte section décrivant la situation actuelle au Canada et une autre résumant certains défis et problèmes auxquels font face le secteur et les acteurs au pays.

Qu’est-ce que le tourisme d’aventure?

Les définitions sont multiples, mais ne s’accordent pas. La plupart sont très générales et ne définissent guère le tourisme d’aventure ou les caractéristiques. Par exemple, Destination BC, organisme responsable de la promotion de destinations en Colombie-Britannique, définit le tourisme d’aventure comme une activité qui présentent un risque et un défi (Destination BC, 2014, p. 1). Les activités sont réparties en deux catégories : l’aventure dure et l’aventure douce. Les aventures dures comme le rafting et l’héliski exigent plus d’expérience, une bonne condition physique et un engouement pour le risque et les défis plus élevés que les aventures plus douces comme l’observation de la faune et de la flore ou les tours en télécabine. Bien que risques et défis accompagnent une telle expérience, ils n’expliquent ni ne définissent ce qu’est le tourisme d’aventure et les particularités.

L’Adventure Travel Trade Association (ATTA), groupe de pression mondial pour l’industrie des voyages d’aventure, propose sa définition générale. Elle soutient que le tourisme d’aventure implique un voyage qui comprend au moins deux des trois facteurs suivants : activité physique, environnement naturel et immersion culturelle (OMT, 2014, p. 10). Bien que la définition n’exige que deux des trois composantes, les voyages qui les intègrent toutes offrent généralement aux touristes l’expérience d’aventure la plus enrichissante, par exemple, un voyage au Pérou proposant randonnée d’aventure (activité physique) sur les sentiers du Machu Picchu (environnement naturel) et interaction avec les locaux ou les peuples autochtones (immersion culturelle). Cela dit, selon la définition de l’ATTA, une visite à pied (activité physique) des anciennes ruines de Rome (immersion culturelle) serait aussi du tourisme d’aventure.

Pour parvenir à une définition plus claire du tourisme d’aventure, il faut d’abord préciser ce qu’est le tourisme, et la classification des différentes catégories. Le tourisme comporte généralement une organisation commerciale et des voyages à des fins de loisirs et d’affaires. L’industrie se compose de cinq secteurs d’activité : l’hébergement, le transport, la restauration, les services de voyage et les attractions, divertissements et loisirs (Goeldner et Ritchie, 2011). Le secteur des attractions, divertissements et loisirs est lui-même composé de cinq catégories d’incontournables : attractions culturelles (musées, galeries d’art, sites archéologiques), attractions naturelles (parcs nationaux, plages, aurores boréales), événements (festivals, compétitions sportives, salons), loisirs (golf, randonnées, visites touristiques) et divertissements (parcs thématiques, centres commerciaux, casinos). Cette classification est souvent utilisée pour définir tout type de tourisme. Par exemple, des vacances de golf peuvent être qualifiées de « tourisme de golf », la participation à un festival de musique de « tourisme de festival » et une dégustation de vin de « tourisme gourmand ». Le tourisme d’aventure serait donc un ensemble d’activités récréatives et d’attractions naturelles ou, plus précisément, d’une organisation commerciale et des visites et des activités guidées et non guidées dont l’attrait principal est une forme aventureuse de loisirs dans la nature (Hudson, 2003; Buckley, 2006; Varley, Taylor et Johnson, 2013; Huddart et Stott, 2020).

Dans un milieu naturel et unique en son genre, les activités récréatives en plein air comme la randonnée, le traîneau à chiens, le rafting, le saute-mouton, le kayak de mer, le ski et l’alpinisme permettent aux touristes d’aventure de vivre une expérience extraordinaire (Priest, 1990; Varley, 2013). L’aventure en plein air tend à susciter de vives émotions sous la forme d’excitation et de sensations fortes dans une activité comme le saut en parachute en tandem, ou du calme et de la sérénité lors d’une descente en kayak sur une rivière ou un lac calme et pittoresque. Des activités récréatives de plein air deviennent aventureuses lorsque le risque est élevé et est assumé par les participants et les organisateurs (Krein, 2007).

Cette notion comprend les dangers naturels, humains et opérationnels associés à une expérience d’aventure, ainsi que le risque perçu, ou le sentiment de danger ressenti. Par exemple, un voyage d’alpinisme ou une excursion en kayak en eaux vives sont risqués en raison des dangers associés à l’ascension de montagnes isolées ou à la descente de rivières tumultueuses. En revanche, le saut à l’élastique et la balançoire en canyon sont plus sûrs en raison de l’environnement contrôlé. Les activités dites extrêmes, comme le saut en parachute en tandem, sont souvent considérées comme plus risquées que la réalité. Réel ou perçu, le risque doit être géré, atténué et manipulé par l’opérateur et le guide pour que le touriste ressente à la fois sécurité et sueur froide (Holyfield, 1999; Fletcher, 2010; Urry, 2013).

La popularité d’une expérience d’aventure est également liée au niveau de difficulté (Buckley, 2007). Les activités d’aventure commerciales les plus prisées sont les circuits en groupe à faible risque pour monsieur madame Tout-le-Monde, qui se déroulent dans des destinations accessibles comme Whistler (Colombie-Britannique), Banff (Alberta) et Mont-Tremblant (Québec). Inversement, lorsque la difficulté technique et le niveau d’expérience requis pour une activité augmentent et que le lieu est plus éloigné, l’activité tend à être plus risquée, plus coûteuse et plus longue. Par exemple, une excursion en tyrolienne à Whistler avec Ziptrek Ecotours ne nécessite aucune aptitude physique, dure environ deux heures, se déroule en grands groupes plusieurs fois par jour et coûte environ 200 $ CA par personne. En revanche, une descente en canoë de la rivière Thelon, au Nunavut, avec Jackpine Paddle, requiert des aptitudes en pagaie, dure environ deux semaines, n’est organisée en petits groupes qu’une ou deux fois par été et coûte plus de 10 000 $ CA par personne. Sans surprise, plus de personnes s’adonnent à la tyrolienne à Whistler en un seul après-midi que de personnes à une descente de la rivière Thelon en un été.

Développement du tourisme d’aventure au Canada

Ce n’est qu’au début des années 1990 que le tourisme d’aventure a été reconnu comme un secteur distinct de l’industrie mondiale. Or, ses racines historiques remontent à plus de 200 ans. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, le romantisme européen donne naissance à une nouvelle façon d’embrasser et d’apprécier la nature. Les paysages sauvages, plutôt que d’être considérés comme des éléments à apprivoiser ou à exploiter, sont désormais des lieux d’une grande beauté naturelle et des terrains de jeu pour la classe européenne s’adonnant aux loisirs. Les villages montagneux comme Chamonix, en France, deviennent dès lors des destinations touristiques très prisées qui attirent un afflux de visiteurs qui viennent admirer le Mont-Blanc et marcher sur le célèbre glacier de la mer de Glace. Ce nouvel engouement pour la nature sauvage et sublime touche également l’Amérique du Nord et une version du Grand Tour si populaire au sein de l’élite européenne s’y impose. Les monts Adirondack, la vallée du Saint-Laurent, les chutes du Niagara et Algonquin Highlands deviennent des destinations touristiques populaires le long du réseau ferroviaire en expansion dans l’est de continent (Jasen, 1995).

Le tourisme de nature s’étendra à l’ouest du Canada avec l’achèvement du chemin de fer du Canadien Pacifique en 1885. La compagnie construit des hôtels luxueux dans les parcs nationaux récemment créés, comme Banff (les Rocheuses) et Glacier (chaîne Columbia), et fait même appel à une équipe de guides de montagne suisses pour accompagner les visiteurs canadiens et étrangers dans des excursions de randonnée et d’escalade dans les parcs montagneux (Hart, 1983; Robinson et Slemon, 2016). D’autres services de guides et de pourvoiries voient le jour dans d’autres destinations touristiques populaires et les alentours, qui sont accessibles partout au pays, comme dans les régions de Temagami et d’Algonquin dans le centre de l’Ontario. Cependant, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que se développe une industrie touristique canadienne autour de la nature.

Dans les années 1950 et 1960, les loisirs en plein air ont gagné en popularité auprès d’un plus grand public au Canada. L’après-guerre laisse place à un degré de prospérité et de liberté personnelle sans précédent pour beaucoup : une économie en plein essor, de nouvelles technologies et les droits du travail laissent à la population canadienne plus de temps libre. De plus, l’automobile permet une mobilité sans précédent. Par conséquent, les personnes se consacrent davantage à la quête de loisirs et d’aventures en dehors de la ville. Une « vague de loisirs en plein air » déferle sur les centres urbains du Canada, entraînant une demande aux quatre coins du pays de « ressources récréatives » comme les parcs nationaux et provinciaux, les terrains de camping, les motels, les stations de ski, les centres de villégiature en pleine nature et les services de guide et de pourvoirie (Killan, 1993; Wilson, 1991).

Les autorités fédérales et provinciales ont comblé la forte demande de services et d’infrastructures liés au voyage et au tourisme et axés sur la nature en développant les réseaux de parcs provinciaux et nationaux et en consacrant davantage de fonds au développement et à la commercialisation de l’industrie. Le secteur privé a pris les devants en créant des services de guide et de pourvoirie. Bon nombre d’entreprises en tourisme d’aventure les plus prospères au Canada à ce jour ont été créées dans la foulée de l’explosion des loisirs en plein air de l’après-guerre. Citons notamment Canadian Mountain Holidays, Mike Wiegele Helicopter Skiing, Yamnuska Mountain Adventures, Canadian River Expeditions, Blackfeather Adventures et Wilderness Tours.

Le paysage contemporain

Depuis les années 1970, le tourisme d’aventure progresse avec peu de soutien et d’intervention de la part des autorités fédérales et provinciales au Canada. L’expansion des réseaux de parcs provinciaux et nationaux a favorisé la croissance des formes privées et commerciales de loisirs de plein air partout au pays. Néanmoins, contrairement à la Nouvelle-Zélande, où les autorités fédérales ont encadré le développement du secteur, leurs homologues canadiens ont adopté une approche plus passive. Par conséquent, le secteur canadien du tourisme d’aventure est essentiellement autoréglementé. Plutôt que de se conformer à un ensemble de réglementations et de lignes directrices fédérales sur la sécurité, les acteurs du milieu ont tendance à établir leurs propres normes de sécurité, leurs pratiques exemplaires et leurs processus de certification, souvent en collaboration avec des associations professionnelles comme la British Columbia River Outfitters Association ou des organismes de guides comme l’Association canadienne des guides de montagne et Aventure Ecotourisme Québec. Le bémol de ce manque général de contrôle fédéral et provincial entraîne une grande variabilité dans la qualité des expériences de tourisme d’aventure au pays, ainsi que dans les compétences et la formation des guides du milieu. Les conséquences nuisent donc à la protection des personnes et de l’environnement.

Malgré cette lacune et la récente chute du Canada dans le classement mondial, le secteur demeure florissant. Cependant, il est difficile d’étayer cette affirmation par des statistiques économiques. Les provinces et territoires ne font pas tous la distinction entre les dépenses liées au tourisme traditionnel et celles liées au tourisme d’aventure. L’utilisation de différentes définitions du tourisme d’aventure pour estimer ou calculer l’impact économique du secteur complique la situation. Les chiffres qui incluent les revenus générés par les voyages privés à des fins de loisirs en plein air seront à coup sûr plus importants que ceux qui portent exclusivement sur les activités commerciales de tourisme d’aventure. Les estimations générales de la valeur du tourisme d’aventure (voir ci-dessus) tendent à inclure tous les voyages indépendants liés à des activités récréatives de plein air privées ou commerciales, les revenus des voyages d’aventure organisés, les revenus associés aux activités d’aventure sur place (les stations de ski). Elles regroupent également la plupart des revenus générés par les entreprises auxiliaires liées au tourisme d’aventure, provenant de l’équipement récréatif, des vêtements de marque d’aventure, ainsi qu’une part importante du marché des biens immobiliers lié à la migration d’agrément (Buckley, 2010). Cette formule n’a pas encore été appliquée aux calculs de la valeur du secteur du tourisme d’aventure au Canada. Toutefois, les autorités provinciales de la Colombie-Britannique ont utilisé une formule similaire pour calculer la valeur de leur économie dans le secteur. La dernière étude réalisée dans la province a révélé que les recettes annuelles du tourisme d’aventure dépassaient 1,2 milliard $ CA. Les revenus ont permis de soutenir 2 200 entreprises et plus de 21 000 employés (Destination BC, 2014).

Le tourisme d’aventure en Colombie-Britannique doit son essor à la géographie physique unique du territoire. Un long littoral, plusieurs chaînes de montagnes enneigées, des centaines de rivières et de lacs sauvages, des forêts denses et une faune abondante en font une destination rêvée pour les aventureux. De plus, la géographie et le climat de la Colombie-Britannique offrent des conditions naturelles optimales pour la pratique de nombreuses activités récréatives de plein air, comme le ski, la planche à neige, le vélo de montagne, la randonnée, l’alpinisme, l’escalade, le surf, la planche à pagaie, le kayak de mer, le kayak en eaux vives et le rafting. C’est évidemment pourquoi la province est souvent classée par de nombreuses publications comme l’une des meilleures destinations de tourisme d’aventure de la planète.

Sans surprise, de nombreuses « capitales de l’aventure » au Canada sont en Colombie-Britannique. Ces destinations prisées offrent une grande variété de circuits d’aventure, avec ou sans encadrement, à longueur d’année. Parmi les incontournables au Canada, nommons les villes montagneuses de Whistler, Squamish et Revelstoke, ainsi que les collectivités côtières de Tofino et Ucluelet. Banff et Jasper en Alberta, Waskesiu Lake en Saskatchewan, les régions de Muskoka, Temagami et Algonquin dans le centre de l’Ontario, et Mont-Tremblant au Québec se démarquent également. S’y rendre est assez simple en raison de la proximité avec les centres métropolitains et les aéroports internationaux ou régionaux très fréquentés.

La prospérité économique et la popularité des capitales canadiennes de l’aventure ont encouragé d’autres destinations similaires à se rebaptiser « destinations d’aventure » ou à mousser la promotion auprès des voyageurs aventureux. Par exemple, depuis une décennie, les chutes du Niagara, en Ontario, l’une des toutes premières destinations touristiques au Canada, et parmi les plus connues, sont devenues une destination de tourisme d’aventure. Outre les attractions naturelles, les casinos, les vignobles et les parcs thématiques, la ville de Niagara Falls et sa grande région offrent désormais des expériences en vogue : descente de rapides en canot motorisé, tyrolienne et parachutisme en tandem. Dans les Maritimes, la Nouvelle-Écosse s’est récemment classée comme destination d’aventure quatre saisons, offrant une panoplie de circuits allant du surf, du cyclisme, de l’observation des baleines et du rafting dans les mascarets, au ski de fond et au ski alpin, à la motoneige et à la pêche sur glace. Par ailleurs, municipalités, provinces et territoires aux quatre coins du pays s’emploient activement pour promouvoir leur image de marque.

L’avenir du tourisme d’aventure au Canada

Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada ont reconnu le potentiel économique du secteur du tourisme d’aventure. Tout laisse donc croire que la croissance restera forte. Malgré le bon présage, les défis demeurent nombreux. La dernière section du chapitre met en évidence quatre principaux défis auxquels le secteur est confronté aujourd’hui. Certains sont communs au tourisme d’aventure dans l’ensemble, tandis que d’autres sont propres à la réalité canadienne.

Au Canada, le milieu doit composer avec des enjeux de ressources humaines. Les organisateurs de voyages d’aventure se heurtent à différents problèmes : pénuries de main-d’œuvre, guides sous-qualifiés et roulement continuent du personnel, depuis bien avant que les répercussions économiques de la pandémie de COVID-19 n’exacerbent la situation. Les faibles salaires et le travail saisonnier contribuent au taux élevé de rotation. De nombreux guides d’aventure quittent le milieu à la recherche d’« emplois stables » après seulement quelques saisons d’été ou d’hiver. Ceux qui restent pendant plus de deux ans parviennent à travailler toute l’année, soit en alternant les saisons d’été et d’hiver au même endroit, soit en trouvant un emploi hors saison à l’étranger. La forte rotation du personnel coûte du temps et de l’argent investis dans l’embauche et la formation. La baisse récente des inscriptions ou tout bonnement l’annulation de nombreux programmes post-secondaires en loisirs et en récréation au Canada ne fait qu’aggraver les choses. Il y a un manque criant de candidats qualifiés pour les emplois dans le tourisme d’aventure au Canada. Certains employeurs se sont donc tournés vers les bassins de main-d’œuvre immigrante pour pourvoir les postes. La formation et la fidélisation du personnel sont désormais des priorités absolues pour la plupart des organisateurs de voyages d’aventure au pays.

Qui plus est, le secteur souffre d’un problème de culture du lieu de travail associée au tourisme d’aventure. L’environnement de travail a longtemps dominé par des hommes blancs. Les femmes ont lutté au fil des ans pour s’imposer dans cette sphère très masculine et parfois misogyne. Il en est de même pour les peuples autochtones et les autres minorités raciales et ethniques. Alors que de nombreuses industries ont adopté des pratiques d’embauche et de nouvelles politiques sur le lieu de travail pour promouvoir l’équité, la diversité, l’inclusion et la décolonisation, le tourisme d’aventure au Canada demeure à la traîne. De nombreuses entreprises ont changé leur culture en intégrant les principes d’équité, de diversité, d’inclusion et de décolonisation dans leurs politiques organisationnelles et leurs pratiques certes, mais la route est longue.

Par ailleurs, l’industrie est depuis longtemps exposée à la menace d’une surexploitation (surtourisme) des sites les plus populaires. Ce problème est souvent appelé le paradoxe du tourisme de nature. Plus un milieu naturel est prisé, plus il risque de subir une dégradation environnementale; plus il subit une dégradation environnementale, plus il perd en popularité. Le développement durable des sites touristiques d’aventure est depuis longtemps une priorité du secteur, mais le problème a été aggravé ces dernières années par l’ère du numérique de la vie moderne et l’essor des médias sociaux. Les touristes d’aventure consultent de plus en plus les médias sociaux pour choisir voyage et destination. Une simple photo sur Facebook ou Instagram, ou un gazouillis captivant peuvent offrir une inspiration soudaine pour le voyage et l’aventure. Pourtant, si les médias sociaux rapportent à l’économie du tourisme d’aventure, ils peuvent aussi provoquer une croissance non durable et une dégradation de l’environnement lorsque des visiteurs affluent vers un site « instagrammable ». Prenons le parc provincial Joffre Lakes, en Colombie-Britannique, doté d’un trio spectaculaire de lacs de montagne entourés de pics enneigés et de glaciers suspendus. En 2015, la fréquentation a augmenté de 250 % après la publication par des touristes de photos du paysage devenues alors virales (de l’Église, 2019). L’afflux de visiteurs qui s’en est suivi a laissé place à des détritus et provoqué l’érosion des sentiers. Pour atténuer les répercussions, BC Parks a réorganisé le réseau de sentiers de randonnée pour élargir l’accès, mais a par le fait même transformé un « joyau caché » en une attraction touristique très fréquentée. C’est pourquoi le développement touristique durable requiert une planification minutieuse et une réflexion approfondie.

De surcroît, on ne pourrait pas passer outre sans parler de la crise climatique. Le réchauffement climatique menace la planète entière : augmentation du niveau des océans, changements météorologiques, fonte des glaciers et de la calotte polaire, blanchissement des récifs coralliens, feux de forêt et ouragans de plus en plus fréquents et violents. Les acteurs du tourisme d’aventure ne sont pas à l’abri des changements climatiques. La baisse des températures dans l’Arctique et la fonte accélérée des glaces des mers polaires ont entravé les excursions d’observation d’ours polaire à Churchill, au Manitoba, la capitale canadienne de cet animal captivant. Des hivers plus chauds et des chutes de neige moins abondantes ont miné le secteur du ski et de la planche à neige au Canada, notamment en Colombie-Britannique et en Alberta. Les saisons des feux de forêt plus intenses et plus longues dans l’Ouest canadien ont freiné de nombreux pourvoyeurs régionaux de rafting, de randonnée et de canotage. La fonte des glaciers et la hausse des températures dans les montagnes font peser de nouvelles menaces sur les activités d’escalade et d’alpinisme dans la Cordillère nord-américaine, car l’instabilité des terrains a provoqué une augmentation des chutes de pierres en été et des avalanches en hiver. Malgré tout, l’avenir du tourisme d’aventure au Canada reste prometteur. En dépit des répercussions négatives des effets de la crise climatique sur le secteur au Canada, les acteurs du milieu et les touristes ont de nouvelles cartes à jouer. La débouchée la plus importante est l’extension de la saison touristique estivale aux mois de printemps et d’automne, en particulier dans les régions de l’extrême nord du pays où le climat glacial a longtemps entravé le développement du tourisme. Par ailleurs, les investissements publics et privés sont en hausse, de même que le nombre de touristes s’adonnant à des aventures en plein air. Le secteur est déjà bien implanté en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec, et il y a beaucoup de place pour l’expansion, dans les grands centres urbains et alentour, mais également dans des régions plus éloignées et rurales partout au pays, en particulier dans le Nord et le Grand Nord. Les touristes nationaux et internationaux ont soif d’aventures et à ce propos, la croissance du milieu restera forte.

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À propos des auteur.e.s

Robert Vranich

Université de l’Alberta

Robert Vranich est candidat au doctorat à la Faculté de kinésiologie, de sport et de loisirs de l’Université de l’Alberta. Ses recherches portent sur l’histoire des loisirs en plein air, du tourisme de nature et de la préservation de la nature sauvage au Canada.

Jerry Isaak

Université de Thompson Rivers

Jerry Isaak est professeur agrégé et responsable du programme de ski de randonnée au département d’études sur les aventures de l’Université Thompson Rivers. Ses recherches portent sur la formation aux avalanches, la prise de décision dans des environnements extrêmes et la pédagogie des expéditions éducatives dans l’enseignement supérieur.

James Rodger

Université de Thompson Rivers

James Rodger est professeur adjoint et coordonnateur du programme d’études sur les aventures à l’Université Thompson Rivers. Ses travaux portent sur l’industrie de l’aventure et l’accessibilité. Ses centres d’intérêt et son orientation professionnelle sont les loisirs en rivière, la diversité dans l’aventure et la gestion des risques. Il enseigne d’ailleurs le sauvetage en eaux vives et le rafting. Il est également guide au Canada et à l’étranger.

 

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