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DURÉE D’EMPLOI DES GUIDES D’EXCURSION

Liz Kirk

Quelle est la valeur des savoirs d’un ou d’une guide d’excursion qui cumule plus de 30 ans d’expérience au Canada? Les ouvrages suggèrent que les guides de plein air ayant un large éventail de connaissances, en contextes personnels et professionnels, se démarquent par leurs décisions et leur jugement des novices ayant peu, ou pas d’expérience dans le domaine (Galloway, 2007). Un instructeur sur le terrain soutient qu’avec l’âge, on sait mieux comment on travaille et ce dont on a besoin. On se connaît un peu mieux et, selon la situation, on gère les choses différemment (Kirk, 2013, p. 66). Même si les établissements valorisent les décisions réfléchies et l’expérience en gestion des risques des spécialistes du plein air plus âgés, le roulement de cette catégorie d’employé.e.s est très fréquent. C’est pourquoi de nombreuses directions de programmes font du recrutement et de la fidélisation des effectifs leur principale priorité (McCole, 2004, p. 328).

Le terme « carrière » est depuis peu associé avec le travail en plein air (Allin et Humberstone, 2006). Malgré les nombreux débouchés professionnels, on admet généralement […] que [la profession] ne propose pas un cheminement de carrière définie (Allin et Humberstone, 2006, p. 135). Un manque important d’occasions de mentorat, un soutien inadéquat pour encourager la longévité des jeunes professionnel.elle.s, en plus des marges de progressions restreintes pour les employé.e.s dans le secteur, contribuent au roulement fréquent du personnel sur le terrain (Thomas, 2003, p. 59).

À l’heure actuelle, on ignore le nombre personnes de la relève passionnées d’activités de plein air qui ont l’intention de faire de ce mode de vie exigeant une entreprise à long terme. Kirby (2006) suggère que le travail en plein air attire des personnes « passagères », vouées à quitter le milieu en peu de temps, sans égard à d’autres facteurs. Les employeurs peuvent souvent penser que les instructeur.trice.s refusent de s’engager à long terme. Un tel constat se confirme, car les personnes qui commencent ce travail dans la vingtaine optent pour une autre carrière dans les services à la personne ou quittent le milieu pour de bon (Kirby, 2006).

Étant donné leur probable désir de partager leur passion de la nature, plusieurs instructeur.trice.s soutiennent que l’altruisme a été un facteur déterminant dans le choix du métier (Marchand, 2009). Plusieurs candidat.e.s pour ce travail font preuve de talent, de passion et volonté de poser des gestes utiles (Ferguson, 1999, p. 11). La plupart des instructeur.trice.s soulignent que l’épanouissement personnel est un atout important du travail, et beaucoup estiment que « faire la différence pour les apprenant.e.s » et « vivre dans la nature » sont souvent valorisés (Marchand et coll., 2009, p. 368). D’après une étude qualitative sur les instructeur.trice.s des centres de thérapie en nature au Canada, le travail, en plus d’offrir des « conditions de rêves », favoriserait un équilibre parfait entre les champs de compétences d’une personne et sa passion pour l’environnement (Kirk, 2013 p. 63).

Les professionnel.elle.s des activités en plein air peuvent tant s’accomplir dans leur travail qu’ils ou elles ignorent délibérément, du moins pour un temps, des irritants comme le fardeau des tâches, les faibles revenus et l’impossibilité d’avoir un domicile permanent ou une vie confortable (Ross, 1989). Malgré tout, les professionnel.elle.s plus âgé.e.s, expérimenté.e.s, instruit.e.s et persévérant.e.s sont « trop souvent remplaçables » (Ross, 1989, p. 34) et risquent d’être exploité.e.s, car l’engouement de la relève pour la profession est palpable (Thomas, 2003, p. 59). Cependant, le recrutement et la rétention d’un personnel soucieux, dévoué, compétent, intéressé et motivé sont « primordiaux pour la pérennité de tout établissement » (Erickson et Erickson, 2006, p. 6).

Données démographiques

La plupart des professionnel.elle.s du plein air qui entament une carrière sont des personnes « blanches, jeunes, scolarisées et célibataires » (Kirby, 2006, p. 79). Une personne recrutée comme instructeur.trice à temps plein peut être tenue de suivre une formation de secourisme, d’avoir une certaine expérience de guide en milieu sauvage et d’être diplômé d’un programme de loisirs de plein air ou d’une discipline connexe (Russell et Hendee, 2000). Également appelés « guides d’aventure », « guides », « instructeur.trice.s de plein air » ou « personnel de terrain », de tels spécialistes fournissent des soins aux participant.e.s, enseignent les techniques de vie en milieu naturel et assurent la sécurité du groupe, tout en gérant efficacement tous les aspects des excursions de plusieurs jours en milieu naturel éloigné. Kirby (2006) affirme qu’une faible proportion de personnes estime le travail d’instructeur.trice sur le terrain gratifiant et agréable, et qu’il serait difficile de trouver des personnes en dehors du groupe démographique type qui exprime la même opinion (p. 68).

Les données démographiques sur les instructeur.trice.s montrent des tendances marquées au fil du temps. Le travail de première ligne en plein air est né d’une culture et d’une philosophie historiquement dominées par les hommes, inspirées de valeurs militaires comme l’aptitude physique et l’autorité de chefs masculins (Allin et Humberstone, 2006, p. 136). Il existe désormais une certaine parité entre hommes et femmes dans les fonctions d’instructeur.trice, dans certains cas, elles sont même plus nombreuses (Marchand, 2010). Néanmoins, si l’on compare la longévité, les hommes interrogés lors d’une enquête auraient travaillé six mois de plus en moyenne que les femmes (Marchand et coll., 2009). Les personnes employées dans les années 1980 étaient généralement âgées de 20 à 30 ans (Birmingham, 1989), mais à l’heure actuelle, la moyenne se situe plutôt autour de la mi-vingtaine. Par ailleurs, environ 60 à 70 % des instructeur.trice.s sont titulaires d’un baccalauréat, généralement en éducation à l’aventure, en loisirs ou en sciences sociales (Marchand et coll., 2009; Marchand et Russell, 2013). Les chiffres montrent une augmentation par rapport au début des années 1980, le pourcentage de diplômés de premier cycle étant alors de moins de 40 % (Birmingham, 1989).

Kirby (2006) suggère que les liens émotionnels forts qui se développent entre les instructeur.trice.s sur le terrain trouveraient une origine dans « les caractéristiques démographiques restreintes qui définissent ce groupe de travailleur.euse.s » (p. 78). En raison de l’éloignement du milieu de travail, le réseau social des instructeur.trice.s se compose en grande partie de jeunes adultes évoluant dans un même programme ou d’autres programmes d’excursion en milieu sauvage offerts à proximité. En restant à l’emploi dans un établissement pendant plusieurs années, le personnel de première ligne peut développer de solides réseaux de soutien et une compréhension commune au sein des groupes de pairs. Un système de soutien social s’appuyant sur la communication, soit sur le plan personnel ou professionnel, peut outiller les instructeur.trice.s sur le terrain pour répondre efficacement aux exigences liées à leur travail (Kirk, 2013).

Défis liés au travail

Pourquoi tant de personnes au Canada abandonnent la profession à la fin de la trentaine? La plupart des instructeur.trice.s sur le terrain comprennent la nature difficile d’une carrière dans le domaine, mais la durée d’emploi dans le milieu lorsqu’ils commencent est pratiquement inconnue (Thomas, 2003, p. 54). La déception liée à la réalité du travail et l’épuisement dû aux exigences croissantes liées au mode de vie requis pour le travail peuvent, de manière inattendue, inciter des instructeur.trice.s les plus aptes à démissionner (Marchand, 2009).

Des limitations physiques ou des blessures peuvent rendre le rôle ingérable. Il en va de même pour des choix alimentaires limités. La nature exténuante du travail peut conduire à l’épuisement physique et mental, à la fin de la première année à l’emploi. Une participante à l’étude a révélé qu’elle était souvent très épuisée à cause de toutes les interactions, des questions posées aux enfants et de sa propension à être drôle, amusante et captivant (Kirk, 2013 p. 96)

Les motivations d’une personne à changer d’emploi peuvent être également externes au contexte professionnel. On parle de facteurs comme la pression sur les relations intimes, la difficulté de nouer des liens avec des personnes autres que des collègues ou un sentiment de déconnexion ou de manque de temps avec amis et famille (Bunce, 1998; Marchand et coll., 2009, p. 368). Il est probable que les employé.e.s de première ligne, aspirant à un horaire moins chargé et plus de temps libre, migrent rapidement vers d’autres domaines qui comblent mieux les aspects professionnels et personnels de leur vie (Marchand et coll., 2009). Dans une étude d’Allin (2004, p. 64), les instructrices de plein air ont qualifié de « très problématique » la conciliation entre une carrière dans leur champ d’activités et les responsabilités familiales de la maternité.

Les excursions dans l’arrière-pays peuvent provoquer un sentiment d’isolement chez certains. Dans une étude de Marchand et coll. (2009), 48 % des répondant.e.s étaient célibataires, 9 % étaient marié.e.s et 22 % ont déclaré que leur emploi avait la source d’une rupture amoureuse. Une autre étude a révélé que la majorité des instructeur.trice.s étaient célibataires (63 %), 12 % marié.e.s et 25 % en couple (Marchand et Russell, 2013). Les participant.e.s mariés ou dans une relation à long terme se sentaient davantage confrontés aux contraintes de temps et d’horaire liés au travail que les célibataires (Marchand et coll., 2009).

Les difficultés financières étaient également propices au roulement du personnel. Les départs précoces des détenteur.trice.s de diplômes d’études postsecondaires sont probablement associés à une prise de conscience de la valeur monétaire ou à l’appréhension de se retrouver coincé dans une profession toujours sous-estimée. À propos de la rémunération, Kirk rapporte que certains estiment très difficile d’avoir un revenu adéquat et que l’on s’attend à ce que les instructeur.trice.s vivent en dessous d’un certain seuil (Kirk, 2013 p. 65).

Cela dit, les gestionnaires et les directions d’établissements canadiens de plein air ne pourraient-ils prendre davantage en compte de telles préoccupations? Pour faire une comparaison avec ailleurs dans le monde, je m’attarderai sur Outward Bound en Nouvelle-Zélande.

Outward Bound New Zealand

Lors d’un séjour en Nouvelle-Zélande en 2008, l’un des responsables m’a informé que l’âge moyen de leurs instructeur.trice.s sur le terrain était de 33 ans. Le formulaire de candidature de 2021 indique que l’âge moyen est de 30 ans, ce qui montre que la tendance à conserver du personnel expérimenté se maintient depuis plus d’une décennie. Qu’est-ce qui rend cet exemple si différent des établissements canadiens qui semblent compter très peu d’instructeur.trice.s de plus de 30 ans dans leur équipe?

La grande considération accordée aux instructeur.trice.s est explicite. Le site Web de l’organisme vante l’excellence de ces dernier.ère.s et le formulaire de candidature précise qu’ils et elles contribuent grandement à la qualité des activités. L’horaire de travail normal est également clairement défini : 4 jours de congé pendant les activités, au moins 5 jours de congé entre, pas plus de 9 jours de travail consécutifs et 5 à 6 semaines de vacances, deux fois par an.

En fait, il était évident que l’organisme avait des problèmes de rotation du personnel : personne ne voulait partir! J’ai appris que l’établissement avait consacré plus de deux ans dans la collecte des commentaires des employé.e.s au cours du processus de révision de la déclaration de mission, des valeurs organisationnelles et des programmes offerts. Chaque instructeur.trice a signé un contrat de trois ans lors de l’embauche, mais bon nombre ont joué un rôle central au sein de l’organisme pendant une période beaucoup plus longue. À ce propos, Outward Bound a remporté à plusieurs reprises le titre de meilleur milieu de travail en Nouvelle-Zélande (par rapport à des établissements de taille similaire) en raison d’une vision claire et dynamique, d’un véritable sens de la communauté parmi les employé.e.s, d’une volonté à faire progresser et à perfectionner son personnel, et d’une culture de haute performance (Scoop Independent News, février 2008).

Outward Bound est un bon modèle montrant que la priorité accordée à la croissance, au soutien et à la formation des employé.e.s de première ligne crée une forte culture d’équipe. Par exemple, en offrant aux instructeur.trice.s et familles l’hébergement au sein de la communauté, il est possible de réduire le sentiment d’isolement et de déconnexion. J’espère que la poursuite inlassable d’objectifs similaires favorise un même effet et diminue le « problème » de rotation ailleurs.

Révolutionner le visage de la dotation en personnel instructeur au Canada

Le travail en première ligne d’un ou une instructeur.trice de terrain au Canada est-il un choix de carrière durable et pertinent? Les établissements qui misent sur la fidélisation du personnel peuvent récolter les fruits des efforts et des ressources pour faire progresser la formation et l’expérience des employé.e.s de première ligne. La rétention des instructeur.trice.s d’expérience permet de disposer d’un personnel apte à piloter un programme de meilleure qualité et à prendre des décisions plus appropriées sur la gestion des risques en cas de crise médicale (Galloway, 2007). Le taux élevé de roulement au Canada, qui perdure depuis longtemps, montre que la profession doit évoluer. Si les établissements envisagent sérieusement de recruter et retenir un personnel expérimenté, performant et fidèle, ils doivent investir les ressources pour mettre en œuvre ou adapter les politiques et procédures actuelles afin de mieux répondre aux besoins de ces personnes. Ils en sortiraient tous gagnants.

Pistes d’amélioration de la rétention des instructeur.trice.s de terrain au Canada

Le taux élevé de rotation du personnel engendre des répercussions financières liées à la sélection, à l’embauche et à la formation des employé.e.s, et d’autres contraintes comme la perte de savoirs, la perturbation du flux de travail, la baisse du moral des effectifs ou l’incertitude pour ceux qui restent dans le domaine (Kirby, 2006; Marchand et coll., 2009). Cependant, si les directions se mettent au travail en proposant des solutions aux problèmes du personnel liés au travail, les instructeur.trice.s pourraient poursuivre une plus longue carrière. La mise en œuvre de stratégies visant à créer des communautés de travail solidaires et durables est primordiale pour répondre aux multiples demandes liées au travail qui submergent les employé.e.s de première ligne (Thomas, 2003). Si les établissements qui proposent des programmes d’excursion en milieu naturel insistent sur la qualité de la formation donnée par une équipe dévouée, expérimentée et professionnelle, ils doivent par le fait même adopter des pratiques d’embauche et d’incitation ciblées pour concrétiser une telle démarche (Ross, 1989).

Privilégier les occasions de débreffage

Le débreffage permet aux participant.e.s d’intégrer l’apprentissage et d’acquérir ainsi un sentiment d’accomplissement ou de réalisation de l’expérience (Hammel, 1993, p. 231). Généralement verbal, il peut prendre des formes non verbales : journal de bord, schématisation ou autoréflexion (Gass, 1993). Un débreffage officieux peut avoir lieu pendant les congés ou les interactions entre collègues sur le terrain ou qui font du covoiturage (Kirk, 2013).

Étant donné la difficulté pour les instructeur.trice.s de trouver des moments opportuns pendant les quarts de travail, l’intégration d’un processus officiel et cohérent dans les politiques du programme permet d’échanger sur des incidents ou sur des problèmes en cours de manière confidentielle et professionnelle. On parle par exemple d’appels téléphoniques ou de rencontres en personne. Un ou une employé.e de première ligne qui a besoin d’un soutien doit disposer de moyens efficaces d’accéder au nécessaire. Une culture organisationnelle qui met de l’avant le débreffage est de mise afin d’améliorer les habiletés des instructeur.trice.s (Kirk, 2013).

Mettre sur place des processus d’intégration transparents

Les premières impressions pendant le recrutement et l’intégration peuvent être des facteurs clés pour encourager la longévité des instructeur.trice.s. Expliquer clairement et exhaustivement au nouveau personnel les responsabilités professionnelles en plus d’établir en amont des liens avec les membres de la communauté avec lesquels il travaillera, permettrait de réduire les taux d’épuisement professionnel et la rotation des employé.e.s récemment embauché.e.s (Marchand et Russell, 2013). La formation pourrait être remodelée en augmentant la période d’observation d’un ou une instructeur.trice d’expérience, en alternant les responsabilités sur le terrain avec d’autres lieux, comme le bureau ou le camp de base, et en adoptant des mesures pour que les nouveaux effectifs fassent d’abord partie d’une équipe expérimentée et ne soient pas associés à des novices tant qu’ils ne connaissent pas bien les rôles.

Offrir du mentorat et de la rétroaction constructive

Lorsque le mentorat est une priorité, le nouveau personnel de terrain peut avoir l’impression d’être mieux intégré à l’équipe et de pouvoir s’adresser à un ou une collègue d’expérience pour poser des questions. Parsons (1992) soutient que la mise en place et la consolidation d’un programme de mentorat ne sont pas rentables à cause de la faible productivité du nouveau personnel submergé et du coût du recrutement des remplaçants (p. 8). Si de tels programmes ne sont pas déjà en place officiellement, les employé.e.s doivent être encouragé.e.s à trouver des mentors au sein de la profession.

S’ils ou elles servent une clientèle exigeante lors d’excursions de plusieurs jours, les gestionnaires ne doivent pas sous-estimer la pertinence de formuler des commentaires positifs et de souligner leur travail (Thomas, 2003). Un instructeur sur le terrain affirme d’ailleurs que la rétroaction en toute transparence d’une personne en qui on a confiance est inestimable (Kirk, 2013, p. 105). Dans cette optique, tout commentaire non constructif des responsables peut poser problème. Un participant à une étude juge que le manque de collaboration avec les gestionnaires nuit au développement du programme et au personnel et dénonce des lacunes de réflexion pour renforcer l’équipe et améliorer l’expérience (Kirk, 2013).

Proposer des stages rémunérés et des activités de perfectionnement professionnel

Au fil du temps, la plupart des professionnel.elle.s des activités de plein air participent à divers cours et ateliers de certification. Miser sur le perfectionnement professionnel continu pour approfondir compétences et connaissances est une bonne solution au sentiment de stagnation au travail. Les occasions d’enrichissement professionnel et de formation en dehors du travail sont importantes pour optimiser la longévité des effectifs (Thomas, 2003). Teschner et Wolter (1984) suggèrent que l’épuisement professionnel du personnel est davantage lié au manque de possibilités de croissance personnelle continue (p. 19) qu’à de longues heures de travail et à des exigences élevées. En favorisant la participation du personnel à des stages de formation rémunérés, tout établissement démontre clairement un souci du perfectionnement professionnel de son personnel de première ligne.

Créer une culture de respect, de compréhension et d’ouverture

Il est impératif que la direction tienne compte du point de vue du personnel de première ligne. Lorsque des problèmes sont soulevés, les gestionnaires doivent répondre de manière adéquate aux besoins des effectifs, sous peine d’en perdre. L’insatisfaction peut s’accumuler au fil du temps pour les instructeur.trice.s qui ont l’impression que rien ne change et que l’établissement évite des problèmes relevés par les travailleur.euse.s en première ligne (Kirk, 2013, p. 98). Plusieurs participant.e.s à une étude ont souligné la crainte de ne pas être pris au sérieux ou de fournir des recommandations à des personnes qui font la sourde oreille ou qui ne comprennent rien (Kirk, 2013, p. 99). Quelqu’un a même précisé ressentir de la frustration parce qu’on ne l’écoutait pas (Kirk, 2013, p. 99).

Le sentiment de déconnexion avec la direction, perçu par certain.e.s, traduirait un manque de soutien et provoque un sentiment d’aliénation par rapport à l’établissement. Plusieurs ont déclaré que le manque d’écoute de la direction avait fortement influencé leur intention de changer d’emploi. Une personne soutient qu’elle en avait marre que les gens ne comprennent pas la nature de son travail et les attentes de l’équipe, en dépit des demandes et des situations soulevées (Kirk, 2013, p. 101). Son homologue rapportait que la réaction de la direction, qui ignorait plus ou moins des problèmes, est à l’origine de sa décision de jeter l’éponge (Kirk, 2013, p. 101). Un autre participant a attribué sa ferme intention de démissionner au sentiment constant que toute demande faite à la direction ne serait pas prise en considération (Kirk, 2013, p. 101).

La participation du personnel dans la prise de décisions importantes et dans l’élaboration de politiques et de programmes pourrait favoriser la rétention. Une telle collaboration permet de développer un sentiment plus fort d’intégration et d’acceptation, de donner un point de vue et de se sentir responsabilisé (Mulvaney, 2011). Outre la nature du travail, Parsons (1992) suggère que d’autres variables déterminantes, dont les relations avec les collègues et le sentiment d’influence, favorisent le sentiment de satisfaction au travail. Une culture du respect, dans laquelle les tâches des équipes de première ligne sont comprises et appréciées à tous les paliers de l’établissement, peut réduire le sentiment de manque de valorisation et de sous-estimation. Les employé.e.s sur le terrain des camps d’été qui ont déclaré ressentir l’appréciation des membres de l’équipe ont également mis en lumière une plus grande cohésion du groupe, ce qui se traduit par un investissement considérable dans le travail (Bailey et coll., 2011). Par conséquent, donner la possibilité de faire part de commentaires et d’idées sur la restructuration du programme montre qu’ils et elles sont des éléments importants de l’établissement et que leur opinion compte.

Calendriers

Les instructeur.trice.s se plaignent souvent des contraintes liées à l’horaire de travail. Les personnes qui s’intègrent dans un emploi ou entament une carrière à long terme dans le secteur du plein air peuvent être confrontées à des options limitées lorsqu’elles essaient d’obtenir des conditions répondant à leurs besoins et à leurs préférences. Les horaires de travail atypiques occasionnent donc souvent des relations incompatibles et instables avec amis et famille. Dans les recherches de Thomas (2001, 2003) sur les éducateur.trice.s de plein air, les facteurs de stress liés au travail sont le plus souvent les longues heures de travail et le temps loin de la maison, car ils peuvent conduire à un manque apparent de stabilité, même dans les relations.

Le sentiment qu’un horaire de travail nuit aux relations dans la vie peut être abordé en adoptant des approches créatives comme modifier les calendriers, travailler parfois en dehors du terrain ou diversifier les tâches (Marchand et coll., 2009; Ross, 1989). Adapter des horaires de travail aux employé.e.s permettrait d’équilibrer le temps sur le terrain, ce que ces derniers perçoivent comme adéquat pour avoir une vie saine et stable en dehors du travail (Marchand et coll., 2009).

Changer le discours sur la rotation des effectifs

Une instructrice canadienne s’est souvenue qu’un supérieur avait affirmé que son emploi était sans avenue. Il soutenait que les travailleur.euse.s ne restaient pas à l’emploi longtemps avant d’aller voir ailleurs, et que seulement une douzaine d’employé.e.s répondaient encore à l’appel (Kirk, 2013, p. 64). Dans les établissements canadiens, la conception que le métier n’est pas viable est généralement acceptée par les directions et même par beaucoup d’instructeur.trice.s. Un employé a tenu les propos suivants : « Depuis que je travaille sur le terrain, les gens parlent toujours du haut taux de rotation. Tout le monde en est conscient » (Kirk, 2013, p. 130). Le roulement des employé.e.s de première ligne est « énorme », « rapide », « inévitable » et « trop élevé » (Kirk, 2013, p. 65). Un participant a affirmé que tous les établissements où il a travaillé ont un taux de rotation élevé et qu’il est très rare de rester à l’emploi pendant trois ans ou plus (Kirk, 2013, p. 65). Compte tenu d’une vision, faut-il s’étonner que les instructeur.trice.s sur le terrain quittent un établissement après seulement une courte période?

Améliorer les salaires et la reconnaissance

Les employé.e.s de première ligne doivent être mieux rémunéré.e.s en raison des risques élevés, des responsabilités, des conditions difficiles et de l’éloignement semaine après semaine. Des congés maladie ou payés, des horaires flexibles et des assurances peuvent contribuer à une importante augmentation de la satisfaction au travail, de la fidélisation envers l’établissement et de la longévité. L’argent n’est pas la motivation principale des instructeur.trice.s de plein air quand vient le temps de choisir un emploi. Néanmoins, le salaire est souvent un reflet de la valeur et, par conséquent, se sentir sous-payé peut provoquer de la frustration et du roulement (Marchand et Russell, 2013). Des recherches doivent être également menées pour déterminer la structure salariale de base jugée adéquate par les instructeur.trice.s pour le travail et les incitatifs financiers qui les motiveraient à rester plus longtemps à l’emploi.

Selon des participant.e.s d’une étude, la fidélisation du personnel découle en grande partie du fait que les employé.e.s se sentent valorisés, « pris en charge » par un établissement « qui compte sur eux », plutôt que de se sentir « exploités » (Kirk, 2013, p. 101). Un instructeur a d’ailleurs rapporté : « Si l’on veut conserver le personnel de première ligne, il faut que l’expérience soit reconnue d’une manière ou d’une autre. On ne peut s’attendre à ce que je fasse un travail aussi difficile sans augmentation salariale, sans changement » (Kirk, 2013, p. 101).

Un salaire qui augmente en fonction du coût de la vie est un élément important du sentiment de valorisation, mais ce n’est pas le seul (Kirk 2013). Les démarches d’orientation professionnelle qui portent sur un plan de perfectionnement axé sur la croissance, l’appréciation et l’investissement dans les personnes sont significatives et positives du point de vue d’un ou d’une employé.e de première ligne (Kirk, 2013, p. 102). Par exemple, un participant s’est senti valorisé par ses supérieurs lorsque le gestionnaire a pris le temps de lui élaborer un plan d’amélioration au travail (Kirk, 2013, p. 102).

Le sentiment de progrès professionnel, qui se traduit par une augmentation des responsabilités, des outils, des connaissances, des prises de décisions et de l’influence, est également important pour éviter un sentiment de stagnation chez le personnel de première ligne. Par exemple, la promotion à un poste de cadre supérieur peut entraîner des avantages considérables lorsqu’il est question d’expérience, d’apprentissage et de croissance professionnelle. Les instructeur.trice.s ont souligné leur appréciation de la possibilité d’apprendre dans de nouvelles circonstances et de nouveaux postes et ont été stimulés à l’idée d’évoluer professionnellement et de découvrir des nouveautés (Kirk, 2013, p. 76).

Conclusion

Malgré le sentiment commun qu’un taux élevé de rotation est inévitable, des instructeur.trice.s de terrain restent à l’emploi des années, voire beaucoup plus longtemps. Cependant, d’importantes questions sur l’efficacité des démarches organisationnelles axées sur le maintien en poste du personnel demeurent sans réponse. Les instructeur.trice.s de tous types font partie d’un groupe peu étudié et sont souvent au second plan en raison de la nature transitoire de leur travail et du contexte particulièrement éloigné dans lequel ils travaillent.

En conclusion, il faut s’attendre à un parcours de carrière sinueux dans la profession, dont le volet plein air n’évoluera peut-être jamais. La rémunération pour le travail de première ligne risque d’ailleurs de ne jamais être compétitive par rapport à d’autres domaines. Néanmoins, j’espère qu’il sera chose possible et accessible pour les professionnel.elle.s du plein air de première ligne de vivre leur passion aussi longtemps qu’ils et elles le souhaitent, avec le soutien et les ajustements nécessaires de la part des employeurs.

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À propos de l’auteure

Liz Kirk

Liz Kirk vit dans la région de Niagara en Ontario et a récemment acquis le titre de guide certifiée en sylvothérapie. Elle a travaillé comme guide d’excursion en nature sauvage et éducatrice de plein air jusqu’à la fin de la trentaine. Elle a également œuvré bénévolement au Council of Outdoor Educators (conseil des éducateur.trice.s de plein air) de l’Ontario et à Get Kids Paddling. Afin de remédier à la rareté de mentorat dans l’industrie, elle a joué un rôle phare dans la mise sur pied de l’Ontario Wilderness Leadership Symposium (OWLS), lancé en 2015.

 

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