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SANS TRACE : PRINCIPES ÉTHIQUES POUR L’APPRENTISSAGE EN PLEIN AIR

Ryan Stuart

Note de la rédaction : Certaines des lignes directrices américaines présentées ici utilisent les pieds comme unité de mesure. L’équipe de rédaction a converti ces distances en mètres.

De plus en plus d’études établissent un lien entre le temps passé dans la nature et les espaces verts et un bien-être physique et mental accru (Wicks et coll., 2023). Nous sommes à l’écoute. Les espaces en plein air n’ont jamais été aussi fréquentés (McDonald et coll., 2022). Toutefois, cet engouement s’accompagne d’un risque de conséquences négatives sur l’environnement. D’où le concept de « Sans trace ». Sans trace, dont le logo est présenté à la figure 1, est un ensemble de principes à l’attention des adeptes de plein air afin de réduire au minimum l’effet de leur présence sur les espaces naturels (Cole, 2018). Ce chapitre aborde les valeurs et les principes éthiques de Sans trace, y compris la technique de l’autorité de la ressource. Il explore également les sept principes Sans trace, illustrés d’exemples pratiques sur la manière de les intégrer dans l’apprentissage en plein air axé sur l’aventure et l’environnement.

Figure 1 : Logo Sans trace

Valeurs et responsabilités de Sans trace

L’une des raisons d’être fondamentales de Sans trace est la reconnaissance de l’équilibre délicat des écosystèmes naturels. Des montagnes imposantes aux lacs sereins, les paysages abritent des réseaux de vie interconnectés, et toute perturbation peut avoir des conséquences considérables (Shrader-Frechette et McCoy, 1995). Les zones de nature sauvage ne sont pas les seules touchées. Les parcs municipaux, les sentiers de quartier et les zones sauvages sont autant de lieux susceptibles de faire l’objet d’une utilisation non durable. Adopter les principes Sans trace, c’est faire preuve de respect pour les relations complexes qui soutiennent ces environnements et pour l’expérience des prochaines générations.

Sans trace va au-delà du simple aspect pratique; c’est un concept qui communique un sentiment de responsabilité à l’égard des lieux visités. Imaginez un instant si chaque adepte de plein air jetait ses déchets par terre, perturbait les habitats de la faune et défigurait les paysages. Ces espaces tant aimés subiraient des dommages irréversibles. Sans trace consiste à faire des choix qui protègent ces lieux pour les générations actuelles et futures, en partant du principe que chaque personne est responsable et peut toujours apprendre de nouvelles façons de diminuer ou de réduire au minimum l’effet de sa présence en plein air.

Le concept d’autorité de la ressource, au cœur de Sans trace, reconnaît que la terre et ses ressources détiennent une certaine autorité sur la manière dont elles doivent être traitées. En gros, c’est l’environnement qui fixe les règles. En tant que gardiens de la terre, il est de notre devoir d’écouter et de suivre ces règles, et de respecter la valeur intrinsèque du monde naturel.

La science derrière Sans trace

Les lignes directrices de Sans trace ne sont pas seulement fondées sur le gros bon sens. Elles sont solidement ancrées dans une compréhension scientifique, puisqu’on parle d’êtres vivants. Les fondements scientifiques de Sans trace sont continuellement examinés et affinés.

Les principes, par exemple réduire au minimum l’impact des feux, gérer adéquatement ses déchets et respecter la vie sauvage, ne sont pas arbitraires. Ils sont alignés sur les principes écologiques, la psychologie environnementale et le bagage de connaissances de diverses disciplines scientifiques. Par exemple, les études sur le compactage des sols, la croissance de la végétation et le comportement des animaux nous aident à comprendre comment la présence humaine affecte les écosystèmes (Cole, 2004).

Cela dit, les concepts scientifiques qui sous-tendent Sans trace ne sont pas coulés dans le béton. À mesure que notre compréhension des écosystèmes s’approfondit, la culture et les normes sociales évoluent et de nouvelles technologies émergent. Les principes font l’objet d’une évaluation et d’un ajustement continus (Simon et Alagona, 2009). La réconciliation avec les Premières Nations exige de repenser le principe de « laisser intact ce que l’on trouve » en gardant à l’esprit les pratiques traditionnelles de collecte de nourriture (North et coll., 2023).

Essentiellement, Sans trace témoigne de la relation dynamique entre la science et l’éthique du plein air, et souligne l’importance de rester informé des dernières découvertes scientifiques, qui informent l’évolution des lignes directrices en matière de responsabilité en plein air. En adoptant cette base scientifique en évolution, les adeptes de plein air peuvent s’assurer que les générations futures profiteront de la même nature et des mêmes expériences de plein air.

L’histoire de Sans trace

Le concept Sans trace a évolué au fil du temps, reflétant la relation changeante entre l’humain et son environnement, et la sensibilisation croissante aux effets de la présence humaine en plein air (Simon et Alagona, 2009). L’histoire de Sans trace témoigne d’une transition de l’exploitation vers la préservation, guidée par des principes qui mettent l’accent sur la jouissance responsable des espaces naturels.

Les origines de Sans trace remontent au milieu du 20e siècle, lorsque l’essor du plein air a commencé à susciter de l’inquiétude quant à la dégradation de l’environnement (Marion et Reid, 2001). Les années 1960 ont vu l’émergence de mouvements écologistes qui prônaient la protection des zones sauvages. C’est à cette époque que la philosophie « pack it in, pack it out » (rapporter tout ce que l’on a apporté) a pris de l’ampleur, marquant une évolution vers une plus grande responsabilité dans la gestion de ses propres déchets et le traitement de l’environnement avec sensibilité et attention (Morton Turner, 2002).

Les années 1970 marquent une période charnière pour Sans trace. Des organisations comme la National Outdoor Leadership School (NOLS) aux États-Unis ont commencé à promouvoir l’éthique de la nature sauvage et les techniques de camping à impact minimal (Marion et Reid, 2001). Ces efforts ont mené à la publication du premier manuel Sans trace officiel par la NOLS en 1979 (Marion et Reid, 2001). Ce manuel présente les fondements des principes Sans trace, tels que la réduction de l’impact des feux, la gestion adéquate des déchets et le respect de la vie sauvage.

Les années 1980 et 1990 ont vu une adoption généralisée des principes Sans trace par la communauté du plein air, le monde de l’éducation et les agences de gestion du territoire (Priest et Dixon, 1990). Le Leave No Trace Center for Outdoor Ethics, fondé en 1994, a permis d’officialiser davantage l’éducation et la sensibilisation aux principes Sans trace. Les recherches de l’organisation et sa collaboration avec les agences de gestion des terres ont conduit à l’élaboration des sept principes fondamentaux Sans trace, publiés pour la première fois en 1999 (Cole, 2018).

Au XIXe siècle, tandis que le plein air continue de gagner en popularité, l’importance de Sans trace reste plus que jamais d’actualité (Alagona et Simon, 2012). L’histoire de Sans trace témoigne de l’évolution des attitudes humaines à l’égard de la nature, de la conquête des paysages à la coexistence avec eux. Elle nous rappelle que notre responsabilité collective n’est pas seulement de profiter de la nature, mais aussi de la protéger pour les générations futures.

Les sept principes Sans trace

  1. Se préparer et prévoir. Une planification minutieuse est à la base du plein air responsable. Pour adopter ce principe, envisagez les moyens suivants :
    • Renseignez-vous sur la région que vous allez visiter, notamment sur la réglementation et les prévisions météorologiques.
    • Obtenez les permis nécessaires et respectez les restrictions relatives à la taille des groupes.
    • Préparez un itinéraire détaillé et partagez-le avec une personne qui ne participera pas au voyage.
    • Prévoyez l’équipement et les vêtements appropriés pour réduire au minimum le besoin de modifier l’environnement.
  2. Utiliser les surfaces durables. Réduisez au minimum votre impact en restant sur les sentiers et les sites de camping établis. Voici comment :
    • Restez sur les chemins existants pour éviter l’érosion du sol et la création de nouveaux sentiers.
    • Installez votre campement à au moins 200 pieds (61 mètres) des plans d’eau pour protéger les zones riveraines fragiles.
    • Utilisez autant que possible des emplacements de camping désignés afin de réduire le piétinement de la végétation.
  3. Gérer adéquatement les déchets. La gestion responsable des déchets est essentielle à la préservation de la nature sauvage. Adoptez ces pratiques :
    • Ramenez avec vous tous vos déchets, y compris les restes de nourriture et le papier hygiénique.
    • Utilisez les installations sanitaires existantes si elles sont disponibles; sinon, creusez un petit trou à au moins 200 pieds (61 mètres) des sources d’eau pour les déchets humains.
    • Filtrez l’eau de vaisselle et dispersez le filtrat à au moins 200 pieds (61 mètres) des plans d’eau.
  4. Laisser intact ce que l’on trouve. Respectez la beauté naturelle et les artéfacts culturels de l’environnement. Envisagez les actions suivantes :
    • Évitez de cueillir des plantes, de perturber des sites historiques ou de déplacer des pierres.
    • Laissez les caractéristiques naturelles et culturelles telles que vous les avez trouvées pour que d’autres puissent en profiter.
    • Immortalisez vos souvenirs en photo plutôt que de rapporter des souvenirs physiques.
  5. Réduire au minimum l’impact des feux. Les feux de camp peuvent marquer la terre et causer des dommages durables. Suivez les recommandations suivantes :
    • Utilisez un réchaud de camping pour cuisiner au lieu de faire un feu.
    • Si les feux sont autorisés, utilisez les espaces prévus à cet effet, et limitez la taille du feu.
    • N’utilisez que des petits bâtons et brindilles trouvés sur le sol; ne cassez pas de branches d’arbres vivants.
  6. Respecter la vie sauvage. L’observation à distance des animaux sauvages permet de garantir leur sécurité et l’intégrité de leur habitat.
    • N’approchez pas les animaux sauvages et ne les nourrissez pas; respectez leur espace et leurs comportements.
    • Utilisez des jumelles et des appareils photo pour observer les animaux sans les déranger.
    • Rangez la nourriture en lieu sûr pour éviter d’attirer les animaux sauvages sur les terrains de camping.
  7. Respecter les autres. Afin de promouvoir une expérience positive en plein air et de faire preuve de courtoisie à l’égard des autres aventuriers :
    • Cédez le passage aux autres et maintenez un niveau de bruit raisonnable.
    • Surveillez vos animaux domestiques et ramassez leurs besoins.
    • Parlez les lieux populaires afin de permettre aux autres de profiter de la beauté du plein air.

Conclusion

Plus qu’un simple ensemble de lignes directrices, Sans trace est une philosophie qui témoigne de notre rôle de gardiens de la nature. L’adoption des principes Sans trace permet de s’assurer que les paysages impressionnants que nous explorons aujourd’hui resteront vivants et intacts pour les générations à venir. En faisant preuve de responsabilité éthique et en reconnaissant l’autorité de la ressource, nous pouvons tous jouer un rôle dans la préservation de l’équilibre délicat des écosystèmes de notre planète. Alors, la prochaine fois que vous vous aventurerez en plein air, rappelez-vous : ne prenez que des photos, ne laissez que vos traces de pas.

Bibliographie

Alagona, P. et Simon, G. (2012). Leave no trace starts at home: A response to critics and vision for the future. Ethics, Policy & Environment, 15(1), 119-124.

Cole, D. N. (2004). Impacts of hiking and camping on soils and vegetation: a review. Environmental impacts of Ecotourism, 41, 60.

Cole, D. N. (2018). Leave No Trace: How it came to be. International Journal of Wilderness, 24(3), 54-65.

Marion, J. L. et Reid, S. E. (2001). Development of the US Leave No Trace program: an historical perspective. Enjoyment and understanding of the national heritage, 81-92.

McDonald, S., Turner, S., Page, M. et Turner, T. (2022). Most published systematic reviews of remdesivir for covid-19 were redundant and lacked currency. Journal of Clinical Epidemiology, 146, 22-31.

Morton Turner, J. (2002). From woodcraft to ‘Leave No Trace’: Wilderness, consumerism, and environmentalism in twentieth-century America. Environmental History, 7(3), 462-484.

North, C., Berning, H., Karaka-Clarke, T. H. et Taff, B. D. (2023). Leave No Trace and sustainability education: Taking a Dialectical Approach. Journal of Outdoor Recreation, Education, and Leadership, 15(1).

Priest, S. et Dixon, T. (1990). Safety practices in adventure programming. Association for Experiential Education.

Shrader-Frechette, K. S. et McCoy, E. D. (1995). Natural landscapes, natural communities, and natural ecosystems. Forest and Conservation History, 39(3), 138-142.

Simon, G. L. et Alagona, P. S. (2009). Beyond leave no trace. Ethics, Place and Environment, 12(1), 17-34.

Wicks, C. L., Barton, J. L., Andrews, L., Orbell, S., Sandercock, G. et Wood, C. J. (2023). The impact of the coronavirus pandemic on the contribution of local green space and nature connection to mental health. International Journal of Environmental Research and Public Health20, 5083.

Ressources

À propos de l’auteur

Ryan Stuart

Ryan Stuart siège au conseil d’administration de Sans trace Canada. Depuis plus de 25 ans, il met en pratique les principes Sans trace dans ses aventures en plein air et les enseigne en tant qu’éducateur de plein air dans le cadre de programmes en milieu sauvage et comme guide pour des groupes scolaires.

 

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L’article Sans trace : Principes éthiques pour l’apprentissage en plein air (2024), par Ryan Stuart, est distribué sous la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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