14

14.

FAIRE QUE LES ENFANTS ET LES JEUNES RENOUENT AVEC LA NATURE POUR PRÉSERVER LA PLANÈTE

Alan Warner

Une école primaire de Nouvelle-Écosse a reçu une modeste subvention pour aménager une « classe extérieure » dans un petit fossé non loin de la cour de récréation. Une fois le projet achevé, le directeur m’a appelé pour me demander d’offrir au personnel enseignant une formation afin de développer une expertise sur l’utilisation optimale de l’espace avec les enfants. J’ai accepté et j’ai exploré les lieux avant de commencer ma planification. J’étais stupéfait de voir un bel aménagement naturel avec un petit ruisseau qui serpentait dans le ravin en contrebas. La classe extérieure se composait d’une vingtaine de grosses roches carrées disposées en rangées, où les enfants pouvaient s’asseoir. Cependant, la formation n’a jamais eu lieu, car elle se déroulerait pendant une journée chaude en pleine saison des mouches noires. Le directeur ne jugeait pas le moment opportun. Il avait probablement raison. Cela dit, j’ai rejeté sa proposition de donner la formation à l’intérieur ou dans la cour de récréation!

En somme, l’apprentissage en plein air est une notion complexe qui signifie simplement qu’une activité se déroule dans un endroit sans toit ni quatre murs. Rarement est utilisé le terme opposé : l’apprentissage intérieur. La clé d’un apprentissage significatif, motivant et fondé sur l’autonomisation autour de la nature réside dans une philosophie et des concepts pédagogiques qui orientent les programmes, et dans des activités, dans l’encadrement et les apprenant.e.s. Depuis 40 ans, je m’investis à la conception de programmes, à la recherche et à l’enseignement en plein air. Je me suis attardé sur les meilleures avenues pour reconnecter les enfants et les jeunes à la nature afin de former des personnes saines et respectueuses de l’environnement, soucieuses de la protection des espaces naturels et qui s’attaquent à des problèmes comme les changements climatiques, la perte de biodiversité, la réconciliation et l’injustice. Aligner 20 pierres ne favorise pas un bon apprentissage en nature et la mission la plus importante serait de procéder méthodiquement étant donné l’état de la planète. Une bonne éducation fondée sur la nature n’est qu’un élément important d’un objectif beaucoup plus ambitieux qui vise l’adoption de modes de vie plus durables et plus équitables et la réduction des impacts significatifs environnementaux sur les systèmes. En suivant la trame ci-dessous, le chapitre décrit la raison d’être (pourquoi), le contenu (quoi) et le processus (comment) de la concrétisation de cette mission pédagogique selon des recherches et des pratiques actuelles au Canada. Il préconise une approche expérientielle et locale, fondée sur des expériences dans la nature et la collectivité, et s’inspire largement d’un cadre d’éducation à la terre (Van Matre, 1990) et de l’apprentissage local (Sobel, 2008).

Tableau 1 : Renouer avec la nature : résumé du pourquoi, du quoi et du comment
POURQUOI renouer avec la nature?
  • Personnes en bonne santé
  • Relations saines
  • Planète saine
QUELLES leçons en tirer?
  • Sentiments et attachement
  • Compréhension
  • Aptitudes à agir
COMMENT renouer les liens?
  • Expériences sur le terrain
  • Expériences des solitudes
  • Expériences inspirées d’histoires

POURQUOI faire en sorte que les enfants et les jeunes renouent avec la nature?

Personnes en bonne santé

À cause de la pandémie de COVID et des restrictions, les gens ont été cloîtrés dans leur foyer, une problématique mise en évidence et documentée pendant de nombreuses années par les chercheurs en psychologie et en éducation. Les personnes de tous âges ont besoin de passer du temps dans la nature en raison des bienfaits pour la force psychologique, la santé et le bien-être. Fromm (1964), éminent théoricien de la psychologie, et Wilson (1984, 2002), biologiste chevronné et brillant, ont chacun proposé le concept de la biophilie : les humains ont un besoin inné d’être en symbiose avec la nature (Barbiero et Berto, 2021). Wilson (2002) évoque « notre tendance innée à nous attacher à la vie et aux formes de vie et, dans certains cas, à créer des liens émotionnels » (p. 134). Louv (2008, 2016) a proposé les notions de « trouble du déficit de la nature » et de « vitamine N (nature) », colligeant une panoplie de recherches qui démontrent qu’une exposition fréquente à la nature est essentielle au développement cognitif, psychologique et physique de l’enfant, qu’il soit question d’acuité mentale, de créativité ou de bien-être.

La privation de nature a été associée à la dépression, à l’anxiété, à l’obésité et aux troubles déficitaires de l’attention. Les travaux de Louv ont inspiré la création du Child and Nature Network, un réseau mondial qui propose des ressources et des recherches actualisées dans le domaine. Au Canada, plus de 80 % des enfants ne respectent pas les recommandations sur le sommeil, le temps d’écran et l’activité physique (Nature Canada, 2018). Cette recherche porte sur la pertinence des activités de plein air de tous genres, mais également sur la valeur inhérente de l’interaction des enfants et des jeunes avec d’autres formes de vie, comme moyen de favoriser un développement psychologique sain.

Relations saines

Le Halifax Adventure Earth Centre propose des expériences en nature aux enfants et aux jeunes depuis plus de quarante ans et met de l’avant l’un des intérêts de mon travail : faire que les enfants et les jeunes renouent avec la nature. Je cherche toujours à comprendre pourquoi leur groupe d’encadrement des jeunes est si fort et pourquoi ses membres sont si investis. Ce n’est pas une tâche simple de susciter l’intérêt des adolescents pour les programmes communautaires. Je leur demande souvent pourquoi ils y participent, et ils me répondent en général que « cet endroit », c’est-à-dire l’espace social, est « différent ». Ils soulignent l’absence de la compétition et des humiliations vécues dans beaucoup d’écoles et de groupes de pairs : « Ici, tout le monde est gentil avec vous, peu importe qui vous êtes, ou votre apparence. » En se penchant sur la question, on observe que l’un des fondements de cette culture de la jeunesse est le temps passé en camp de vacances et dans la nature, à raison d’une fin de semaine par mois. Les jeunes se tiennent donc loin des médias sociaux et de la pression des pairs dans un espace où l’exploration et le développement de l’équipe et du groupe vont de pair. Ces anecdotes sont étayées par des résultats de recherche, qu’il s’agisse des bienfaits des écoles en forêt dans le développement des compétences sociales (Obrien et Murray, 2007) ou de la pertinence des espaces verts dans la promotion du jeu prosocial et coopératif chez les enfants (Putra et coll., 2020). Les environnements naturels offrent des expériences sensorielles enrichissantes avec d’autres formes de vie que les enfants et les jeunes, isolées des pressions quotidiennes, peuvent apprécier et vivre avec leurs pairs.

Planète saine

Je commence souvent les ateliers et les cours d’initiation à l’environnement destinés aux jeunes et aux adultes en demandant aux participants s’ils ont passé beaucoup de temps dans la nature lorsqu’ils étaient enfants. Presque tout le monde lève la main. Nous reconnaissons immédiatement qu’il s’agit d’un élément essentiel qui distingue les personnes présentes des absents au sein d’une cohorte particulière. Le constat confirme les résultats des recherches menées depuis des décennies : les adultes et les jeunes qui ont vécu des expériences positives et significatives dans la nature pendant l’enfance sont plus enclins à s’impliquer en faveur de l’environnement et de devenir des citoyens exemplaires qui s’en soucient (Chawla, 2020).

Ces moments peuvent d’ailleurs susciter un sentiment de bien-être et d’optimisme constructif, comme la volonté de lutter contre la perte et la dégradation de l’environnement, un problème accablant et une source de désespoir. Plusieurs ingrédients favorisent un tel engagement et un tel espoir à l’égard de l’environnement : beaucoup de temps pour explorer et jouer en plein air (seul et avec des pairs), des modèles inspirants (parents, enseignants) qui soutiennent et encouragent la connexion avec la nature et des possibilités de la défendre. Ce n’est pas un hasard si la biodiversité et la santé des écosystèmes sont endommagées par l’humain, alors que les enfants et les jeunes grandissent dans des villes où l’accès à la nature est limité et passent plus de temps à l’intérieur et devant des écrans. Les démarches pour renouer avec la nature et la protéger diffèrent selon les contextes culturels, mais le besoin de connexion est commun.

En résumé, il est essentiel de replonger les enfants et les jeunes dans la nature pour former des personnes en santé, nouer des relations harmonieuses et intervenir pour protéger et préserver une planète saine. Les familles, les écoles et les communautés éprouvent de plus en plus des difficultés à remplir cette mission. Cela dit, les problèmes sont davantage connus et un large éventail de personnes et d’organismes passent à l’acte. Que faut-il faire?

QUELLES leçons en tirer?

Sentiments et attachement

Il faut développer un sentiment de bienveillance et d’attachement envers les autres créatures et les espaces naturels. Les enfants sont fascinés par presque tous les animaux, qu’il s’agisse d’un insecte sur un trottoir ou d’une grenouille dans un étang. Il faut simplement les laisser découvrir. Le fait est avéré : les nourrissons sont souvent plus heureux à l’extérieur, où les formes, les mouvements et les sons sont doux (le vent dans les arbres), qu’à l’intérieur, où ils sont si souvent exposés à des surfaces dures et au bruit omniprésent. Nos tout-petits adorent être dehors. Pourtant, on entend trop souvent : « Fais attention », « Ne te salis pas », « Ne t’éloigne pas trop ». « Promenons-nous en poussette » a remplacé « Allons dans les bois ».

Traditionnellement, en Amérique du Nord, les cultures et les modes de vie autochtones sont profondément enracinés dans le vécu en pleine nature. Sans surprise, à ce jour, bon nombre de ces cultures, malgré les menaces d’extinctions au fil des siècles, ont transmis plus de valeurs environnementales profondes et de liens avec la nature d’une génération à l’autre que les cultures coloniales dominantes. L’ingrédient indispensable pour développer un respect pour la nature est d’y passer du temps de qualité, peu importe l’identité culturelle de chacun. Par exemple, Being Caribou (Heuer, 2006) raconte l’histoire captivante d’un biologiste de la faune et de sa partenaire qui ont suivi un troupeau de caribous pendant cinq mois dans l’Arctique. En s’immergeant avec eux dans la nature, ils se sont mis à penser et à se sentir comme des caribous, abandonnant l’idée que ces créatures n’étaient intéressantes que du point de vue scientifique. L’attachement à la nature ne se limite pas aux cultures autochtones : d’autres peuples peuvent en témoigner en y vivant des moments agréables. Carson (1956) dresse un constat similaire de manière éloquente :

pour conserver son sens inné de l’émerveillement, l’enfant doit être encadré par au moins un adulte qui partage ce sentiment, redécouvrant avec lui la joie, l’ivresse et le mystère de notre monde (p. 42).

Certains ont plaidé en faveur d’une approche fondée sur la connaissance pour présenter le monde naturel aux enfants : « si vous vous renseignez sur un sujet, vous vous y intéresserez ». Néanmoins, une telle approche rationnelle de la prise en charge et de l’action, reposant sur l’information, n’a pas été étayée par la recherche (Kollmuss et Agyeman, 2002). Selon Van Matre (1990), la voie vers la connexion avec l’environnement et sa protection par les êtres humains passe plutôt par l’expérience et l’attention que les gens portent au monde naturel, et la volonté d’en apprendre davantage. Ensuite, ils agiront. La priorité absolue est de nourrir l’attachement à la Terre, les affinités avec tous les êtres vivants, le respect des communautés et la joie d’être en contact avec la nature.

Compréhension

Les sentiments et la curiosité sont de mise pour que les sociétés humaines s’attaquent aux impacts environnementaux de plus en plus nuisibles aux modes de vie actuels et redressent la courbe négative de la crise de la biodiversité et de la crise climatique. Mais tout changement positif requiert une compréhension fondamentale du fonctionnement des systèmes écologiques, de la dépendance humaine à ces derniers et des interactions avec ces milieux. Par exemple, la planète ne produit pas davantage de ressources : les cycles de l’air, de l’eau et du sol ne font que les déplacer. Lorsque vous inspirez, vous respirez des molécules d’air jadis inhalées par les dinosaures. Pourtant, les personnes et les communautés ne parviennent pas à mettre en application cette compréhension dans leurs modes de vie et leurs infrastructures.

Il y a quelques années, une localité a proposé d’éliminer les polluants issus du nettoyage à sec qui se retrouvaient dans l’eau potable en aérant l’eau et en portant à ébullition les gaz dans l’air. Qu’en est-il alors des toxines? En quoi cette solution est-elle utile? Chacun doit comprendre les concepts écologiques généraux comme le rôle des matières circulant dans les cycles de l’air, de l’eau et du sol, l’importance de l’énergie solaire pour la chaîne alimentaire, les interactions entre les espèces au sein des écosystèmes et l’évolution naturelle au fil du temps (Van Matre, 1990). De telles connaissances permettent de prendre des actions raisonnées et responsables.

Aptitudes à agir

Se préoccuper de la nature et comprendre les mesures nécessaires pour modifier les modes de vie de l’humain ou les politiques et les comportements collectifs ne suffisent pas. Agir requiert des aptitudes, qu’il s’agisse de la confiance en soi pour assumer des choix de vie malgré la pression négative des autres, la rédaction efficace d’une lettre à une personnalité politique ou la prise de parole à une assemblée publique. Tout comme on apprend à jouer d’un instrument en faisant ses gammes, on apprend à agir pour l’environnement en menant des actions avec d’autres. Une telle démarche fait partie du développement de la compétence d’action (Jensen et Schnack, 1997), qui exige de l’engagement et de la bienveillance, des connaissances et une bonne compréhension, de la réflexion pour déterminer les mesures adéquates, et des expériences d’action pour renforcer la confiance et les compétences nécessaires pour agir. Il faut donc encourager les contributions des jeunes dans le cadre du processus pédagogique, non pas dans le but de provoquer un changement environnemental, bien qu’il puisse être positif, mais pour améliorer leurs aptitudes à agir. Il n’est ni nécessaire ni pertinent d’espérer que des enfants fassent preuve d’un radicalisme extrême. Ils peuvent plutôt s’affairer à réduire les répercussions de leur mode de vie sur l’environnement ou de mettre l’épaule à la roue pour défendre un milieu naturel ou une espèce à laquelle ils sont très attachés et qu’ils veulent protéger ardemment.

En somme, une initiation à l’environnement instructive en plein air doit être holistique et reposer sur les sentiments (le cœur), la compréhension (la tête) et les actions (les mains). Le constat n’est guère surprenant en raison des nombreuses recherches et pratiques documentant les bienfaits de l’apprentissage intégré et global dans plusieurs domaines (Anderson et coll., 2017).

Comment faire en sorte que les enfants et les jeunes renouent avec la nature?

Expériences sur le terrain

L’identité personnelle se construit d’une multitude de facteurs qui procurent un sentiment de soi. Elle est enracinée dans des valeurs ancrées et se manifeste dans les sentiments, les pensées et les actions. Petite anecdote; un soir, j’accueillais un groupe d’adultes pour discuter de solutions pour acheter des aliments plus durables pour nos foyers. Un homme a soutenu qu’il faisait toujours tout son possible pour se procurer des pommes biologiques, car il a grandi sur une pommeraie et qu’il connaît parfaitement la différence entre les pommes biologiques et celles traitées par pesticides. Une femme a affirmé qu’elle achetait toujours des œufs de poules élevées en liberté, car sa famille en possédait lorsqu’elle était enfant et elle connaissait la qualité des œufs frais. Aucun des deux ne s’est engagé à acheter d’autres articles de manière durable. Ces exemples montrent comment nos premières expériences et nos liens avec les lieux de l’enfance contribuent à créer nos valeurs et nos attachements les plus profonds. La clé d’un lien fort avec la nature est d’y pratiquer de nombreuses activités, dès la petite enfance. C’est la raison d’être du développement et de la popularité grandissante des écoles en forêt, où les jeunes enfants explorent et jouent quotidiennement.

Sobel (2008), théoricien et philosophe de l’éducation chevronné, a longtemps observé le jeu des enfants et détermine sept caractéristiques des expériences dans la nature fondamentales pour les types d’apprentissages qu’ils cherchent, peu importe leur culture. Il s’agit de l’aventure, de la fantaisie et de l’imagination, des animaux alliés, des cartes et des sentiers, des lieux spéciaux, des petits écosystèmes et de la chasse et de la cueillette. Comme le soutient Sobel (2008, p. 13), « une expérience transcendante dans la nature vaut mille faits de nature ». La mission pédagogique est d’offrir aux enfants et aux jeunes des expériences dans les espaces qui incarnent ces particularités. Pour certains, le milieu naturel le plus proche est une forêt, mais pour d’autres, on parle d’un fossé, d’une arrière-cour ou d’un terrain vague envahi par la végétation, où ils peuvent découvrir d’autres formes de vie. La possibilité d’interagir avec environnement semi-sauvage est déterminante, et non la qualité écologique. Les bienfaits pour les enfants de s’amuser avec de « petits objets » sont généralement reconnus dans les établissements préscolaires, mais il n’y a pas mieux que des pommes de pin dans les forêts, des tas de feuilles ou des cailloux dans un ruisseau. La structure varie en fonction des enfants et du contexte, mais les activités doivent viser un but précis, qu’il s’agisse de renforcer des sentiments (apprécier la beauté du lieu), d’acquérir des connaissances écologiques (sécrétion de sucre par les feuilles) ou de développer des compétences d’action (réflexion sur des expériences par l’art ou la prose). L’objectif pourrait être par exemple de s’amuser de sorte à susciter un véritable engouement.

Un programme environnemental de plein air qui incarne le principe est Eco-Champions, camp d’été de jour organisé par le Halifax Adventure Earth Centre en Nouvelle-Écosse. Des groupes de sept à neuf ans s’assoient en cercle sur des bancs dans une clairière paisible et protégée. L’attention est rivée sur une forme humaine scintillante en mouvement au loin à travers les arbres. L’histoire commence…

Il y a longtemps, bien avant notre ère, beaucoup de métamorphes vivaient dans la nature. Les gens aimaient les observer et les découvrir sous toutes leurs formes et apprécier les beautés de la nature. Mais au fil du temps, les humains se sont faits rares dans les forêts et ont graduellement oublié ces créatures. Oubliés et délaissés, les métamorphes sont devenus tristes, silencieux et immobiles. Aujourd’hui, ils sont presque figés dans la nature, sous forme de cailloux, de branches ou de petits buissons. La forme mouvante au loin est probablement Epash, l’un des derniers métamorphes encore présents ici. Elle survit en jouant à cache-cache avec les enfants qui viennent apprécier la forêt. Mais Epash a besoin d’un ami. C’est pourquoi elle se montre, même si les métamorphes sont très timides. L’espèce d’Epash est en voie de disparition et elle a besoin de vous pour ramener un autre métamorphe à la vie.

Les enfants se lancent ensuite dans une chasse au trésor pour ressusciter un autre métamorphe en ravivant de bons sentiments grâce à l’appréciation des formes dans la forêt. Tout au long de la journée, ils découvrent les créatures en voie d’extinction et apprennent à comprendre leur rôle. Pour revenir aux thèmes de Sobel, les enfants entreprennent une aventure fantastique et une chasse au trésor intégrées au récit, en utilisant des cartes pour trouver des endroits exceptionnels et devenir des alliés des animaux.

Le leadership est l’un des éléments essentiels propices aux expériences significatives dans la nature. Les animateur.trice.s ne sont pas des spécialisés debout à l’avant pour « enseigner » : ce sont des personnes bienveillantes qui échangent et interagissent avec les enfants tout au long des activités, en stimulant leur créativité et en leur préparant le terrain de jeu pour explorer et découvrir la nature. Si les enfants explorent le petit monde d’une souche avec une loupe, les animateur.trice.s les encadrent et observent leurs découvertes. La nature est l’enseignante et l’humain s’assure que tout le monde participe.

Comment enseigner un concept écologique de cette manière? Dans Eco-Champions, assis dans la forêt, les enfants apprennent le concept d’habitat avec des animaux mignons en peluche, portant une étiquette autour du cou qui décrit sommairement où ils trouvent leur nourriture, leur eau, leur air et leur abri. Par pair, ils en adoptent une et utilisent les renseignements pour choisir un endroit approprié proche de son habitat. Les équipes font ensuite visiter au groupe le lieu trouvé et expliquent pourquoi il est adéquat. À la fin de l’activité, l’animateur.trice les aide à analyser leurs expériences et à comprendre et nommer les concepts écologiques de maison, d’habitat et de communauté. Un apprentissage soigneusement conçu est holistique, et les sentiments, la compréhension et les compétences d’action peuvent en être tirés et appliqués pour la suite. L’animateur.trice organise et encadre, mais la nature enseigne.

Expériences de la solitude

Un deuxième élément pour reconnecter les enfants et les jeunes à la nature est de proposer des expériences de la solitude significatives. Le Halifax Adventure Earth Centre organise chaque année un camp d’été qui accueille des enfants de 10 à 12 ans et qui est axé sur le thème de l’environnement et l’aventure. Le programme mise sur la nature et offre une expérience haute en couleur avec des personnages dramatiques, des effets spéciaux, des accessoires et des surprises tape-à-l’œil. Cependant, à maintes reprises, lorsque les parents viennent les chercher, les enfants leur demandent d’emblée de venir voir leur « endroit magique », l’espace personnel dans la forêt où ils ont vécu 20 minutes de solitude. Les moments dans la nature avec des pairs sont inestimables, mais le temps passé seul avec des espèces différentes est autant une expérience essentielle et irremplaçable pour concrétiser les bienfaits de l’environnement pour les enfants de tous âges, les jeunes ou les adultes.

La structure des expériences de la solitude varie en fonction de l’âge et du contexte, mais pas l’importance. Les jeunes enfants peuvent s’éloigner de quelques pas d’un cercle dans la forêt et étreindre un arbre pendant quelques minutes, et des adolescents minutieusement préparés peuvent passer vingt-quatre heures seuls dans un lieu d’observation. Plusieurs options existent entre les deux extrêmes, selon l’âge et le contexte. Les personnes responsables de groupes plus importants minimisent parfois trop rapidement la valeur de la solitude en raison de la complexité de l’organisation. Les enfants et les adultes abordent mal la solitude, car ils en font rarement l’expérience. Elle doit donc être introduite de manière progressive, réfléchie et planifiée. Pour les enfants, l’initiation en petits groupes avec des attentes claires, des histoires captivantes et des règles de base rigoureuse est une recette gagnante. Ces derniers y trouvent un plaisir une fois qu’ils se familiarisent avec le concept. Être bien seul est une aptitude essentielle qui permet aux enfants et aux adultes de diminuer le stress, d’être heureux et de prendre soin de la nature.

Expériences inspirées d’histoires

Pour organiser des expériences, les êtres humains s’inspirent des récits, troisième volet clé du programme. Nous établissons des relations et racontons nos vies en partageant des histoires. Les enfants sont en quête d’apprentissages significatifs et motivants lorsqu’il est question de perception du monde. Les histoires les captivent et présentent les attraits que David Sobel (2008) cite comme étant essentiels pour les rattacher à leur milieu de vie. Les programmes basés sur des histoires sont attrayants et appréciés par les jeunes et les adultes, qui veulent d’abord comprendre les objectifs pédagogiques pour s’assurer qu’ils correspondent aux leurs. Une fois qu’ils ont toute l’information, ils adorent jouer un rôle et prendre part à une aventure, une quête, une énigme ou une mission de résolution de problèmes.

Mysterious Encounters Earth du Halifax Adventure Earth Centre est justement un programme destiné à des enfants de la 5e et 6e année invités à rejoindre une petite agence de détectives et à devenir des enquêteurs en herbes, tout en cherchant la formule de la vie, qui doit être découverte par la classe lors d’une journée d’aventure dans un parc voisin. Les enfants comprennent que s’ils touchent la terre (développer des sentiments pour la nature), en connaissent le fonctionnement (comprendre les concepts écologiques de base, le flux d’énergie en l’occurrence) et en prennent soin (définir des mesures précises pour favoriser un mode de vie plus durable), ils œuvreront en faveur d’une alimentation saine, d’une eau propre et d’un air pur pour tous. Les animateur.trice.s (bénévoles universitaires ou du secondaire) sont des détectives qui travaillent pour l’école, dirigée par le « chef », et leur parcours réserve bien des surprises.

Le rassemblement final permet de définir de futures expériences de travail selon la formule, qui leur donnent l’occasion de se connecter à la nature et d’agir en sa faveur. Il existe de nombreuses possibilités d’intégrer des histoires dans les programmes et de donner aux enfants et aux jeunes des rôles, avec des livres ou par l’aventure, des chasses au trésor ou des mystères. L’objectif peut également être d’accomplir un geste réel ou significatif pour l’environnement comme une collecte de fonds pour protéger une parcelle de terre ou la création d’une petite entreprise offrant un service lié à la durabilité. Il faut donner aux participants des rôles reflétant leurs expériences plutôt que d’imposer tout bonnement des activités ou des apprentissages uniquement liés aux objectifs ou thèmes pédagogiques.

Deux ressources intéressantes pour explorer la théorie et les concepts qui étayent une telle approche sont Creating Worlds, Constructing Meaning : The Scottish Storyline Method (Cresswell, 1997) et Drama for earning: Dorothy Heathcote’s Mantle of the Expert Approach to Education (Heathcote et Bolton, 1995).

Les expériences inspirées des lieux, de solitude et d’histoires sont pertinentes pour créer une plateforme permettant aux enfants de nouer des liens avec la nature afin de renforcer leurs sentiments, leur compréhension et leurs compétences d’action. Un autre ingrédient est incontournable : certains l’appellent « magie » (Van Matre, 1990), et d’autres « transcendance » (Sobel, 2008). Ce moment spécial ou ce sentiment forme un liant et grave les expériences dans les esprits. La nature est impressionnante et ces moments surviennent si l’on se trouve à l’extérieur, au bon endroit ou dans la bonne position. Citons par exemple l’éclosion de tortues serpentines dans le gravier, un renard furtif au bord d’un champ ou une luciole scintillante en pleine nuit d’été.

De tels événements sont perpétuels dans la nature, mais l’humain en est rarement témoin. L’animateur.trice doit donc offrir aux personnes l’occasion de vivre une telle magie, seules ou en groupe. Je me rappelle un après-midi. J’étais responsable d’un petit groupe d’enfants en camp d’été, tous assis dans leur coin de solitude, à l’abri des regards. Ils étaient recouverts d’un « voile du silence » et devaient rester silencieux pendant vingt minutes. À ce moment, une biche se promenait. Les enfants l’ont remarquée, mais sont restés immobiles et calmes jusqu’à la fin lorsque le voile a été levé. La biche a senti leur présence, mais elle n’a été ni effrayée ni perturbée par le silence et l’immobilité des enfants. Lors du cercle du partage, tous se sont exclamés en chœur qu’ils avaient vu l’animal, chacun pensait être le seul. Quel moment inoubliable et magique! Cela dit, si je n’avais pas soigneusement encadré cette expérience de la solitude, ils ne l’auraient pas vécue. Être témoin de la magie de nature est transcendant, surtout grâce à l’intervention des animateur.trice.s, que se soit en encadrant rigoureusement l’exercice ou en donnant à un enfant du temps d’exploration.

Renouer avec la nature sur la côte ouest

Sea to Sky est un excellent exemple d’école en plein air en Colombie-Britannique qui incarne l’approche de l’éducation environnementale décrite dans le chapitre. Elle offre depuis plus de 30 ans une panoplie de programmes aux établissements de la Sunshine Coast. Le programme en 3e et 4e année, Webweavers, est une expérience magique permettant aux élèves de remporter un globe bleu en découvrant images, sons, textures et saveurs du monde sauvage. Ils gagnent un globe vert en acquérant la sagesse qu’offre la nature : interconnexion, systèmes et cycles. Ils obtiennent un globe jaune en participant à un projet pour renforcer la communauté. À la fin du programme, ils remportent un globe orange en faisant part de leurs apprentissages à leur famille et leurs amis et un globe rouge en participant à un projet communautaire dans leur école. Le programme au secondaire, Connections, met l’accent sur l’importance de ralentir, de vivre le moment présent et de découvrir la joie et l’inspiration que procurent les lieux sauvages. La solitude et des activités rigoureusement planifiées incitent les jeunes à participer et à trouver des solutions porteuses d’espoir pour relever les défis environnementaux et sociaux.

Conclusion

Proposer des expériences dans la nature, inspirées du lieu, de la solitude et des récits, qui renforcent des sentiments, la compréhension et les compétences d’action, permet de contrecarrer les nombreuses pressions sociales constantes, qui poussent les enfants et les jeunes vers des modes de vie en ligne, stressants et matérialistes. Les concepts présentés dans le chapitre correspondent aux savoirs autochtones, qui ont survécu et se sont renforcés au fil du temps malgré les tentatives du courant dominant de les réduire au silence. Albert Marshall, un aîné micmac a inventé l’expression « regarder avec les deux yeux »,

c’est-à-dire valoriser les atouts des savoirs et des modes de connaissance autochtones et tenir compte des forces des savoirs et des modes de connaissance occidentaux, et apprendre à tirer profit des deux, pour le bien-être de tous (Hatcher et. coll., 2009, p. 335).

Une telle approche favorise un apprentissage en plein air propice au développement de personnes en bonne santé, de relations saines et d’une planète saine. Le Natural Curiosity Resource Manual (Anderson et coll., 2017) est une ressource canadienne précieuse qui regroupe de nombreux concepts du chapitre en vue d’une mise en pratique beaucoup plus approfondie, y compris les liens avec les points de vue autochtones. Les animateur.trice.s rigoureux peuvent tirer avantage de beaucoup d’autres ressources et occasions dans leur parcours en plein air et en environnement plus efficace, lorsqu’il est question d’enseignement autour du thème de la nature. La justification, le contenu et les approches présentés dans le chapitre tracent le chemin pour une exploration et un apprentissage plus approfondis. Il n’y a pas de mission plus importante que d’œuvrer pour une planète plus saine.

Bibliographie

Anderson, D., Comay, J. et Chiarotto. (2017). Natural Curiosity 2.0: A Resource for Educators. Toronto: The Laboratory School at the Dr. Eric Jackman Institute of Child Study, Ontario Institute for Studies in Education. https://www.naturalcuriosity.ca

Barbiero, R. et Berto, G. (2021). Biophilia as evolutionary adaptation: An onto- and phylogenetic framework for biophilic design. Frontiers in Psychology, 12, 700709.

Bartlett, C., Marshall, M. et Marshall, A. (2012). Two-eyed seeing and other lessons learned within a co-learning journey of bringing together indigenous and mainstream knowledges and ways of knowing. Journal of Environmental Studies and Sciences, 2, 331-340.

Carson, Rachel. (1956). The Sense of Wonder. Harper.

Chawla, L. (2020). Childhood nature connection and constructive hope: A review of research on connecting with nature and coping with environmental loss. People and Nature, 2(3), 619-642.

Cresswell, J. (1997). Creating Worlds, Constructing Meaning: The Scottish Storyline Method. Pearson Education Canada.

Fromm, Erich, (1964). The Heart of Man. Harper et Row.

Heathcote, D. et Bolton, G. (1995). Drama for earning: Dorothy Heathcote’s Mantle of the Expert Approach to Education. Heinemann.

Heuer, K. (2006). Being Caribou: Five Months on Foot with an Arctic Herd. McClelland et Stewart.

Jensen, B. et Schnack, K. (1997). The action competence approach in environmental education. Environmental Education Research, 3(2), 163-178.

Kollmuss, A. et Agyeman, J. (2002). Mind the gap: Why do people act environmentally and what are the barriers to pro-environmental behavior? Environmental Education Research, 8, 239-260.

Louv, Richard. (2008). Last Child in the Woods: Saving Our Children from Nature-Deficit Disorder. Algonquin Books.

Louv, Richard. (2016). Vitamin N: The Essential Guide to a Nature-Rich Life. Algonquin Books.

Nature Canada. (2018). Le temps passé devant l’écran et le temps vert : les effets sur la santé. https://naturecanada.ca/wp-content/uploads/2018/12/NOV-23-FINAL-Contact-Info-Nature-Canada-report-Screen-Time-vs-Green-Time.pdf

O’Brien, L. et Murray, R. (2007). Forest school and its impacts on young children: Case studies in Britain. Urban Forestry & Urban Greening, 6, 249-265.

Putra, G., Astell-Burt, T., Dylan, P., Cliff, D., Stewart, A., Vella, S., John, E. et Feng, X. (2020). The relationship between green space and prosocial behaviour among children and adolescents: A systematic review. Frontiers in Psychology, 11, 859.

Sobel, David (2008). Childhood and Nature: Design Principles for Educators. Stonehouse.

Van Matre, Steve (1990). Earth Education: A New Beginning. Institute for Earth Education.

Wilson, O. Edward. (1984). Biophilia. Les Presses de l’Université Harvard, 1989.

Wilson, E. O.(2002). The Future of Life. Alfred A. Knopf.

Ressources

À propos de l’auteur

Alan Warner

Université Acadia

Alan Warner est professeur émérite en développement communautaire et en études sur l’environnement et la durabilité à l’Université Acadia, à Wolfville, en Nouvelle-Écosse. Depuis plus de quarante ans, il conçoit, dirige, étudie et évalue des programmes d’éducation environnementale en plein dans la province. Le Réseau canadien d’éducation et de communication relatives à l’environnement lui a décerné à deux reprises le titre d’éducateur environnemental postsecondaire de l’année.

 

Icône de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

L’article Faire en sorte que les enfants et les jeunes renouent avec la nature pour préserver la planète (2024), par Alan Warner, est distribué sous la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

L’apprentissage en plein air au Canada Copyright © by Simon Priest; Stephen Ritchie; et Daniel Scott is licensed under a License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, except where otherwise noted.

Partagez ce livre