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LA CONCEPTION UNIVERSELLE COMME OUTIL POUR AMÉLIORER LA DIVERSITÉ, L’INCLUSION, L’ÉQUITÉ ET L’APPARTENANCE DANS L’APPRENTISSAGE EN PLEIN AIR AU CANADA

TA Loeffler, Ph. D.

L’apprentissage en plein air au Canada doit continuer à évoluer pour devenir réellement diversifié et inclusif. Ce n’est que par des changements individuels et organisationnels qu’une véritable équité et qu’une authentique appartenance pourront être atteintes dans l’ensemble des milieux et contextes d’apprentissage en plein air au Canada. Ce processus de changement doit passer par des leaders bien informés et innovants, et de nouveaux modèles de pratique et de pédagogie en plein air. Ce chapitre aborde les principes de la conception universelle, un cadre qui peut être utile pour améliorer la diversité, l’inclusion, l’équité et l’appartenance dans l’apprentissage en plein air au Canada.

La conception universelle, un principe qui permet l’émancipation de diverses populations, est une approche de conception qui vise à faciliter l’accès et la participation (physique et sociale) de toutes les personnes, sans égard à leurs capacités, leur âge ou leur taille (Steinfeld et Maisel, 2012). Bien que la conception universelle évoque souvent un procédé de conception d’infrastructures accessibles, le principe a été adopté dans le domaine de l’éducation et de l’apprentissage en plein air, où on y fait référence sous l’appellation Conception universelle de l’apprentissage (CUA) (Harte, 2013; Kelly et coll., 2022; Wilson, 2017). Dans le but de réduire les obstacles à l’apprentissage, les pédagogues du Center for Applied Special Technology (CAST) se sont appuyés sur les principes de conception universelle pour aménager les environnements d’apprentissage. En cherchant à concevoir des environnements éducatifs favorisant l’engagement de toutes les personnes apprenantes dans un apprentissage accessible et significatif, le personnel du CAST a compris que ce sont les environnements d’apprentissage – et non les personnes – qui doivent changer (Wilson, 2017).

Darder et coll. (2009) ont décrit le besoin d’une pédagogie critique « fondamentalement engagée dans le développement et la mise en œuvre d’une culture scolaire qui soutient l’autonomisation des populations étudiantes culturellement marginalisées et démunies de pouvoirs économiques » (p. 10). Plus d’une dizaine d’années plus tard, Scully (2020) a noté qu’il existait toujours « une nette absence de considération pour des éléments importants liés au lieu, comme le genre, la race, la classe et la capacité, réclamés dans la littérature depuis des décennies » (p. 230). De nombreux membres de la communauté universitaire pour l’apprentissage en plein air au Canada ont également lancé ce genre d’appel au changement. Kennedy et Russell (2020) considèrent qu’il est essentiel que le domaine de l’apprentissage en plein air explore le rôle de la masculinité hégémonique dans la lutte contre l’inégalité entre les sexes, tandis que d’autres réclament qu’on tienne compte des voix de toutes les populations marginalisées (Gray et coll., 2020; Russell et coll., 2008). Laurendeau et coll. (2020) appellent à une réflexion critique de la communauté en plein air pour « se demander quelles histoires, quels peuples et quelles idées sont mis de l’avant, au détriment desquels, maintenus dans l’ombre, et avec quelles conséquences » (p. 127).

Steinfeld et Maisel (2012) estiment que la conception conventionnelle (ou non universelle) ostracise et stigmatise de nombreuses populations, puisqu’elle n’inclut pas l’ensemble du continuum des capacités et des parcours humains dans le concept de normalité. Les chercheurs ont créé les « objectifs de conception universelle » pour aider la communauté enseignante à mettre en pratique les principes de conception universelle et de CUA. Ce chapitre explore la façon d’utiliser ces objectifs (sensibilisation, compréhension, adéquation culturelle, adaptation au corps, confort, personnalisation, bien-être et intégration sociale) dans les organismes d’apprentissage en plein air au Canada pour offrir des programmes qui répondent aux besoins de toutes les personnes apprenantes (Steinfeld et Maisel, 2012).

Avant de poursuivre, un mot sur mon rôle par rapport à l’apprentissage en plein air. Je mène des recherches et je donne des cours en apprentissage en plein air et en études des genres à l’Université Memorial, située à Saint-Jean, à Terre-Neuve-et-Labrador, au Canada, sur les terres ancestrales des Béothuks. Je reconnais la diversité des histoires et des cultures des Béothuks, des Micmacs, des Innus et des Inuits de cette province. Outre mes rôles en recherche et en enseignement, je suis avide d’aventures en plein air, et j’ai eu le privilège de participer à des expéditions dans des régions isolées du Canada. Je m’identifie comme personne blanche, de classe moyenne, non genrée, lesbienne et issue de la colonisation canadienne, habile sur le plan physique, d’âge et de poids moyens, et dotée d’un corps vieillissant, mais qui me permet encore de faire presque tout ce que je souhaite accomplir ou enseigner en plein air.

De par mon expérience en études des genres, j’ai milité tout au long de ma carrière, comme beaucoup d’autres, pour l’abolition du sexisme, du racisme et du classisme dans l’apprentissage en plein air. Après avoir vécu des expériences décisives, que ce soit en travaillant en plein air auprès de personnes handicapées ou en voyageant sur des terres autochtones, j’ai examiné les principes fondamentaux de mes pédagogies et pratiques d’apprentissage en plein air. J’ai voulu enrichir ma formation et mieux comprendre comment l’intersection entre les oppressions et les préjugés privilégie la participation de certaines populations étudiantes au détriment de l’accès et de l’apprentissage équitables d’autres groupes. Ce chapitre repose sur la conviction inébranlable, partagée par Kelly et coll. (2022), que tous les Canadiens devraient avoir un accès équitable au plein air et à l’apprentissage en plein air, et le constat qu’il reste encore beaucoup à faire pour y arriver.

Un apprentissage en plein air fondé sur les objectifs de la conception universelle

L’introduction nous a permis de bien cerner le besoin de remettre en question la conception des programmes d’apprentissage en plein air au Canada et de s’appuyer sur les principes de conception universelle pour améliorer l’équité sociale dans le domaine. La section suivante vise à proposer l’adoption des « objectifs de conception universelle » élaborés par Steinfeld et Maisel (2012) pour guider la réflexion collective sur les pratiques d’apprentissage en plein air au Canada.

Sensibilisation et compréhension

La première étape du processus de conception pour l’apprentissage en plein air est souvent de comprendre le besoin d’adopter les principes de conception universelle. Les spécialistes de l’apprentissage en plein air au Canada doivent se poser la question : « Qu’attend-on pour rendre les programmes d’apprentissage en plein air véritablement accessibles à toutes les populations qui souhaitent y participer? » (Warren et coll., 2014, p. 98). Dans les discussions entourant les programmes nationaux d’apprentissage en plein air, la certification et l’accréditation des programmes, on doit insister pour que la formation et les normes de perfectionnement professionnel soient axées sur l’accessibilité, l’apprentissage adaptatif en plein air, la compétence culturelle et la justice sociale.

À partir de là, les programmes d’apprentissage en plein air doivent examiner leur structure et leurs pratiques de communication et de recrutement du personnel et des personnes participantes du point de vue de la Loi canadienne sur l’accessibilité, adoptée en 2019 dans le but de faire du Canada un pays exempt d’obstacles d’ici le 1er janvier 2040 (gouvernement du Canada, 2019). Le recours à des éléments de conception universelle, tels que les gros caractères, la vidéodescription, le sous-titrage, l’interprétation en langue des signes et l’utilisation d’éléments visuels et texturés pour l’orientation spatiale, permettent de s’assurer que l’ensemble du personnel et des personnes participantes peuvent utiliser nos installations et la documentation sur nos programmes, comme les formulaires, les politiques et les sites Web. En plus de s’assurer de l’accessibilité des communications écrites, on doit se demander si les images à visée promotionnelle sont accessibles, authentiques et représentatives des populations étudiantes participantes ou qu’on souhaite recruter.

Warren et coll. (2014) avancent que le monde de l’apprentissage en plein air doit se questionner sur le langage relatif à l’identité et cesser d’utiliser des termes et expressions blessants, discriminatoires et oppressants. Depuis des décennies, les leaders féministes dans le monde du plein air appellent à un changement des expressions anglaises « hard skills » et « soft skills » (respectivement, compétences dites « dures » et « douces ») pour compétences techniques et interpersonnelles, en vain (Warren et Loeffler, 2006). Dans le même ordre d’idées, d’autres ont relevé le besoin d’examiner les conventions d’appellation lors de l’ouverture d’une voie en escalade, en alpinisme et dans d’autres activités de plein air, associées à un long historique d’objectivation et de sexualisation de la femme, de racisme, de colonialisme et d’autres pratiques discriminatoires manifestes (Laurendeau et coll., 2020; Loeffler, 1996; Wigglesworth, 2021). De plus, il est essentiel de s’enquérir des termes à privilégier en lien avec l’identité des membres du personnel et des personnes participantes, que ce soit leur race, leur ethnicité, leur genre ou leur capacité. Par exemple, au Canada, certaines personnes handicapées préfèrent les expressions qui mettent la personne de l’avant (p. ex. « personne en situation de handicap » ou « personne vivant avec une limitation »), tandis que d’autres préfèrent simplement le terme « personne handicapée ». Prendre conscience que la conception des programmes et les pratiques antérieures ont pu exclure certains groupes, c’est la base de l’approfondissement de la culture de l’apprentissage en plein air au Canada.

Adéquation culturelle

Compte tenu des appels à l’action lancés en réponse à la Commission de vérité et de réconciliation (Commission de vérité et de réconciliation du Canada, 2012), il est essentiel que le personnel praticien de l’apprentissage en plein air au Canada s’engage dans un processus de réflexion, d’évaluation, de réconciliation et de décolonisation en ce qui a trait à la conception, aux cadres et aux pratiques de l’enseignement. Sans cette refonte, les programmes d’apprentissage en plein air continueront probablement de négliger les personnes participantes autochtones (Friedel, 2011). Les programmes d’apprentissage en plein air doivent reconnaître la relation indivisible entre la terre, la culture et la langue pour les peuples autochtones (Cajete, 1994) et accepter que la décolonisation de l’apprentissage en plein air exige la participation des aînés, qu’elle centre les voix, les connaissances et les pédagogies autochtones et qu’elle tienne profondément compte des lieux et des terres où se déroulent les programmes (Battiste, 1998; Lowan, 2009; Madden, 2015; Tuck et coll., 2014). Wallin et Peden (2020, p. 248) décrivent bien cette situation :

Le lieu ou la terre constitue un lien commun et intégral entre la société coloniale et les peuples autochtones, même si ce lien s’inscrit dans le cadre de deux visions du monde et expériences très différentes. Puisque la terre a été un lieu de lutte dans les relations entre les peuples autochtones et non autochtones, c’est cet élément qui peut nous aider à guérir et à travailler à la réconciliation.

Dans l’esprit de la conception universelle, les processus de réconciliation ne profitent pas qu’à la communauté étudiante autochtone, mais aussi aux autres, puisque les pédagogies de plein air qui facilitent l’établissement de liens profonds avec un lieu peuvent sensibiliser la communauté étudiante blanche à ses privilèges (Flynn et coll., 2010). Rose et Paisley (2012) ont mis au défi les personnes praticiennes blanches de reconnaître que le privilège blanc est intégré au tissu de l’apprentissage en plein air et qu’il est donc toujours présent, même en l’absence de groupes de participants ou d’employés racisés.

Dans leur enquête qualitative sur l’apprentissage en plein air au Canada, Asfeldt et coll. (2021) ont conclu qu’en dépit de l’étendue géographique et de la diversité des programmes, il existait des valeurs communes à tous les programmes, notamment l’apprentissage pratique par l’expérience, l’apprentissage holistique et intégré, le voyage à travers la terre, la religion et la spiritualité. Ces chercheurs ont également regroupé les objectifs des programmes d’apprentissage en plein air en cinq thèmes : renforcement de la communauté, développement personnel, conscience des personnes et des lieux, gestion de l’environnement, et employabilité et développement des compétences. En ce qui concerne le présent chapitre, et peut-être pour illustrer le besoin de réflexion dans le domaine de l’apprentissage en plein air au Canada, peu de résultats ont été rapportés sur la diversité, l’inclusion, l’équité et l’appartenance ou la justice sociale. Cela dit, Asfeldt et coll. (2021), en décrivant le thème de la conscience des personnes et des lieux, ont indiqué que 14 personnes participantes (sur 22) ont précisé que leurs programmes abordaient des sujets tels que l’histoire, la culture, les traditions autochtones et les utilisations ou personnes utilisatrices spécifiques des terres sur lesquelles se déroulaient leurs programmes. Une répondante a décrit l’objectif de son programme comme suit : « intégrer les deux modes de connaissance afin de pouvoir comprendre la culture [autochtone], son importance et son adéquation avec la science occidentale » (p. 304).

Lowan (2009) suggère que les programmes d’apprentissage en plein air remettent en question et critiquent l’utilisation irréfléchie des modèles d’enseignement « tel le modèle d’Outward Bound, qui a évolué dans une perspective européenne » (p. 43). Idéalement, une transition s’effectue pour s’éloigner des messages et expériences centrés uniquement sur l’autonomie, la conquête et l’individualisme, pour privilégier la réconciliation et la décolonisation (Laurendeau et coll., 2020; Tuck et coll., 2014). Dans le contexte de l’apprentissage en plein air au Canada, il faut admettre que les terres et les cours d’eau sur lesquels se déroulent nos programmes ont probablement été volés aux peuples autochtones (Laurendeau et coll., 2020). On peut y arriver en établissant des relations humbles et sincères avec les chefs autochtones, les gardiens du savoir et les aînés – particulièrement si les programmes s’adressent aux communautés autochtones (Scully, 2020) –, et en mentionnant de façon authentique la reconnaissance du territoire dans les communications et les programmes.

Historiquement, de nombreux programmes d’apprentissage en plein air se sont approprié les façons de faire et d’être autochtones sans reconnaissance ni consentement, et cette pratique doit cesser (Root, 2010). De nombreux auteurs ont demandé aux personnes praticiennes de l’apprentissage en plein air de se familiariser avec les origines des philosophies et pratiques des programmes, entre autres le rassemblement en cercle, le défi par choix et les principes sans trace (Mitten, 1994; Rose et Paisley, 2012; Warren, 1998). Dans le même ordre d’idées, Asfeldt et coll. (2021) ont constaté que les fondateurs des programmes d’apprentissage en plein air exercent toujours une grande influence sur la philosophie et la mise en œuvre des programmes au Canada. Selon les chercheurs, le domaine aurait été développé de façon organique par des personnes enseignantes fondatrices passionnées qui ont transmis la philosophie et les savoirs du programme à des groupes de personnes participantes qui ont ensuite pris le relais en tant que leaders.

Compte tenu de la dynamique potentielle de la reproduction homologue (Kanter, 1977), selon laquelle un groupe dominant est systématiquement reproduit par l’embauche et d’autres pratiques, il faut se demander quels groupes sont à la base du développement de l’apprentissage en plein air au Canada et quels groupes sont continuellement exclus par ces façons de faire. Enfin, Tuck et Yang (2012, p. 5) nous rappellent que

l’éducation à la justice sociale – qu’on la définisse ou non dans ces termes – est au cœur de l’avenir du domaine. La justice sociale n’est pas le pendant du domaine de l’éducation, elle constitue le domaine. L’avenir du domaine de l’éducation est sans issue si on n’aborde pas de manière significative les contextes sociaux, les structures historiques et contemporaines du colonialisme, la suprématie blanche et le racisme antinoir. La justice sociale n’est pas un fourre-tout, c’est un tout.

Pour réussir ce passage clé, le domaine de l’apprentissage en plein air au Canada doit réfléchir à la conception de ses programmes et demander aux personnes apprenantes si elles ont accès aux programmes et aux vêtements et à l’équipement nécessaires pour participer, y compris les personnes qui vivent avec un handicap, celles dont le corps, la taille ou les capacités diffèrent des exigences de conception actuelles, celles qui sont racisées, celles qui pratiquent des religions particulières, celles qui manquent de ressources et celles qui sont marginalisées d’une multitude d’autres façons (Russell et coll., 2013; Warren et coll., 2014).

Adaptation au corps, confort et personnalisation

Wilson (2017) mentionne que la CUA recommande de concevoir dans une optique d’inclusion, idéalement en amont, de façon à transformer l’environnement d’apprentissage plutôt que de laisser cette responsabilité entre les mains de la personne apprenante. Plutôt que d’adopter machinalement une approche pédagogique unique de l’apprentissage en plein air qui perpétue la certitude que « les méthodes génériques fonctionnent pour tout le monde », Warren (1998), forte des principes de la CUA, implore que le domaine cesse de traiter ses « communautés d’apprentissage comme des groupes homogènes ayant des besoins similaires » (p. 22). Au contraire, les approches doivent être personnalisées afin que toutes les personnes puissent bénéficier de l’apprentissage en plein air.

Le domaine doit se poser la question : « Quels types de corps et d’identités sont produits dans cet espace pédagogique? » (Newbery, 2003, p. 205). Dans le même ordre d’idées, Warren (1998) a souligné l’influence de l’accent mis sur l’individualisme et la robustesse physique dans les programmes d’apprentissage en plein air. La conception traditionnelle des programmes d’apprentissage en plein air, fondée sur un « nationalisme du plein air hostile » (Laurendeau et coll., 2020, p. 127) centré uniquement sur les déplacements à propulsion humaine dans des paysages éloignés, privilégie la participation des personnes qui ont un corps « apte » et exige souvent un niveau élevé de force, de condition physique, de compétences techniques et d’autres aptitudes. Ce type de programme a tendance à être plus long, plus coûteux et à exiger un investissement initial plus important avant même de participer; c’est la base en matière d’offre et de conception pour les programmes d’éducation en plein air canadiens (Asfeldt et coll., 2021). Les personnes apprenantes dont le corps, le sexe ou les capacités ne correspondent pas à cette exigence de conception se sont souvent senties mal accueillies, ont été absentes ou ont été encouragées à participer à un programme spécialisé (Gray et coll., 2020; Laurendeau et coll., 2020). Pour changer les choses, Dahl et coll. (2019) appelle à une utilisation de formes plus simples de contextes naturels et de lieux locaux ouverts à une variété de compétences, d’équipements et d’expériences.

Le monde de l’apprentissage en plein air doit repenser ses environnements d’apprentissage et ses programmes afin d’éliminer le capacitisme, l’hétéronormativité, la normativité binaire du genre et d’autres préjudices potentiels qui surviennent fréquemment lorsqu’il est question de corps, de race, de genre et d’orientation sexuelle (Allen-Craig et coll., 2020; Russell et coll., 2008; Warren et coll., 2014). De plus, le domaine l’apprentissage en plein air et l’industrie du plein air en général n’ont commencé que récemment à s’intéresser à la diversité des tailles. En fait, les deux entités ont parfois même perpétué le discours grossophobe dominant par des pratiques et une conception de programmes irréfléchies et par l’effacement de la participation des personnes, comme cela s’est produit pour la race, le sexe et la classe (Laurendeau et coll., 2020; Newbery, 2003; Rose et Paisley, 2012; Russell et coll., 2013; Warren et coll., 2014). Par conséquent, les programmes d’apprentissage en plein air n’ont pas toujours offert un vaste éventail de tailles de vêtements et d’équipement, que ce soit pour l’utilisation, la location ou l’achat. Les personnes de grande taille peuvent ne pas avoir facilement accès à une veste de flottaison, à un harnais d’escalade ou à une coquille imperméable qui leur convienne.

Les besoins, capacités, corps et identités individuels des personnes s’entrecroisent et sont uniques. Il faut continuellement se rappeler que ces identités croisées et les réalités socioéconomiques qui les accompagnent influencent la capacité des personnes à accéder aux programmes d’apprentissage en plein air, à y participer et à s’y sentir à leur place (Maina-Okori et coll., 2018). Dans une optique de personnalisation de la conception universelle, il est essentiel d’aller à la rencontre « de la population étudiante et de donner la priorité à ses objectifs, plutôt que de se concentrer uniquement sur les objectifs du leader [ou des programmes] » (Rogers et Rose, 2019, p. 44). Il faudra probablement offrir une plus grande variété de choix pour l’apprenant.e, et aller bien au-delà de la mise en œuvre traditionnelle du « défi par choix » (Mitten, 1994). En gardant en tête l’amélioration de l’accès et de l’inclusion par la personnalisation, explorons maintenant les objectifs d’intégration sociale et de bien-être de la conception universelle.

Bien-être et intégration sociale

Les personnes apprenantes marginalisées en plein air ne profitent probablement pas de la représentation généralisée des modèles et autres héros dans les médias sociaux et imprimés, puisque la longue histoire des Autochtones et d’autres groupes méritant l’équité a été largement effacée par la colonisation et la domination blanche des mouvements de conservation et d’environnement (Finney, 2014; Grue, 2016; Laurendeau et coll., 2020; Tuck et coll., 2014). L’apprentissage en plein air au Canada ne peut pas se contenter d’« ajouter de la diversité » et de bien mélanger; il faut recommencer et repenser les programmes pour assurer une véritable intégration sociale et le bien-être des personnes apprenantes.

En critiquant la sortie de Labistour (2018) sur les médias sociaux de MEC « Les Blancs dominent-ils le plein air? » Laurendeau et coll. (2020) ont problématisé la campagne de diversité de MEC en déclarant :

Pendant qu’on attire l’attention sur la représentation des corps marginalisés et des obstacles structurels importants à la pratique du plein air (oublions un moment les problèmes structurels au-delà du plein air), on ne remet pas en question les obstacles liés à la classe sociale et à la capacité physique qui empêchent l’accès aux parcs, les (pas-si)-microagressions, le profilage racial, la surveillance des salles de bain genrées et leur utilisation réservée aux personnes temporairement, délibérément et richement non logées, par exemple.

Il ne faut pas avoir peur de remettre en question les chemins qui ont mené vers les programmes actuels et utiliser la pensée conceptuelle pour faire progresser l’apprentissage en plein air vers une plus grande diversité, inclusion, équité et appartenance, et s’éloigner des préjudices causés par la marginalisation et l’exclusion (Finney, 2014; Gray et coll., 2020; Mitten, 1994; Tuck et coll., 2014). Imaginez les avantages pour les personnes apprenantes d’avoir le choix de participer à un apprentissage en plein air dans un cadre entièrement inclusif ou avec des membres de groupes à identité partagée avec un corps enseignant ou des leaders qui partagent la même identité en fonction de leurs besoins, de leurs objectifs et de leurs compétences (Finney, 2014; Warren et coll., 2014).

Conclusion

Pour atteindre les huit objectifs de la conception universelle et mettre en œuvre des programmes d’apprentissage en plein air qui cultivent véritablement la diversité, l’inclusion, l’équité et l’appartenance, il faut continuer à remettre en question les pratiques d’apprentissage en plein air, qu’elles soient manifestes ou subtiles, telles que l’information recueillie lors des examens de santé, la communication avec les personnes participantes et l’attribution des lieux prévus pour le sommeil (Warren et coll., 2019). Dès le premier contact avec les personnes, on peut créer des espaces éducatifs accueillants ou empêcher instantanément de nombreuses personnes de bénéficier de l’apprentissage en plein air. Le résultat dépend de la manière de concevoir tous les aspects des programmes. Tout comme les personnes, chaque programme d’apprentissage en plein air est unique et s’inscrit de façon différente dans le spectre de la diversité, de l’inclusion, de l’équité et de l’appartenance; certains dépassent largement les idées avancées dans ce chapitre, et d’autres n’en sont qu’à leurs débuts. Ce qui compte, c’est de reconnaître l’impulsion pour commencer ou continuer à travailler pour apporter les changements nécessaires aux programmes. Il ne suffit plus que le domaine de l’apprentissage en plein air au Canada réponde à la question « Pourquoi faire les choses de cette façon? » par « C’était toujours la façon de faire » (Asfeldt et coll., 2021). Il faut plutôt encourager les programmes innovants et inclusifs qui font progresser la diversité, l’inclusion, l’équité et l’appartenance dans tous les aspects de l’apprentissage en plein air. Il y aura beaucoup à apprendre et à désapprendre dans ce cheminement, mais j’espère que vous vous joindrez à moi.

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À propos de l’auteure

TA Loeffler, Ph. D.

Université Memorial

TA Loeffler, Ph. D., est spécialiste de l’éducation en plein air et mène des recherches à l’Université Memorial, à Terre-Neuve-et-Labrador. Ses recherches portent sur le perfectionnement professionnel des femmes, la phénoménologie des expériences de plein air, le mode de vie en expédition et la pratique inclusive du plein air. TA Loeffler a signé les livres More than A Mountain: One Woman’s Everest, Theory and Practice of Experiential Education, et Get-Outside Guide to Winter Activities. Ses travaux de recherche sur les activités de plein air inclusives ont influencé les pratiques de nombreuses agences qui travaillent auprès des personnes vivant avec des limitations.

 

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L’article La conception universelle comme outil pour améliorer la diversité, l’inclusion, l’équité et l’appartenance dans l’apprentissage en plein air au Canada (2024), par TA Loeffler, Ph. D., est sous la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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L’apprentissage en plein air au Canada Droit d'auteur © par Simon Priest; Stephen Ritchie; et Daniel Scott est sous licence License Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

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