Chapitre 10 – Défendre une opinion, une thèse
- Comprendre les types de jugements
- Travailler à mieux soutenir les jugements par des explications, des justifications, des argumentations
- Utiliser différents outils de modalisation pour véhiculer son appréciation
- Renforcer les points de langue suivants : modalisation par des adjectifs; répartition des emplois entre il est et c’est; accord des adjectifs
- Rédiger des appréciations de chansons
1. Jugement et argumentation
Donner son opinion, c’est opérer un choix parmi plusieurs opinions possibles. C’est porter un jugement : par exemple, « telle candidate est, selon moi, meilleure que telle autre ».
L’opinion n’est véritablement intéressante qu’argumentée. D’ailleurs, même les sondages d’opinion cherchent souvent à mettre au jour les raisons derrière les choix :
Pourquoi préférez-vous tel produit à tel autre ?
- En raison de son prix ?
- En raison de son goût ?
- En raison de son format ?
Quelles sont les trois principales raisons pour lesquelles vous allez voter pour notre parti politique :
- Notre promesse d’élimination des droits de scolarité universitaires
- Notre promesse de réduction des impôts des particuliers
- Notre promesse de baisse du coût de l’essence / de l’électricité / du pain[1]
- Notre promesse de développement des transports en commun
- Notre promesse d’assurance-médicaments universelle
- Notre promesse d’élimination de la taxe sur le carbone
1.1 Les types de jugements
Les choix opérés reposent sur des jugements. On distingue généralement quatre types de jugements :
- le jugement de fait (ou de réalité)
- le jugement de préférence (sur la simple base des goûts)
- le jugement de valeur (sur une base morale, affective ou évaluative)
- le jugement de prescription, de recommandation, d’obligation
A priori, le jugement de fait n’a pas besoin d’être argumenté. En effet, il peut être vérifié et donc, il n’est pas sujet à controverse. « Les cours sont arrêtés à cause de la grève » est un fait. Mais dans quelle mesure ce qui est présenté comme un « fait » est-il vraiment un fait ou l’expression exacte du fait : est-ce que ce sont « les » cours (= tous les cours) ou « certains » cours ou « la plupart » des cours qui sont arrêtés ? On peut donc argumenter sur le statut de fait de beaucoup de « faits ». Par ailleurs, le choix même des faits présentés dans le contexte d’une opinion va amener ou non l’interlocuteur à partager l’opinion. Enfin, un fait n’est jamais présenté « tout nu » dans le discours. Il s’inscrit dans une trame, il est présenté sous un certain angle, et donc, au fil du discours, les faits mentionnés (et ceux qui sont tus) sont très argumentatifs.
Le jugement de préférence ne pouvant être contesté au niveau logique (« des goûts et des couleurs, on ne discute pas », dit le proverbe), il n’est pas directement argumentable, mais il peut très bien être soutenu par une explication, une justification. Si je dis qu’entre le film a et le film b, je préfère le film a, je n’affirme pas que le film a est meilleur que le film b : je dis simplement qu’il me plaît plus que le b; c’est mon droit.
Le jugement de valeur, lui, peut être contesté et donc peut faire l’objet d’une argumentation et d’une contre-argumentation (réfutation). Si je dis que le film a EST meilleur que le film b, je n’affirme pas simplement ma préférence; je dis, sur la base d’une analyse (plus ou moins développée), que le film a a de plus grandes qualités que le film b. La plupart des définitions de l’argumentation considérée du point de vue du discours incluent la dimension de confrontation de discours opposés (pas de débat, pas d’argumentation). Dans les mots de Jacques Moeschler : « Cette propriété qu’a l’argumentation d’être soumise à la réfutation me semble être une de ses caractéristiques fondamentales et la distingue nettement de la démonstration ou de la déduction, qui, à l’intérieur d’un système donné, se présentent comme irréfutables[2]. »
Le jugement de prescription, comme son nom l’indique, prescrit quelque chose : il peut s’agir d’une recommandation, d’une obligation, d’une exhortation : il ne faut pas faire de fautes d’accord dans ses rédactions. Ce jugement de prescription repose sur une norme : « les textes pleins de fautes d’accord montrent une piètre maîtrise de la langue écrite; ils ne sont pas beaux ». Cette norme est un jugement de valeur, contestable dans l’absolu (l’écriture peut être riche en dépit des transgressions grammaticales; l’orthographe grammaticale n’est pas le style, etc.), mais pas dans le cadre d’un cours de français langue seconde… Vous n’emporteriez pas l’adhésion de votre lecteur (votre professeur). Le jugement de prescription peut aussi découler d’un jugement de fait : « il faut que cette grève se résolve » peut découler du jugement de fait « les cours sont arrêtés à cause de la grève ». Comme on le voit, le jugement de prescription est un appel à l’action, qui, lui-même, peut soutenir un jugement de valeur : terminer une critique de livre ou de film par « Lisez-le » ou « Je vous recommande ce film » est un argument (très conventionnel) en faveur dudit livre ou film.
Comprendre les types de jugement et les interactions entre eux aide à écrire une appréciation un peu étoffée, comme vous en écrirez dans les exercices d’application de la section 3.
1.2 Expliquer, justifier et argumenter ses jugements
À l’oral, on se place souvent comme point de départ pour exprimer un jugement, donner son opinion :
Je trouve que la plateforme du parti X est pleine de trous.
J’ai adoré ce film.
Je n’aime pas du tout ce chanteur.
On peut évidemment dire exactement la même chose sans je :
La plateforme du parti X est pleine de trous.
Ce film est excellent. / C’est un excellent film.
Ce chanteur est pourri/nul. / C’est un mauvais chanteur.
En d’autres mots, le jugement peut très bien s’exprimer sans je : l’énoncé demeure un jugement à argumenter.
On peut énoncer son jugement et le justifier après ou faire l’inverse : analyser, critiquer pour aboutir au jugement général. Observons ces débuts de quelques avis sur le film La ch’tite famille (2018) de Daniel Boon, publiés sur le site Sens Critique. L’opinion transparaît dès la première phrase (dès le titre aussi la plupart du temps), même sans qu’elle soit directement assertée.
La Ch’tite famille
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Jugement obligatoire à inférer de tente : le réalisateur ne réussit pas son pari (du moins pas complètement). |
Ou comment Dany Boon se repose un peu trop sur ses lauriers
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Deux questions rhétoriques qui se font écho au début et à la fin du paragraphe, et qui expriment le même jugement négatif : rien d’original, seulement la reprise d’une recette gagnante. |
Qu’est-ce qu’on a fait au bon Ch’ti ?
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La modalité d’appréciation négative fonctionne ici à fond par l’emploi de qualifications et de caractérisations toutes plus péjoratives les unes que les autres.
Noter aussi l’argumentation par association négative (un argument d’autorité inversé). |
De la tendresse
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Qui dit concession (bien sûr), dit inversion argumentative à venir (et après) (combinaison équivalente au certes… mais). |
Chassez le naturel et il revient au galop !
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La seule raison d’énoncer une peur passée en début de critique, c’est pour dire qu’elle n’était pas fondée. « Autoréfutation » qui vise à dire qu’on n’est pas idiot, qu’on sait qu’a priori, on peut avoir beaucoup de doutes. Fonctionne ici comme une concession. |
2.Points de langue autour du jugement : la modalité appréciative, l’opposition il est/c’est; l’accord de l’adjectif
2.1 La modalité appréciative
La modalité appréciative exprime tous les aspects et tous les degrés de l’opposition entre le positif et le négatif d’un point de vue subjectif : bon/mauvais, bien/mal, beau/laid, etc. Pour écrire une bonne appréciation de chanson, il est donc utile d’avoir une bonne palette de modalisateurs d’appréciation. L’exercice ci-dessous vous propose une petite exploration d’adjectifs appréciatifs utiles pour parler de chansons. (Voir la section 4.2 c sur la modalisation dans le chapitre 8 pour tour d’horizon des différentes modalités.)
Cherchez dans Antidote une dizaine de cooccurrences adjectives appréciatives positives pour les mots chanson et musique et quelques-unes qui pourraient être dépréciatives, mais qui n’empêchent pas l’appréciation positive.
Une chanson envoûtante (très positif); une chanson fleur bleue (plutôt négatif, mais facilement inversable argumentativement : certes, c’est un peu fleur bleue, mais…)
2.2 L’opposition c’est / il est
Il est difficile pour les anglophones de maîtriser la répartition des emplois entre il/elle est et c’est (+ formes plurielles) parce que l’anglais n’a pas la même répartition entre he/she/it is et this is (+ formes plurielles).
Or, on est presque immanquablement appelé à utiliser un présentatif et une reprise par un pronom personnel lorsqu’on décrit une personne, un objet ou qu’on porte un jugement sur cette personne, cet objet :
C’est un chanteur tellement passionné.
Il a été la coqueluche des adolescentes pendant toute une décennie.
C’EST / IL EST
Pour identifier une chose ou une personne ou commenter un fait ou un événement. N. B. Les phrases commençant par c’est ou ce sont peuvent toujours répondre à l’une des trois questions suivantes :
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EMPLOIS | EXEMPLES |
N. B. Le présentatif c’est produit toujours, à différents degrés, une mise en relief. Parfois la mise en relief est mineure :
N. B. Le verbe reste singulier lorsqu’on s’annonce à une porte, au téléphone.
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C’est Shakira.
Ce sont Sting et Shaggy.
C’est un chanteur. / C’est le soliste du groupe. / Ce sont des choristes. Ce sont nos musiciens. C’est ce chanteur qui a remporté le trophée. Ce sont tous les musiciens du groupe qui méritaient le prix. Ce sont trois excellents musiciens. C’est lui qui chante le mieux. Ce sont eux qui ont gagné. Ouvrez ! C’est nous ! On vient pour la répétition [3].
C’est bon, ce spectacle. C’est bien ce qu’elle chante. |
IL/ELLE EST // ILS/ELLES SONT
Pour indiquer une qualité, une nationalité ou une fonction, comme une profession… |
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EMPLOIS | EXEMPLES |
N. B. N’oubliez pas qu’en français, on ne met pas d’article devant un nom attribut. Si on veut ajouter une qualification dans la construction Il/elleêtre nom attribut, il faut utiliser le présentatif : |
Ce chanteur, il est excellent.
Il est québécois, je crois.
Elle est trompettiste. Elles sont musiciennes de mère en fille dans cette famille. |
IL EST (pronom il impersonnel ne reprenant rien)
Pour poser quelque chose comme existant de façon ponctuelle ou générale. |
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EMPLOIS | EXEMPLES |
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Il est 19 h. Il est temps de partir pour le concert.
Il est dommage qu’elle n’ait pas fait de rappel.
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Phrases à traduire.
- He is a remarkable singer.
- It is a lovely song.
- She is a music composer.
- She is a famous music composer.
- She is a great lyricist.
2.3 L’accord de l’adjectif
Vous avez revu dans le point 4 du chapitre 1, la formation du féminin et du pluriel des adjectifs. L’exercice d’accord suivant ne pose aucune difficulté morphologique particulière, mais il vous forcera à vous rappeler que les adjectifs s’accordent en tout temps et surtout, il vous fera découvrir quelques classiques de la chanson française.
3. Applications rédactionnelles et exercices
3.1 Rédaction courte : votre chanson d’amour préférée
Quelle est votre chanson d’amour préférée ? Répondez en un paragraphe (pas trop long) dans lequel vous justifierez bien pourquoi cette chanson est votre chanson d’amour préférée. La langue de la chanson n’importe pas.
Il s’agit davantage de communiquer les émotions que cette chanson suscite en vous que de chercher à convaincre de l’excellence de cette chanson. Vous faites un jugement de préférence et non un jugement de valeur (section 1 de ce chapitre). Cela étant, votre jugement de préférence n’exclut pas des éléments de valeur.
- Utilisez des constructions causales et explicatives variées.
- Choisissez bien vos adjectifs descriptifs et appréciatifs.
- Assurez-vous de choisir les termes exacts pour parler de la chanson.
N.B. Privilégiez la qualité de l’écriture plutôt que la longueur. Votre paragraphe ne fera sans doute pas plus d’une dizaine de phrases, voire moins.
N’oubliez pas qu’on ne dit pas une chanson par mais une chanson de : Formidable est une formidable chanson de Stromae.
3.2 Exercices de correction
Accord :
Corrigez les phrases suivantes selon les indices donnés pour chacune.
Vocabulaire (dont prépositions) :
- *Ma chanson d’amour préférée s’appelle Michelle.
- *Michelle, par les Beatles, est ma chanson d’amour préférée.
- *Il exprime tant douleur dans sa voix que l’auditeur vit lui-même cette émotion.
- *Elle est facile d’apprendre par cœur.
- *C’est une vraiment jolie chanson et je recommande vivement de regarder le clip.
- *Cette légèreté est grâce au rythme et à l’usage du piano.
- *Cette chanson est à propos d’un homme qui est tombé amoureux avec une femme qu’il a connue depuis son enfance.
- *Elle aura toujours ses souvenirs de leur temps ensemble.
Articles :
- *Il est déjà reconnu comme un génie de hip-hop.
- *On doit avoir de courage pour laisser quelqu’un qu’on adore.
- *Tout le monde espère trouver une âme sœur.
Verbe pronominal / déterminant possessif :
- *Cette chanson fend mon cœur.
Place de l’adverbe :
- *Cette chanson toujours me donne la chair de poule.
Anacoluthe :
- *Étant l’une des chanteuses les plus aimées en Égypte, ses chansons sont devenues des classiques.
Redondance :
- *Si je devais choisir la meilleure version, selon moi je choisirais celle-ci.
Vous trouverez les corrigés des exercices ici.
En tenant bien compte de ce que vous avez appris de l’écriture et de la correction de la rédaction n° 1 (votre chanson d’amour préférée), faites le même exercice de rédaction à propos de votre chanson d’enfant préférée ou d’une chanson de langue française que vous aimez beaucoup.
Même longueur, même but, mais vous pouvez, si vous le désirez, intégrer des éléments d’analyse plus techniques sur le texte ou sur la musique.
- Du pain moins cher a déjà été une promesse plausible en France, où jusqu’en 1986, le prix du pain était fixé par l’État (sauf pour un court intermède de prix libre). ↵
- Jacques Moeschler, Argumentation et conversation, Hatier, 1995, p. 46-47. Cité dans Mariane Doury, Argumentation : analyser textes et discours, Colin, 2016, p. 14. ↵
- Ou pratique en français canadien courant (comme l’anglais practise). ↵