Mémorial Terry Fox (2011)
par Efrat El-Hanany
À l’ombre du stade BC Place à Vancouver se profile une série de quatre statues en bronze représentant un jeune homme muni d’une prothèse à la jambe qui court. Ce mémorial commémore l’icône canadienne Terry Fox. Chacune des quatre figures est une légère variante de la pose précédente, et chacune est un peu plus grande que celle qui la précède, passant de la taille réelle à deux fois cette taille. Espacées d’environ un demi-mètre les unes des autres, les statues sont installées le long d’une autoroute simulée, marquée par des pavés plus sombres. Les surfaces lisses des bronzes présentent une patine traditionnelle brun verdâtre. Les muscles tendus, les fronts plissés et les expressions faciales déterminées—voire douloureuses—évoque la lutte et la détermination de Fox. Réalistes et dynamiques, les figures en bronze invitent le public à courir à leurs côtés, étant situées au niveau du sol. À l’avant de la place, la plus grande image de Fox—symboliquement héroïque par sa taille—se tient sur sa prothèse, sa jambe gauche biologique au-dessus du sol. Il lève son bras droit dans un geste de bienvenue, tandis que son poing gauche est serré—amenant le public à mesurer l’ampleur de son accomplissement et de son héritage.
Le Marathon de l’espoir
En 1980, le jeune athlète canadien Terry Fox, qui a grandi en Colombie-Britannique et a perdu sa jambe droite en raison du cancer, se lance dans une ambitieuse course à pied travers le pays équipé d’une prothèse. Son périple, connu sous le nom de Marathon de l’espoir, a pour but de recueillir des fonds et de sensibiliser le public à la recherche sur le cancer. La course débute le 12 avril 1980 à St. John’s, à Terre-Neuve, et doit se terminer à Victoria, en Colombie-Britannique. Au fur et à mesure que Fox traverse les villes du Canada, sa renommée croît de manière exponentielle. Il s’impose un rythme exténuant de près de 42 km par jour, pour finalement couvrir plus de 5373 km en 143 jours. Après avoir parcouru la moitié de son trajet prévu, Fox doit arrêter sa course près de Thunder Bay, en Ontario, le 1er septembre. Il meurt l’année suivante à l’âge de 22 ans.
Dans une lettre adressée à la Société canadienne du cancer (le 15 octobre 1979), Fox explique ce qui le pousse à entreprendre cette course :
La veille de mon amputation, mon ancien entraîneur de basket m’a apporté un magazine dans lequel un article portait sur un amputé qui avait couru le marathon de New York. C’est alors que j’ai décidé de relever ce nouveau défi et non seulement de surmonter mon handicap, mais de le vaincre de telle sorte que je ne puisse jamais regarder en arrière et dire que cela m’a handicapé.
L’artiste Douglas Coupland remarque à quel point l’action de Fox est profonde dans les années 1970 :
Il est important de se rappeler qu’en 1979, les personnes handicapées… ne participaient pas au monde quotidien comme elles le font aujourd’hui. Pour quelqu’un avec une seule jambe de se lancer dans une course de cette ampleur, c’était assez choquant.
Terry Fox devient immédiatement une icône culturelle canadienne et, à commencer par une statue à Thunder Bay, des monuments publics à sa mémoire sont érigés dans des villes à travers le Canada.
Un mémorial différent
Trois décennies après le Marathon de l’espoir, le romancier, concepteur et artiste visuel de Vancouver, Douglas Coupland, est mandaté par la BC Pavilion Corporation pour concevoir un nouveau mémorial public en hommage à Terry Fox pour le BC Place Stadium à Vancouver. Dans cet endroit très fréquenté, à proximité d’un site sportif populaire, le monument serait accessible à un public large et diversifié. En collaboration avec le sculpteur Stephen Harman, Coupland se fixe comme principe directeur la lisibilité publique—il est crucial que le public puisse saisir l’importance de l’histoire de Fox. Le résultat est un mémorial relativement conventionnel en termes de matériau—le bronze—et dans sa représentation simple et directe. En ce sens, il correspond aux attentes pour des statues publiques et invite un large éventail de personnes à se souvenir de Terry Fox. En fait, le choix des matériaux vise surtout à assurer la pérennité de l’œuvre : comme l’explique l’artiste lors de l’inauguration en 2011, il souhaite que les personnes qui vivront dans mille ans puissent comprendre l’exploit de Fox.
Coupland s’appuie sur des photographies et des vidéos, notamment une série de photographies séquentielles qui illustrent les quatre mouvements composant le style de course de Fox. Cette démarche distinctive à cloche-pied devient un symbole du Marathon de l’espoir dans l’esprit de la population canadienne. Évoquant sa foulée unique Fox confie : « Certaines personnes ne comprennent pas ce que je fais. Je ne sautille pas, je ne trottine pas, je cours ou du moins je cours à ma manière, et c’est plus difficile que lorsqu’on a ses deux jambes ». En isolant les différentes postures de la démarche de Fox et en multipliant et agrandissant son image de manière séquentielle, Coupland souligne un processus prolongé de douleur, de lutte et de courage, et remarque : « On se rend compte au fil de la course qu’il n’a pas fait un seul pas sans que son corps ne souffre d’une quelconque douleur, grand ou petite […]. Eh bien, ça vous remet vraiment à votre place ». L’intention de Coupland est aussi que la taille croissante de chaque figure symbolise la renommée et l’importance croissantes du sujet au fur et à mesure de la progression du Marathon de l’espoir.
Coupland ne tente ni d’embellir ni d’idéaliser les proportions, les traits du visage ou la pose de Fox. Au contraire, il invite le public à adopter un nouvel ensemble de normes concernant les représentations diverses du corps humain dans l’art public. Il est éloquent que la quatrième et la plus grande des quatre statues représente Fox se tenant droit et déterminé sur sa prothèse. Tous les monuments réalisés précédemment à la mémoire de Fox au Canada—notamment ceux de Thunder Bay, Ottawa, Burnaby et Victoria—le montrent penché en avant pour faire porter son poids sur sa jambe biologique, qui sert à déplacer son corps vers son objectif. Dans l’œuvre de Coupland, la prothèse devient une partie intégrante de Terry, et son « handicap » n’est pas caché mais mis en avant et reconnu.
Il existe plusieurs exemples célèbres de figures handicapées dans la statuaire publique occidentale antérieure, comme la statue de Lord Nelson d’Edward Baily à Trafalgar Square à Londres, ou celle du gouverneur Peter Stuyvesant de Gertrude Vanderbilt Whitney à New York. Ces figures historiques avaient des membres manquants, mais leurs représentations en bronze suivent les formules traditionnelles des monuments héroïques du dix-neuvième siècle. Elles sont placées sur de hauts piédestaux, au-dessus du public, et leurs handicaps—s’ils ne sont pas totalement dissimulés—sont minimisés.
Plus récemment, une statue surdimensionnée du président Franklin D. Roosevelt réalisée par l’artiste Neil Estern suscite un débat lors de son inauguration au nouveau mémorial FDR à Washington, D.C. en 1997. La controverse naît lorsque des spécialistes en histoire et des groupes de défense des droits des personnes handicapées soulignent que le handicap du président et son fauteuil roulant sont dissimulés sous un grand manteau, suivant le précédent des images publiques de FDR réalisées de son vivant. (En 2001, une nouvelle statue grandeur nature de FDR est ajoutée au mémorial; suite aux recommandations de montrer ouvertement le fauteuil roulant du président dans un souci d’exactitude historique et de la nécessité d’inspirer les personnes se trouvant dans des circonstances comparables, l’artiste Bob Graham représente FDR assis dans un fauteuil roulant semblable à celui qu’il utilisait réellement.)
Fait intéressant, c’est la même année que la statue en pierre de l’athlète canadien Rick Hansen dans son fauteuil roulant, réalisée par Bill Koochin, est installée à Vancouver sans incident. Dans ce cas, cependant, la réussite de Hansen est clairement liée à son handicap, et les images de lui participant à des activités sportives en fauteuil roulant sont largement connues. Ce nouveau type de réalisme franc dans les monuments publics invite la population à interagir avec un nouvel ensemble d’idéaux esthétiques et éthiques. Comme le rappelle Susan Wendell dans son livre The Rejected Body, « l’absence de représentations culturelles réalistes des expériences du handicap contribue non seulement à l’“altérité” des personnes handicapées en encourageant l’idée que leurs vies sont inconcevables pour les personnes non handicapées, mais elle accroît également la peur du handicap chez les personnes non handicapées en supprimant la connaissance de la manière dont les personnes vivent avec un handicap ». La représentation emblématique de l’artiste Alison Lapper par Marc Quinn vient également à l’esprit, et dans ce contexte, le monument de Coupland à Vancouver se présente comme l’aboutissement d’une longue série d’œuvres publiques représentant des figures en situation de handicap dans une posture héroïque.
Un monument participatif à l’ère numérique
Le monument de Coupland remplace un précédent monument de Fox sur le site, créé en 1984 par l’architecte Franklin Allen et l’artiste Ian Bateson. Ce monument prenait la forme d’un arc de triomphe postmoderne d’inspiration romaine, surmonté de lions stylisés—symboles occidentaux traditionnels de force et d’héroïsme—à chaque coin du toit. Cette conception a suscité une réaction négative immédiate et persistante du public, en partie parce que beaucoup estimaient qu’elle ne reflétait pas la personnalité humble de Fox. Plus important encore, il ne comportait initialement aucune représentation réelle de Fox (à une date ultérieure, une eau-forte plus grande que nature de l’athlète, ainsi qu’une carte illustrant son parcours à travers le Canada, ont été ajoutées par l’artiste Ian Bateson). Mais le nouveau monument de Coupland propose une approche immersive puissante de son sujet, qui diffère de tous les monuments antérieurs—et peut-être plus traditionnels—dédiés à Fox.
Coupland invite le public à recréer l’esprit et l’énergie de la course de Fox en proposant une composante expérientielle et participative. Cette démarche est caractéristique d’une tendance dans de nombreux monuments contemporains qui cherchent à engager activement le public dans une interaction physique plutôt que d’inviter à une contemplation passive. Dans ce cas, le public peut courir aux côtés des statues de Fox, installées au niveau du sol, sur une autoroute simulée sur le côté. Les lignes fuyantes de la route, combinées aux différentes hauteurs des figures, créent une perspective forcée qui suggère que Fox se déplace vers la personne qui regarde depuis un point d’origine éloigné. En approchant le monument depuis l’autre côté de la rue, le public peut avoir l’impression de revivre un segment de la course de Fox. Dans une entrevue accordée à un journal local, Coupland a également laissé entendre qu’il « voulait proposer une expérience qui permettrait une interaction sur le plan numérique ». Il a démontré son intention en saisissant un iPhone, suggérant que les gens pourraient créer leurs propres animations photographiques de la course de Terry. Le monument de Coupland, avec son approche naturaliste, ses objectifs participatifs et son ouverture à l’ère numérique, veut inspirer les générations actuelles et futures en partageant la conviction de Terry Fox que « tout est possible si on essaie; les rêves deviennent possibles si on essaie. »
À propos de l’auteure
Efrat El-Hanany est membre du corps professoral du département d’histoire de l’art de l’Université Capilano à North Vancouver, en Colombie-Britannique. Titulaire d’un baccalauréat en histoire de l’art et études est-asiatiques et d’un baccalauréat en éducation de l’Université hébraïque de Jérusalem, elle obtient ensuite une maîtrise et un doctorat de l’Université de l’Indiana à Bloomington. Sa thèse de doctorat, intitulée « Beating the Devil: Images of the Madonna del Soccorso in Italian Renaissance Art » (2006), se concentre sur des questions d’iconographie, de genre et d’histoire sociale et religieuse. Sa contribution à l’histoire de l’art se manifeste de diverses façons, avec notamment un intérêt pour l’art contemporain et l’art chinois qui s’est traduit par la publication de l’article « Sex in the Imperial Garden: An Unpublished Chinese Pillow Book in the Kinsey Institute », publié dans Apollo: The International Magazine of the Arts en 2005, ainsi que par sa communication « The Heroics of Disability: The Terry Fox Monument Phenomenon », présentée lors de la conférence annuelle de la CAA à New York en 2015.
Pour aller plus loin
Burk, Adrienne L., Speaking for a Long Time: Public Space and Social Memory in Vancouver, Vancouver, UBC Press, 2010.
Calo, Carole Gold, « Memorializing the Unspeakable: Public Monuments and Collective Grieving », Viewpoints: Readings in Art History, Carole Gold Calo (dir.), p. 187-193, Upper Saddle River, NJ : Prentice Hall, 2001.
Chivers, Sally, « Ordinary People: Reading the TransCanadian Terry Fox », Canadian Literature, no 202, 2009, p. 80-94.
Coupland, Douglas, Terry, Toronto, Douglas & McIntyre, 2005.
Douglas Coupland, 2022. https://www.coupland.com/.
El-Hanany, Efrat, « Public Bodies », The Capilano Review, vol. 3, no 10, 2010, p. 5-11.
Gérin, Annie, et James S. McLean, Public Art in Canada: Critical Perspectives, Toronto, University of Toronto Press, 2009.
Hearn, Christine, « Honouring Terry Fox », The Magazine of Simon Fraser University (novembre 2001).
Markonish, Denise, Oh, Canada: Contemporary Art from North North America, Cambridge, MA, MIT Press, 2012.
Scrivener, Leslie. Terry Fox: His Story, éd. rév., Toronto, McClelland & Stewart/Penguin Random House, 2000.
Serapio, Michael, John McQuaker, Robert Fisher et Deborah Goble, Terry Fox: Remembering a Canadian Hero, Toronto, News in Review/CBC, 2011.
Steil, John, et Aileen Stalker, Public Art in Vancouver: Angels among Lions, Vancouver, Touchwood Editions, 2009.
« Terry’s Story: A Dream as Big as Our Country », la Fondation Terry Fox, 2021. https://terryfox.org/terrys-story/.
Wendell, Susan, The Rejected Body, New York, Routledge, 1996.