Sketch of Upper Canada (1795-96)
by Denis Longchamps
La bibliothèque du roi George III, intégrée à la British Library, possède un album ainsi qu’une carte géographique dessinés sur écorce de bouleau par Elizabeth Simcoe (1762-1850) lors de son voyage au Canada entre 1791 et 1795. Elle y accompagnait son mari, John Graves Simcoe (1752-1806), nommé Lieutenant-Gouverneur du Haut-Canada. Ils offrirent la carte et l’album au roi à leur retour en 1796, un geste de propagande visant surtout à convaincre le roi de nommer Simcoe au poste de Gouverneur général du Canada.
Une carte géographique
La carte géographique, titrée Sketch of Upper Canada, est en réalité la copie d’une carte précédente, Sketch of Upper Canada showing the Routes Lt. Gov. Simcoe took on journeys between March 1793 and September 1795, réalisée par Elizabeth Simcoe en 1795 et maintenant conservée aux Archives de l’Ontario. Des notes de référence expliquent que les futurs sites proposés par le Lieutenant-Gouverneur sont en rouge, que celles de York et Chatham sont en voie de développement et que la rue Dundas est tracée d’Oxford jusqu’à la baie de Quinte et pratiquement terminée entre Oxford et la baie de Burlington. La copie sur écorce de bouleau ne donne pas autant de détails; les trente lignes de notes sont réduites à une courte légende explicative car la documentation visuelle des endroits mentionnés se trouve dans l’album.
Que la carte présentée au roi ait été tracée sur écorce de bouleau, combinant ainsi la cartographie européenne et un élément autochtone, suggère une appropriation coloniale répondant aux besoins britanniques que Simon Schama appelle « l’union nécessaire entre la culture et la nature[1] » (traduction de l’auteur) et peut donc être lu comme étant la volonté d’imposer le pouvoir colonial britannique sur le paysage canadien.
Un album de propagande
L’album compte trente-deux pages d’environ vingt-sept centimètres par dix-neuf centimètres sur lesquelles sont encollés autant de dessins tracés sur un ovale d’écorce de bouleau mesurant environ dix centimètres de haut sur dix-sept centimètres de large. Les dessins de Mme Simcoe s’inspirent des esquisses à l’aquarelle ou à l’encre souvent produites in situ lors des multiples déplacements des Simcoe à travers le Haut et le bas Canada. Ces dessins reflètent l’esthétique du pittoresque tel que défini par le révérend William Gilpin dans une série de livres publiés à partir de 1768. Ces ouvrages ont guidé Elizabeth Simcoe dans son interprétation des paysages canadiens selon l’esthétique du pittoresque anglais. Le trente-deuxième dessin est une copie d’un dessin du château de Chepstow tirée d’un des livres de Gilpin, Observations of the River Wye, and Several Parts of South Wales. L’inclusion du château de Chepstow dans l’album canadien présenterait Elizabeth comme descendante (supposée) de Guillaume le Conquérant, qui fit construire ce château. Un parallèle apparaît alors entre la colonisation normande de l’Angleterre au onzième siècle et celle du Canada par les Britanniques à l’époque géorgienne.
Bien que les Simcoe aient passé plusieurs mois au Bas-Canada et qu’Elizabeth Simcoe ait créé plus de 200 aquarelles et dessins durant cette période, aucun dessin du Bas-Canada n’apparaît dans l’album royal. Cette omission confirme que l’album n’est pas un souvenir de voyage mais bien un témoignage visuel du travail accompli par John Simcoe au Canada. L’album peut être divisé en trois sections : onze endroits qui existaient déjà au moment de son arrivée, onze endroits fondés par Simcoe pendant son mandat et neuf suggérant des endroits propices à un développement futur grâce à la présence de ressources naturelles dont cinq chutes d’eau, une source d’énergie nécessaire pour activer les moulins. Ainsi le contenu de l’album devient clair : il s’agit d’un élément promotionnel pour la carrière politique de John Graves Simcoe. La carte adjointe, de même format que les pages de l’album, supporte cette conclusion.
L’album débute avec une image de Pointe au Bodet (Rivière-Beaudette), première étape sur la route du Haut-Canada. C’est là que Simcoe prête serment et devient officiellement Lieutenant-Gouverneur du Haut-Canada. Suivent des représentations de York (maintenant Toronto) fondée par Simcoe et de Castle Frank, la résidence du couple près de York. L’architecture de Castle Frank a été qualifiée de « frontier style » et d’« avant-garde en unissant le chalet rustique pittoresque au goût classique ancien dans la nature sauvage[2] » (traduction de l’auteur).
Un village mohawk
Un dessin d’un village mohawk sur la rivière Grand évoque un bourg anglais plutôt qu’un campement autochtone avec son drapeau britannique flottant au-dessus des maisons. Ce village est celui de Joseph Brant, qui sera récompensé à deux occasions par le roi George III pour ses loyaux services pendant la guerre d’Indépendance américaine. Brant utilisera les sommes reçues pour bâtir ce village et son imposante église. L’inclusion de ce village mohawk dans l’album suggère l’assimilation des autochtones qui auraient adopté le mode de vie anglais.
John Graves Simcoe avait une vision très précise de son rôle en tant que représentant du roi au Canada. Dans une lettre envoyée au botaniste Joseph Banks, il écrit que son but est « d’établir un gouvernement anglais libre […] ce que le gouvernement actuel ne fait pas[3] » (traduction de l’auteur). L’historien Fred D. Schneider pense que Simcoe voulait « un gouvernement colonial qui serait semblable à celui de l’Angleterre, étayé par un système social basé sur une aristocratie terrienne[4] » (traduction de l’auteur), classe à laquelle John Simcoe appartenait grâce à l’héritage parental de sa femme. John Graves Simcoe aurait écrit qu’il accepterait de retourner au Canada en tant que Gouverneur général (Fryer 1989, 172) à une condition : l’attribution d’une pairie par le roi. Si l’on se fie au Times, il aurait été considéré pour ce poste puisqu’il est annoncé en août 1797 que le général Simcoe « obtiendra le gouvernement du Canada[5] » (traduction de l’auteur). Cependant, il ne recevra jamais de pairie ni ne retournera au Canada. Il sera plutôt nommé commandant en chef de l’Inde, mais mourra avant de s’y rendre en 1806.
Le rôle d’Elizabeth Simcoe est digne d’attention. L’album et la carte représentent un geste politique important soulignant le travail accompli tout en ouvrant une porte sur le futur. Lors de son séjour au Canada, Elizabeth a tenu un journal quotidien dont elle envoyait des copies en Angleterre; elle y critique les cartes existantes, les corrige sous le mentorat de son époux et prend des notes. L’album et la carte témoignent de sa curiosité devant des paysages inconnus, de son intérêt pour la cartographie et de sa loyauté envers le projet colonial canadien de son époux.
À propos de l’auteur
Denis Longchamps is the Executive Director at the Canadian Clay & Glass Gallery. From 2013 to 2018, he was the Artistic Director and Chief Curator at the Art Gallery of Burlington. He received his PhD in art history in 2009 from Concordia University. He also taught art and craft history at Concordia University, York University, and Dawson College. He has contributed essays, articles, and reviews to magazines and journals, including Espace-Sculpture, Ceramics Monthly, and Ceramics: Art and Perception. In 2020, Longchamps was the recipient of the Craft Ontario John and Barbara Mather Award for Lifetime Achievement.
Pour aller plus loin
Bassett, John M. Elizabeth Simcoe : First Lady of Upper Canada. Don Mills : Fitzhenry and Whiteside, c1974.
Cruikshank, Ernest A. The Correspondence of Lieut. Governor John Graves Simcoe, with Allied Documents Relating to His Administration of the Government of Upper Canada. Toronto : Ontario Historical Society, 1923.
Fowler, Marian. The Embroidered Tent. Toronto : Anansi, 1982.
Fryer, Mary Beacock. Elizabeth Posthuma Simcoe, 1762-1850 : A Biography. Toronto : Dundurn, 1989.
Innis, Mary Quayle, ed. Mrs. Simcoe’s Diary. Toronto : MacMillan of Canada ; New York : St. Martin’s Press, 1965.
The London Times, August 22, 1797.
Kornwolf, James D. Architecture and Town Planning in Colonial North America. Volume 2. Baltimore : John Hopkins University Press, 2002.
Mackenzie Grieve, Averil. The Great Accomplishment : The Contribution of Five English Women to Eighteenth Century Colonization. London: Geoffrey Bles, 1953.
McLaughlin, Florence. First Lady of Upper Canada. Toronto : Burns & MacEachen Limited, 1968.
Mercer, Cydna. Elizabeth Simcoe: The Canadian Years, 1792-1796. Exhibition catalogue. London : London Regional Art and Historical Museum, 1993.
Schama, Simon. Landscape and Memory. New York : Vintage Books, 1995.
Schneider, Fred D. « The Habit of Deference : The Imperial Factor and the ‘University Question’ in Upper Canada. » The Journal of British Studies 17, no. 1 (1977).
- « the necessary union of culture and nature ». Simon Schama, Landscape and Memory (New York: Vintage Books, 1995), 19. ↵
- « in bringing the Picturesque rustic cottage and archaic classical taste […] to the wilderness ». James D. Kornwolf, Architecture and Town Planning in Colonial North America, vol.2 (Baltimore: John Hopkins University Press, 2002), 1307. ↵
- « A free honourable British Government and a pure Administration of its Laws which shall hold out to the solitary Emigrant, and to several States, advantages that the present form of Government doth not, and cannot permit them to enjoy ». Ernest A. Cruikshank, The Correspondence of Lieut. Governor John Graves Simcoe, with Allied Documents Relating to His Administration of the Government of Upper Canada (Toronto: Ontario Historical Society, 1923), 17-19. ↵
- « would be assimilated to that of England, buttressed with a social system based upon a landed aristocracy ». Fred D. Schneider, « The Habit of Deference: The Imperial Factor and the ‘University Question’ in Upper Canada », The Journal of British Studies 17, no.1 (1977): 90. ↵
- « is to have the Government of Canada ». The London Times, August 22, 1797, 2. ↵