Chapitre 6 – Gestion écologique mondialisée
Introduction
Ce chapitre examine les conséquences économiques et écologiques de la mondialisation. La gestion économique mondialisée constitue un cadre d’analyse permettant d’examiner ces deux dynamiques étroitement imbriquées, bien que distinctes. Le chapitre fait écho au premier chapitre, dans ce qu’il présente d’abord comment la mondialisation en cours depuis les années 1990 a mené à un taux faramineux de création de la richesse, qui pose aussi des questions de distribution de ces richesses, mais aussi parce que ce chapitre soulève également le problème correspondant de non-durabilité environnementale. La mondialisation a reproduit à l’échelle mondiale des équilibres antérieurement liés aux cadres nationaux, notamment celui entre un centre financier et une périphérie de pays producteurs. Sauf qu’il n’y a pas une seule capitale financière, il y en a plusieurs. La concurrence internationale au capitalisme d’abord ouest européen a fait émerger de nouvelles puissances économiques, dont la Chine, l’Inde et le Brésil. Mais bien sûr, la mondialisation ne se limite pas aux enjeux économiques, elle reproduit aussi à sa manière le paradoxe de la consommation. La nouvelle territorialité que propose une économie mondialisée renferme de nombreuses externalités écologiques liées à la surconsommation, le transport, et l’exploitation des ressources naturelles pour n’en nommer que quelques unes. Économie et écologie interagissent de manière significative et lorsque ces dynamiques sont transportées à l’échelle du globe la nature des dommages est d’ordre planétaire. Cette portée peut passer pour déroutante, surtout pour le simple gestionnaire d’une petite entreprise. La gestion verte se veut moyen de formuler pour lui un sens d’éthique qui pourra le libérer de ce déroutement et lui permettre de fonder ses activités dans un rapport plus responsable par rapport aux impacts écologiques. La gestion verte offre un moyen de remplir son sens de responsabilité et de nous donner le plein accès aux réseaux du monde des affaires.
La mondialisation
La mondialisation est au cœur de nombreux débats académiques portant sur ses origines, ses spécificités, et bien sûr ses conséquences. Il ne s’agit pas ici de faire un tour d’horizon exhaustif, mais plutôt d’en situer les enjeux de responsabilisation sociale et environnementale des organisations. Le terme de « mondialisation » fait référence au processus d’ouverture des frontières commerciales et d’intégrations des économies nationales en vigueur depuis les années 1990. Le terme englobe des phénomènes sociaux (notamment les modèles de consommation) et politiques (notamment la démocratie, mais aussi les conflits armés) qui sont liés à la redirection des économies nationales envers l’économie mondiale. La mondialisation en cours (il y aurait eu des vagues antérieures) fut à l’origine un projet anglo-américain, mais qui au cours des 30 dernières années s’est progressivement répandu pour toucher presque tous les pays du monde. La mondialisation était déjà en germe au sortir de la Deuxième guerre mondiale dans le General agreement on trade and tarrifs (le GATT), une organisation multilatérale qui entreprenait à échéances régulières des rondes de négociation visant l’abolition des tarifs douaniers entre les pays. La dernière ronde de négociation, la ronde de l’Uruguay, a ouvert le chemin pour la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’OMC rassemble aujourd’hui comme membre ou comme observateur, presque tous les pays du monde[1]. Avec le Fonds monétaire international (FMI) ainsi que les soutiens aux accords régionaux de libre-échange, on peut voir se dresser un système organisationnel dédié au maintien de normes libre-échangistes à l’échelle du monde. Cette stabilisation du système de l’échange international est aussi en bonne partie assurée par la volonté des États membres, qui auront à respecter leurs engagements, comme tout participant à une entente.
L’aspect social de la mondialisation a été en évidence de plusieurs manières, non moins que dans la transformation des modes de consommation. À partir de la fin des années 1980, les produits américains, et plus généralement les modes de consommation américains, rejoignent tous les coins de la planète. Non que chacun puisse se les procurer, le pouvoir d’achat n’était pas partout ce qu’il est en occident, mais plutôt qu’ils deviennent disponibles et qu’existe alors la possibilité de consommer à l’Américaine. La manière de définir la qualité de vie a été, ne serait-ce que minimalement, réorientée vers l’économie de consommation et son accès à des biens et des services modernes. Ces modes de consommation étaient encore nouveaux pour de nombreuses régions du monde, notamment les citoyens des républiques anciennement du bloc communiste de l’Europe de l’Est. Dans ce processus d’expansion des modes de consommation, les marques de commerce émigrent partout dans le monde et acquièrent des caractéristiques locales. Ce qui était au départ des entreprises nationales, associées à une économie spécifique, se retrouvent désormais omniprésentes au sein des cultures nationales. Le partage se fait aussi sur le plan des produits, alors que les entreprises intègrent des éléments culturels locaux. Cette adaptation de leur image à des contextes culturels spécifiques résulte en des référents culturels et des marques commerciales parfois très uniques. Même dans la franchise internationale, le gestionnaire pourra ajuster les produits en fonction des goûts locaux, tout en restant fidèle à l’image de la marque. La mondialisation permet à des marques de s’intégrer dans des contextes variés, mais cela n’est pas sans ses défis, notamment en termes d’équilibre entre l’universalité de la marque et son ancrage local.
Le triomphalisme des années 1990 qui marque la fin de la Guerre froide et le lancement de la mondialisation a touché tant la politique et la société. La conviction d’un triomphe de la démocratie libérale était si forte qu’un ouvrage de l’époque intitulé La Fin de l’Histoire (Fukuyama, 1992) suggérait que l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide allaient inaugurer une ère de prospérité économique généralisée accompagnée d’une extension de la démocratie libérale dans tous les recoins du monde. Bien que l’émergence et la consolidation de l’Union européenne (qui comprend aujourd’hui plusieurs anciens pays de l’Est) suivent jusqu’à récemment ce développement, ce ne fut pas le cas ailleurs. Déjà en Europe, l’effondrement de la Yougoslavie à donner lieu à des atrocités qui n’avaient pas eu lieu depuis la Seconde Guerre mondiale (dont certaines sont aujourd’hui perpétrées en Ukraine par l’armée de Russie). Le bilan ailleurs dans le monde nuance aussi la thèse de Fukuyama. Mais la mondialisation fut certainement une réussite sur le plan économique. Comme projet, elle désignant l’ambition par ses architectes d’une économie monde et d’une croissance partagée. La mondialisation économique des années 1990 est synonyme de la généralisation auprès des pays du monde d’une stratégie de développement économique ancrée dans la recherche des avantages comparatifs entre eux. Elle signale le rejet du protectionnisme et des visées nationalistes de l’économie et prône l’adoption de l’internationalisation du commerce. Elle irait de pair avec la thèse de la fin de l’histoire pour soutenir l’expansion de la démocratie et expliquerait aussi la transformation des gouts de consommation.
Simplement dit, la mondialisation proposait d’élever à l’échelle du monde le pacte de stabilité sociale par la provision d’une haute qualité de vie. Elle étend cette formule de stabilisation des sociétés, puisant notamment sur la croyance que le libéralisme économique est porteur d’une création de richesse susceptible d’assurer la présence des classes moyennes nécessaires au soutien de la démocratie. Par ailleurs, la mondialisation a également accéléré la circulation des technologies et des innovations. Grâce aux avancées des communications, il est désormais facile de transférer rapidement d’un bout à l’autre du monde des plans de construction d’usines, des stratégies d’investissement ou des connaissances techniques. Ce phénomène ne concerne pas uniquement les biens et services : les flux de capitaux se déplacent aussi librement, influençant les économies nationales. L’instauration d’un cadre mondial pour le commerce, souvent qualifié d’« économie mondiale ». Comme mentionnée, même les quelques pays qui maintiennent officiellement un régime communiste se sont ouverts à l’économie mondiale, notamment par l’ouverture à l’investissement directe à l’étranger (IDE) par l’entremise d’accords de libre-échange (LE). La mondialisation n’a pas livré ce qu’elle promettait sur le plan de l’extension de la démocratie. Les droits de participations à l’espace public sont encore très restreints dans le monde. Mais le capitalisme libre-échangiste s’est étalé partout, et du moins jusqu’à l’inauguration présidentielle américaine de janvier 2025, il imposait un point de consensus entre démocraties libérales et les autres types de gouvernements. D’ailleurs, le commerce avec les tyrans du monde continue d’être une problématique chaudement discutée.
L’adoption de la stratégie de développement libre-échangiste passe par la mise en vigueur de politiques économiques favorables à l’IDE. Cela inclut la réduction des taux d’imposition pour la récolte des sommes et/ou leur transfert vers une autre juridiction (typique celle de la société mère, mais pas toujours[2]). L’IDE est une mesure économique communément utilisée pour mesurer le commerce international et l’un des principaux indicateurs de la mondialisation économique. Il capture un état d’expansion des entreprises au-delà de la frontière des économies nationales. L’IDE définit tout mouvement de capitaux financiers destinés à créer une filiale ou à acquérir une entreprise dans un autre pays. Cette création ou acquisitions d’entreprises dans un autre pays se fait tout en maintenant la société mère et son siège social dans le pays d’origine. L’achat ou à la création de filiales dans d’autres pays permet d’étendre les activités de l’entreprise, y compris de les redistribuer entre les juridictions. Cette stratégie permet d’étendre la chaîne de production à l’international, soit en ramenant des produits fabriqués à l’étranger pour les distribuer, soit en vendant des produits dans d’autres pays tout en consolidant les profits au sein du système du pays d’origine. Ainsi, l’acquisition des ressources, la réalisation des produits et/ou la commercialisation peuvent avoir lieu dans différents pays que celui du siège social tout en permettant le retour des bénéfices vers celui-ci.
L’IDE raconte une part de l’histoire économique de la mondialisation, mais pas toute cette histoire. L’IDE va main dans la main avec l’accélération du libre-échange. Le libre-échange est une stratégie nationale de développement économique qui remet en question le bien fondée dans tarifs douaniers. Le libre-échangisme prône l’élimination des barrières tarifaires et encourage la libre circulation des produits entre les pays. On pourrait débattre longuement de la causalité de l’IDE par rapport au libre-échange. Si l’IDE a causé le libre-échange, c’est que les gestionnaires et entrepreneurs ont fait pression pour accommoder une réalité émergente de commerce, soit son internationalisation. Si la signature des accords de libre-échange est ce qui a promu l’IDE, alors on peut voir un choix beaucoup plus délibéré de la part des décideurs gouvernementaux. D’une manière comme d’une autre, il semble exister une quelconque relation entre les deux.
Stratégie dans l’échange international
Les options possibles dans la stratégie de développement économique d’un pays reprennent le spectre entre politiques économiques socialistes et libérales. L’orientation sociale représente un mode en vigueur dans plusieurs états du monde jusqu’aux années 1970 que l’on intitulait le développement par substitution des importations. La tactique consistait à placer des tarifs sur les produits afin de stimuler chez soi l’émergence d’une industrie nationale pour le produit. Ce faisant, le but demeurait de conserver dans le pays les fruits du labeur des gens et d’ainsi assurer une mainmise sur la possibilité de distribution les richesses (et notamment l’emploi comme source de richesse) en fonction de priorités sociales. Par contre, la stratégie libre-échangiste en vogue depuis les années 1980, propose une spécialisation des avantages comparatifs. Ici, il est question de concentrer la production dans ce que le pays peut faire mieux que les autres. S’il possède des terres arables et une population fortement tournée vers l’agriculture, le pays se fera fournisseur de denrées alimentaires sur le marché mondial. S’il possède un potentiel touristique, il sera question de développer les installations afin d’accueillir les touristes. S’il renferme une main-d’œuvre qualifiée, comme c’est le cas dans certains pays sortant du communisme, il sera recommandé de concentrer sur des domaines techniques et chimiques. Dans tous les cas, la consigne aux décideurs politiques et de se concentrer sur les industries qui peuvent tirer parti des atouts « naturels » du pays. Une distinction importante repose sur le choix de prioriser les importations ou les exportations dans la formulation des stratégies d’échange.
Les politiques économiques américaines inaugurées en mars 2025 sont une anomalie qui semble assembler le pire des deux mondes. D’une part, la restitution des tarifs semble évoquer le retour des stratégies de substitution des importations. Le but peut être de ramener aux États-Unis des secteurs industriels ayant déguerpi pendant la mondialisation. Mais alors, il y a indication que cela n’est pas nécessairement dans l’intérêt d’assurer une meilleure distribution des richesses. Au contraire, l’imbrication des milliardaires dans le processus est annonciation d’une concentration accrue des richesses. Ce choix rassemble ainsi le pire des deux mondes : elle ne pourra bénéficier des avantages du commerce international, mais non plus y aurait-il une tentative d’une meilleure distribution des richesses, marquée d’ailleurs par la mise en pièce de l’État. |
La croissance de l’investissement direct à l’étranger et la promotion du libre-échange sont des facteurs clés qui ont permis l’émergence des entreprises multinationales. Une multinationale, simplement dit, est une entreprise qui n’opère plus uniquement à l’intérieur des frontières nationales de son siège social. La distribution à l’étranger ne semble pas un critère assez distinctif pour être une multinationale, on doit en effet parler d’opérations. À l’égard du transfert vers les clients des biens ou services, il faut qu’il y ait une commercialisation située dans l’autre pays, soit la présence d’un moyen autonome pour assurer la vente et la distribution dans le pays étranger (qui est autrement par des distributeurs et vendeurs locaux). Il est possible pour un Canadien de faire affaire avec une entreprise française sans avoir besoin de créer une filiale en France, tout comme l’entreprise française n’a pas besoin de s’établir au Canada pour y vendre ses produits, pourvu qu’elle se trouve un partenaire canadien. Une multinational possède plutôt une filiale, ou peut-être simplement est-elle propriétaire d’entreprise dans l’autre pays, mais d’une manière ou d’une autre elle est caractérisée par un investissement significatif dans l’économie étrangère et une présence en continu. On estime qu’environ un tiers du commerce mondial est réalisé par des entreprises multinationales, le reste étant constitué de transactions commerciales plus directes, sans création d’entreprise à l’étranger. La mondialisation a entraîné une légitimation des pratiques d’acquisitions de filiale à l’étranger. L’émergence de la multinationale comme acteur économique distinct a été facilitée et même encouragée par l’orientation vers le libre-échange des accords commerciaux entre les pays.
Plusieurs voient l’impact de ces transformations dans l’orientation des politiques économiques du commerce international comme une atteinte à la souveraineté économique. En effet, la souveraineté économique peut avoir souffert des politiques économiques à la faveur du libre-échange. La spécialisation économique accrue, bien qu’offrant des opportunités, s’accompagne aussi d’une érosion progressive de la possibilité de produire d’autres choses qui sont toutefois nécessaires pour assurer une qualité de vie moderne. La participation à l’économie mondiale reposant dorénavant sur l’affaiblissement des frontières et la réduction des contrôles douaniers, il devient dans ces circonstances plus difficiles pour les États de diriger la distribution des richesses comme bon il leur semble. Toute la promesse de redistribution que proposent les politiques économiques socialistes repose sur une mainmise plus directe sur la création et les flux de capitaux. Du moment que l’on doit lâcher cette mainmise, une part appréciable des politiques économiques antérieurement accessible (les politiques socialistes) sont désormais hors de portée. On doit s’en remettre aux dynamiques de l’économie mondiale afin d’assurer une distribution des richesses suffisante pour assurer la stabilité sociale. Toutefois, si cette dynamique peut être bénéfique dans certaines régions, elle peut aussi avoir des effets néfastes ailleurs, notamment en contribuant à la précarisation des travailleurs par la délocalisation du travail. S’engager dans le libre-échangisme consiste aussi de transférer vers des autorités supranationales certains droits souverains en matière de gestion des richesses. L’OMC ainsi que plusieurs accords de libre-échange, possèdent des organes de règlement de différents auxquels les États membres ont accepté de concéder une autorité de décisions précises prises, par exemple, en matière d’appui public pour une industrie.
La vision optimiste de Fukuyama n’a pas bien tenu compte du potentiel de déstabilisation au cœur de la mondialisation. Effectivement, la mondialisation a souvent été perçue de manière péjorative, en raison de ses conséquences pour les sociétés, qui comprennent la dégradation des conditions de travail, le déclin des structures familiales et la mise en dépendance aux aléatoires de l’économie mondiale. Il est raisonnable de dire que la mondialisation a été largement impulsée par l’ouverture des frontières, précédant une idéologie dominante qui visait à assurer le développement économique. Mais avec l’ouverture des frontières, c’est non seulement les capitaux, dont les capitaux illicites, qui circulent, c’est aussi les armes et les personnes (de gré ou de force). Le triomphalisme de l’époque était manifeste, mais il est important de noter que des violences ont continué à se produire, même si elles ont été parfois ignorées ou minimisées dans les discours dominants. En effet, malgré cet optimisme, et notamment sur le plan politique, des tensions et des conflits ont persisté, mettant en lumière les contradictions du discours triomphaliste de la mondialisation. Sur le plan économique, l’universalisation des formes générales du capitalisme retient davantage de cette perspective triomphaliste. Dans les détails des politiques économiques, le capitalisme demeure toujours très différent. Tout comme les marques de commerces et produits américains ont été adaptées aux divers contextes du monde, le capitalisme lui-même l’a été. On n’a qu’à lire la description de son système économique que se donne la Chine. Le gouvernement chinois dit pratiquer un « capitalisme avec des caractéristiques chinoises. » On y dit quelque chose de similaire au sujet de la démocratie.
La gestion verte
La mondialisation pose avec acuité le paradoxe de la consommation. Comme discuté plus haut, la convergence sociale et politique dans la consommation et les régimes politiques a été depuis quelques décennies soutenue par la création jusqu’alors inédite de richesse. Le passage réussi vers la démocratie dans plusieurs des pays de l’Europe de l’Est, appuyé dans cela par les perspectives et ensuite l’accès à l’Union européenne, est une reproduction à échelle mondiale du pacte fondamentale pour la croissance des sociétés. La fourniture de biens et services permet de soutenir les sociétés alors qu’elles traversent des périodes de turbulence, qui est inévitable dans toutes transitions, y compris vers un ordre systémique mieux adapté à l’expansion de la multitude. Si l’état actuel du monde ne semble plus conforme à celui de la paix internationale que prédisait Fukuyama, ce serait aussi parce que la situation économique depuis plusieurs années n’est plus à la hauteur des attentes de la multitude. Dans ces circonstances de retrait de la matérialité, du déclin des natalités et de l’appauvrissement des débats publics, le mécontentement des populations accélère des turbulences déjà présentes (dont certaines sont très naturelles, mais éprouvantes sur le plan social). L’application à l’échelle mondiale de la formule générale de croissance sociale a aussi produit des modèles spécifiques de distribution des richesses. Les critiques du libre-échangisme ont par ailleurs voulu faire croire que ce régime exacerbait des inégalités mondiales préexistantes. L’application de la formule a exacerbé la composante environnementale du paradoxe de la consommation. L’internationalisation du commerce a été une toute nouvelle occasion de déplacer vers les pays les plus pauvres non seulement les conséquences des instabilités sociales, mais aussi les externalités environnementales. Cela dit, la RSE est tout aussi applicable comme outil de cheminement vers une réponse à la question de savoir comment le gestionnaire (vert) doit équilibrer les conséquences de ses activités.
Le terme ‘environnement’ dans son usage dans les études des organisations ne doit pas être confondu avec l’environnement écologique. L’environnement écologique n’est qu’une composante parmi d’autres de l’environnement organisationnel. Mais tel que vu au chapitre précédent, l’environnement organisationnel est composé de couches macro et micro, et rassemble une grande variété de préoccupations (certaines proximales d’autres, sociales). Une organisation peut, par exemple, dépendre de la bonne qualité des eaux (ex. opération d’une installation touristique auprès d’un lac) et donc ou pourra dire que la préoccupation pour la qualité des eaux est centrale à son environnement organisationnel. D’une manière lointaine, l’environnement écologique est dans l’environnement organisationnel de toutes les entreprises, qui ont au minimum besoin d’oxygène. Mais bien sûr, l’approvisionnement en oxygène des employé.es figure rarement comme une priorité stratégique. C’est d’abord parce qu’elle semble bien trop de base et commune pour être la responsabilité d’une seule partie en société. Il est vrai que la fourniture d’oxygène n’est pas haute, comme le serait par exemple, les intérêts à long terme de l’industrie forestière à l’égard des forests, il peut sembler légitime qu’ils soient laissés de côté par cette dernière. Comme nous l’avons vu, les études des organisations enseignent d’ailleurs que l’organisation est la focalisation sur des préoccupations liées à ses activités. Créer des organisations sont des actes volontaires de personnes qui consistent à concentrer les attentions sur une liste de préoccupation qui est restreinte (relativement aux infinies préoccupations à l’égard de la multitude qu’il est possible de formuler). L’écologie n’est finalement qu’une lettre dans le modèle PESTEL et donc pour démêler l’environnement écologique et l’environnement organisationnel, il faut voir le premier comme une préoccupation parmi d’autres que renferme le second.
La mondialisation modifie le rapport des entreprises au territoire. Elle échelonne les diverses activités d’entreprise à travers le monde. La délocalisation de la production est un phénomène courant dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, où les entreprises cherchent à tirer parti des différentes forces de travail en implantant des usines de transformation près des sites d’extraction des matières premières. Ces nouveaux défis font état d’une nouvelle territorialité. La territorialité est le rapport qu’entretiennent les sociétés humaines par rapport aux territoires qu’ils habitent. Il capture et fait rejoindre les aspects symboliques du territoire et les aspects d’exploitation et d’usage des lieux. Il s’agit d’un concept de culture générale qui est importé dans l’organisation. Le rapport au territoire des personnes peut hautement varier sur le plan symbolique. Pour certains, il n’y est rien, mais plusieurs tendent à prêter au territoire qu’ils habitent une valeur symbolique, ne serait-ce que moindrement. La culture d’une entreprise pourrait donc être affectée par une transformation dans la territorialité, notamment dans sa culture comme principe de prise des décisions. L’entreprise mondialisée va aussi s’en retrouver confronté à la diversité des environnements juridiques que propose une territorialité mondiale. La mondialisation, en s’étendant à travers le monde, introduit de nouveaux problèmes d’approvisionnement, qui peuvent s’ajouter à ceux qui existaient déjà dans un cadre national restreint. Mais la nouvelle territorialité est aussi le principal moyen par lequel les externalités environnementales sont déplacées à travers le monde.
Sur le plan empirique, il est incontestable qu’il y a eu des transformations écologiques au cours des dernières décennies. Il semble tout aussi clair que l’activité humaine en soit la cause, toute autre altération naturelle des conditions écologiques s’étant de tout temps écoulées à des rythmes beaucoup plus lents[3]. On voit ce phénomène dans l’augmentation rapide du taux de carbone, qui est passé de 150 parts par million à 400 parts par million en seulement 66 ans. De même, l’augmentation des températures affiche une tendance à la hausse observable depuis plus de 150 ans. Les températures moyennes continuent d’augmenter, les années 2016 à 2024 ayant enregistré des records successifs. Sur le plan de l’observation statistique donc, l’environnement écologique affiche des signes de déclin dans sa vitalité. Toute évaluation doit bien sûr tenir compte des progrès positifs au sujet de l’état des systèmes écologiques, et sur cela il peut y avoir raison d’anticiper le succès d’approches technologiques (qui ne sont pas nécessairement assurées, y compris sur le plan du soutien politique). L’évaluation qu’en fera chacun sera souvent marquée par son expérience personnelle. C’est s’ailleurs à partir d’une unique observation que partent plusieurs programmes de recherche scientifique. Tant que ce qui est observable par les instruments de la science n’affecte pas le quotidien des gens, la réalité du phénomène général peut être facilement remise en question. (Et même lorsque survient la calamité, son caractère soudain permettra de lui attribuer une cause accidentelle.) Non, le Canada ne ressemble pas plus à un désert que lorsque j’y suis né, mais les étés me semblent chauds et les hivers ont des comportements curieux. Ces observations personnelles ne présentent aucun contrôle sur la prise de donnée, je n’ai pas noté la chose dans le temps d’une manière démontrable. Il y a eu combien de journées ‘normales’ dans ma vie adulte par rapport à ma vie d’enfant? Mais alors, le but de toute recherche est précisément de dénoter des modèles dans des observations autrement anodines et singulières. Cette « saison des vents » que j’observe depuis quelques années coincées entre l’hiver et le printemps, et ensuite entre l’été et l’automne, devrait me pousser à investiguer quels ont été les modèles par le passé (puisque je ne les ai pas notés moi-même), pour ensuite faire l’hypothèse d’une détermination par une mesure de l’activité humaine (et si pas celle-là, une autre, etc., jusqu’à l’atteinte d’une réponse ou l’acceptation d’une fausse hypothèse).
Ces changements sont bien réels et sont soutenus par des données empiriques. Les scientifiques ont clairement fait leur travail pour les démontrer. Il est déjà le cas que l’impact des transformations environnementales commence à se faire sentir sur la société. Les denrées alimentaires commencent à souffrir les conséquences d’une dégradation des conditions nécessaires à l’agriculture. Lorsqu’une tempête de glace frappe les arbres d’oranges de la Floride, la conséquence est ressentie sur le prix du jus d’orange. Il est aussi le cas que des conflits environnementaux commencent à émerger. Les guerres ont de tout temps retrouvé l’accès aux ressources dans la motivation des belligérants, mais la raréfaction des nombreuses et spécifiques ressources multiplie aujourd’hui les occasions du conflit[4]. La démographie joue également un rôle important dans les transformations écologiques. La baisse des natalités devient rapidement un phénomène mondial, mais à l’échelle du monde, la population ne cesse d’augmenter (seulement à un rythme plus lent). Cette population en constante augmentation impose des pressions importantes sur les ressources naturelles. Mais l’activité industrielle est ce qui est le plus problématique pour l’équilibre écologique. L’industrie lourde est dite ainsi parce que ses installations inspirent la mégalophobie mais aussi parce qu’elle laisse des empreintes (écologiques) immenses. Dans une perspective selon laquelle tout genre d’organisation (public, privé, ou tiers) peut en arriver à adopter tout objectif, mais où l’organisation est définie par les quelques objectifs qu’elle choisit à l’exclusion de tous les autres, alors les objectifs de ces industries lourdes sont de ceux dont le versant éthique tournerait vers la gestion des externalités polluantes. À l’exclusion de la possibilité qu’il ne soit tout simplement pas possible pour certaines activités d’être verdifiée, qu’il n’existe pas de substitut au produit et que celui-ci soit nécessaire pour la stabilité sociale, l’industrie polluante doit en arriver à son propre équilibre éthique par rapport à l’environnement.
La désertification Phénomène éloigné pour tous ceux qui n’habitent pas la région, l’expansion du désert du Sahara est observable depuis de nombreuses années. Là aussi, ce n’est pas un phénomène qui a lieu immédiatement. Le fermier à la limite du désert verra au cours des ans la constitution de sa terre devenir de plus en plus sableuse, jusqu’à ce que disparaisse toute trace de la tourbe nécessaire à la croissance de bien des aliments. Les terres deviennent alors de moins en moins fertiles, ayant perdu la capacité de retenir les nutriments. La résolution de problème de la désertification n’est pas évidente, notamment parce que le phénomène a lieu sur plusieurs milliers de kilomètres. Il s’agit de plus d’un problème dont la progression n’est pas instantanée. Chaque année, des fermiers doivent relocaliser, mais le phénomène est là aussi graduel. Dans un coin du village, la terre pourrait tenir quelques années de plus qu’à l’autre extrémité. Les problèmes issus de la mondialisation sont souvent interconnectés : la diminution de la capacité des terres, la réduction de l’accès à l’eau, la baisse de la production agricole, l’augmentation de la faim, et même l’intensification des conflits sont tous des facteurs qui se renforcent mutuellement et dont il a été possible d’observer des manifestations dans la région du Sahara. |
Pourquoi donc l’écologie est-elle relayée à un plan secondaire dans la planification stratégique des entreprises? Pourtant, l’environnement joue un rôle central dans les transformations induites par la mondialisation, une grande partie des activités économiques ayant une composante écologique. Elle n’est peut-être qu’une composante du modèle PESTEL, mais elle est une composante du modèle PESTEL et il n’y en a que six. Pourquoi ne semble-t-elle pas au même rang que les autres? La réponse repose dans ce que l’écologie a de particulier dans ce modèle. Parmi les six composantes PESTEL, l’écologie est la seule qui ne soit pas purement dérivée de l’existence humaine. La politique, l’économie, le social, la technologie et la loi sont toutes des aspects projetés par l’existence en commun, autrement dit, des attributs fondamentaux de la multitude. Oui, on dira que l’économie dépend des dimensions climatiques, mais alors ce sont déjà là des éléments davantage à lier à l’écologie. L’écologie a un impact sur les affaires de la multitude, mais existe aussi en soi. Elle n’est pas purement un produit de la sociosphère (cette nappe que constitue la multitude), l’écologie existe selon ses propres règlements et en dehors de la volonté humaine. Contrairement à la sociosphère qui unit la multitude, on parle plutôt de biosphère pour désigner ce rassemblement des composantes écologiques de notre monde. La biosphère est ce système organique qui rassemble toute chose vivante, y compris les systèmes écologiques nécessaires à leur soutien. Quoique les êtres humains en fassent partie (nous sommes des créatures biologiques à la base), la biosphère capture aussi le monde de la faune et de la flore. On peut observer comment sociosphère et biosphère interagissent. Elle ne se superpose pas directement, mais présente souvent une confrontation entre projection sociale et réalité écologique objective.
Les scientifiques ont clairement démontré que le problème réside dans l’impact de l’activité économique. L’incapacité de contempler les conséquences écologiques de ses décisions revient à ne pas voir que la biosphère dépasse la sociosphère. Une part appréciable du négationnisme à l’égard de la crise écologique actuelle découle de cette situation. Les fausses sciences climatiques s’appuient sur cette non-reconnaissance de cette double dimension bio et sociosphère. La négation des impacts humains découle d’un atitrement à croire qu’il adviendra des systèmes écologiques ce que l’être humain voudra bien y voir. Ce négationnisme fonctionne puisqu’il permet de réduire une question scientifique à une question d’opinion, ce qui permet de croire que la biosphère peut être connue simplement à parti de la sociosphère et qu’elle ne nécessite pas des preuves objectives là-bas installées. Autrement dit, les standards de la preuve sont placés à l’intérieur de la sociosphère, comme si l’environnement écologique n’avait pas ses propres standards de preuves. Les vraies sciences climatiques sont celles qui situent le fardeau de la preuve dans la biosphère. Les principes d’explication n’y sont pas de ceux qui sont ouverts à une rationalité limitée, mais plutôt de ceux qui se penchent sur une connaissance désintéressée et peu sujette à la prise de décision. La science interpèlle de plusieurs manières la prise de décision, mais elle n’est pas en elle-même un processus de décision, plutôt un processus de détermination. Elle n’est pas là pour se faire questionner comme peut l’être une loi issue du Parlement. Le principe d’acquisition de la connaissance scientifique, soit la méthode scientifique, est celui qui est adapté pour l’étude de l’écologie. Cette incapacité à accepter la réalité objective de l’environnement écologique nous empêche de prendre pleinement conscience de la gravité de la situation. La tâche des chercheurs continue et la recherche scientifique sera toujours marquée par des soubresauts. Mais le véritable défi n’est pas celui de démontrer le changement écologique, il est plutôt de faire accepter les trouvailles parfois très décourageantes.
Il peut sembler réconfortant de sombrer dans le pessimisme et le cynisme à l’égard de la dégradation écologique. On y trouvera certainement une justification pour ne rien faire. Mais le gestionnaire n’y trouvera rien de ce qu’il faut pour faire de lui ou elle un leader. Le leadership est un énoncé de lutte contre le pessimisme et le cynisme. On y retrouve un éthos défiant précisément parce qu’il s’agit d’une qualité qui persiste devant l’adversité que propose la tentation du défaitisme. Surmonter le pessimisme tient à notre capacité à affronter un problème sans être paralysé par des visions catastrophiques. La gestion verte part, comme toute activité de gestion, est donc de pouvoir engager des mesures de responsabilisation sachant très bien que la situation est catastrophique et que ses maigres efforts sont assez minimes dans l’ensemble. Le gestionnaire doit commencer à identifier les externalités environnementales et y chercher une solution. Elle doit chercher des moyens d’intégrer les considérations environnementales dans ses processus et pratiques d’affaires. Cela implique de traiter ces enjeux comme des objectifs stratégiques et d’incorporer des pratiques écologiques dans ses méthodes de travail. Par exemple, une approche de gestion verte pourrait inclure l’allongement du cycle de vie des produits, ce qui permettrait de réduire le gaspillage. Ainsi, au lieu d’acheter un nouveau téléphone tous les deux ans, l’entreprise pourrait favoriser des initiatives comme les droits à la réparation. Ce type de démarche viserait à assurer une plus longue durée de vie pour des appareils comme les téléphones et les tablettes, qui contiennent des composants électroniques et minéraux potentiellement nuisibles à l’environnement. L’objectif serait de favoriser une durabilité accrue, tout en prenant en compte les défis environnementaux associés à la production excessive de biens. En encourageant une consommation plus responsable, l’entreprise pourrait se positionner comme un acteur engagé dans la durabilité, ce qui ne dit rien de tout ce qu’elle pourrait aussi faire sur le plan de ses propres produits.
Le réseau de parties prenantes devra en quelque sorte en venir à inclure la nature elle-même, soit la biosphère, comme une partie prenante à part entière. Une des raisons pour lesquelles il est difficile d’intégrer des pratiques environnementales et une gestion verte est parce que la nature, en tant que « partie prenante », est invisible et muette. La biosphère n’est pas une personne avec laquelle nous pouvons nous asseoir à une table de négociation, signer des accords ou communiquer directement des objectifs stratégiques. Cependant, le gestionnaire doit tenter de considérer la biosphère comme une partie prenante et tenter de l’intégrer afin de définir des objectifs stratégiques et des pratiques vertes. La biosphère est le système qui assure la survie et la reproduction des écosystèmes, et a donc un intérêt direct à le protéger afin qu’il profite aux générations futures. L’introduction des considérations de toute partie prenante permet d’obtenir des informations que le gestionnaire ignore autrement. Cependant, pour permettre cette collecte d’informations, il est important de reconnaître humblement que nous ne savons pas tout. Il est également essentiel de ne pas chercher à imposer nos idées, mais plutôt d’être ouverts à ce que l’environnement et les autres parties prenantes peuvent nous enseigner.
La mondialisation permet de masquer les dommages écologiques résultant de ces activités économiques, qui peuvent être déplacés très loin de nos préoccupations immédiates. L’exportation des déchets ou des poubelles est un exemple frappant de ce déplacement des externalités. L’accès aux ressources naturelles peut conduire à des comportements abusifs, favorisés par une vision très axée sur les intérêts des entreprises, et qui inspire une éthique souvent peu soucieuse de l’environnement. Afin de préconiser des stratégies de verdification, il faut mieux comprendre le comportement des entreprises engagées dans des démarches plus respectueuses de l’environnement. La typologie des comportements responsables des entreprises tirées du chapitre 2 est utile tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Type de comportement | Description | Exemple |
Non-responsable | Perçoivent les différences dans les salaires, les niveaux de vie et les conditions de travail comme des opportunités à exploiter. Engagement actif à contourner les lois à son intérêt. | Une firme qui profite de basses mesures d’anti-corruption: les firmes associées à l’incident de la Rana Plaza au Bangladesh. |
Façade | Perçoivent les différences dans les salaires et les niveaux de vie comme des opportunités à exploiter, mais offrent des concessions. Engagement dans le respect des lois ainsi qu’un engagement de surface avec les codes déontologiques internationaux (Ex: Pacte de l’ONU). | Apple qui publie des « audits d’usine » pour minimiser l’utilisation d’heures excessives (cas Foxxconn). |
Authentique | Perçoivent les différences dans les salaires comme des opportunités à exploiter, mais offrent des concessions dans les conditions du travail et visent authentiquement l’amélioration du niveau de vie des employé.es à l’étranger. | General Motors qui installe des usines au Mexique avec des salaires plus élevés que la moyenne. |
Éthique | Vise activement à ne pas exploiter les disparités salariales et écologiques par le respect des lois, des codes déontologiques, mais aussi d’un rapport éthique à l’égard de ses employé.es. | Colgate-Palmolive qui vise à standardiser la compensation à l’échelle mondiale et selon les circonstances locales. |
Social | Vise activement à renverser les disparités salariales et écologiques en faisant augmenter la stabilité sociale ou alléger les impacts environnementaux. Engagement d’initiatives pour améliorer les relations avec un large éventail de parties prenantes locales. | Patagonia et la durabilité comme objectif stratégique. Le label UTZ pour le commerce équitable et l’approvisionnement durable du café. |
Conclusion
Ce chapitre a exploré les mécanismes de la mondialisation et leurs implications avec les préoccupations écologiques. Nous n’apportions pas dans ce qui précède un constat révolutionnaire. Les exemples abordés illustrent bien l’entrelacement des tendances sociales, politiques et économiques avec la gestion des entreprises. La consommation fait souvent appel à des désirs personnels, ce qui la rend susceptible de se mélanger avec nos cultures nationales distinctes. Il est important de noter que le commerce mondial n’a pas toujours fonctionné de cette manière, et que cela constitue une caractéristique marquante de la mondialisation actuelle. Cette période a été marquée par une expansion du commerce, bien qu’il y ait eu quelques moments de ralentissement. La formule de la stabilité sociale n’aurait toutefois été que partiellement appliquée, d’où l’échec de la vision de Fukuyama. Aujourd’hui, nous aurions plutôt le spectacle d’un effondrement de l’ordre international, mais alors pas parce que la formule de stabilisation des sociétés ne fonctionne pas. Plutôt parce qu’elle ne fonctionne plus. Le déclin économique ne permet plus de soutenir des classes moyennes vitales et les externalités environnementales ont commencé à se manifester même dans les observations anecdotiques de gens.
La crise écologique présente une série de problèmes superposés et interconnectés. Elle est en cela un vrai problème épineux. La crise redéfinit ce que veut dire la responsabilité du gestionnaire. L’impératif de se faire vert va de soi, non parce qu’il s’agit d’un objectif stratégique évident, mais plutôt parce qu’il est la forme que prend aujourd’hui le leadership (compris comme l’exercice récurrent d’une volonté de relever des défis). Le gestionnaire doit pour cela élever Dame Nature à un rang de partie prenante et faire en sorte de prioriser quelque chose qui n’est pas naturellement dans ses objectifs stratégiques. Ce faisant, le gestionnaire travaille à définir comment ces objectifs peuvent être intégrés aux siens et parvient alors à un équilibre éthique avec lequel il devra apprendre à vivre. Il est crucial d’aborder ces problèmes avec calme et réflexion, sans sombrer dans le découragement. C’est là la marque du leader.
[2] Le problème de l’évasion fiscale est fortement lié à l’internationalisation des finances. Simplement dit, lorsqu’on ouvre les frontières au capital, cela peut aller pour tout le capital, l’honnête comme le malhonnête. Des mesures de contrôle de ces flux illicites sont parfois proposées, mais il semble qu’une part appréciable passe sans conséquence.
[3] Le rythme d’extinction de la faune est une mesure particulièrement triste de cette accélération.
[4] La présence de minéraux rares dans la région du Donbass n’a pas été manquée par les observateurs du conflit et semble motiver autant la Russie (qui les veut) que les États-Unis (qui visent à les rendre conditionnels de la poursuite de l’appui militaire pour la résistance à l’invasion).