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Chapitre 3 – Prise de décision et culture organisationnelle

Introduction

Tous types de sociétés, grande et petite, opèrent au moins en partie à partir de la prise de décision. Il existe d’autres aspects de la vie en organisation, telles la culture ou les relations humaines. Mais la prise de décision est fondamentalement caractéristique de l’organisation. En plus d’afficher ses intentions, la décision annonce quelles seront les contraintes que l’organisation entend respecter. Ainsi, la décision sera critiquée par d’autres personnes selon sa contribution et le sens de responsabilité qu’elle reflète. L’étude de la prise des décisions est donc au cœur de l’étude des organisations et de l’administration plus généralement. Mais déjà dans les années 1940 certains voyaient que tout n’est pas aussi clair que le suggère l’étalement linéaire des options, considérations et effets anticipés. Une décision ne remonte que quelques nœuds dans la branche des connaissances possibles qui peuvent lui être associées. Il est à douter qu’il soit possible de fonder la décision dans une contemplation de l’arbre entier, soit d’y insérer toutes les composantes qui lui sont potentiellement pertinentes. L’organisation n’en est pas moins une machine à prendre des décisions, selon l’expression de Herbert Simon. C’est seulement que même en organisation, la prise de décision est affectée par une ‘rationalité limitée’. Il y aurait des limites circonstancielles (liée au contexte de la prise de décision), cognitives (liées à la possibilité d’absorber des informations et de comprendre) et computationnelles (liées à la capacité d’intégrer les données dans l’analyse) qui limitent la prise des connaissances pouvant influencer une décision en organisations. Mais il y aurait plus, notamment une curiosité du comportement en organisation, soit la culture. La culture semble déterminante pour la prise de décision, mais elle interagit dans un rapport plus complexe pour la gouvernance de l’organisation. L’organisation s’en retrouve à la fois formée par la culture, mais aussi comme soutien aux normes établies. La culture comme composante dans le fonctionnement des organisations expose à des effets inattendus. Elle peut compenser pour la rationalité limitée, mais la culture peut aussi jouer des tours, surtout lorsqu’on tente de l’altérer trop directement. Les pratiques, croyances et artéfacts produits par la culture sont en ce sens les résultats de l’application des normes institutionnelles puisqu’elles découlent de décisions antérieures qui ont alors laissé des traces de leurs choix.

La décision

Herbert Simon décrivait l’organisation comme une machine à prendre des décisions. Simon partait de l’intuition que c’est la décision qui orchestre l’action collective d’une organisation. L’organisation est pour Simon une machine à prendre des décisions non seulement parce qu’elle en prend, mais parce qu’elle tend aussi à archiver les décisions antérieures pour utilisation future. La mémorisation capture les résultats devant les effets anticipés (échecs/réussites, optimisation des résultats, éthiques désirées) afin de conditionner les décisions futures selon les associations tirées des leçons apprises. Ce phénomène a lieu de plusieurs manières. On peut noter les moyens formels (réunions, évaluation célébration), ainsi que des moyens informels (valeur de l’idée centrale, perspectives élargies, teneur optimale des propos, nouveau langage).  Or, selon Simon le processus de prise de décision n’était pas parfaitement étalé. En particulier, Simon accentuait que les effets des décisions étaient très souvent imperceptibles. Entre deux options, les effets anticipés ne pourraient être connus qu’après, mais alors, la décision étant prise, il ne serait plus possible de revenir vers l’arrière dans le temps pour prendre l’autre. Cela porte Simon à observer que les personnes humaines sont capables de raisonnement logique, mais typiquement seulement en vase clos. Sous l’effet de la rationalité limitée, Simon observait que les décisions ne pourraient jamais tenir compte de toutes les options possibles et qu’elles étaient disposées à se limiter autour des informations immédiatement accessibles par le décideur. Il y aurait des limites sur nos prises de données et sur l’accès aux connaissances.

Pour March et Olsen, la prise de décision ressemblait beaucoup plus à côtoyer une branche. Le décideur allait faire quelques pas en arrière vers les décisions antérieures, quelques nodes de la branche, mais rarement plus loin. En effet, pour March et Olsen, le temps, les informations limitées et même les limites cognitives de l’humain sont des contraintes sur la prise de décision qui font en sorte de limiter le nombre de décisions antérieures qu’il est possible de référencer. March et Olsen étaient similairement à Simon critiques de ces chercheurs qui prétendaient que toute décision consistait à remonter à tous les détails possibles. Les observations de March et Olsen font écho à la rationalité limitée. Pour tous les trois, les décideurs n’avaient tous simplement pas devant eux des informations qui contiennent toutes les options, considérations et effets anticipés par une décision qu’ils s’apprêtent à prendre. La seule différence étant que Simon parle de computation alors que March et Olsen expliquer plutôt selon la cognition. Tous reconnaissent l’effet du contexte.

La décision est le cadre conceptuel pour comprendre comment les organisations traitent de la multiplicité des problèmes que rencontrent leurs activités. Ce sont des résolutions de problèmes selon des critères qu’elle s’est elle-même imposées. Elle peut se l’imposer sur le plan des effets anticipés : augmentations des revenus, approvisionnement en ressources naturelles, satisfaction d’un segment de clientèle. Une décision peut toucher à la planification (stratégique et autre), l’évaluation de la performance, le contrôle des stocks et des finances, l’embauche et les ressources humaines, etc. La décision peut affecter toute partie de l’entreprise et différentes décisions confrontent l’organisation entre sa conceptualisation et son déclin. La décision est dans tous les cas et à bien ou moins grande mesure, réductible à trois composantes essentielles. Toute décision comprend au minimum des options et la décision rationnelle consiste à lui ajouter des considérations et des effets anticipés. Typiquement dans le monde des affaires, un processus de prises de décision consiste à étaler options, considérations et effets anticipés selon la poursuite d’économie, d’efficience et d’efficacité. Si l’entrepreneur n’arrive pas à prendre des décisions qui permettent d’introduire assez d’économies, d’efficience, efficacité pour générer un bénéfice, l’entreprise en soi sera menacée dans son existence. Le but dans l’entreprise est de prendre des décisions de sorte que les extrants puissent être plus financièrement importants que les intrants.

Une décision doit contenir au moins une option à celle de ne rien faire. La décision est logiquement située comme une action posée contraire au nul. La nature de ce que peut être une option est liée aux circonstances de la décision. Une option (rationnelle) est proposée par la présence d’un problème et demeure liée aux interactions organisationnelles, ces rapports que maintiennent les personnes dans le monde des organisations. Une banque entretient des options entre les choix et les formes de ses instruments financiers. Un agriculteur compare les semences différentes et la provenance des graines (ses ‘intrants’). Un assureur détermine les polices et les taux qu’il va offrir. Cette ‘nature des choses’ est celle qui ramène l’étude des organisations vers la proximité et les rituels qui marquent le quotidien des espaces de bureaux et des lieux de production ouvrière. Le concept de l’option décisionnelle reconnait un genre d’activité qui accorde à l’industrie sa spécificité. Les secteurs, domaines et industries sont caractérisés en partie par la distinction des décisions qu’ils auront à prendre. On reconnait l’industrie bancaire selon les activités auxquelles se portent les banques et ces activités, comme partout ailleurs, déterminent quels genres de décisions y sont prises. Dans le secteur public par exemple, les gestionnaires prennent part à des décisions dans la poursuite d’objectifs de programmes. Il peut être question du genre d’instrument d’intervention utiliser (crédits d’impôt, soutien direct, etc.) comme il peut être question des considérations à tenir compte (ex. : étude d’impact environnemental). La présence d’une option est la seule des caractéristiques de la décision qui soit essentielle, les décisions pouvant être prises sans considérations ou effets anticipés (on parlera alors de décision irrationnelle).

Le rôle des considérations est, dans le sens très spécifique du terme, déterminant. C’est-à-dire que c’est au niveau des considérations que l’on introduit les informations susceptibles de faire orienter le choix de la décision entre les options. Les tableaux de bord, les indicateurs de performance et les autres mesures de suivis des activités ne sont finalement que l’instrumentalisation des considérations décisionnelles. Les considérations sont de toutes sortes pour les mêmes raisons qui expliquent la variété des options qui peuvent exister. C’est-à-dire qu’elles sont en partie définies par la nature des activités de l’organisation. Mais comme elles introduisent une fonction argumentative à l’appui de l’une ou l’autre des options, leur nature est de passer au jugement. Les considérations d’une décision révèlent le parti pris, aussi minime ou implicite soit-il. Ce n’est pas seulement la RSE qui peut s’imposer comme considération, mais la RSE est un exemple d’un parti pris décisionnel qui se fera noter selon le poids qu’on accorde à la conformité de ses actions avec les normes institutionnelles. Ces modèles de prise de décision tiendront compte des indicateurs socio-économiques et de l’impact social. La poursuite du gain, l’ambition de développement économique, l’avancement de la personne représentent d’autres formes générales de considération susceptible d’être traduite en considération décisionnelle, chacun avec ses indicateurs (respectivement aux exemples, l’argent, croissance du marché, accréditation). Tout parti pris implicite sera à concrétiser pour les adapter aux options. Autrement dit, les considérations sont elles aussi inspirées de la variété des circonstances de l’activité organisationnelle, mais elles sont de plus une application concrète de normes (responsable ou non). La perception d’un départage des normes sur le plan des considérations explique le sens de scandale qui peut émerger lorsque, par exemple, il est observé qu’une entreprise de logement exacerbe les revenus des locataires par des augmentations insoutenables dans les faires de loyer. Pas tous y verront un scandale, mais le fait d’en voir un (c’est-à-dire d’être outragé) est une admission qu’il y a dans les considérations décisionnelles des propriétés un équilibre entre responsabilité sociale et profit qui n’est pas le nôtre.

Enfin, une décision anticipe (ou non) un effet. Même vague et peu réfléchie, la décision peut prévoir affecter l’état actuel des choses. La décision est ici marquée par l’intention d’altérer un statu quo. Mais alors, pour cette précise raison qu’il projette vers un futur incertain, l’effet anticipé semble le moins rattaché à la réalité de la nature des activités. C’est ici que l’imagination est la plus libre, les options et considérations étant d’abord structurées par la nature des activités de l’organisation. Les effets anticipés peuvent aller du très sérieux et raisonnable (croissance des revenus fondés sur une formule dérivée de l’expérience passée) à la pure spéculation (« je serai milliardaire demain matin »). Bien sûr, que l’effet soit anticipé n’est aucunement signe qu’il est rejoint. D’abord parce que même la planification la plus rigoureuse peut échouer, mais ensuite parce que toute cette planification renfermera toujours la possibilité d’une projection malmenée ou d’une trajectoire alternative des événements (parfois plus simplement d’un peu trop de fantaisie). Et puis aucunement que la transformation des intrants en extrants de plus grande valeur est assurée, comme en témoigne brutalement les faillites d’entreprise.

La structuration en trois composantes peut sembler comme un retour vers la conception primitive et purement rationaliste de la décision prévalente avant les écrits de Herbert Simon. Elle est intellectuellement séductrice. L’angoisse de l’incertitude peut sembler moins envahissante lorsqu’on parvient à se convaincre qu’il ne s’agit que d’appliquer un instrument ou une formule pour la contrôler, et en ce sens, il faut s’en prémunir. Toute idée qui nous cache la complexité de la réalité nous rend potentiellement un très mauvais servir. Mais la simplicité de la décision en trois composantes n’est pas le pur rationalisme que déjà Simon rejetait. Au contraire, la conception de la décision en trois composantes n’exclut aucunement que les options soient limitées par les précédents peu connus, que les considérations soient rendues obscures ou que des résultats anticipés soient très exactement réalisés. Il faut définitivement abandonner la confortable perspective qui projette la possibilité d’une décision purement rationnelle, mais cela ne veut pas dire qu’il faille aussi abandonner toute ambition de schématiser la prise de décision. Il n’est pas possible de prendre en considération toutes les options, de les comparer selon les ‘meilleures’ considérations et d’anticiper les effets, mais cela ne veut pas dire que nous ne soyons pas capables d’étaler quelques options, quelques considérations et d’anticiper avec plus ou moins de certitudes les effets. Simon parlait bien de rationalité limitée et donc pas absente. Un modèle rationnel est limité dans sa portée par les circonstances, la cognition et la computation, mais Simon voyait clairement que les organisations peuvent apprendre et donc parfaire leur prise de décision. La prise de décision intériorise, sous forme de mémoire organisationnelle, les expériences de manière à doter l’organisation d’une plus grande finesse et de repousser les limites de nos univers décisionnels. Faute d’apprentissage, les membres de l’organisation seront limités à prendre des décisions selon leurs propres connaissances (pour le bien ou le mal de l’organisation).

La culture

La culture est un phénomène anthropologique par lequel les personnes humaines peuplent leurs univers de sens. La culture procure des points de repère sur comment vivre. Nous participons à une culture lorsque ses rituels nous semblent aller de soi. Tout rassemblement en continu d’êtres humains crée des cultures. La culture est un phénomène que l’on rencontre tous les jours et auquel chacun de nous est appelé à contribuer, le plus souvent inconsciemment. Il y a de la culture à tous les niveaux des groupes humains, de la famille à la société. Croyance, pratiques et artefacts vont apparaitre du moment que l’on est en contact avec d’autres. Les organisations modernes ne font aucunement exception. L’organisation moderne serait caractérisée par sa convergence vers une cohérence interne (Weber, 1997). L’explication de Weber ne puise pas directement dans la notion de culture organisationnelle, mais le concept de cohérence interne pointe à la présence d’une substance unifiante en organisation. Weber de plus perçoit le phénomène de convergence au niveau des pratiques, croyances et artéfacts (bureaucratique, dans le cas de Économie et Société). La culture en organisation est cette cohérence interne, aussi fragile et inconséquente soit-elle. Elle sert d’encadrement pour la prise de décision, qui sera alternativement très lourde (anciennes organisations, ayant accumulées beaucoup de mémoires et vivant dans une culture à haut contexte culturel) ou très légère (startup dans un marché embryonnaire avec peu de contextualisations culturelles).

Les entreprises, comme toute organisation, développent à la longue leurs propres pratiques croyances et artéfact pour soutenir, ne serait-ce que symboliquement, un sens d’appartenance aux travaux qui y sont déployées. La culture est distincte de la mémoire organisationnelle. Les leçons apprises, rétroactions à l’égard du projet et rapports d’évaluation sont des formes le plus souvent écrites, mais autrement activement discutées d’apprentissage. Les personnes concernées en sont conscientes et capables d’en parler. La culture par définition opère sur le subconscient. Non que nous ne soyons pas connaissant des pratiques, croyances et artéfacts qui peuple nos univers organisationnels, c’est plutôt qu’ils nous apparaissent comme allant de soi et donc banals. L’effet de la culture sur la prise de décision passe par autant de procédures à suivre (pratique, ex. : procédure pour le retour d’un achat), des bienfaits du produit (croyance, ex. : crème promouvant la bonne santé de la peau) ou la valorisation symbolique des lieux de travail (artéfact, ex. : garage fondateur d’une entreprise de technologie).  La culture est la dimension semi-consciente qui agit sur les décideurs et dans laquelle se classent ces sources de pressions normatives qui justifient les banalités administratives.

À sa manière, la culture appliquée aux organisations encadre la prise de décision, suggérant des options, fournissant des considérations et proposant des effets anticipés. Aussi à sa manière, la culture vient outrepasser les limites circonstancielles, cognitives et computationnelles. La culture peut suggérer quelles considérations devraient instinctivement se présenter ou être priorisées. La culture organisationnelle peut notamment orienter l’équilibre des considérations. L’observation d’une continuité dans la médiocrité d’un service fait voir une culture de la complaisance et la possibilité de soudoyer pour obtenir gain de cause alors qu’on a tort fait voir une culture corrompue. La culture est un panorama considérationnel qui peut ancrer le jugement implicite à la considération. D’une perspective culturelle, le calcul de la proximité aux normes passe beaucoup plus directement avec la conformité aux valeurs. La décision rationnelle s’appuie sur un équilibre atteint entre considérations quantifiées (ou du moins quantifiables), mais une décision puise dans la culture de l’organisation pour justifier ses pratiques, croyances ou artéfacts conformément à son image de soi (la culture ayant ici été définie comme la procuration d’un sens au sujet de soi-même). La culture impacte la décision moins selon ses aspects informationnels, mais plutôt ses aspects symboliques et significatifs.

Le travail de développement de sa culture organisationnelle est un travail de considération mené par l’introduction et la modification des pratiques, croyances et artéfacts symboliques. Par exercice de volonté, notamment comme manifestation de leadership, il est possible de changer une culture organisationnelle. C’est ce à quoi s’attarde une part des conseils en gestion, dont les travaux consistent très souvent à transformer la culture d’une organisation au niveau des pratiques (routine des travailleurs), croyances(mission) ou artéfacts (changement de logo). Il est toutefois important de noter que cette convergence n’est nullement assurée. Il peut certes exister un cynisme de la part des travailleurs, ou un désengagement par méconnaissance des institutions (ou par perception que la chose est « quétaine »). Mais tout comme les normes institutionnelles ne sont pas significatives de leur parfaire obéissance, l’engagement envers la mission de l’organisation n’est pas non plus un jeu cynique de ‘Team-building’. La culture n’est jamais entièrement maitrisée, mais elle est néanmoins présente et n’en demeure pas moins un principe de cohérence interne. Et aussi externe, dans ce qu’elle standardise la gestion des multiples relations de l’entreprise, y compris de son lien de fédération à la société. En effet, l’entreprise s’inscrit sous forme responsable en reflétant un sens de responsabilité inscrite dans les institutions qu’elle choisit (consciemment ou non) de refléter dans sa culture.

C’est ainsi que la culture peut être un outil de gestion par lequel s’assurer d’une harmonie dans la prise de décision en organisation. Elle est en cela très utile pour des organisations dont la taille rend impossible le contact direct et proximal de tous avec tous. Le PDG n’a pas le temps de voir 500 employées tous les jours, mais il peut chercher à forger une culture qui fera en sorte que les décisions seront similairement influencées. Une culture commune peut faire en sorte que les gens vont prendre des décisions selon un sens bien défini de l’organisation. Ainsi, ‘cultiver’ son organisation revient à lui assurer un mode de prise de décision qui sera commun à l’ensemble de l’entreprise, non pas par la procuration des informations pertinentes, mais par la communication d’un équilibre désirable des considérations. Or, la culture n’est pas simplement un autre outil. Comme nous n’en sommes que partiellement conscients (certaines pratiques étant si profondément ancré chez soi qu’elles paraissent ‘normale’), la culture n’est pas entièrement quelque chose que l’on peut contrôler.

Conclusion

La décision a été étudiée de plusieurs façons. L’aspect rationnel de la prise de décision coïncide avec l’émergence des organisations modernes, mais il ne fallut pas longtemps avant que des observateurs s’aperçoivent de la présence d’un tissu social dans l’activité des organisations. Cette observation est tout à fait dans la perspective soutenue dans le manuel de la société comme phénomène universel, mais à échelle variée. La culture étant un produit de la socialisation, il faudrait s’attendre à la voir à toutes ces mêmes échelles. Il faudrait aussi s’attendre à retrouver des pratiques, croyances et artéfact. Il ne fait pas toutefois peut-être pas l’accord de tous et toutes que la culture soit pensée comme un aspect de la prise de décision. Elle peut sembler un processus trop diffus pour y être directement associé. Mais ne serait-ce que l’importante industrie du conseil en gestion et de son appui considérable sur la notion de culture organisationnelle, on pourrait finalement observer, pour soutenir l’importance de la culture en organisation, qu’elle renferme un équilibre des valeurs pouvant définir un ordre de considérations décisionnelles. Or, la prise de décision sera sans doute toujours prioritairement un processus qui se veut rationnel. Il se soumet à une planification, dont l’activité principale est de glaner les informations accessibles afin de les traduire en options, considération et effets anticiper.

Rien n’exclut de penser les deux parallèlement. On discerne entre la décision et la culture deux écoles de pensée sur l’activité d’entreprise, mais en effet penser la culture comme un ‘panorama’ des composantes possibles à la prise de décisions offre un schéma théorique qui ne fait perdre à chacun que très peu. Une perspective centrée sur la culture doit en partie laisser de côté le pur déterminisme selon lequel elle fonctionne afin de reconnaitre une plus grande agence (rationnelle) au décideur. Le degré de déterminisme culturel dans la prise de décisions partage aussi les chercheurs. À l’inverse, une perspective centrée sur la prise de décision rationnelle peut trouver dans la culture le tissu social dans lequel seraient inscrits les apprentissages (y compris les très profonds). Quoique ces cheminements théoriques aient surtout évolué distinctement, leur rencontre semble naturelle (mis à part ces quelques antagonismes académiques). La notion de ‘rationalité limitée’ mise de l’avant pas Simon retrouve ainsi une pertinence dans une perspective culturelle, puisqu’elle explique comment cette rationalité puise dans la culture de l’organisation, elle-même un produit de son contexte (parfois inconscient de la part des personnes). Simplement dit, la culture peut compenser la rationalité limitée.