Introduction au manuel
Introduction
Ce chapitre d’introduction au manuel étale les principaux concepts qui y seront utilisés afin de comprendre le monde des organisations. Le monde des organisations est un univers social au sein duquel les personnes exercent leurs sens de gestion. Les organisations sont partout et de tout genre. Certaines organisations travaillent selon des codes institutionnels très bien définis : c’est le cas des organisations gouvernementales, régies par une supervision publique et qui ont souvent eu très longtemps pour développer les normes (écrites) qui doivent les gouverner. Par contre, d’autres organisations, telle une association de quartier par exemple, peuvent n’avoir que très peu de structure formelle et opérer à partir de normes non écrites. Les organisations bénéficiant d’institutions formelles pourront compter sur celles-ci pour continuer à légitimer leur existence, pourvu que ces organisations soient en mesure de mettre en pratique les normes prescrites par les institutions auxquelles elles souscrivent. Par contre, ces organisations dont les institutions gouvernantes (ces ensembles de normes) sont incertaines, peu ou pas établies au sein de la multitude des gens, ne pourront pas bénéficier de ces supports (mais auront alors moins de contraintes sur leurs comportements). Il y a des institutions partagées à grande échelle, telle la famille, dont la portée va bien au-delà des organisations qu’elle renferme. Une famille ne connait pas toutes les autres familles, mais elle aura une idée générale de ce en quoi consiste une famille, idée qui sera ouverte à l’adoption par d’autres familles. Les institutions peuvent aussi être la réserve de bien peu de gens, pour le bien (des institutions spécialisées, telles les normes ISO, où les connaissances requises ferment nécessairement la participation à tous sauf les initiés) ou pour le pire (des institutions gouvernementales contrôlées par une clique de hauts placés). Il y a ainsi des institutions d’affaires, soit des règlements formels et informels qui dictent ce qui est et ce qui n’est pas acceptable comme comportement pour les entreprises, de l’avis des gens, des agences de contrôle et des tribunaux. L’histoire du monde des organisations est ainsi celle de la formation des sociétés, petites et grandes, selon les ambitions d’organisations des personnes autrement isolées dans la multitude des gens. Les études des organisations nous invitent à lire l’histoire selon les naissances, croissances et déclins d’institution. En exerçant un sens plus ou moins bien défini de gestion, les particuliers empruntent aux normes institutionnelles (lorsque disponibles) et forment des sociétés de capitaux (une ‘entreprise’), comme des sociétés nationales (‘LA société’, celle qui cherche à rassembler la multitude des gens). Les sociétés, grandes et petites, proposent ainsi un portrait en évolution perpétuelle qui est encadré par des permissions et des interdictions, des obligations et des rapports de pouvoir, des idées et des aversions, des opportunités et des entraves. À l’époque actuelle, le tout est couronné par le désir d’informatiser la compréhension de cette série infinie de contacts entre les personnes et les groupes qui ensemble forment cette vaste nappe humaine ici intitulée ‘la multitude’.
Les trois secteurs des organisations
Les études des organisations procèdent traditionnellement tenant compte d’une distinction en trois secteurs. On y reconnait assez universellement le secteur public et le secteur privé. Le secteur dénommé tiers attire d’autres désignations : volontaire, associatif, non gouvernemental, sans but lucratif, etc. Ce troisième secteur renferme typiquement ces organisations qui ne semblent ni entièrement du secteur public, ni entièrement du secteur privé. L’enseignement de la gestion, comme forme appliquée de l’étude des organisations, suit naturellement cette division selon les secteurs. Les programmes d’études universitaires et collégiales divisent l’enseignement des trois en facultés et en cours. Il est bien sûr possible d’insister sur les caractéristiques spécifiques à la gestion dans chacun, mais l’acte de gérer retrouve entre les trois une unité conceptuelle : la gestion comme ambition d’assurer un contrôle sur le déroulement d’initiatives organisationnelles. La continuité du terme de ‘gestion’ communique dans tous les cas la disposition à prendre des décisions au sujet des effectifs et ressources disponibles dans la poursuite d’un objectif. L’étude de la gestion cherche à conscientiser à ce phénomène, en particulier les moyens d’y procéder de manière optimale. Entrevoir la multitude des personnes humaines selon l’acte de gérer ouvre sur un questionnement: pourquoi nos préoccupations communes et humaines, telles la santé et l’éducation, sont-elles différemment gérées au sein des nombreuses juridictions du monde? Pourquoi existe-t-il dans chaque, pays, région, province, département ou municipalité des configurations distinctes de sociétés formées pour répondre aux problèmes rendus communs par les conditions de l’existence humaine ? Il semble en effet avoir été possible de construire partout de vastes systèmes d’organisations intercalées de manière à créer les richesses matérielles, faire avancer les connaissances scientifiques, soutenir les services aux personnes et bien d’autres réalisations. Chacune de ces juridictions semble être arrivée, à divers degrés de développement, à une configuration de sociétés qui lui est assez particulière ainsi qu’à des principes correspondants d’organisation. La distinction conceptuelle entre les organisations publiques, privées et tierces sera à problématiser plus loin, mais elle demeure importante parce qu’elle nous permet une porte d’entrée pour cartographier les configurations observables à travers le monde.
Ce que l’on désigne comme la modernité serait le fruit d’une révolution silencieuse entamée au 19e siècle et selon laquelle tous les gestionnaires ont appris à parler la même langue. Cette langue est celle des grandes fonctions de l’organisation. Ainsi, la gestion, comme activité à la promotion de l’organisation, est partout caractérisée par le contrôle budgétaire, le maintien de principes d’adhésion au groupe (les ressources humaines), les communications, la conformité réglementaire, bref ces nombreuses fonctions et préoccupations que renferme le phénomène d’organisation. Quatre d’entre eux sont ici retenus pour distinguer les organisations publiques, privées et tiers: la raison d’être (mission), la source du financement, la forme organisationnelle et le type de contraintes qui les gouvernent.
Secteur | Raison d’être (Mission) | Financement | Formes d’organisation | Contraintes typiques |
Public | Distribution des richesses par l’ouverture d’un accès commun aux services | Taxes et impôts | Départements (ministères), forces armées, tribunaux, conseils, autorités | • Politique: électeurs, groupes de pression, opinion publique
• Exigence d’efficacité • Rapport de citoyen |
Tiers | Voir aux besoins ignorés ou impossibles par l’entremise des autres secteurs | Dons, subventions, service (volontaire) | Organisme de charité, entreprise à but non lucratif, groupe volontaire, groupe de lobby/pression | • Social: croyances et valeurs communes
• Exigence d’économie • Rapport humanitaire |
Privé | Création de la richesse par la production de biens et services | Investissements, gains et revenus de transaction | Entreprise à part entière, partenariat, corporation à responsabilité limitée | • Économique: concurrence et discipline du marché
• Exigence d’efficience • Rapport de client |
Le secteur public découle de la communauté politique que forme la multitude, ce que l’on nomme parfois LA société. La communauté politique, comme toute société humaine, se dote de valeurs qu’elle cherche à introniser au cœur de ses institutions (publiques). Au Canada, ces valeurs de redistribution des richesses ont longtemps été au cœur du projet de la fédération, dont le but demeurait de produire un standard de vie plus ou moins acceptable pour tous. Cela n’est pas dire qu’elle y parvient, ou même que ce consensus sur la raison d’être de la fédération soit toujours en place. Et bien sûr les décideurs, au sommet de qui gouvernent les élus, y apportent leurs propres visions. Mais la présence de cette discussion ‘publique’ et la responsabilité que maintien la communauté politique pour l’atteinte de ces conditions socioéconomiques acceptables par la majorité est un appel qui retentit, d’une manière ou d’une autre, non seulement au Canada, mais partout dans le monde. Pour peu qu’ils le fassent, même les dictatures prétendent et ont prétendu au 20e siècle être ‘pour le peuple’. Le secteur public est de bien des façons l’extension des moyens nécessaires pour prétendre à cette vision. Dans la tradition Westminster, que le Canada partage, l’approche consiste à permettre aux élus de réglementer la variété des sources de prélèvement que l’on désigne par le terme ‘taxes et impôts’. Le rapport au particulier dans le secteur public d’un État (authentiquement) démocratique est un rapport citoyen et repose sur une obligation découlant de ce rapport de contribuable. C’est à titre de ‘payeur d’impôts et de taxes’ que les citoyens du pays réclament leur mot à dire sur l’orientation stratégique des organisations du secteur public.
Comme nous aurons amplement le temps de le voir dans ce manuel, le secteur privé est peuplé de sociétés que l’on intitulé ‘entreprises’ et qui déploient un sens d’organisation dédié à la création des richesses. Les entreprises du secteur privé produisent des biens et des services sur la base de revenus anticipés. Il y a plus de 200 ans depuis que les économistes, notamment Adam Smith, ont noté la capacité de création des richesses découlant des entreprises privées. Le lien entre l’entrepreneuriat et l’amélioration collective des conditions matérielles de la multitude alimente l’idée que c’est principalement par la valorisation des efforts privés que nous parvenons à faciliter nos vies et réduire le fardeau de l’existence. Nous verrons dans ce manuel que la poursuite du profit n’est que l’un parmi plusieurs types d’objectifs que peut se donner une entreprise. Mais il y a aussi ici acceptation que la poursuite du gain agit comme motivation à l’individu dans une formule qui peut, dans les bonnes circonstances, bénéficier à la multitude. La valeur ajoutée par les efforts entrepreneuriaux peut ou non être convertie en profit (ou en bénéfices communautaires, ou en réinvestissement dans l’organisation, ou en insérant une plus longue durabilité de ses activités). Il y a quelques formes organisationnelles distinctes au secteur privé. Mentionnons ici seulement les trois principales, soit l’entreprise individuelle (lorsque vous êtes propriétaire unique), la société en nom collectif (le ‘partenariat’, soit lorsque vous êtes propriétaire avec quelqu’un d’autre) et la société de capitaux (société incorporée, entité constituant une personne morale, mais pas humaine dont la propriété est assurée par la possession des parts). Enfin, les sources de contraintes existent aussi pour le secteur privé; on y retrouve aussi des institutions, mais elles sont différentes. L’État, découlant du secteur public, peut jouer un rôle dans le secteur privé, par l’entremise de ses politiques économiques (comme nous l’explorons au chapitre 4), mais dans le quotidien le secteur privé est plus directement gouverné par ses rapports aux clients (fondés dans le commerce et l’échange) que par un rapport de citoyen (fondé dans les obligations et le droit).
Le secteur tiers, à bien des égards, rassemble ces organisations qui ne rencontrent pas bien la définition d’une organisation publique ou celle d’une organisation privée. Les organisations qu’on y retrouve semblent dirigées vers des missions de réponse aux besoins que ni l’un, ni l’autre de deux secteurs semble disposé à assurer. On y retrouve historiquement les services aux personnes démunies, que l’État et ses départements ne peuvent ou ne veulent pas assurer et dont la provision est difficilement compatible avec la poursuite de la valeur ajoutée au cœur du fonctionnement des organisations du secteur privé. Par définition, on ne peut pas vendre quelque chose à quelqu’un qui n’a pas d’argent (il faudrait le donner et donc organiser tout le modèle de l’entreprise sur un mode ’social’) et à moins que les législateurs autorisent la dépense de fonds pour alimenter des programmes d’allègement de la pauvreté, les fonctionnaires de l’État n’y peuvent rien non plus (encore faut-il confectionner des programmes effectifs à l’égard du problème). Les organisations du secteur tiers sont très souvent instables sur le plan financier, car leur alimentation en ressources financières dépend de la bonne volonté des particuliers et des entreprises privées, ou d’un succès dans un concours public de financement. Les formes organisationnelles qu’on y retrouve sont d’une plus grande variété, mais ici c’est parce que les institutions qui les gouvernent sont très souvent de nature informelle et diffuse. En effet, l’allègement de la pauvreté n’a pas la structure institutionnelle formelle qu’aurait, par exemple, l’obligation d’un ministre de rendre compte des activités de son département ou même celui d’un PDG de divulguer les états financiers de l’entreprise au comité d’administration. Or, si elles sont plutôt vagues, les institutions qui gouvernent le tiers secteur semblent aussi les plus fondamentales, faisant assez directement appel à des notions telles que le droit naturel et l’humanitarisme.
D’une juridiction à une autre alors, les responsabilités pour le maintien de la multitude font état de partages différents. Toute juridiction renferme des proportions particulières entre les trois secteurs. Certaines juridictions ont des secteurs publics plus ou moins larges relativement à leurs secteurs privés et tiers. Ces systèmes d’organisation public, privé et tiers sont si denses en interaction, règlements, procédures et fonctionnalités qu’ils sont déterminés à être, d’une juridiction à une autre, uniques. La santé, l’éducation, l’alimentation, l’accès à l’eau, la gestion du territoire, l’accès au logement sont assurés, dans les différents pays, par des organisations provenant des différents secteurs dont les interstices sont respectifs à chacun.
La santé au Canada et ailleursLe Canada est certes un exemple pour qui le domaine de la santé s’appuie sur une configuration organisationnelle fortement ancrée dans le secteur public. Le secteur de la santé y est surtout public, avec des petits coûts associés à des services issus du secteur privé (l’assurance hospitalière, par exemple).
Aux États-Unis, on retrouve un système privé d’assurance essentiellement fondé autour d’un rapport individuel (de clientèle), notamment dans l’emploi. Il existe bien sûr quelques programmes publics à la marge, mais aucun d’eux ne remet en question les fondements du système, qui demeure gouverné par un rapport (individualiste) de clientèle. Enfin, on retrouve à Singapour un système mixte, qui repose sur des contributions individuelles auxquelles les citoyens sont contraints. Les organisations de l’État (secteur public) imposent sur les revenus un montant qui est versé dans un compte associé à la personne et duquel seront tirés les fonds pour payer tout soin futur. Une préoccupation commune, la santé, a donc fait l’objet d’un développement différent dans ces trois juridictions. En principe, il semble possible de répondre à toute préoccupation issue de la multitude des personnes par toute forme de configuration organisationnelle. Mais il faut aussi s’attendre à des résultats différents et correspondants à la configuration évoluée. |
Qu’est-ce que la distribution optimale des responsabilités, quel secteur devrait être responsable pour le maintien de telle ou telle de nos préoccupations collectives? Voilà des questions auxquelles nous heurte l’étude des organisations. Une vision par trois secteurs organisationnels est une façon d’avancer dans cette investigation, mais comme nous le verrons, la réalité est infiniment plus nuancée. Plusieurs organisations semblent à la marge de leur secteur, au point de basculer dans un autre. L’entreprise sociale est parfois indissociable, y compris sur le plan de sa personne judiciaire, d’un organisme à but non lucratif (OSBL). Une société de la Couronne (société d’État) est une organisation du secteur public qui agit comme une entreprise. Depuis déjà quelques décennies, il est de pratique de confier à des organisations du secteur tiers la responsabilité pour la livraison des programmes gouvernementaux. On pourra éternellement discuter de l’étanchéité des trois secteurs, cela n’empêche pas que la division en trois ait une utilité conceptuelle (et donc pédagogique). Il faut donc essayer de se faire une idée de cette division en trois des types d’organisations qui forment les systèmes de gouvernance de la multitude, tout en retenant la possibilité des nuances infinies au sein de cette catégorisation, somme toute, arbitraire.
Les institutions
Tout n’est pas permis dans la multitude. Il y a des lois, produites au sein des législatures des États, ainsi que des codes moraux qui à leur manière (c’est-à-dire avec moins de conséquences en cas de non-respect) interdisent certains comportements. Dans plusieurs de ces cas (telle l’interdiction de faire violence à quelqu’un), ce n’est pas seulement la loi qui interdit puisque ce comportement (de ne pas faire violence) est aussi présent en l’absence d’un représentant de la loi. Il y a ainsi la possibilité d’un contrôle de soi qui est naturellement inscrit dans le comportement humain et qui participe activement au maintien de rapports non destructifs entre les personnes. Autrement dit, ce n’est pas uniquement la loi qui vous décourage de porter violence à quelqu’un et donc les contraintes sur le comportement ne découlent pas seulement des lois en vigueur. Nos comportements sont le résultat d’une grande variété de croyances, pratiques et perspectives qui nous sont suggérées par d’autres autour de nous, mais comme être humain nous sommes aussi capables d’agence, c’est-à-dire de comportement voulu et motivé de façon autonome. La sociologie, c’est-à-dire l’étude de la multitude et des sociétés qui s’y forment, maintiendra éternellement ouvert le débat à savoir si nos comportements sont déterminés par les influences (institutionnelles) générées par la multitude ou si nos comportements sont dirigés par notre agence individuelle effectuant des choix de manière autonome.
Les collections de ces normes, c’est-à-dire les agglomérations de ces savoirs, croyances, pratiques et artefacts qui réglementent le comportement forment ce que l’on nomme les institutions. Les institutions sont donc des règlements autour de ce qui est acceptable comme comportement (et, par défaut, ce qui ne l’est pas). Elles sont érigées, souvent dans le temps et au gré des circonstances, afin d’assurer l’entretien de la multitude. Une institution nait des interactions et des événements qui ont nécessité la définition des codes informels de comportement et des lois (ces codes très formels attachés à des conséquences précisées et mis de l’avant par l’État). Il y a des institutions qui sont larges et qui touchent à de nombreux domaines d’activité. Dans le monde des organisations, on pourrait citer les pratiques en matière d’inclusivité, puisque les organisations qui ont été touchées par elles peuvent être retrouvées au sein de n’importe lequel des trois secteurs. D’autres institutions, telles les attentes et bonnes pratiques dans l’industrie de la construction, seraient plus spécifiques à leur domaine. L’institution de la famille discutée comme exemple dans l’introduction renferme les normes d’obligation qui doivent exister entre membres rapprochées par la biologie ou l’engagement d’une vie vécue ensemble. L’institution de la famille dicte notamment quelles sont les attentes de base d’un parent à l’égard de son enfant et pour rappeler les nuances de la chose, soulignons que certains de ces comportements sont codifiés par la loi (la nécessité pour un parent de nourrir son enfant) alors que d’autres ne le sont pas (il n’est pas obligatoire d’inscrire son enfant dans une activité sportive, même s’il est généralement reconnu que cela lui sera bénéfique). Comme dépôt de normes, les institutions ne sont pas typiquement visibles. On en retrouve parfois des artefacts (une manifestation matérielle des institutions, par exemple le document de la Constitution de 1982, sur lequel reposent les signatures des originales et qui donne forme à nos institutions démocratiques). Or, en principe, les institutions sont un phénomène social qui ne se plie pas bien aux cinq sens de l’humain, mais exigence plutôt un effort intellectuel pour les voir.
Les institutions générales, celles auxquelles tous et toutes souscrivent sont très larges et d’un nombre relativement limité. La culture (sociale), l’État, le marché sont celles qui émergent le plus évidemment. Certaines institutions transgressent la distinction en trois secteurs, mais d’autres gouvernent spécifiquement l’un ou l’autre. Il serait impossible qu’une seule personne puisse souscrire à toutes les institutions que produit la multitude étant donné les contraintes de temps et d’espace qui encadrent l’existence humaine, mais non plus cela serait-il nécessaire. N’étant pas menuisier, je n’ai aucune conscience des bonnes pratiques de travail sur un chantier de construction. L’ignorance dans lequel je suis à l’égard de la menuiserie fait en sorte que les normes de travail m’apparaitront comme étant trop spécifiques pour que je puisse intelligemment les interpréter et les appliquer. Or, j’estime néanmoins qu’il existe entre les menuisiers des institutions qui guident la pratique de leur métier. Il y a de plus des organisations formelles associées à ces institutions des menuisiers, notamment les syndicats, les collèges et les centres de formation, et par extension, on peut même y ajouter les fabricants de leurs outils de travail (qui sont souvent obligés par la loi de fournir des manuels sur le bon usage). Le mécanisme réglementaire des institutions tend toutefois à se ressembler aux divers échelles et recoin de la multitude. Lorsqu’il y a un incident non couvert par une disposition institutionnelle existante, la résolution de l’incident tend à former la mémoire d’une norme pour usage ultérieur. C’est ce qu’on appelle dans certains cas, une ‘bonne pratique’, dont la conformité sera à assurer dans toute activité organisationnelle future (encore faut-il qu’il y ait un mécanisme de mémoire organisationnelle).
Les institutions sont donc créées et changées suite à des interactions sociales. Par les moyens employés, par les décisions prises et les considérations intériorisées, les activités des personnes contribuent au maintien des institutions en place ou bien travaillent à les changer (pour le bien ou pour le pire). Or, la présence d’une institution n’est aucunement significative de son respect. Ni la loi ni la norme ne peut garantir son propre respect. Le respect des lois et des normes dépend de la volonté des personnes et donc la possibilité du non-respect est toujours présente. Mais lorsque qu’une personne interpellée par l’institution ne suit pas les normes, le scandale (ou du moins un potentiel de scandale) s’ensuit et dans le pire de cas l’incident fera l’objet d’un débat public (par les médias, y compris les médias sociaux). Ainsi, la présence d’une norme ne signifie aucunement qu’elle sera obéie, mais son existence explique pourquoi certains comportements nous apparaitront comme étant ‘mauvais’ (et bien sûr, ce ne sont pas tous ces comportements répréhensibles qui sont interdits par la loi). La norme propose toujours un point de contraste. Le crime nous apparait comme crime précisément parce qu’il s’agit d’un comportement déviant à l’égard des institutions auxquelles l’on adhère. Sans institution de la propriété, le vol ne paraitrait pas répréhensible.
Dans le grand tumulte de la multitude, les institutions sont formées selon une formule générale qui semble bonne pour les organisations publiques, privées et tierces. Une fois que les gens se mettent à interagir, ces interactions créent des normes de comportement et encadrent les attentes institutionnelles. Ce n’est toujours qu’une question de temps avant que se forment et s’intronisent des institutions. C’est le modèle général de la multitude. Moyennant l’accès aux plateformes de communication (dont certains sont restreintes (la tribune publique, par exemple), mais d’autres accessibles (médias sociaux)), une personne peut engager un travail de formation d’institution. Il ou elle peut pointer du doigt les scandales ou même simplement les manques de consignes, afin d’orienter la formation de norme dans une direction correspondante. Œuvrer dans la multitude c’est comprendre le phénomène par lequel les institutions peuvent changer. Travailler à l’amélioration de la multitude revient à engager les gens dans la formation d’institutions qui visent des résultats qui leur portent bénéfice. Pour y arriver, il faut commencer à parler, il faut créer des mouvements de personnes, il faut cautionner les gens et les encourager à penser différemment. Il faut, en d’autres mots, faire preuve de leadership. La formation des institutions est le résultat de ces initiatives. Elle peut être dirigée au bénéfice de tous, de certains ou de quelques-uns seulement.
Les organisations
Les institutions, pour les besoins de ce manuel, ne sont donc pas les organisations. Les termes sont fréquemment interchangés, mais il est possible d’y introduire une distinction conceptuelle très utile à l’élaboration du propos de ce manuel. L’organisation est le phénomène social de la pratique collective de normes. Les organisations sont des incarnations concrètes de normes institutionnelles au sein des sociétés (associations de personne). L’organisation renferme des assises bien plus clairement fixées dans la réalité que les institutions, et dont certaines sont même évidentes à l’un ou l’autre de nos cinq sens. L’organisation possède typiquement un siège social (aussi transitoire soit-il) ou du moins un lieu d’activité que l’on peut situer géographiquement et dans lequel on peut se rendre. Elle communique selon l’usage d’un langage que l’on peut entendre et présente des logos que l’on peut voir. Il est possible de donner la main à l’un de ses représentants. L’organisation rassemble des individus particuliers (des ‘officiers’, selon le langage de Max Weber) qui prennent des décisions au sujet de l’utilisation des ressources matérielles, humaines et capitales qu’elle gouverne. Or, si elle semble mieux ancrée dans le réel, l’organisation est aussi un phénomène social et donc partiellement invisible. L’organisation fait état des obligations précises (contractuelle) et d’autorités distribuées entre les gens rassemblés. Elle est un phénomène à échelle variée, c’est-à-dire qu’il y en a de très petites (une seule personne) ainsi que de très grandes (où il ne sera jamais possible de rencontrer tout le monde). La gestion consiste à appliquer des moyens d’orienter les interactions de ces assemblages de personnes envers la réalisation d’un objectif futur.
Une entreprise est la forme organisationnelle qui correspond au secteur privé. Les organisations publiques et tierces sont autant que l’entreprise attelées à la gestion, dont le principe central consiste bien à convertir des ressources (humaines, financières, matérielles) en réalisations (produits). Toute organisation est ainsi dédiée à la transformation, dans le temps, de facteurs de production (intrants) par la prise de décision. Elles sont activées par une ou plusieurs personnes afin de créer des produits à valeur ajoutée. Pour chacun des trois secteurs, ce processus de réalisation de valeur ajoutée est structuré selon des caractéristiques qui lui sont particulières. Par exemple, dans le cas de l’entreprise, ces intrants et extrants sont insérés dans une formule de recherche du profit, alors que pour les autres, les bénéfices à générer par l’activité organisationnelle ne sont typiquement pas de nature financière. Par exemple, pour l’organisation gouvernementale, l’impact de valeur ajoutée est souvent mesuré par l’amélioration d’indicateurs socioéconomiques (de santé, d’éducation, d’emploi, de transport, etc.), au sein d’une population donnée (la multitude dans son ensemble, mais aussi des populations plus restreintes et qui manifestent des besoins spécifiques). Comme discuté plus haut, c’est aussi le cas qu’il y a différentes sources de contraintes. Par exemple, pour toutes les organisations, les ressources humaines sont nécessaires, mais alors le processus d’embauche dans le secteur public peut faire l’objet de supervisions internes provenant de multiples niveaux de la hiérarchie, alors qu’une entreprise le serait déjà moins (mais pas nécessairement, notamment dans la grande entreprise). Toute organisation serait est une ‘machine à prendre des décisions’ (Simon, 1997), mais les trois secteurs se distinguent au niveau du genre de décision qu’il y a à prendre. Enfin, il est important de noter que l’entreprise demeure une forme organisationnelle parmi d’autres possibles et qu’elle possède tout autant la possibilité d’agir pour la transformation des institutions, tout comme il n’est pas interdit à une société de la Couronne de chercher un revenu excédent ses dépenses (mais qu’on ne pourra comptabilité comme ‘profit’ bénéficiant un propriétaire).
La capacité de s’organiser est à la racine du succès de l’espèce humaine sur la planète. La possibilité de s’allier ensemble usant d’un langage commun pour la poursuite d’objectifs est ce qui a assuré notre mainmise sur la planète Terre (et au-delà). Ces grandes responsabilités sociales que sont la santé, l’éducation, l’alimentation et d’autres encore reposent sur la gestion des personnes envers des objectifs et qui donnent une cohérence au phénomène d’organisation. Or, la définition même de ces objectifs, tout comme les moyens légitimes d’y parvenir, est encadrée par une nappe d’institutions. Appuyées de ces mécanismes institutionnels, les organisations assurent continuité et entretien de la multitude. C’est ainsi que nous bénéficions du cumul incalculable des efforts d’organisation qui nous ont précédés. Vous n’avez (probablement) pas construit l’édifice dans lequel vous faites cette lecture, et tout aussi probablement n’avez pas contribué aux multiples systèmes informatiques qui assurent un accès à ce contenu. Certaines de ces choses vous arrivent selon la bonne volonté des personnes (peut-être d’un membre de votre famille vous a donné votre ordinateur, selon les prescriptions de l’entraide des institutions de la famille), mais d’autres de ces choses (l’édifice) vous parviennent suite à l’organisation dans le passé d’activités auxquelles vous n’avez pas participé (notamment de construire un espace convenable à l’enseignement et à la lecture). Il faut de l’organisation pour construire un édifice, tout comme il en faut pour maintenir des infrastructures numériques. Tout ce qui peuple votre univers matériel provient de quelque part, de quelqu’un qui a fabriqué cette chose selon un principe d’organisation. Vous ne connaitrez probablement jamais cette personne et peut-être est-elle déjà décédée, comme le sont ces innombrables chercheurs et penseurs qui ont travaillé à l’accumulation des connaissances dont vous profiter dans votre parcours académique. Si vous retrouvez encore l’impact de leurs activités, c’est signe que leurs labeurs auront contribué au-delà de leurs propres vies. Enfin, c’est aussi l’indication que vous vous retrouvez vous-même probablement dans un tel réseau, où vos efforts (futurs) serviront à soutenir l’existence de ceux qui viendront après vous. Nous nous tenons tous, comme le disait si bien Newton, sur les épaules de géants. Toute multitude est ainsi construite, d’année en année, par l’accumulation des infrastructures, des connaissances, des avoirs, bref, des richesses. Le phénomène de l’organisation est derrière toutes ces accumulations et les institutions renferment les consignes permettant d’y parvenir.
Turbulences et stabilité sociale
Tout gestionnaire est responsable pour la stabilité de son organisation. La position de privilège du gestionnaire est porteuse de cette responsabilité. La croissance d’une organisation est en bonne partie le résultat de choix sages et de processus efficaces. Le gestionnaire a donc la responsabilité d’assurer la stabilité de son organisation. Mais qu’en est-il de son rapport à la multitude? D’abord, est-ce que les rouages de la multitude peuvent avoir des conséquences sur l’organisation? Car si oui, le gestionnaire, afin de demeurer fidèle à sa responsabilité, doit être en mesure d’anticiper ces conséquences. Mais ensuite, quel impact auront les activités de l’organisation sur la multitude? Il est fort probable que la multitude aura sur l’organisation des impacts non voulus par celle-ci (on ne doutera pas de ce que peut signifier pour une organisation une loi affectant son domaine ou une décision judiciaire à son encontre, et on doutera encore moins de l’effet du marché), mais il y a aussi des circonstances où l’impact, bénéfique ou non, de l’organisation sur la multitude ne lui sera pas attribuée. La stabilité des organisations soulève la question de la responsabilité pour la stabilité de la multitude, mais la nature de cette responsabilité n’est pas claire. Le gestionnaire doit gérer une réciprocité entre son organisation et la multitude, mais les paramètres de cette relation ne sont pas évidents. Les institutions peuvent aider, mais comme elles ne se plient pas à l’un des sens de l’être humain, et de plus comme le gestionnaire peut avoir intérêt à les ignorer, les interstices de la gouvernance des organisations et des multitudes (‘la gouvernance des sociétés’) demeurent obscurs.
L’exploration de cette relation entre le gestionnaire et la société est au cœur de ce manuel. Le manuel questionne ainsi comment nos préoccupations de gestion évoluent à la lumière du changement social et des préoccupations croissantes de durabilité environnementale. Les turbulences sociales nécessitent ce genre de questionnement et elles auraient plusieurs sources. Il peut en effet être très difficile de percevoir les impacts possibles de ses actions sur la multitude (et la réaction qu’on pourrait y générer). Il est d’une impression commune que les lois sont claires. Or elles renferment des aspects obscurs, comme en témoigne le besoin récurrent de recourir à des procès et examen juridique pour les interpréter. Les codes de comportement sont encore moins clairs, ne bénéficiant pas toujours d’une formule écrite. Et puis la multitude est dynamique, voulant dire qu’elle est dans un perpétuel processus de changement. Ce manuel questionne ce que ça veut dire d’être gestionnaire étant donné ce modèle général de la multitude, qui veut que la formation des institutions soit un phénomène omniprésent et perpétuel opérant selon les interventions dans la multiplicité des acteurs. La Responsabilité sociale des entreprises n’est pas là par accident et depuis l’apparition de cette notion il y a déjà plusieurs décennies, elle nous interpelle sur ce que cela veut dire d’être un gestionnaire responsable dans une société changeante.
Ce manuel répond que les organisations, entreprises, départements et autres types d’organisation contribuent à la stabilité sociale par la création durable des richesses ainsi que par leur juste distribution au sein de la multitude (Chapitre 1). La responsabilité sociale des entreprises y est examinée dans le but de générer le sens de justice acceptable dans cette distribution (Chapitre 2). Le manuel explore comment engager un processus décisionnel éthique et de procéder au développement d’une culture organisationnelle à l’appui (Chapitre 3). Comprendre la stabilité consiste aussi à comprendre quels sont les outils de l’État susceptibles d’être mobilisés pour la contenir et accommoder la multitude (Chapitre 4). Mais au fond de tout, le gestionnaire est engagé dans des relations humaines et la responsabilité envers la stabilité consiste au départ de forger des liens éthiques avec ses multiples parties prenantes (Chapitre 5). Parmi les nombreuses sources de turbulences, la mondialisation, la crise écologique et l’innovation technologique interpellent directement le gestionnaire de l’époque contemporaine (Chapitre 6 et 7). Le gestionnaire peut aussi promouvoir la stabilité par le développement de partenariat interorganisationnel, dont le lobby demeure l’exemple rattaché au dialogue entre l’État et les entreprises (Chapitre 8). Ce dialogue est finalement l’un des nombreux qui peut exister pour le maintien de la stabilité de la multitude. La théorie de la gouvernance est mobilisée en fin de manuel pour encadrer la compréhension de ce phénomène général par lequel l’entreprise peut contribuer à la stabilité des multitudes humaines (Chapitre 9).
Plusieurs ont voulu croire que les entreprises sont aux aguets avec la multitude, qu’entre l’entreprise et les gens il y a un jeu à somme nulle et que tout profit doit donc se faire aux dépens de la multitude. Ce manuel n’adopte pas ce point de vue. Il part d’emblée de l’idée que les entreprises peuvent être partenaire dans la promotion de la stabilité sociale, mais il concède aussi que la nature de ce partenariat est à explorer. Autrement dit, la responsabilité sociale des entreprises n’est pas la dévotion à un code universel de comportement, mais plutôt un engagement de la part des entrepreneurs à prendre part à la société dont ils et elles sont, à titre de personne humaine, toujours membres. Par exemple, l’importance de réfléchir à la durabilité environnementale dans un contexte d’affaires est rendue à l’entrepreneure en vertu de sa propre biologie, ayant elle aussi besoin d’eau potable, d’air respirable et de terres arables. Mais ces exemples ne sont pas toujours naturellement évidents, d’où le besoin de consciemment engager une discussion à leur égard. La poursuite de la stabilité sociale est en quelque sorte la poursuite d’une stabilité pour la croissance de l’entreprise et simultanément la poursuite d’une plus grande stabilité pour la multitude. Une autre idée souvent rattachée à cette perspective d’hostilité mutuelle entre l’entreprise et la multitude avance que l’entreprise est optimalement située dans des circonstances chaotiques et que celles-ci aguerrissent les instincts de réussite. C’est aussi là aussi une position à laquelle ce manuel s’oppose. Tout au contraire, il nous semble que l’entreprise fleurit dans la stabilité. Sans stabilité, les nombreux outils de la prévisibilité (l’analyse de marché, pour n’en nommer qu’un) deviennent caducs. La stabilité de la multitude est davantage porteuse de ces nombreux liens que doivent forger les entreprises pour réussir.
Conclusion
Tout acte de gestion est aussi une contribution au reste de la multitude qui entoure l’organisation, soit cet ensemble de personnes qui ne tombe pas sous la gouverne des plans de gestion. La multitude, c’est tous ces gens situés au-delà de sa propre existence et dont les interactions génèrent des impacts sur la réalité au sein de laquelle nous vivons ensemble. Comprendre la gestion comme un acte de prise de décision, comme une activité humaine génératrice d’organisation (à formaliser en société) signifie qu’on est capable de faire comprendre comment elle touche cette multitude. La gestion n’existe pas dans un vase clos, elle est exercée dans un contexte plus large et a comme but très avoué d’innover dans l’état de ce contexte. Cette multitude peut évidemment avoir son mot à dire sur ce qui est et ce qui n’est pas acceptable comme comportement. La gestion est ainsi à portée différente. Dans l’initiale, il s’agit de mobiliser personnes, ressources et capital, dans le but d’affecter la réalité matérielle immédiate. Mais elle doit aussi avoir un impact, soit un retentissement qui fait écho au-delà de cette proximité immédiate. Le PDG qui prend une décision au sein de son bureau (un espace physique assez restreint) peut affecter la réalité de millions de clients qu’il ne verra jamais. Le superviseur d’une usine assure la qualité de ce qu’il voit passer devant lui, et en l’espace de quelques minutes de produits faits à la chaine, il voit passer des objets qui auront des impacts dans la réalité des nombreux utilisateurs finaux. Pour bien voir cet impact, il faut pouvoir envisager cette multitude. Et dans un esprit d’entrepreneuriat, il faut poser des questions à leurs égards. Va-t-on faciliter la vie des gens? Va-t-on les enrichir, et enrichir les sociétés dans lesquelles opèrent les gestionnaires? Il n’est aucunement contradictoire que l’on puisse enrichir la multitude tout en s’enrichissant soi-même, mais alors faut-il bien comprendre quel sera l’impact de ses décisions et de ses produits.
Les turbulences à la racine de l’instabilité sociale sont un phénomène perpétuel des multitudes humaines. Rarement la multitude a-t-elle été complètement stable et il semble implicitement accepté (comme en témoignent les observations scientifiques de son comportement) qu’elle serait naturellement au moins légèrement instable. Mais il y a des ordres de grandeur dans cette instabilité et à travers l’histoire, les sources d’instabilité ont changé. Remontant au Moyen Âge européen (et plus loin), l’instabilité était récurrente et sa nature était différente, du moins pour une part appréciable des personnes concernées. Les bandits des routes ne sont pas des préoccupations qui ressemblent beaucoup à une crise du logement, mais alors les deux cas interpellent des questions d’infrastructure résidentielle et de planification urbaine (fortifier les murs des bourgs et se placer un toit stable sur la tête ont quelque chose d’apparenté). L’autoritarisme et la violence à la racine des dysfonctions sociopolitiques du Moyen Âge européen ne sont pas absents de notre monde et confirment bien leurs conséquences de déstabilisation. Mais du moins dans certains temps et dans certains recoins, il a été possible de construire des organisations capables d’assurer la continuité nécessaire pour limiter les pires comportements que nous propose l’espèce humaine. En un sens, l’ambition des organisations modernes doit être de surmonter cette instabilité et le partage des trois secteurs offre une variété de moyens par lesquels y parvenir. La gestion est un travail sisyphéen et tous les problèmes qui nous perturbent font en sorte que l’espoir d’un monde meilleur est parfois difficile à soutenir. Mais l’histoire n’est pas seulement la suite des fléaux. Elle renferme aussi de nombreux cas de réussite dans cette lutte contre les sources d’instabilité. Voyons donc quelles leçons de gestion nous avons à tirer de l’expérience des sociétés humaines.