Le Québec

16. Histoire: de la Nouvelle-France au Québec des années 1950

1. L’établissement de la Nouvelle-France 

Je vous rappelle qu’il y a deux souches de colonisation française en Amérique du Nord:

  • l’Acadie, sur les bords de la Baie de Fundy;
  • la Nouvelle France le long de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent.

Depuis très longtemps, des pêcheurs originaires du Nord et de l’Ouest de l’Europe fréquentaient les grands bancs de Terre-Neuve à la recherche d’eaux poissonneuses.

Le premier poste d’établissement est d’abord établi à Tadoussac, mais il n’est que temporaire. Ce n’est qu’en 1608, avec la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain, ainsi que l’arrivée des premiers colons, qu’une présence française durable et continue s’établit en Amérique du Nord. À partir de Québec, cette présence française va connaître une immense expansion territoriale qui va atteindre environ les deux tiers du continent nord-américain. Les Français établissent des forts et des postes de traite en différents points stratégiques. Cette vaste présence est cependant fragile: il ne s’agit bien souvent que d’un drapeau planté avec quelques soldats en garnison, parfois accompagnés de quelques prêtes missionnaires. C‘est ce qui explique que ces postes n’aient pas toujours eu une présence durable; beaucoup sont abandonnés au fil du temps, d’autres sont pris par certaines Premières Nations ou par d’autres troupes coloniales (britanniques, ou espagnoles plus au Sud).

Si l’on revient dans les environs plus immédiats de Québec, une véritable colonie se met en place au cours du XVIIe siècle, avec l’arrivée de plusieurs vagues de colons. Entre 1634 et 1663, 200 filles du roi arrivent dans la colonie. Au cours de la décennie suivante, ce seront plus de 800 nouvelles arrivées qui fonderont des familles avec les colons ou les soldats démobilisés.

Facultatif

Pour en apprendre davantage sur les Filles du Roy: un texte

Une vidéo de 4 à 5 minutes: Histoire sec.3 – (1663 à 1673) Les Filles du Roy

Peu à peu, la colonie grandit et se différencie de la métropole. Simultanément, les activités économiques se diversifient, notamment avec la construction navale recommandée par Jean Talon, premier intendant de la Nouvelle-France (1665-1670) à être présent sur place. Jean Talon apporte un très grand élan à la colonie sur le plan de son organisation, de sa démographie (le nombre de colons passe d’un peu plus de 3,000 à plus de 7,500 en cinq ans!) et de l’économie.

Figure 1. La Nouvelle-France vers 1750. Source

2. The Province of Québec 

Figure 2. Hervey Smyth, Une vue de la Prise de Québec par Hervey Smyth, le 13 septembre 1759, publiée par Laurie and Whittle. La gravure montre le débarquement des troupes britanniques, l'ascension de la falaise et la bataille sur les Plaines d’Abraham.
Figure 2. Hervey Smyth, Une vue de la Prise de Québec par Hervey Smyth, le 13 septembre 1759, publiée par Laurie and Whittle. La gravure montre le débarquement des troupes britanniques, l’ascension de la falaise et la bataille sur les Plaines d’Abraham.

Au cours de la Guerre de Sept ans (1756-1763), la Nouvelle France est un enjeu parmi bien d’autres. À cette période, Montréal ne compte qu’environ 3,000 habitants; avec ses quelques 8,000 habitants, Québec est la grande ville de la colonie, bien qu’elle entretienne des liens étroits avec la France.

Au mois de juin 1759, les troupes britanniques encerclent la ville de Québec qui est bien fortifiée et située sur un promontoire surmontant le fleuve. Le général Wolfe estime que ses troupes sont en nombre insuffisant pour lancer l’assaut. La ville reste donc en état de siège tout l’été. Les yeux tant des troupes britanniques que des habitants de la ville sont tournés vers l’Est: chaque camp attend du renfort en provenance d’Europe. Au mois de septembre, un pavillon britannique est en vue. Les Britanniques peuvent donc lancer l’assaut final le 13 septembre. C’est la bataille des plaines d’Abraham. Si les points de vue des historiens divergent sur la durée exacte du combat (entre 15 min et 8h), tous s’accordent pour dire que ce fut une bataille extrêmement brève et à forces relativement égales. Les deux généraux, Wolfe (britannique) et Montcalm (français) sont tués dès le début du combat et chaque camp essuie des pertes comparables, environ 650 morts de chaque côté.

Bien que très courte, cette bataille est absolument décisive. Avec la prise de Québec, c’est la place forte de la présence française en Amérique qui tombe. Les Anglais remontent le Saint-Laurent, passant par Trois-Rivières, et prennent sans mal Montréal au début de l’automne 1760. Pour les troupes françaises, c’est la capitulation. La Nouvelle France passe immédiatement sous occupation britannique, mais le sort de cette colonie demeure incertain, car il faut attendre jusqu’à la fin des conflits de la Guerre de Sept ans se situant sur les autres continents pour savoir quel va être l’avenir de cette colonie.

En 1763, la France subit d’autres des fêtes militaires en Europe et signe le traité de Paris. Suite aux tractations, la France choisit de céder la Nouvelle France à l’empire britannique. En effet, au sortir de cette guerre, la France est en ruine et son économie à sec. Elle fait donc le choix de conserver les Antilles où le système esclavagiste permet la production très profitable de canne à sucre. À l’inverse, l’exploration et la colonisation du Canada sont perçues comme des aventures dispendieuses et à l’issue incertaine.

Citations

« Vous savez que ces deux nations [la France et l’Angleterre] sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. » (Voltaire, Candide)

« le Canada, pays couvert de neiges et de glaces huit mois de l’année, habité par des barbares, des ours et des castors. » (Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations)

Le traité de Paris de 1763 est une décision historique qui marque la fin de l’âge d’or de l’empire colonial français. L’empire britannique devient clairement le plus puissant du monde. La Nouvelle France devient The Province of Québec par proclamation royale cette même année.

Le passage sous régime britannique va avoir une influence sur les flux migratoires. D’une part, des Français  décident de retourner en France. Ils sont peu nombreux, mais ils sont influents. Il s’agit de dirigeants, de militaires, de nobles, de marchands, etc., avec pour conséquence un amenuisement de l’élite francophone. Les colons, qui sont installés là depuis plusieurs générations, n’ont pas les moyens de partir et n’entretiennent souvent plus de liens avec la France. La population et les missionnaires restent donc. D’autre part, peu d’Anglais viennent s’installer, mais eux aussi sont influents. Ce sont des officiers, des militaires, des marchands prospères grâce à l’accroissement des échanges commerciaux avec Londres. La minorité anglophone s’affirme et s’organise. En somme, les flux migratoires de part et d’autre de l’Atlantique ne sont pas tant quantitatifs (peu de personnes se déplacent suite à la conquête) que qualitatifs (les gens qui se déplacent sont des personnes d’influence). Ils produisent ainsi un nouvel équilibre sur les plans économique, social, démographique, linguistique et culturel: l’essentiel de la population francophone est rural et peu éduqué, alors que plusieurs grandes familles anglophones se lancent dans des affaires commerciales profitables.

L’Acte de Québec (1774), des concessions aux Canadiens français

À cause de ces flux migratoires et de la présence ancienne de certaines familles canadiennes-françaises, les gouverneurs ne peuvent pas faire appliquer intégralement la proclamation royale. L’administration britannique garde en mémoire ce qui s’est produit une vingtaine d’années auparavant en Acadie, lorsqu’elle avait tenté d’imposer le serment d’allégeance. Ne voulant pas commettre la même erreur, Londres choisit cette fois-ci de préserver le calme et la sécurité, en proclamant l’Acte de Québec en 1774. Cet Acte est une concession à la population canadienne française qui obtient ainsi deux droits importants et dont on peut encore mesurer la présence aujourd’hui. Par cet Acte, les Canadiens français peuvent conserver:

  • leur religion catholique;
  • la Coutume de Paris, aussi appelée le droit civil (qui diffère du Common Law).

Cela a pour conséquence de maintenir les droits de propriété et la tenure seigneuriale qui est un héritage de l’Ancien Régime français. L’Acte de Québec érige ainsi un compromis inédit pour gagner la loyauté des Canadiens français à la couronne britannique.

La guerre d’indépendance américaine 1775-1783

Mais dès l’année suivante, la guerre d’indépendance américaine vient modifier encore ce nouvel équilibre. Les Canadiens français observent avec intérêt les indépendantistes américains. On aurait pu imaginer que les Canadiens français auraient voulu aider les rebelles américains, par solidarité contre un ennemi commun, l’empire britannique. Mais il n’en est rien. La très petite élite canadienne-française lit les déclarations et les revendications des indépendantistes américains, elle suit leur progression dans les journaux, mais il n’y a pas de collusion entre les Canadiens français et les futurs Américains.

En revanche, les loyalistes se réfugient sur un territoire qu’on détache de la Nouvelle-Écosse en 1784 et qui devient le Nouveau-Brunswick.

Plusieurs autres milliers de loyalistes reçoivent également des terres au nord du lac Ontario, dans les environs de la région de Kingston.

Figure 4. Aux origines de la présence loyaliste en Ontario. Source

Ces nouveaux arrivés anglophones, très fidèles à la couronne britannique, altèrent l’équilibre démographique et réclament de nouveaux droits.  Par l’Acte constitutionnel de 1791, le gouvernement britannique créer deux entités de part et d’autre de la rivière des Outaouais:

  • Le Haut-Canada (Ontario actuel) pour les Anglais loyalistes;
  • le Bas-canada (Québec actuel) pour les Canadiens (francophones).

Londres fait le choix de scinder sa colonie afin d’accorder davantage de droits aux nouveaux loyalistes, tout en ménageant les droits acquis par les Canadiens.

À l’aube du XVIIIe siècle et des guerres napoléoniennes qui vont ravager l’Europe pendant une quinzaine d’années, des changements de plusieurs natures ont lieu dans ce qui est en train de devenir le Canada. Tandis que le Haut-Canada est administré de la même façon que toutes les autres colonies britanniques, l’administration du Bas-Canada résulte d’un mélange. Par exemple sur le plan judiciaire, il y a un mélange du droit civil et du droit criminel anglais. Plusieurs structures de gouvernance sont mises en place, tels que le système des comtés et le parlementarisme. Des deux côtés de la rivière des Outaouais, des terres sont attribuées aux églises protestantes. Enfin, sur le plan économique, les activités commerciales se transforment avec la baisse du commerce des fourrures, alors que l’Europe en guerre demande du bois et du blé.

Entre 1791 et 1841, la population du Bas-Canada passe de 160,000 à 650,000 personnes. Son gouvernement est situé à Québec. Le Parlement du Bas-Canada est composé:

  • du lieutenant-gouverneur (nommé par le parlement britannique et représentant de la couronne);
  • du Conseil législatif (doivent être Britanniques et sont nommés à vie par le lieutenant-gouverneur);
  • et de la Chambre d’assemblée, élue au suffrage censitaire (relativement large).

C’est un cas exemplaire de gouvernement colonial.

3. La révolte des Patriotes

Figure 5. Photographie de Louis-Joseph Papineau en 1865. Source: Musée McCord

Le temps passe et vers 1822-1823, le parlement à Londres a le projet d’unir le Haut et le Bas-Canada afin d’assimiler la population francophone et d’angliciser les institutions. Louis-Joseph Papineau, élu à l’Assemblée du Bas-Canada, se rend à Londres pour rendre compte du mécontentement des Canadiens. Londres abandonne temporairement son projet. Papineau est perçu comme un héros. Jusqu’à son voyage, Papineau était un monarchiste convaincu, qui vantait les mérites de la Conquête de 1760 et le système britannique. Mais lors de son long séjour en Angleterre, il est frappé par les très grandes inégalités économiques de la population, ce qui remet en question ses idéaux politiques. À son retour, il se méfie du modèle britannique et commence plutôt à vanter le modèle américain de république qui lui paraît plus juste et plus démocratique. Il dénonce les privilèges, vante l’école laïque et fait voter une loi garantissant l’égalité politique à tous les citoyens, sans égard à leur religion.

C’est dans ce contexte que la Chambre d’assemblée fait de plus en plus pression pour que le Conseil législatif ne soit plus nommé, mais élu. En 1834, il participe à la rédaction des « 92  résolutions » et le fait adopter. C’est un texte d’inspiration républicaine qui demande à Londres d’effectuer des réformes démocratiques afin d’amoindrir le poids de la monarchie britannique sur les décisions du parlement du Bas-Canada. Voici quelques-unes des résolutions:

  • Élection du Conseil législatif (et non par nomination du gouverneur)
  • Plus de contrôle sur les finances
  • Meilleure représentation des Canadiens (français) dans l’administration

Or, le parlement britannique rejette en bloc ces résolutions et durcit même son contrôle sur le Parlement du Bas-Canada. La plupart des représentants politiques sont des marchands de Montréal dont les intérêts sont opposés à ceux du peuple canadien. En 1837, les milieux réformistes sont mécontents et une mauvaise saison de récolte fait baisser la production de blé et fait craindre un appauvrissement de la population. Papineau fait appel aux autorités britanniques, en vain.

Durant l’automne 1837 et l’hiver 1838, Papineau et ses partisans du Parti Patriote appellent au boycott des produits britanniquesIl mène une rébellion paysanne plus ou moins organisée entre contre les troupes de John Colborne. Il ne s’agit pas tant d’une rébellion des francophones contre les anglophones: la ligne de partage se joue plutôt entre les milieux réformistes/républicains et les milieux monarchistes/unionistes. Papineau est parmi les plus modérés des Patriotes qui eux, prônent la révolte.

Sa femme, Julie Papineau, est créditée pour avoir joué un rôle majeur concernant les idées, les actions et les écrits de son mari, ainsi qu’en témoignent leur prolifique correspondance.

Regardez la vidéo de L’Histoire nous le dira « La rébellion des Patriotes (1837-1838).

Figure 6. Le Vieux Patriote de 1837, célèbre illustration d’Henri Julien (vers 1880). Remarquez la ceinture fléchée et le fait qu’il est représenté comme un homme du peuple. Source

Les forces en présence sont très inégales: les patriotes sont pour la plupart des paysans, pères de famille, qui n’ont que leurs outils de travail et leur fusil de chasse pour se défendre. Les troupes de Colborne sont nombreuses, armées et bien entraînées. Elles pourchassent les rebelles dans les campagnes aux alentours de Montréal, appuyées par des milices orangistes en provenance du Haut-Canada. Certains parviennent à s’échapper et à trouver refuge de l’autre côté de la frontière américaine. Une cinquantaine d’entre eux sont capturés, dont douze sont pendus. D’autres sont déportés en Australie.

Les Mohawks de Kahnawake se sont alliés aux Britanniques, bien que de façon générale, ils essayaient de maintenir une certaine neutralité dans le conflit. Leur peuple s’était fait confisqué de nombreuses terres durant la guerre d’Indépendance américaine. Ils reçoivent donc avec scepticisme les projets d’égalité des Canadiens français (qui s’apparentent aux indépendantistes  américains) et préfèrent donc se ranger du côté de leur alliée historique, la couronne d’Angleterre.

Cette déportation inspire le futur auteur, journaliste et avocat Antoine Gérin-Lajoie, qui est alors étudiant au Séminaire de Nicolet (sur la rive sud en face de Trois-Rivières) et voit passer les bateaux de déportés. Il écrit une chanson qui reste dans la mémoire populaire, « Un Canadien errant », qui a été reprise par de nombreux interprètes. Voici deux versions que j’aime beaucoup:

Chanson

Une interprétation assez classique, par la Bonne Chanson:

Leonard Cohen traduisant en anglais sa propre interprétation:

Pour aller plus loin: voir la statue et la notice que l’artiste multidisciplinaire Pierre Chatillon a dédié à Antoine Gérin-Lajoie: Pierre Chatillon

Le rapport de Lord Durham

Consulter la page: Alloprof : Le rapport Durham

Citations

“I expected to find a contrast between a government and a people: I found two nations warring in the bosom of a single state: I found a struggle, not of principles, but of races; and I perceived that it would be idle to attempt any amelioration of laws or institutions, until we could first succeed in terminating the deadly animosity that now separates the inhabitants of Lower Canada into the hostile divisions of French and English. […]

The language, the laws, the character of the North American continent are English; and every race but the English (I apply this to all who speak the English language) appears there in a condition of inferiority. It is to elevate then from that inferiority that I desire to give to the Canadians our English character. […]

There can hardly be conceived a nationality more destitute of all that can invigorate and elevate a people, than that which is exhibited by the descendants of the French in Lower Canada, owing to their retaining their peculiar language and manners. They are a people with no history, and no literature.”

4. Du Canada-Uni à la Confédération canadienne (1840-1867)

En 1840, les autorités britanniques décident de réunir les deux Canadas. C’est l’Acte d’Union, proclamé à Montréal, qui crée la Province du Canada en réunissant les colonies le Canada-Est (anciennement le Bas-Canada = le Québec) et le Canada-Ouest (anciennement le Haut-Canada = l’Ontario). La Province a alors un seul parlement unifié et les dettes sont amalgamées. Cela est au désavantage du Canada-Est dont la population est plus importante et qui est moins endettée. Mais les réformistes Louis-Hippolyte La Fontaine (Canada-Est) et Robert Baldwin (Canada Ouest) parviennent à opérer cette fusion dans un contexte économique relativement favorable. En 1848, la Province du Canada obtient un gouvernement responsable.

Dans le Canada-Ouest, de grands travaux d’aménagement sont lancés, notamment la construction et l’amélioration de canaux (sur le modèle du Canal Rideau construit en 1832) et de chemins de fer (pour poursuivre la colonisation vers l’Ouest).

Dans le Canada-Est, l’industrialisation est beaucoup plus lente et la forte natalité enjoint de nombreux Canadiens français à migrer vers la Nouvelle-Angleterre, l’Ontario ou l’Ouest (début de la diaspora canadienne-française).

Pour un rappel de la diaspora canadienne-française, revoir 3. Histoire: Du Canada français à la francophonie canadienne

Le Canada-Uni ne sera pourtant que de courte durée. En 1867, la reine Victoria signe l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) [British North America Act – BNAA] qui associe trois colonies dans le Dominion du Canada: la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et le Canada-Uni. À l’intérieur du Dominion, le Canada-Uni est divisé en deux provinces, le Québec et l’Ontario. Trois raisons principales ont présidé à la création du Dominion:

  • C’est la suite logique résultant de la révolte des Patriotes visant à obtenir un gouvernement de plus en plus responsable et autonome;
  • Par crainte que la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1865) n’ait des répercussions au Canada (crainte d’annexion);
  • Maintenir des liens économiques avec le reste de l’Empire britannique.

D’un point de vue canadien français, la création de la Confédération canadienne n’est pas une date particulièrement marquante. Les Canadiens français retrouvent la frontière interne d’avant l’Acte d’Union. Mais ce changement politique ne change pas les grandes dynamiques socio-économiques: la diaspora canadienne-française se poursuit et les Canadiens français se sentent de plus en plus confinés à l’intérieur du Québec – le reste de la Confédération étant anglophone.

Ce sentiment de confinement est renforcé par l’effritement des droits des francophones dans les autres provinces entre 1870 et 1920.

  • 1885: La pendaison du Métis Louis Riel (au Manitoba et en Saskatchewan). Pour mieux comprendre Louis Riel et le peuple métis: Radio Canada : Les multiples visages de Louis Riel
  • 1890: Abolition de la dualité religieuse en matière scolaire et de la dualité linguistique à l’Assemblée et dans les cours de justice (au Manitoba)
  • 1912: le Règlement XVII limite, voire interdit l’apprentissage en français à l’école (en Ontario)
  • Aux États-Unis, le concept de melting pot devient très en vogue dans les années 1920 et accélère l’assimilation vers l’anglais des immigrants canadiens-français.

À la même époque, les villes au Québec, notamment Montréal, sont en pleine croissance. Elles accueillent les migrants en provenance des campagnes (exode rural) et les immigrants, principalement d’Europe, mais il y a aussi tout un quartier asiatique à Québec et à Montréal au début du XXe siècle. Montréal est déjà une ville pluriculturelle au début du XXe siècle. De premières industries d’alimentation, du textile et du cuir s’installent dans la vallée du Saint-Laurent.

Figure 7. Compagnie de filature de coton d’Hochelaga / Dominion Cotton Mills, Angle Notre-Dame Est et Dézéry. Photo: Musée McCord, 1909

5. La crise de la conscription

Figure 8. Sir Wilfrid Laurier. Source: Bibliothèque et Archives Canada, C-001971

En tant que Dominion britannique, le Canada doit soutenir l’empire britannique lors des combats armés. Les premières tensions ont lieu lors de la guerre des Boers (en Afrique du Sud, 1899-1902). La question de savoir si le Canada doit participer à cette guerre crée des débats passionnés entre nationalistes canadiens et impérialistes britanniques, au parlement et parmi la population.

À l’époque, le Premier Ministre est Wilfrid Laurier, premier Canadien français à devenir Premier Ministre du Canada (de 1896 à 1911). Il essaie de temporiser, de faire des compromis qui, finalement, ne satisfont personne.

Un autre acteur important des débats est Henri Bourassapetit-fils de Louis-Joseph Papineau. Comme lui, c’est un orateur brillant. Il a été élu avec Laurier, mais a un point de vue très tranché sur la question de la participation à la guerre: le Canada est lui-même une colonie et devrait se préoccuper prioritairement de la gestion de ses propres affaires, et certainement pas appuyer Londres dans sa poursuite de son empire colonial.

Figure 9. Le journaliste et homme politique Henri Bourassa. Photo de Henri Bourassa. Source

En 1914, Bourassa appuie tout d’abord l’effort de guerre, puis s’en dissocie au vu des énormes sacrifices. En 1916, il n’y a plus de volontaires pour partir au front de la Première Guerre mondiale. En 1917, la question de rendre la conscription de tous les hommes en âge de se battre déchaîne les passions. La majorité des Canadiens français sont contre l’idée de se battre en appui aux puissances coloniales, alors qu’une majorité de Canadiens anglais appuient tout d’abord l’idéeIl s’agit d’une véritable crise politique. Le Québec se dit prêt à quitter la Confédération sur cette question.

Il faut remarquer que les positions fluctuent et ne recoupent pas strictement l’appartenance culturelle et linguistiqueLes immigrants européens de première génération sont plus enclins à aller se battre. La loi entre en vigueur au début 1918, puis est renforcée par le gouvernement conservateur de Borden. De plus en plus d’anglophones se rallient au camp contre la conscription au fur et à mesure que la loi s’applique à de plus en plus d’hommes. Cette crise va laisser des marques politiques profondes: le Québec vote presque systématiquement en faveur d’un gouvernement fédéral libéral jusqu’en 1984 (fin du mandat de P. E. Trudeau).

Une semblable crise de la conscription a lieu pendant la Seconde Guerre mondiale en 1944, mais ses implications politiques sont moins marquantes.

6. Le Canada français jusque dans les années 1950

Les acteurs principaux sont:

Le gouvernement fédéral du Canada et les gouvernements des provinces anglophones acceptent/tolèrent le Québec comme province de langue française, mais durcissent ses lois envers les francophones hors Québec.

Le Québec est au cœur des réseaux canadiens-français (au Québec et en dehors).

  • La société Saint-Jean-Baptiste (SSBJ) agit depuis 1834 pour « la protection et à la promotion de la langue française, de notre histoire nationale et de l’indépendance du Québec ». La SSBJ est un organisme toujours très actif, mais surtout présent au Québec. Elle organise chaque année la Fête nationale de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin.
  • Des clubs Richelieu sont fondés dans de nombreuses villes et villages, au Québec et dans la plupart des communautés francophones en Amérique du Nord. Cela maintient et crée des liens au sein de « la grande famille canadienne-française ». Voir par exemple le Club Richelieu de Welland dans le Sud de l’Ontario, fondé en 1957. Club Richelieu Welland

 

Figure 10. Une succursale de caisse populaire. Source:

 

Le mouvement coopératif s’organise, notamment avec les caisses populaires Desjardins à partir de 1900 à Lévis, sous l’initiative d’Alfred Desjardins. On compte déjà plus de 100 caisses en 1915. Ce mouvement permet aux familles ouvrières et paysannes de ne pas s’endetter excessivement en leur donnant accès à l’épargne populaire. Les caisses Desjardins demeurent très présentes partout au Québec aujourd’hui (environ 1,200 en 2010). Les petites communautés mettent souvent beaucoup de pression pour ne pas perdre leurs succursales. Aujourd’hui, le Mouvement Desjardins est une banque comme une autre et qui joue toujours un rôle majeur dans l’économie du Québec.

 

Figure 11. L’alliance de la politique et de la religion. Le Premier Ministre du Québec Maurice Duplessis et l’archevêque Joseph Charbonneau. Photo non datée. Source

L’influence de l’Église catholique demeure extrêmement importante dans toutes ces communautés. Le prêtre jouit d’une véritable autorité et rappelle que perdre la foi, c’est perdre sa langue – et inversement. Les membres les plus hauts placés de l’Église catholique influencent également directement le pouvoir politique, notamment durant les années du gouvernement de Maurice Duplessis (Premier Ministre du Québec de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959). L’Église contrôle le système de santé et le système éducatif. Elle gère également quelques-uns des douze pensionnats autochtones de juridiction fédérale se trouvant sur le territoire du Québec (ouverts entre 1933 et 1991).

Article de Radio-Canada: « Pensionnats pour Autochtones: qu’en était-il au Québec? »

Radio-Canada : Pensionnats pour autochtonnes : qu’en était-il au Quebec?

Les prêtres encouragent les gens à maintenir un mode de ville agricole, traditionnel, à ne pas déménager en ville (« lieu de perdition morale ») ni travailler dans les industries. Les femmes sont encouragées à avoir beaucoup d’enfants et se cantonner à un rôle traditionnel, tandis que le mouvement de syndicalisation (unionization) est pourfendu (car perçu comme lié au communisme).

En conséquence:

  • les conditions de travail des ouvriers sont déplorables;
  • les femmes n’obtiennent le droit de voter au niveau provincial qu’en 1940 (comparativement à 1916 pour le Manitoba, 1917 pour l’Ontario, 1918 au fédéral). Idola Saint-Jean, Marie Gérin-Lajoie et Thérèse Casgrain ont été les figures les plus actives du mouvement des suffragettes au Québec.
  • le Québec ne se modernise que beaucoup plus lentement que des régions comparables (l’Ontario, la Nouvelle-Angleterre, l’Europe de l’Ouest, etc.)
    Figure 12. Marie Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain. Source: https://www.fondationlionelgroulx.org/Idola-Saint-Jean-1879-1945.html

Conclusion

De la fondation de la Nouvelle-France à la naissance de la Confédération canadienne, le Québec forme une entité territoriale, culturelle et linguistique à travers le temps et joue un rôle majeur dans la colonisation et le développement de l’Amérique du Nord. Le Traité de Paris en 1763 est une date majeure dans son histoire. De là, plusieurs tensions durables vont prendre forme entre catholicisme et protestantisme, français et anglais, loyalisme envers la couronne britannique et nationalisme canadien, attraction du modèle républicain français et américain d’une part, et monarchie parlementaire britannique de l’autre. Ce cours ne reflète que partiellement l’évolution de ces tensions pourtant majeures et qui indiquent, à plusieurs reprises, que le cours de l’histoire aurait pu être tout autre pour le Québec, et plus globalement le Canada.

Au milieu du XXe siècle cependant, c’est une province qui peine à se moderniser et paraît arriérée sur le plan social par rapport à d’autres régions. C’est de ce constat de retard, de recul, et du contexte international de la décolonisation que va prendre forme une autre page majeure de l’histoire.

 

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