L’Ontario français
5. Histoire de l’Ontario français 1615-1900
1. Le contexte historique (1600-1750)
Afin de bien comprendre les dynamiques qui se jouent en Nouvelle-France à cette époque, il convient de clarifier quelque peu les acteurs et les mentalités en présence.
La nation huronne, plaque tournante de la région des Grands Lacs
La nation huronne joue un rôle clé pour comprendre l’exploration de la région des Grands Lacs par les explorateurs européens. Peuple sédentaire très organisé socialement, les Hurons sont déjà au centre d’un réseau commercial bien développé lorsque les premiers explorateurs européens les rencontrent. La Huronie est ainsi perçue par les missionnaires comme un terrain propice pour développer le commerce des fourrures mené par les coureurs de bois, et l’évangélisation menée par les missionnaires.
L’arrière-plan religieux européen
Toute entreprise de colonisation sert généralement plusieurs objectifs; certains d’ordre économique, d’autres d’ordre idéologique (politique, religieux, culturel, etc.). Le commerce des fourrures se comprend comme la création d’un nouveau marché économique, fondé sur l’exploitation/le pillage de ressources naturelles locales (la faune). Quant à la volonté d’évangéliser les Premières Nations de la Nouvelle-France, elle se comprend dans un contexte plus général d’un renouveau de la foi et d’une volonté d’expansion en Europe.
Entre 1562 et 1598, la France est ravagée par les guerres de religion qui opposent catholiques et protestants. En 1598, le roi Henri IV promulgue l’édit de Nantes qui accorde certains droits aux protestants. Mais le roi est assassiné en 1610, et les droits et la sécurité des protestants ne sont plus garantis dans les faits. Beaucoup de protestants s’exilent en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Angleterre où naît la Réforme, c’est-à-dire la naissance des différentes formes de protestantisme. Face à l’apparition et à l’attrait qu’exerce le protestantisme, l’Église catholique entreprend de profondes mutations afin de se maintenir et de se redéfinir. Cette transformation est parfois appelée la Contre-Réforme. Ce mouvement religieux est marqué par un renouveau du catholicisme et l’apparition de mouvances religieuses en son sein (les Jésuites, les Jansénisme, etc.), marquées par une extrême ferveur. À cette époque, la religion est au coeur de l’identité individuelle et collective. L’entreprise d’évangélisation des Premières Nations conduites par les missionnaires vise à convertir plus de personnes à une religion, dans l’objectif de devancer d’autres religions (le protestantisme, dans ce cas), mais aussi dans l’idée de contribuer à l’éducation des Premières Nations. Aujourd’hui, l’historiographie reconnaît que quelles qu’aient pu être les motivations des missionnaires, cette entreprise d’éducation et de prosélytisme religieux était une pratique coloniale qui a commis des torts irréparables durant des décennies aux Premières Nations.
2. Les explorateurs
Champlain, le cartographe
Samuel de Champlain est surtout connu pour avoir fondé la ville de Québec en 1608, sur le site de Stadaconé. N’appartenant pas à la noblesse, il n’a jamais reçu le titre de gouverneur de la Nouvelle-France, même si dans les faits, il en a assumé toutes les fonctions. Il a effectué de nombreux voyages au cours desquels il a produit des cartes et des récits (Voyages, publiés entre 1603 et 1632, de son vivant).
En 1615-1616, à partir de Québec, il va se rendre dans la région d’Ottawa, remonter la Rivière des Français jusqu’au Lac Nipissing, longer la Baie géorgienne, atteindre le Lac Huron, avant de redescendre dans la région des Mille-Îles (Kingston). Ainsi, toute une partie du centre de l’Ontario est explorée et cartographiée très tôt. Les Voyages de Champlain comportent des considérations géographiques et ethnographiques. Il commente le climat, décrit les mœurs des peuples qu’il rencontre, la faune et la flore qu’il apprend à connaître. Il est l’un des auteurs qui cite et nomme le plus d’individus des Premières Nations. Ayant pris parti pour les Hurons et les Algonquins contre les Iroquois, il va presque constamment se heurter à l’hostilité de ces derniers.
Citation
« Lors de mon assermentation, je tenais un livre sur Samuel de Champlain. J’avais toujours imaginé Champlain en conquistador débarqué avec ses soldats et marins pour planter le drapeau de la France et imposer la foi catholique. Mais grâce à ce livre, je me suis rendu compte que je n’avais rien compris de ce personnage historique incontournable, qui a appris plusieurs langues autochtones et qui s’est lié d’amitié avec presque toutes les tribus. Champlain a imposé l’État de droit et il a fait siennes la diversité et l’inclusion. Il croyait, finalement, aux valeurs du XXIe siècle ! »
David Johnston, originaire de Sudbury, ancien président de l’Université de Waterloo (1999-2010) et gouverneur général du Canada (2010-17). Julie Barlow, « Lettres du gouverneur général aux Canadiens », L’Actualité, 20 octobre 2016 (lien)
Citation
« D’un point de vue humain, la Nouvelle-France a été un bien plus grand succès que la Nouvelle-Espagne ou que la Nouvelle-Angleterre ou que n’importe quelle colonie européenne en Amérique du Nord ou du Sud. En Acadie, dans la vallée du Saint-Laurent, dans les Grands Lacs, partout où a agi Champlain, les relations entre Français et Indiens ont été fusionnelles, intimes, créatrices. La Nouvelle-France n’a pas été un échec. Bien au contraire, c’est une formidable réussite, une leçon de vie et de savoir-vivre dont on n’a pas d’autre exemple dans toute l’histoire des Amériques. […] Champlain est le père des Québécois, des Acadiens, des Métis. Mais aussi de cette idée toujours vivace que nous sommes tous frères. Je crois profondément que nous avons tous beaucoup à apprendre de lui si nous voulons mieux vivre ensemble. »
David Hackett Fischer, historien américain, lauréat du prix Pulitzer et auteur du roman épique Champlain’s Dream (2008). Georges-Hébert Germain, « Champlain révèle sa vraie nature ! », L’Actualité, 13 avril 2011 (lien)
Pour aller plus loin
- Pour suivre les voyages de Champlain et en apprendre plus à son sujet : Musée canadien de l’histoire ~ Samuel de Champlain
- Voir la série télévisée Le rêve de Champlain, réalisée par Martin Cadotte en 2015, à partir de l’œuvre de Fischer, et produite à l’occasion de la commémoration des 400 ans de présence francophone en Ontario.
Étienne Brûlé, le coureur de bois
Mais avant même ce voyage, Champlain avait envoyé l’un de ses hommes en reconnaissance, Étienne-Brûlé, un interprète et éclaireur. À bien des égards, Étienne Brûlé est la figure paradigmatique du coureur de bois. Il sert de « truchement », c’est-à-dire de passeur culturel et linguistique auprès des Premières Nations, notamment avec les Hurons qu’il rencontre et dont il adopte la langue et le mode de vie. Il semblerait qu’il ait bénéficié de la confiance inconditionnelle de Champlain.
Aujourd’hui, l’historiographie considère qu’Étienne Brûlé est le premier Européen à avoir décrit l’Outaouais, la Baie géorgienne, la Pennsylvanie et plusieurs des Grands Lacs. Mais contrairement à Champlain, il n’a laissé aucune trace écrite, ce qui explique en partie le rôle mineur qu’on lui attribue. De surcroît, il a été discrédité par d’autres explorateurs, dont le père Gabriel Sagard qui condamne le fait que Brûlé ait adopté les mœurs des Premières Nations.
Les principaux récits qui vont rester sont ceux qui ont été écrits par les missionnaires religieux qui, pour des raisons idéologiques, vont oblitérer le rôle de Étienne Brûlé.
Sur le plan des représentations, le personnage de Samuel de Champlain est vraiment attaché à la ville de Québec (on a tendance à oublier ses nombreux autres voyages); Étienne Brûlé a longtemps été oublié ou présenté de façon négative (les récits des missionnaires étaient repris par le système éducatif). Ainsi, cette page importante de l’histoire de l’Ontario n’est associée à aucun nom prestigieux ou bien connu. Le nom d’Étienne Brûlé, premier Franco-Ontarien, n’est pas vraiment passé à l’Histoire. Une école secondaire francophone de Toronto porte son nom. La plaque commémorative reproduite ci-contre se situe dans le parc Étienne-Brûlé à Toronto (le long de la rivière Humber, près de Old Mill (The Kingsway).
Pour suivre les trajets d’Étienne Brûlé et en apprendre plus à son sujet : Étienne Brûlé – Musée virtuel de la Nouvelle-France
3. Exploration, commerce et évangélisation
Les postes de traite
Pendant tout le XVIIe siècle et la première moitié du XVIIIe siècle, plusieurs explorateurs suivent différents itinéraires dans la région des Grands Lacs tels que Perrot, Lamothe Cadillac, Hennepin, Cavalier de La Salle. Il s’agit d’une logique d’exploration et d’établissement de forts à différents points stratégiques autour des Grands Lacs : Frontenac, Rouillé, Niagara, Sault-Saint-Marie, Nipigon, Michipicoton, Kaministiquia, ceux de Pierre Gaultier de La Vérendrye au lac de la Pluie et au lac des Bois (au Sud de Kenora).
Le monde des explorateurs, des coureurs de bois et de la traite des fourrures est un monde de rivalité. Radisson et Des Groseillers s’allient par exemple dans leurs explorations, mais à leur retour, ils sont très mal accueillis par les Français et décident alors de travailler en faveur de l’Angleterre. En 1670, ils fondent la Compagnie de la Baie d’Hudson (à Londres) qui, jusqu’à la fondation de la Confédération canadienne, va posséder des terres allant du Labrador, jusqu’aux Rocheuses.
Détroit, une très ancienne paroisse francophone
En 1701, Lamothe Cadillac fonde le poste de Détroit, qui devient la paroisse de l’Assomption en 1728. Ce poste connaît peu à peu une expansion. En 1749, des terres sont concédées puis exploitées dans la paroisse, ce qui permet l’implantation durable de colons. Ainsi, au milieu du XVIIIe siècle, Détroit est le lieu d’une solide implantation de population blanche, autochtone et métisse. Cet emplacement devient ainsi le premier établissement français permanent en Ontario qui se maintient même après la conquête de 1763.
Les missionnaires. L’exemple de Midland
À certains endroits, quelques missionnaires s’installent dans le but d’évangéliser les premières nations environnantes. En 1639, une mission s’établit ainsi à Sainte-Marie-au-Pays-des-Hurons, dans la région de Midland.
Mais en 1649, une attaque iroquoise détruit la Huronie. Les missionnaires jésuites abandonnent leur établissement et retournent à la maison mère à Sillery virgule près de Québec.
Le site reconstitué de Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons
Pour en savoir plus : Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons : joyau méconnu de la Nouvelle-France ontarienne
4. La proximité avec la frontière américaine
Au terme de la guerre d’indépendance américaine (1775-1783), un grand nombre de Loyalistes voulant rester fidèles à la couronne d’Angleterre s’établissent au nord du lac Ontario (Canada). En 1791, l’Acte constitutionnel créer le Haut-Canada afin de répondre aux attentes de ces nouveaux colons. Cette époque marque le début du peuplement systématique par des Anglais, des Écossais et des loyalistes américains sur les terres qui deviendront la province de l’Ontario.
La guerre de 1812-1815 est un conflit entre les États-Unis et l’empire britannique. Le poste de Michilimakinac est perdu; ces groupes et les voyageurs sont relocalisés à Penetanguishene. Mais de façon générale, ce conflit ne modifie pas l’équilibre linguistique et culturel de la région.
5. Ottawa et la vallée de l’Outaouais
L’exploitation forestière dans la vallée de l’Outaouais
Le début du XIXe siècle est marqué par le déclin du commerce des fourrures et au contraire la demande croissante en bois. En Europe, le déclin de la noblesse et la montée en puissance de la bourgeoisie changer en effet les besoins en terme vestimentaire (moins de fourrures), alors que les guerres napoléoniennes qui vont ravager l’Europe pendant les quinze premières années du siècle font augmenter la demande en bois. C’est le début de l’exploitation forestière et du commerce du bois équarri au Canada, activité pour laquelle se démarquent les Irlandais et les Canadiens français. La drave [déformation du mot drive] consiste à aider à la flottaison des troncs d’arbres pour les faire descendre le long des rivières. C’est un métier extrêmement dangereux qui demande beaucoup de dextérité et d’équilibre.
Dans l’Outaouais (région d’Ottawa), les Irlandais essaient d’établir un monopole sur cette industrie. Entre 1828 et 1843 a lieu ce qu’on nomme « la guerre des shiners » [déformation du mot français « chêneurs »] qui oppose les Irlandais et les Canadiens français. Ceux-ci résistent farouchement.
Les femmes sont embauchées dans l’usine de fabrication d’allumettes de la compagnie d’E. B. Eddy, riche entrepreneur américain qui embauche jusqu’à 200 employés avant de fermer en 1928. Les risques d’incendie et d’exposition à des produits toxiques sont leur lot quotidien.
Jos Montferrand
Ce contexte donne naissance à un personnage légendaire du folklore canadien-français, Jos Montferrand. c’était un draveur canadien français né à Montréal, doté d’une force légendaire et qui a contribué à faire respecter ses compatriotes canadiens.
Le célèbre chansonnier Gilles Vigneault lui a consacré une chanson, par exemple.
Ottawa et le canal Rideau
C’est grâce à l’industrie forestière que se développent Bytown et sa région. En 1832, le canal Rideau, long de 202km, est inauguré. Il relie la rivière Outaouais au Lac Ontario.
Bytown est renommée Ottawa en 1855, et deux ans plus tard, la reine Victoria la désigne comme capitale du Canada. Kingston, qui avait été la capitale jusqu’alors, est perçue comme beaucoup trop vulnérable et proche de la frontière américaine après la guerre de 1812-1815. A partir du milieu du XIXe siècle le développement agricole de la région d’Ottawa est favorisé par l’importance de la diaspora canadienne-française.