1. Un mot sur le language

Pouce vers le haut sur un ruban pour représenter les bonnes pratiquesÀ retenir

Les mots que nous choississons sont très importants.

Le langage est truffé de mots, d’expressions, d’euphémismes et de métaphores qui révèlent une perception négative et profondément ancrée du handicap.

Les mots que nous utilisons pour parler les personnes ayant une étiquette de déficience intellectuelle et pour parler avec elles sont très importants. Une bonne communication tout comme le respect est au cœur de la relation entre les professionnels et professionnelles de la santé et les personnes desservies. Cependant, comme le racisme, le sexisme et l’homophobie, le capacitisme est bien enraciné dans notre culture et s’exprime parfois de façon inconsciente. Malgré les bonnes intentions, nous pouvons intérioriser les nombreux stéréotypes et croyances négatives associés au handicap du développement.

Dans ce module nous alternons entre « déficience intellectuelle », « personne avec une étiquette de déficience intellectuelle », « personne diagnostiquée avec une déficience intellectuelle ».  Nous utilisons aussi « autiste » et « handicap de développement » pour désigner des « personnes neurodivergentes », c’est à dire des personnes dont les capacités cognitives et communicatives s’éloignent de la norme.

Nous nous engageons aussi à utiliser un langage qui reconnaît les femmes et les personnes non binaires. Pour ce faire, nous privilégions les noms et formulations neutres et épicènes.[1] Nous évitons la forme tronquée ou abrégée avec parenthèses tels que « étudiant(e)s » et points tels que « professionnel.le.s » puisque les logiciels de génération de la voix les lisent avec difficulté.[2]

La personne ou l’identité en premier?

Dans ce module, nous alternons aussi entre le langage de « la personne en premier » et celle de l’identité en premier. Le langage de « la personne en premier » est surtout préconisé par les membres de famille, et les groupes qui les représentent et les professionnels en santé et en éducation. Par exemple, ceux-ci préféreront dire « une personne autiste », ou « une personne avec TSA » faisant référence au « trouble du spectre d’autisme ». En revanche, certaines personnes qui portent ces étiquettes utilisent le langage de « l’identité en premier ». Par exemple, ils ou elles diront « Je suis autiste » au lieu de dire « J’ai un TSA »[3]. Le langage de l’identité en premier n’est pas courant pour les personnes avec l’étiquette de déficience intellectuelle.

Vous avez peut-être remarqué que nous utilisons le mot « étiquette ». Cette pratique trouve son origine dans les groupes d’auto-revendication qui affirment que « Les étiquettes vont sur les pots, pas sur les personnes ». L’ajout du mot « étiquette » devant « déficience intellectuelle » signifie que la personne n’a pas choisi la terminologie « déficience intellectuelle » et que celle-ci ne la définie pas en tant que personne. Cette pratique exprime le rejet d’un diagnostic qui définit de manière trop englobante l’identité de la personne.

En anglais, le mot « handicap » a été remplacé par « disability ». En français, nous continuons à utiliser le mot « handicap ». Parfois, nous utilisons la phrase « personne en situation de handicap » pour mettre l’accent sur les obstacles environnementaux qui produisent des désavantages.

En somme, les mots, tout comme les attitudes et les pratiques, changent avec le temps. Il n’y a pas de consensus sur les mots corrects à utiliser. Il est important de respecter le choix de la personne et de se tenir informé sur l’évolution du langage en lien avec le handicap. Une chose est certaine, la croyance selon laquelle le handicap est en soi négatif est profondément capacitiste et doit être remise en question.

D’autres considérations sur le langage

Mots de provenance médicale

Image de la page 9 du livre Mental defectives in Virginia: a special report of the State board of charities and corrections to the General assembly of nineteen sixteen on weak-mindedness in the State of Virginia, together with a plan for the training, segregation and prevention of the procreation of the feeble-minded.
Mental Defectives in Virginia. https://archive.org/details/mentaldefectives00virg/page/9/mode/1up?view=theater

À la fin du 19e siècle, les mots « idiot », « imbécile » et plus tard « moron » signifiaient différents niveaux de déficience intellectuelle.[4] Ces termes ont été abandonnés par la médecine.Par contre, ils font partis du langage courant en tant qu’insultes. Le mot « mongol », aujourd’hui également utilisé comme une injure, a été proposé par le médecin anglais John Langdon Down parce qu’il constatait que les personnes atteintes du syndrome de Down partageaient des caractéristiques physiques avec les asiatiques.[5] D’autres mots tels qu’« invalide », « crétin », et « débile » jadis désignaient des conditions de santé. De nos jours, ces mots sont aussi des injures. Selon Puiseux,

Quoique la plupart de ces mots de dénigrement ne soient généralement plus reconnus comme reliés, ou associés à des handicaps spécifiques, ils ont néanmoins gardé des connotations insultantes d’incapacité et de manque dues à des conceptions négatives plus répandues du handicap. Cela est donc du validisme indirect.[6]

Malgré les campagnes de contestation et de sensibilisation menées pas les personnes avec une étiquette de déficience intellectuelle, le mot « retardé » est encore utilisé aux États-Unis et ailleurs dans le monde.[7] En français, nous utilisons encore la terminologie « déficience intellectuelle » qui rappelle les termes anglais « mental deficiency » en vogue jusque dans les années 1960s. C’est pourquoi nous voyons l’apparition de nouvelles appellations telles que « personne en situation de handicap cognitif ».

Bien que la trisomie 21 et l’autisme ne sont pas des maladies comme le diabète et l’asthme mais des variations biologiques naturelles chez les humains, nous lisons encore dans les médias et les articles académiques qu’une personne « souffre » d’une déficience intellectuelle ou qu’elle est « affligée » d’un trouble envahissant du développement. Ces tournures de phrases révèlent des présupposés capacitistes, puisque ces variations humaines sont présentées comme quelque chose d’intrinsèquement négatif.

L’« âge mental » est un concept qui date de la fin du 19e siècle et qui est couramment utilisé pour décrire les capacités d’une personne. L’« âge mental » est assigné en comparant les capacités cognitives « normales » ou moyennes à des groupes d’âges spécifiques. L’utilisation du concept de l’âge mental est très répandue et pourtant il est infantilisant et irrespectueux des multiples facettes de l’identité, des capacités et du vécu d’une personne. Quoiqu’un adulte ne puisse pas lire, éprouve des difficultés à retenir des informations ou aime écouter de la musique destinée aux enfants, il demeure néanmoins un adulte.

Euphémismes

Nous utilisons des euphémismes lorsque nous voulons atténuer ce qui nous paraît trop négatif. Certains diront que nous cherchons à éviter l’offense ou à adoucir un message trop difficile pour des oreilles sensibles. D’autres diront que les euphémismes sont surtout utilisés pour manipuler et cacher le sens véritable des mots. Peu importe, l’utilisation des euphémismes témoignent d’un inconfort avec une certaine réalité. Les mots « besoins spéciaux », « besoins particuliers » ou « exceptionnels », « des personnes avec des défis », « handicapable » (de l’anglais « differently-abled ») cherchent à remplacer le mot « handicapés ». Cependant, plusieurs activistes handicapés critiquent ces expressions pour leur paternalisme.[8][9] De plus, l’habitude de dire « il est autiste mais de haut niveau » ou, « elle a une déficience intellectuelle mais elle fonctionne à un haut niveau » est une autre façon de dire que la personne est « plus normale » ou « pas si déficiente ».[10] L’idée selon laquelle il existe une échelle de fonctionnement du plus bas niveau au plus haut nous rappelle l’image « Steps in mental development » présentée plus haut.

Métaphores

Les métaphores liées au handicap sont très courantes. Nous les utilisons souvent sans nous en rendre compte. Elles servent à exprimer une idée rapidement mais qui n’a aucun lien avec l’expérience vécue du handicap. Par exemple, pour rassurer un collègue que nous avons bien entendu leur message, nous lui dirons que ses paroles ne sont pas « tombées dans l’oreille d’un sourd ». Lorsque nous nous sentons ignorés, nous pouvons crier notre frustration : « Es-tu sourd? » ou « Arrête de faire la sourde oreille »! Lorsqu’un projet n’avance pas nous disons parfois qu’il est « paralysé ». D’une personne qui s’est mal préparée, nous disons qu’elle a fait « un examen à l’aveugle ». Il est important de prendre conscience de ces métaphores afin d’éviter de les utiliser. Comme les exemples présentés jusqu’à maintenant, elles présentent et renforcent l’idée capacitiste selon laquelle l’expérience du handicap est intrinsèquement négative.

En somme, les mots que nous choisissons sont importants parce qu’ils reflètent nos valeurs, nos croyances et l’histoire de nos relations. Mais aussi parce que les mots ont un impact sur notre façon de voir le monde et donc d’agir dans nos relations interpersonnelles. L’attention portée à la langue ne vise pas à satisfaire les caprices des gens, mais à la reconnaissance et au respect de chaque individu en tant qu’être entier et complexe.

Attribution des images

« Certified » par Gregor Cresnar de Noun Project, sous licence CC BY 3.0


  1. L’institut national de la recherche scientifique (INRS). (2021). Inclusivement vôtres! Guide de rédaction inclusive. https://inrs.ca/wp-content/uploads/2021/03/Guide-redaction-inclusive-inrs-vf.pdf
  2. Université de Laval. (2021). Guide de rédaction inclusive. https://www.ulaval.ca/sites/default/files/EDI/Guide_redaction_inclusive_DC_UL.pdf
  3. Fecteau, S.M. et Cloutier, I. (2023). Diversité de paroles: Résultats du sondage. https://static1.squarespace.com/static/60e2fdd5c78e21094c6d116c/t/6457e8912498da771cbe5795/1683482772462/1.+Fecteau+et+Cloutier+-+R%C3%A9sultats+au+sondage.pptx.pdf
  4. Zylberberg, S. (2020, 14 septembre). Idiot, imbécile, crétin, débile… d’où viennent ces qualificatifs et quelle en est la gradation ? JeRetiens. https://jeretiens.net/idiot-imbecile-cretin-debile-dou-viennent-ces-qualificatifs-et-quelle-en-est-la-gradation
  5. Down, J. L. H. (1995). Observations on an Ethnic Classification of Idiots. Mental Retardation, 33(1), 54-56. (Ouvrage original publié en 1886)
  6. Puiseux, C. (s. d.). Le langage métaphorique : les métaphores validistes dans l’écriture féministe, Sami Schalk. https://charlottepuiseux.weebly.com/le-langage-meacutetaphorique--les-meacutetaphores-validistes-dans-lrsquoeacutecriture-feacuteministe-sami-schalk.html
  7. Special Olympics. (s. d.). The ‘R’-Word Remains Prevalent Across Social Media [Communiqué de presse]. https://www.specialolympics.org/discriminatory-language-about-people-with-intellectual-disabilities-particularly-the-r-word-remains-prevalent-across-social-media
  8. CrippledScholar. (2017, 12 novembre). Euphemisms for Disability are Infantalizing. https://crippledscholar.com/2017/11/12/euphemisms-for-disability-are-infantalizing/
  9. Eric. (2022). « Besoins spéciaux » est un euphémisme qui blesse les enfants handicapés. Trendy Daddy. https://trendy-daddy.fr/2022/01/04/besoins-speciaux-est-un-euphemisme-qui-blesse-les-enfants-handicapes/
  10. Kim, C. (2013). Cognitive function: Decoding the high functioning label. Musings of an Aspie. https://musingsofanaspie.com/2013/06/26/decoding-the-high-functioning-label/

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