4. Modèles et conceptualisations du handicap

La façon d’expliquer les désavantages vécus par les personnes ayant des caractéristiques individuelles hors-norme détermine la cible d’intervention.  Cette section donne un aperçu de différents modèles qui façonnent la manière dont nous comprenons le phénomène du handicap et percevons la place des personnes handicapées dans la société.

Après chaque modèle et concept, vous serez invité à réfléchir à la manière dont ils informent votre compréhension du handicap.

Si vous n’avez pas téléchargé le journal de réflexion, consultez nos instructions sur le journal de réflexion dans la section Utiliser cette ressource.

Pouce vers le haut sur un ruban pour représenter les bonnes pratiquesÀ retenir

Les modèles et concepts associés au phénomène du handicap nourrissent votre conception personnelle ainsi que votre formation professionnelle. Leur connaissance est essentielle pour guider votre pratique.

Modèle biomédical

Selon le modèle médical ou biomédical, le handicap représente un écart par rapport à ce qui est considéré comme un développement humain normal. Ce modèle a forte emprise sur la conceptualisation du handicap en tant qu’état pathologique. Pariseau-Legault et Holmes expliquent que « l’approche normative [du modèle biomédical] confond injustement la moyenne et la norme »[1]. Selon eux, cette erreur « contribue à une distinction strictement subjective entre le normal et l’anormal, perçue à tort comme scientifiquement objective [notre traduction] » (p. 255). Selon ce modèle, la pauvreté vécue par la majorité des personnes en situation de handicap est un sort attribuable aux incapacités et aux inaptitudes sociales de l’individu.[2] Il ne remet pas en question les rapports de pouvoirs entre les personnes handicapées et celles qui sont considérées valides et ne tient pas compte des facteurs environnementaux qui créent des obstacles à la participation et à l’équité. Le handicap d’une perspective biomédicale est une anomalie à guérir ou à corriger par des interventions médicales ou comportementales.

Questions de réflexion

En quoi le modèle biomédical correspond-il à vos propres convictions ou les remet-il en question ?

Est-ce que ce modèle confirme des choses que vous saviez déjà ?

Quel est le lien our vous entre le modèle médical et d’autres lectures, idées ou expériences ?

En quoi ce modèle changera-t-il votre point de vue à l’avenir ?

Notez vos idées dans votre journal de réflexion.

Modèle social

Le modèle social du handicap est né des mouvements sociaux menés par des personnes en situation de handicap tel que la Union of Physically Impaired Against the Segregation (UPIAS) et développé par le sociologue britannique Michael Oliver en 1996.  En opposition avec la perspective biomédicale, ce modèle attribue la source des désavantages subis par les personnes handicapées aux obstacles tels que les attitudes négatives, l’architecture et les services inaccessible, la discrimination, les communications, la planification urbaine. Le modèle social représente une « rupture des sciences de la réadaptation » et une critique de l’emprise des experts professionnels sur la définition du handicap donne naissance à un nouveau champ d’études sur le handicap ou « Disability Studies » en anglais.[3] La source du problème se trouve donc dans les systèmes sociaux qui ne tiennent pas compte des besoins des personnes ayant des caractéristiques hors du commun et qui par conséquence les excluent.

Selon cette perspective, les obstacles qui empêchent la pleine participation des personnes en situation sont à éliminer. Bien que le modèle social ait redirigé le regard vers les obstacles environnementaux, certains le critiquait de négliger la réalité du corps et les douleurs physiques et psychiques que peuvent occasionner certaines conditions. Certains ont préconisé son abandon[4] alors que d’autres plaident pour des ajustements.[5] Ultérieurement, Shakespeare adoptera une approche interactionnelle du handicap pour décrire le phénomène « comme le résultat de l’interaction entre les facteurs individuels et contextuels, ce qui inclut la déficience, la personnalité, les attitudes individuelles, l’environnement, la politique et la culture » (p. 77).[6]Processus de production du handicap

Questions de réflexion

En quoi le modèle social du handicap correspond-il à vos propres convictions ou les remet-il en question ?

Est-ce que ce modèle confirme des choses que vous saviez déjà ?

Quel est le lien pour vous entre le modèle social et d’autres lectures, idées ou expériences ?

En quoi ce modèle changera-t-il votre point de vue à l’avenir ?

Notez vos idées dans votre journal de réflexion.

Modèle de développement humain et Processus de production du handicap (MDH-PPH 2) (Fougeyrollas, 2010)

*Diagramme inclus avec la permission du RIPPH.qc.ca

Le modèle du processus de production du handicap (PPH) est conçu au Québec à la fin des années 1980s par une équipe de chercheurs québécois dirigée par l’anthropologue Patrick Fougeyrollas. Selon le PPH, le handicap est situationnel puisqu’il résulte de l’interaction entre les caractéristiques individuelles et les facteurs environnementaux, incluant les facteurs identitaires tels que le genre, le statut socio-économique et les valeurs. Tandis que le modèle social du handicap avait tendance à exclure les spécialistes de la santé, le PPH « interpelle toutes les actrices et tous les acteurs sociaux comme potentielles parties-prenantes de la construction d’obstacles ou de facilitateurs à l’exercice effectif des droits de la personne. »[7] Dans les années 1980s et 1990s, le développement du modèle du PPH a joué un rôle important dans la reconnaissance des facteurs environnementaux dans la Classification internationale des déficiences, des incapacités et des handicaps (CIDIH) de l’Organisation mondiale de la santé.[8]

Questions de réflexion

En quoi le Processus de production du handicap correspond-il à vos propres convictions ou les remet-il en question ?

Est-ce que ce modèle confirme des choses que vous saviez déjà ?

Quel est le lien pour vous entre le PPH et d’autres lectures, idées ou expériences ?

En quoi ce modèle changera-t-il votre point de vue à l’avenir ?

Notez vos idées dans votre journal de réflexion.

Capacitisme ou validisme

Le capacitisme ou validisme est un terme traduit du mot anglais « ableism ». Le terme fait son apparition entre 1970 et 1980[9][10] et désigne une discrimination envers les personnes ayant des caractéristiques considérées invalides ou anormales. Selon la Commission du droit de l’Ontario, le capacitisme est:

un système de croyances, semblable au racisme, au sexisme ou à l’âgisme, selon lequel une personne handicapée est moins digne d’être traitée avec respect et égard, moins apte à contribuer et à participer à la société ou moins importante intrinsèquement que les autres. Le capacitisme peut s’exercer de façon consciente ou inconsciente et être inscrit dans les institutions, les systèmes ou la culture d’une société. Il peut restreindre les possibilités offertes aux personnes handicapées et réduire leur participation à la vie de leur collectivité (p.3).[11]

Les différents types de capacitisme

Institutionnel ou systémique Les politiques, les lois, les pratiques, normes culturelles et sociales d’une institution et les obstacles environnementaux qui empêchent la pleine participation des personnes en situation de handicap
Interpersonnel Le capacitisme a lieu au sein des interactions sociales. Par exemple, l’utilisation de langage blessant, s’adresser au parent ou à l’assistant personnel en premier, banaliser le handicap de la personne parce qu’il n’est pas visible, etc. Ces microaggressions peuvent être intentionnelles ou non, verbales ou comportementales. Par exemple, un compliment paternaliste ou une blague méprisante, le fait d’être exclu d’un événement.
Intériorisé Le capacitisme intériorisé lorsque nous croyons, de façon consciente ou insconsciente, aux messages dévalorisants et méprisant concernant le handicap. Par exemple, je suis trop exigeante, je n’aurai jamais un travail ou je ne suis pas assez bonne.

Questions de réflexion

Comment le capacitisme agit dans votre vie personnelle ou professionnelle?

Est-ce que ce concept confirme des choses que vous saviez déjà ?

Quel est le lien pour vous entre le capacitisme et d’autres lectures, idées ou expériences ?

En quoi la connaissance de ce concept changera-t-il votre point de vue à l’avenir ?

Notez vos idées dans votre journal de réflexion.

Neurodiversité

Le terme de neurodiversité fut créé dans les années 1990 par l’australienne Judy Singer pour décrire la diversité neurologique qui existe naturellement au sein de l’espèce humaine. La mère et la fille de Singer sont autistes et elle se décrit aussi comme autiste.[12] La neurodiversité met l’accent sur la diversité et la différence. Ce mot contribue à démédicaliser les différences humaines en les présentant comme des caractéristiques individuelles hors norme mais non de moindre valeur. Selon Silberman, la neurodiversité n’est pas une théorie, un concept, ni une position politique, mais bien un fait tout comme la biodiversité.[13]
Le concept de la neurodiversité, bien qu’il soit souvent associé à l’autisme, inclue toutes les différences neurologiques telles que le TDAH, la bipolarité, la schizophrénie et récemment, la déficience intellectuelle.

Questions de réflexion

Est-ce que ce concept confirme des choses que vous saviez déjà ?

Quel est le lien pour vous entre le concept de neurodiversité et d’autres lectures, idées ou expériences ?

En quoi la connaissance de ce concept changera-t-il votre point de vue à l’avenir ?

Notez vos idées dans votre journal de réflexion.

Modèle de justice sociale

Traduction du texte anglais au bas du diagramme:

La justice pour les personnes handicapées est fondée sur (tout vient de) la réalisation de notre propre travail, la prise en charge de soi et les espaces sécurisés. Faire notre propre travail signifie que nous nous mettons au défi, en tant qu’individus et en tant que communauté, d’apprendre, d’explorer et de comprendre nos propres privilèges, notre oppression internationale, nos valeurs, notre fierté, etc. Prendre soin de soi signifie prêter attention à ce dont notre corps, notre esprit et notre âme ont besoin pour se sentir équilibrés, car pour être bons (responsables) les uns envers les autres, nous devons prendre soin de nos propres besoins. (Cela peut inclure du repos, du temps pour réfléchir ou penser, de l’exercice, etc.) Les espaces sûrs permettent de valoriser nos nombreuses identités, cultures et origines.

La justice pour les personnes handicapées se développe à partir d’autres mouvements de justice (queer, raciaux, reproductifs, pauvres et féministes). Créé par le collectif Disabililty Activist Collective, 2010, mais dont il n’est pas propriétaire. Ce diagramme est inclus avec permission. Pour la version originale: http://disabilityj.blogspot.com/

L’approche de justice sociale du handicap est lancée en 2005 par des activistes de couleurs Patty Berne, Mia Mingus, et Stacey Milbern qui cherchent à élargir le travail accompli par les mouvements de défense des droits des personnes handicapées.[14] D’autres se joindront à elles pour formuler ce qu’elles présentent comme la deuxième vague des mouvements pour les droits des personnes handicapées. Ces activistes-artistes-académiques proposent qu’un modèle plus radical est nécessaire pour une transformation profonde des institutions existantes. En 2015, Patty Berne propose dix principes pour une approche de justice sociale au handicap :

  • L’intersectionnalité
  • Le leadership des personnes les plus touchées
  • Une politique anticapitaliste
  • L’engagement à l’égard de l’organisation des mouvements croisés
  • La reconnaissance de l’intégrité
  • La durabilité
  • L’engagement en faveur de la solidarité entre les personnes handicapées
  • L’interdépendance
  • L’accès collectif
  • La libération collective[15]

En 2018, le Canadian Centre on Disability Studies publie le rapport Comprendre les formes intersectionnelles de discrimination des personnes handicapées.[16] Informé par un cadre de justice sociale et par la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le rapport jette un regard critique sur les défis et les possibilités de sa mise en pratique.

Questions de réflexion

En quoi le Modèle de justice sociale du handicap correspond-il à vos propres convictions ou les remet-il en question ?

Est-ce que ce modèle confirme des choses que vous saviez déjà ?

Quel est le lien pour vous entre ce modèle et d’autres lectures, idées ou expériences ?

En quoi ce modèle changera-t-il votre point de vue à l’avenir ?

Notez vos idées dans votre journal de réflexion.

Attribution des images

« Neurodiversité » adapté de « Neurodiversity Crowd 2.png » par MissLunaRose12, sous licence CC BY-SA 4.0.

« Book » par kholis muasaroh de Noun Project, sous licence CC BY 3.0

« Certified » par Gregor Cresnar de Noun Project, sous licence CC BY 3.0

 


  1. Pariseau-Legault, P., et Holmes, D. (2015). Intellectual Disability: A Critical Concept Analysis. Research and Theory for Nursing Practice, 29(4), 249–265. https://doi.org/10.1891/1541-6577.29.4.249
  2. Fougeyrollas, P. (2021). Compréhension historique du handicap et participation sociale des personnes ayant des capacités différentes. Revue Droits & Libertés, print. / été. https://liguedesdroits.ca/comprehension-historique-du-handicap-et-participation-sociale-des-personnes-ayant-des-capacites-differentes/
  3. Fougeyrollas, P. (2007). Dynamiques de l’évolution conceptuelle dans le champ du handicap : d’une conception individuelle à une conception sociale. Développement humain, handicap et changement social, 16(2), p.7-21. https://ripph.qc.ca/wp-content/uploads/2017/11/16-2-2007-Revue_Hommage_Philip_Wood_tr-1.pdf
  4. Shakespeare, T. & Watson, N. (2002). The social model of disability: an outdated ideology? Research in Social Science and Disability, 2, 9-28.
  5. Malhotra, R. & Rowe, M. (2014). Exploring disability identity and disability rights through narratives: Finding a voice of their own. Routledge. https://doi.org/10.4324/9780203721346
  6. Shakespeare, T. (2014). Disability Rights and Wrongs Revisited. Routledge
  7. Fougeyrollas, P. (2021). Compréhension historique du handicap et participation sociale des personnes ayant des capacités différentes. Revue Droits & Libertés, print. / été. https://liguedesdroits.ca/comprehension-historique-du-handicap-et-participation-sociale-des-personnes-ayant-des-capacites-differentes/
  8. Fougeyrollas, P. (2018). Pour en finir avec le processus de production du handicap. Mettre en œuvre l’équité et vivre la vulnérabilité. Spiritualitésanté. https://www.chudequebec.ca/a-propos-de-nous/publications/revues-en-ligne/spiritualite-sante/dossiers/handicap-realites-en-mouvement/pour-en-finir-avec-le-processus-de-production-du%C2%A0h.aspx
  9. La langue française. (s.d.). Capacitisme. Dans Dictionnaire de La langue française. https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/capacitisme
  10. Oxford Reference. (s.d.) Ableism. Dans, A Dictionary of Psychology. https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.20110803095344235?rskey=fBqtPV&result=10
  11. Commission du droit de l’Ontario. (2012). Promouvoir l’égalité des personnes handicapées par l’entremise des lois, des politiques et des pratiques. https://www.lco-cdo.org/wp-content/uploads/2012/03/disabilities-draft-framework_FR.pdf
  12. tapsychophobiemenvahit. (2019). La neurodiversité : histoire, signification, vocabulaire. https://tapsychophobiemenvahit.wordpress.com/2019/11/11/la-neurodiversite-histoire-signification-vocabulaire/
  13. Silberman, S. (2015). Neurotribes: The legacy of autism and the future of neurodiversity. Penguin Random House.
  14. CODE - Commission on Disability Equity. (2023). What is Disability Justice? https://code.as.ucsb.edu/what-is-disability-justice/
  15. Berne, P. (2015). Disability Justice - a working draft. Sins Invalid: An Unshamed Claim to Beauty in the Face of Invisibility. https://www.sinsinvalid.org/blog/disability-justice-a-working-draft-by-patty-berne
  16. Buettgen, A., Hardie, S. et Wicklund., E., Jean-François, K.M., et Alimi, S. (2018). Comprendre les formes intersectionnelles de discrimination des personnes handicapées. Programme de partenariats pour le développement social du gouvernement du Canada – Volet Personnes handicapées. Canadian Centre on Disability Studies. http://www.disabilitystudies.ca/assets/ccds-int-dis--151110-final-report-fr-full.pdf

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