Types de données de recherche

14 La gestion des données de recherche qualitatives

Dr. Joel T. Minion

Objectifs d’apprentissage

À la fin de ce chapitre, vous pourrez :

  1. Identifier les caractéristiques des données qualitatives par rapport à d’autres formes de données de recherche.
  2. Comprendre les procédés interactifs avec lesquels les chercheuses et chercheurs génèrent et gèrent leurs données qualitatives.
  3. Décrire comment la gestion des données de recherche pourrait mieux inclure les données qualitatives et les besoins des chercheuses et chercheurs qui les utilisent.
  4. Faire la promotion d’une plus grande intégration de tout type de données de recherche dans les principes, les politiques, les stratégies et les pratiques de gestion des données de recherche.

Introduction

Une saine gestion des données est essentielle pour l’excellence en recherche. La plupart des établissements d’enseignement supérieur appuient les initiatives dans ce domaine, mais peu s’attardent sur les données qualitatives et leurs chercheuses et chercheurs. Si vous participez à des formations typiques, on devra vous pardonner de penser que la gestion des données de recherche s’applique surtout aux données comprenant des chiffres ou des images géospatiales. À quelques exceptions près (p. ex., les principes de PCAP® des Premières Nations – propriété, contrôle, accès et possession), la reconnaissance des données de recherche qualitatives semble souvent secondaire. C’est sans doute en raison de la nature des données qualitatives. Elles sont souvent textuelles ou orales, plutôt que numériques, et recueillies uniquement de l’être humain. Cette qualité rend les données qualitatives particulièrement identifiables. Les données qualitatives obligent également les chercheuses et chercheurs à tenir compte des relations et contextes sociaux et les données sont communément générées par des études qui traitent de questions sensibles ou de communautés marginalisées. De tels défis peuvent expliquer pourquoi les données de recherche qualitatives ne réussissent que rarement à s’insérer dans les structures actuelles de GDR.

Dans ce chapitre, nous examinerons les raisons qui expliquent le peu d’études dans ce domaine de GDR et nous proposerons des moyens de pallier ces lacunes. Le contenu reflète mes 25 dernières années d’expérience en tant que bibliothécaire, chercheur qualitatif en santé, gestionnaire de données et formateur au Canada et en Europe. Comme la majorité de mes collègues en recherche qualitative, j’ai du mal à m’insérer dans les principes, les politiques, les stratégies et les pratiques existantes en GDR. Les spécialistes sont peu nombreux et les ressources, limitées; le chapitre n’est donc pas un guide pratique en la matière.

Les données qualitatives existent sous plusieurs formes et il existe une multitude de moyens de les générer, les analyser, les archiver, les partager, et parfois, les réutiliser. Nous aborderons de quelle façon la gestion des données de recherche qualitatives s’insère dans le processus de recherche. Pour la chercheuse ou le chercheur, cela implique d’explorer la façon de penser à ses données et comment mieux les organiser. Pour les bibliothécaires, archivistes ou autres types de spécialistes des données, la discussion devrait améliorer vos compétences en gestion de l’information avec une compréhension plus approfondie des origines des données qualitatives.

Le chapitre est divisé en trois sections : (1) la nature des données de recherche qualitatives; (2) la façon dont ces données se reflètent dans le processus de recherche qualitative; et (3) les défis de GDR au niveau de la collecte des données qualitatives. Pour terminer, nous discuterons des moyens à employer pour améliorer la gestion des données de recherche qualitatives.

La nature des données qualitatives

Les données qualitatives ne sont pas créées et analysées de la même façon que les données quantitatives ou que celles des humanités numériques. Toutefois, il ne faut pas croire que les différents types de données de recherche soient incompatibles et qu’elles ne peuvent être utilisées ensemble. Plusieurs chercheuses et chercheurs emploient une variété de méthodes dans leur recherche, par exemple une combinaison d’entrevues et d’évaluations psychométriques pour répondre à des questions du genre « Comment un trouble dépressif clinique est-il vécu par des individus qui soignent leur partenaire de vie en phase initiale de démence? » Les approches de ce genre démontrent bien l’interdépendance des différents types de données de recherche.

Qu’est-ce qui fait qu’une donnée de recherche est qualitative?

Les données qualitatives ne partagent pas entre elles une seule et unique philosophie ou un seul ensemble de principes méthodologiques. Elles sont générées par des recherches qui examinent des aspects sociaux de la condition humaine en utilisant des méthodes descriptives plutôt que des mesures. Les chercheuses et chercheurs peuvent observer des individus ou communiquer avec eux par une multitude de façons afin de mieux comprendre comment ils interagissent entre eux et comment ils conçoivent leur environnement soit à la maison, au travail, dans la communauté, en recevant des soins de santé, etc. La recherche qualitative trouve ses origines dans les sciences sociales, particulièrement en anthropologie, sociologie et psychologie, bien que la perspective qualitative puisse aussi être adoptée dans d’autres disciplines. Les chercheuses et chercheurs en sciences infirmières, par exemple, utilisent couramment des données qualitatives pour étudier certaines expériences vécues par des patientes et patients.

Les données qualitatives peuvent être recueillies au cours d’un seul contact ou par le biais d’interactions sur une plus longue période. Ce qui est retenu est toujours filtré à travers le prisme de l’expérience des chercheuses et chercheurs et de leur interprétation des interactions avec les personnes participantes. Les responsables de la recherche eux-mêmes font donc partie des données. Les données qualitatives sont importantes parce qu’elles fournissent des informations qui ne peuvent être mesurées ou comptées autrement, par exemple, comment la population afghane réfugiée interprète-t-elle les services gouvernementaux en arrivant au Canada ou quelle est l’expérience de compétition d’athlètes paralympiques ou qu’est-ce qui attire certains individus vers des mouvements d’extrême droite.

À quoi ressemblent les données qualitatives ?

Les méthodes les plus courantes pour générer des données qualitatives se font par le biais d’entrevues, de groupes de discussion et d’observations (p. ex., vous pouvez vous entretenir avec des personnes réfugiées sur leurs expériences par le biais d’entrevues individuelles, mener des groupes de discussion avec des athlètes ou observer ce qui se passe lors d’évènements d’extrême droite). Ces méthodes sont courantes parce que les techniques sont assez simples à apprendre et à mettre en pratique. D’autres méthodes comprennent des histoires orales, des journaux personnels de personnes participantes, des photographies/vidéos, des analyses de documents, des artéfacts (p. ex., de la nourriture, des vêtements) et des réponses ouvertes aux questions de sondages.

Ces méthodes peuvent être utilisées en combinaison avec d’autres, entraînant ainsi une interdépendance des jeux de données. Une chercheuse qui s’intéresse à la nature des collaborations entre climatologues peut effectuer des observations lors d’une conférence où elle peut aussi mener des entrevues avec des personnes présentes et recueillir les documents des présentations. Les chercheuses et chercheurs en recherche qualitative tiennent souvent un journal réflexif pour réfléchir à leur positionnement au sein du projet, pour noter de nouvelles idées et pour identifier de nouvelles pistes de questionnement. Les chercheuses et chercheurs peuvent aussi se tourner vers les médias sociaux, en parcourant par exemple les discussions en ligne où les interactions se font librement, sans intervention de leur part. Même si cette méthode est de plus en plus appliquée pour relever une perspective qualitative, le présent chapitre traite plutôt des données recueillies par la chercheuse ou le chercheur.

Exercice: Travailler avec des formes moins courantes de données qualitatives

Vous travaillez dans une université où vous êtes bibliothécaire de données. Un étudiant à la maîtrise vous demande conseil sur la façon de gérer les données qui seront recueillies lors d’une étude sur des femmes suivant des traitements contre le cancer du col de l’utérus. Les méthodes de collecte impliqueront conjointement des entrevues et des photovoix, une approche que vous connaissez peu. Consultez le document ci-dessous et relevez des questions que vous pourrez poser au sujet des photographies qui seront recueillies et sur la façon dont elles pourraient être gérées.

Wang, C. et Burris, M. A. (1997). Photovoice: Concept, methodology, and use for participatory needs assessment. Health Education & Behavior, 24(3), 369-387. https://doi.org/10.1177/109019819702400309

Bien que les données qualitatives prennent plusieurs formes, l’écrit est la forme la plus courante. Les entrevues et groupes de discussion sont généralement enregistrés avec des appareils audios portatifs; les enregistrements sont ensuite retranscrits pour l’analyse.

La complexité de la transcription

La transcription est souvent longue et difficile à faire sans les équipements appropriés (p. ex., de bons casques d’écoute ou des logiciels spécialisés). Plusieurs chercheuses et chercheurs en recherche qualitative confient ces tâches à des sous-traitants, ce qui soulève des préoccupations au sujet des coûts et de la possibilité d’avoir besoin de transférer les données à l’extérieur du Canada.

Le processus oblige également les chercheuses et chercheurs à faire des choix quant à l’ampleur des détails à transcrire. Chaque « umm », « euh » ou faux départ doit-il être noté (qualifiée de « transcription intégrale »)? Ou l’objectif est-il simplement de produire une version lisible de ce qui a été dit (une transcription dite « épurée »)? Ces décisions sont cruciales puisque certaines formes d’analyse qualitative peuvent nécessiter des niveaux particuliers de transcription.

Enfin, l’exactitude de toute transcription doit être vérifiée avant d’être analysée, ce qui implique d’écouter les enregistrements en lisant en parallèle les transcriptions correspondantes pour déceler toute erreur ou tout oubli.

Les enregistrements vidéo sont moins courants parce que certaines personnes participantes les considèrent comme plus intrusifs; leur utilisation peut nécessiter plus de démarches pour assurer le consentement des gens. Les vidéos peuvent aussi être plus exigeantes à analyser. Selon les circonstances et les versions, la capture de données d’observation est généralement faite à l’aide de notes écrites à la main ou à l’ordinateur et/ou de notes audios enregistrées sur le terrain (p. ex., les notes écrites peuvent être prises sur les lieux en même temps que des notes audios qui seront retranscrites plus tard).

Le traitement des formes moins courantes de données qualitatives varie énormément. Les copies papier, telles que des procès-verbaux ou des documents de présentation de conférence, ont souvent besoin d’être numérisées avant l’entreposage ou l’analyse. Les journaux personnels des personnes participantes peuvent nécessiter une transcription avant qu’ils puissent être analysés. Les photos numériques peuvent être stockées sous différents formats, selon les besoins ou les préférences de la chercheuse ou du chercheur. Pour ce qui est des artéfacts, la chercheuse ou le chercheur peut décider de les photographier ou de prendre des notes directement à partir des objets eux-mêmes.

Comment les données qualitatives se traduisent-elles en nouvelles connaissances?

Une gestion efficace des données qualitatives exige une compréhension du processus d’analyse. Le biologiste qui mesure les populations de poissons dans les lacs du nord utilisera probablement un logiciel pour faire une analyse statistique des données (p. ex., SPSS, Stata, R). Mais comment la sociologue peut-elle extraire le sens contenu dans une transcription d’entrevue? Il faut souvent travailler de façon inductive, remonter aux données pour identifier des concepts et des tendances plus larges. L’objectif est de regarder au-delà de ce qui a été dit, entendu, observé, photographié, etc. pour relever les idées transversales dans un jeu de données complet. L’analyse des données sous forme textuelle peut comprendre le codage ou l’utilisation de logiciels d’analyse de données qualitatives (p. ex., NVivo, Quirkos). Ces logiciels peuvent traiter de grandes quantités de données, mais ils ne peuvent pas les analyser. C’est le travail de la chercheuse ou du chercheur. De plus, ce n’est pas l’ensemble des chercheuses et chercheurs qui veulent coder ou utiliser des logiciels; quelques personnes préfèrent utiliser des transcriptions papier, des surligneurs, des stylos et des fiches.

À certains égards, les données peuvent représenter ce qu’il y a de plus simple dans le processus de recherche qualitative. Après tout, les transcriptions de discussions de groupe peuvent se ressembler d’une étude à l’autre; des pages de textes sur lesquelles a été consigné ce qui a été dit et par qui. Toutefois, le contenu des discussions est un reflet de la personne qui a mené chacune des études et des raisons qui l’ont poussée à s’engager dans la recherche. Les psychologues et anthropologues sont susceptibles d’aborder le même sujet autrement et de poser des questions différentes. Les données ne prennent leur sens qu’une fois analysées. Ce processus est complexe car il n’existe pas d’ontologie, d’épistémologie, de théorie ou de mode d’analyse unique pour toutes les formes de recherche qualitative. Les chercheuses et chercheurs travaillent à partir de leur propre point de vue; les mêmes données peuvent donc être interprétées de façons différentes selon qui mène l’analyse et à quelles fins.

Comprendre la recherche qualitative

Pour gérer les données qualitatives de façon efficace, vous devez comprendre comment la recherche qualitative est menée. Nous allons considérer les pratiques de recherche qualitative en fonction des données. Le but est de faire le lien entre les données qualitatives et trois éléments clés du processus de recherche : la structure des équipes de recherche, les répercussions de ces structures dans la production des données et le rôle des personnes participantes dans la recherche qualitative.

Contrairement à son équivalent quantitatif qui utilise souvent des processus bien établis (p. ex., des essais cliniques randomisés en recherche médicale, des instruments de sondage validés en psychologie), la recherche qualitative est plus souple et évolutive. Par exemple, les questions d’entrevues peuvent évoluer de façon importante au fil des multiples échanges avec différentes personnes participantes et mener à de nouvelles pistes de questionnement. Il est même possible, en cours de recherche, d’avoir à ajouter ou à éliminer certains types de données (ce serait le cas, par exemple, si les photos s’avéraient moins utiles que prévu). De telles décisions sont rarement prises à la légère, mais le fait que ces décisions puissent être prises reste une caractéristique propre aux recherches qualitatives.

Les équipes de recherche qualitative

La composition des équipes de recherche qui utilisent des approches qualitatives pour recueillir leurs données peut varier considérablement. Elle peut prendre l’une ou l’autre des formes suivantes :

  • Une personne responsable de la recherche avec une étudiante ou un étudiant de cycle supérieur (p. ex., un individu ayant reçu une petite subvention pour mener 20 entrevues sur la façon dont les parents monoparentaux gèrent les défis de garde d’enfants);
  • Un groupe de recherche au sein d’une université ou d’un département (p. ex., une chercheuse de haut niveau et deux boursiers en recherches postdoctorales qui mènent des groupes de discussion et utilisent des documents de planification urbaine pour étudier les changements proposés aux configurations de circulation urbaine);
  • Une équipe plus large de multiples universités qui regroupe différentes disciplines (p. ex., six chercheuses et chercheurs à mi-carrière en techniques énergétiques, en affaires et en psychologie organisationnelle qui utilisent des observations et des entrevues pour explorer les réseaux de communication des équipes chargées de l’installation de parcs éoliens en mer);
  • Un groupe composé de chercheuses et chercheurs internationaux et multidisciplinaires dont la collaboration s’étend sur plusieurs pays et terrains d’enquête (p. ex., une trentaine de chercheuses et chercheurs, des membres de la communauté étudiante des cycles supérieurs, du personnel clinique et des malades partenaires qui étudient les impacts de la COVID-19 longue sur la santé au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, en utilisant des entrevues, des analyses d’archives médicales et une enquête longitudinale).

Les chercheuses et chercheurs peuvent s’impliquer dans l’un ou plusieurs de ces types d’équipes au fil de leur carrière, mais la plupart finissent par développer une préférence ou des compétences spécialisées pour une ou deux approches précises.

Lorsque la composition d’une équipe de recherche implique plus d’une chercheuse ou d’un chercheur, il y a presque toujours une hiérarchisation des relations et une variété de niveaux de compétences menant à l’attribution de rôles et responsabilités particulières. Comme pour les recherches quantitatives, une personne est désignée chercheuse principale ou un chercheur principal pour diriger le projet et elle peut être appuyée par une ou plusieurs cochercheuses ou cochercheurs. La chercheuse principale ou le chercheur principal détient l’autorité sur l’étude et est redevable aux établissements, aux organisations subventionnaires et aux comités d’éthique à toutes les étapes du projet. Pour les équipes plus importantes, la personne responsable du projet peut avoir que très peu d’implications directes sur les activités de recherche au quotidien, notamment en matière de production et de gestion des données. Les chercheuses et chercheurs en début de carrière (p. ex., les membres de la communauté étudiante des cycles supérieurs et postdoctoraux) sont fréquemment chargés de la collecte, du traitement, de l’organisation et de la protection des données.

Le rapport entre les équipes de recherche et les données

La structure d’une équipe de recherche a des conséquences sur la façon dont la recherche qualitative est menée et sur le type de données générées. Dans ce rapport entre les équipes et les données, deux éléments valent la peine d’être soulignés.

Le premier élément concerne la nature itérative des recherches qualitatives et son impact sur les données. Les données qualitatives sont souvent analysées dès qu’elles sont recueillies, ce qui implique que les données du présent peuvent influencer celles de l’avenir. Par exemple, une chercheuse pourra utiliser ce qu’elle a appris lors d’une entrevue pour déterminer les questions de l’entrevue suivante. Les modifications peuvent être minimes (p. ex., la reformulation d’une question pour la rendre plus claire) ou importantes (p. ex., l’ajout ou le retrait d’une série complète de questions). Les études plus importantes dépendent souvent de séances de récapitulation entre collègues tout au long du processus de collecte des données afin de générer de nouvelles idées, de discuter des défis d’ordre pratique ou d’améliorer les compétences de la chercheuse ou du chercheur. Ainsi, les données qualitatives sont recueillies progressivement et de façon réflexive.

Le deuxième élément de ce rapport entre équipe et données implique l’attribution des rôles et responsabilités à l’intérieur des équipes et la façon dont cette attribution peut influencer les données. Puisque les données qualitatives sont intimement liées aux circonstances de leur collecte, celle ou celui  qui recueille les données aura un impact sur le choix de ce qui est recueilli. À défaut de capturer des détails sur le processus de collecte, les données qualitatives peuvent perdre leur capacité à soutenir des analyses rigoureuses. Par exemple, la transcription des échanges d’un groupe de discussion nécessite l’ajout de détails particuliers sur les personnes participantes (p. ex., l’âge, le travail, le niveau d’éducation) et de notes sur le ton de la discussion et sur la nature des interactions entre les personnes participantes (p. ex., un roulement des yeux ne peut être perçu dans un enregistrement audio).

Si chaque membre d’une équipe de recherche capture et traite les données selon ses propres balises, certaines variations peuvent survenir ou certains détails critiques, être omis. Pour éviter ces dérapages, certains individus peuvent être désignés pour agir à titre de personne responsable de l'intendance des données (idéalement, plus d’une personne devrait être responsable de l’intendance des données au cas où l’une d’elles quitte le projet). Ces gens seront chargés d’assurer une uniformité dans la gestion des données (p. ex., la désignation des fichiers, la structure des dossiers).

Exercice: Capturer le contexte

Félicitations! Vous venez d’être nommé stagiaire postdoctoral pour une étude qui observe les échanges verbaux et comportementaux dans les salles d’audience au Canada. L’objectif est d’étudier les différences dans les interactions des juges, des services juridiques, des parties demanderesses et défenderesses issus des minorités visibles. L’équipe du projet comprend un chercheur principal, une cochercheuse d’une deuxième université, deux récents titulaires de doctorat situés ailleurs, un coordonnateur d’étude et une étudiante à la maîtrise.

L’étude impliquera jusqu’à 600 heures d’observation de la part de quatre membres de l’équipe dans cinq villes différentes. Puisqu’aucun d’entre vous ne pourra ni discuter avec les personnes que vous observez ni les enregistrer, la collecte de données se limitera à la prise de notes sur le terrain que chaque personne devra ensuite retranscrire et partager.

L’équipe a discuté du type d’échanges à privilégier pour sa collecte. Mais force est de constater que les personnes chargées de recueillir les données doivent aussi capturer des détails liés au contexte, et ce, de façon uniforme. L’exercice vous demande donc d’identifier (1) quels types d’informations doivent être enregistrées au-delà des échanges eux-mêmes, (2) comment ces informations peuvent être recueillies de façon systématique et (3) comment faire le lien entre les données relatives au contexte et celles de la salle d’audience.

Une piste de vérification est une autre pratique utile en recherche qualitative. Cette documentation fait le suivi des activités et de la prise de décisions pendant toute la durée du projet, précisant ce qui s’est passé, à quel moment et pourquoi. Certaines informations seront capturées à même les données, mais pour les projets plus importants, un document distinct accessible par plusieurs membres de l’équipe peut s’avérer nécessaire. L’information enregistrée fait le lien en temps réel entre ce qui se passe au niveau de l’équipe et de la collecte des données. Par exemple, une piste de vérification permet à une équipe de ne pas avoir à se rappeler quand et pourquoi elle a décidé, à mi-parcours d’un projet, d’introduire un nouveau site ou une nouvelle méthode de collecte de données. Malheureusement, peu de normes existent sur la façon de créer et de gérer de tels documents en recherche qualitative. Comme nous le verrons en fin de chapitre, ce genre de défi peut être abordé en réunissant des chercheuses et chercheurs et des spécialistes des données.

La dimension sociale de la recherche qualitative

Un survol du processus de recherche qualitative ne peut être complet sans discuter du rôle des personnes qui participent à une étude. La recherche qualitative est de nature relationnelle, c’est-à-dire que les chercheuses et chercheurs doivent souvent interagir directement avec les gens qui prennent part à l’étude. La relation peut être passagère, comme dans le cas d’entrevues uniques menées par téléphone. Cela dit, même ces échanges peuvent nécessiter des efforts pour qu’un bon rapport soit établi au cours de l’étape de recrutement.  L’établissement de bons rapports est essentiel pour les études qui impliquent des contacts réguliers et prolongés. Il est d’autant plus critique lorsque les chercheuses ou chercheurs doivent interagir avec des personnes de communautés marginalisées ou stigmatisées qui hésitent à participer à des recherches de peur que des informations sensibles soient divulguées ou que leurs données soient utilisées contre elles ou leur communauté. Bien que des mécanismes éthiques de surveillance soient en place pour régir ce type de relation, la complexité des rapports demeure réelle dans la pratique. Quand un rapport étroit devient-il trop étroit? À quel point faut-il croire les informations transmises par les personnes participantes? Un témoin privilégié est-il représentatif de sa communauté ou est-il un cas particulier? Pour bien aborder ces préoccupations, les chercheuses et chercheurs doivent poser un regard critique sur leur rôle dans le processus de recherche et sur leur impact sur les données.

La production des données

La production des données qualitatives comporte son lot de défis. Les chercheuses et chercheurs doivent se conformer à diverses exigences (p. ex., éthiques, institutionnelles, professionnelles) qui gouvernent leurs choix et leurs actions, sans compter les nombreux défis inhérents à l’étude de l’être humain dans un contexte naturaliste. Nous discuterons de la gouvernance en matière de production des données qualitatives et nous aborderons trois questions particulières qui influent sur la façon dont les données sont recueillies : le recrutement des personnes participantes, le lieu du terrain d’enquête et l’évolution du rapport entre les personnes qui participent à l’étude et leurs données.

La gouvernance liée à la production des données

Pour toute recherche qualitative, les données ne sont jamais générées sans une quelconque forme d’autorisation ou d’exemption. Outre l’obtention du consentement éclairé des personnes participantes, l’approbation éthique est l’autorisation la plus importante. Pour l’obtenir, les chercheuses et chercheurs doivent soumettre les détails de l’étude à un comité d’éthique indépendant, précisant notamment le type de données à recueillir, les moyens prévus pour l’organisation et le stockage ainsi que les mesures pour assurer que la décision des personnes de contribuer aux données soit prise de façon éclairée. Lorsque les études impliquent des êtres humains, les chercheuses et chercheurs au Canada (y compris la communauté étudiante de premier cycle et des cycles supérieurs) doivent généralement suivre le cours EPTC 2 : FER-2022 avant de recevoir une approbation éthique. La formation présente les obligations des chercheuses et chercheurs lors de la collecte et de la manipulation des données, en plus des droits des gens qui participent à l’étude.

Lorsqu’une étude a reçu son approbation éthique, les chercheuses et chercheurs doivent respecter leurs engagements. Toute modification (p. ex., aux méthodes de recrutement ou à l’ampleur des données recueillies) doit être soumise et approuvée avant d’être mise en œuvre. L’approbation éthique accompagne aussi d’autres exigences en matière de données, dont celles en place dans les universités (p. ex., la durée de conservation des données). Les données générées à l’extérieur de ces balises sont inutilisables.

Dans certains cas, la collecte des données ne nécessite pas d’approbation éthique, par exemple lorsqu’une étude qualitative est menée pour évaluer un service ou pour mettre en place une initiative d’amélioration de la qualité. Cette approche peut être utilisée dans des recherches en santé qui n’implique pas des gens du public et qui comporte peu de risques pour les personnes participantes (p. ex., le personnel clinique) comme dans le cas d’une étude sur l’expérience des physiothérapeutes dans le traitement de leur clientèle en fauteuil roulant. Un outil d’évaluation peut être utilisé pour déterminer si une évaluation éthique complète est nécessaire (p. ex., ARECCI). Bien que la production des données soit moins rigide dans le cas d’évaluations de service (p. ex., le consentement éclairé n’est pas toujours exigé), elle est rarement moins rigoureuse. Les données ressemblent à celles de toute autre étude qualitative et sont généralement analysées et rapportées de la même façon.

Les défis courants

La production des données n’est pas toujours sans embûches. Deux défis particuliers reviennent souvent – le recrutement et l’emplacement du terrain d’enquête – tandis qu’un troisième est en évolution : le rapport des personnes participantes avec leurs données de recherche.

Le recrutement

Les données qualitatives ne peuvent exister sans participantes ou participants. Les méthodes mises en place pour le recrutement et le suivi des individus dans l’étude se traduisent dans leurs données. Les personnes participantes doivent d’abord être identifiées, un processus parfois long et exigeant. Les échantillons d’une étude doivent parfois tenir compte de facteurs tels que l’âge, le genre ou l’éducation. La collecte des détails liés au processus de recrutement peut aider à donner un sens aux données. Le choix des détails recueillis peut varier d’une étude à l’autre, mais les éléments suivants seront probablement inclus :

  • la personne qui a été contacté, combien de fois et comment elle ou il a répondu;
  • les renseignements personnels/professionnels de l’individu (p. ex., le rôle clinique, ses pronoms);
  • les dates, heures et détails de la collecte des données (p. ex., le nom de la chercheuse ou du chercheur, le lieu du terrain d’enquête);
  • l’état des données (p. ex., transcrites, anonymisées, prêtes pour l’analyse);
  • les restrictions liées à l’utilisation des données (p. ex., si un participant ne veut pas être directement cité);
  • la possibilité d’un contact subséquent.

Tous les registres de recrutement doivent demeurer confidentiels et conservés séparément des données afin de prévenir la réidentification. Les détails de recrutement ne sont généralement pas considérés comme des données, mais ils peuvent constituer une forme importante de métadonnées. De telles informations peuvent mettre en lumière, par exemple, le moment où un témoin privilégié s’est joint à l’étude ou si l’entrevue a eu lieu avec une professeure ou son assistant. Ce type de détail n’est pas toujours recueilli dans les données.

Le lieu du terrain d’enquête

Le deuxième défi en production des données concerne le lieu du terrain d’enquête. Les chercheuses et chercheurs se rendent souvent là où sont les personnes participantes, ce qui comporte son lot d’obstacles. Imaginez que vous êtes chercheuse ou chercheur dans un lieu insolite (p. ex., une communauté isolée de l’Arctique, un campement urbain sous la tente, le département des urgences d’un hôpital à deux heures du matin) et posez-vous les questions suivantes:

  • Comment vais-je recueillir les données? (p. ex., avec une enregistreuse audio, du papier et un stylo, des photos)
  • Quels sont mes recours si mon moyen de collecte ne fonctionne pas? (p. ex., les piles s’épuisent, le stylo n’écrit plus dans le froid)
  • Comment vais-je numériser, sécuriser et/ou faire une sauvegarde de mes données? (p. ex., l’envoi d’enregistrements pour la transcription nécessite une connexion Internet sécurisée)
  • Comment vais-je partager mes données avec les autres membres de l’équipe?
  • Les données auront-elles besoin d’être traduites? Comment puis-je assurer la confidentialité et l’intégrité des données tout au long du processus?

Certes, les chercheuses et chercheurs en recherche quantitative font face à des défis semblables, mais leurs homologues qualitatifs ont la difficulté supplémentaire d’avoir à recueillir des données personnelles identifiables et potentiellement sensibles, ajoutant ainsi à la complexité du travail sur le terrain.

Exercice: Recueillir des données loin de chez soi

Le Dr James Cummings est un sociologue britannique qui a mené une étude ethnographique sur les expériences des homosexuels masculins à Hainan en Chine. Dans un article de journal, il a discuté des défis d’avoir à travailler avec des participants de recherche qui devaient cacher certains aspects de leur vie. Lisez l’article et examinez les expériences du Dr Cummings dans la production et la gestion de ses données de recherche. À quels obstacles a-t-il été confronté? Comment ces obstacles seraient-ils semblables ou différents à ceux d’un chercheur qui mène une étude comparable dans une communauté au Canada? Comment les pratiques de GDR peuvent-elles être améliorées pour mieux appuyer ce type de recherche sur le terrain?

Cummings, J. (2018, 11 mars). The double lives of gay men in China’s Hainan province. The Conversation. https://theconversation.com/the-double-lives-of-gay-men-in-chinas-hainan-province-153945

Les personnes participantes et leurs données

Les données ne sont plus perçues comme un élément sur lequel les personnes participantes ont peu de contrôle. Quelques participantes et participants (p. ex., du personnel clinique ou des fonctionnaires qui prennent part aux recherches dans l’exercice de leurs fonctions) demandent de réviser ou de modifier leurs données avant de consentir à leur utilisation. Ces demandes restent peu fréquentes, ce qui explique pourquoi le suivi des modifications aux données (p. ex., des révisions apportées à une transcription d’entrevue) s’avère compliqué et pourquoi il y a si peu de meilleures pratiques.

Ce lien entre la personne participante et ses données évolue de façon importante. L’idée que l’individu qui participe à une recherche a le droit d’être informé des conclusions résultant de ses données se répand de plus en plus dans les débats éthiques. Des questions sur l’accès aux données qualitatives pour une analyse secondaire sont également soulevées. Dans quelle mesure les personnes participantes  devraient-elles avoir leur mot à dire sur la manière dont leurs données sont utilisées aujourd’hui ou à l’avenir? Et quelles sont les implications éthiques, juridiques et sociales de ces choix pour les chercheuses et chercheurs?

Une des approches proposées est le consentement dynamique; il permet aux participantes et participants de recherche de maintenir un lien avec leurs données sur une plus longue période et de revenir sur leur décision de consentir (selon leur souhait). Quand des transcriptions d’entrevues sont déposées dans des dépôts de données (p. ex., Borealis au Canada, Qualitative Data Repository à l’Université Syracuse et UK Data Service au Royaume Uni), l’accès est souvent réduit étant donné la nature identifiable du matériel. Le consentement dynamique permet à d’autres chercheuses ou chercheurs de communiquer avec des gens qui ont participé à d’anciennes études pour leur demander la permission de réutiliser leurs données à de nouvelles fins. Les patientes et patients ainsi que les familles qui ont participé à une quelconque étude (p. ex., les maladies rares) cherchent souvent à maximiser l’utilisation de leurs données, dans l’espoir que leurs efforts puissent contribuer à une percée médicale. Bien que le consentement dynamique soit principalement utilisé pour les données quantitatives, le concept sous-jacent reflète des changements plus larges dans la relation entre les personnes qui participent à la recherche et toutes les formes de données.

Les données de recherche qualitative dans le contexte de la GDR

Cette dernière section nous rappelle la discussion du début : la nécessité de tenir compte des spécificités des données qualitatives dans les principes, les politiques, les stratégies et les pratiques de GDR.

Le traitement des données d’entrevues

Les données qualitatives n’arrivent pas d’emblée prêtes à être analysées. Un traitement considérable est presque toujours nécessaire et chacune de ces étapes peut créer des versions supplémentaires d’une même donnée principale; les pratiques de GDR peuvent donc être aussi itératives que la recherche qu’elles appuient.

Dans l’exemple suivant, le tableau fait le suivi des modifications d’une seule entrevue, entre le moment où la discussion est enregistrée et celui où les données sont prêtes à être analysées (dans ce cas-ci, elles sont codifiées en utilisant le logiciel NVivo). Chaque rangée représente la création d’un nouveau fichier.

Tableau 1. Les itérations d’une entrevue qualitative.
Donnée du fichier Nom du fichier Observations Complications
 

Enregistrement audio

(données originales)

 

CG_CLIN_INT_P14 Données très identifiables qui ne sont que très rarement partagées avec des gens de l’extérieur de l’équipe de recherche Les données peuvent être divisées en deux (ou +) fichiers si les entrevues sont très longues ou interrompues; deux enregistrements semblables peuvent exister si un  enregistreur d’appoint est utilisé
 

Transcription — originale

(version reçue de la transcription)

 

CG_CLIN_INT_P14_o Contient probablement plusieurs erreurs de transcription Le format peut avoir besoin d’être uniformisé, si  différentes personnes effectuent la transcription
 

Transcription — vérifiée

(version suivant la comparaison avec l’enregistrement original)

 

CG_CLIN_INT_P14_v Le suivi des modifications peut être utile mais peut créer des sous-versions (p. ex., version- suivi, version- acceptée) Les variations sont plus probables si la même personne ne vérifie pas toutes les entrevues
 

Transcription — modifiée

(version suivant les modifications demandées par une personne participante)

 

CG_CLIN_INT_P14_m Peut nécessiter des notes explicatives; généralement fait à partir de la version vérifiée des données Peut obliger une décision sur l’ajout ou non des données si les modifications demandées sont importantes
 

Transcription — anonymisée

[Pour plus d’info sur l’anonymisation, consultez le chapitre 13, « Les données sensibles. » ]

 

CG_CLIN_INT_P14_a On doit décider si l’anonymisation des entrevues est individuelle ou collective Les clés d’anonymisation peuvent facilement mener à la réidentification d’une personne participante et doivent rester séparées des données
 

Transcription — NVivo

(version importée dans le logiciel et révisée davantage)

 

CG_CLIN_INT_P14_NV Les révisions dans NVivo ne sont pas capturées dans les versions antérieures La version demeure dans l’écosystème NVivo à moins d’être téléchargée

Ce tableau illustre les différentes versions d’une seule transcription. La plupart ne sont que des versions transitoires, bien que cet exemple soit assez sommaire. Plusieurs différents facteurs peuvent ajouter à la complexité du traitement de données d’entrevues. Il s’agit notamment des facteurs suivants :

  • les personnes participantes qui sont rencontrées plus d’une fois;
  • les entrevues qui doivent être traduites pendant ou après la transcription;
  • les transcriptions qui doivent être accompagnées d’autres fichiers de données (p. ex., des notes ou des photos prises sur le terrain, associées à la même personne participante).

Exercice: Menez une entrevue avec une chercheuse ou un chercheur en recherche qualitative

L’exercice vous invite à mener une entrevue avec une chercheuse ou un chercheur en recherche qualitative pour en savoir plus sur la façon dont ses données sont gérées. Commencez par identifier un individu qui travaille régulièrement avec des méthodes qualitatives et qui possède de solides connaissances sur le traitement des données qualitatives (ce qui exclut peut-être la communauté étudiante de cycle supérieur). Demandez de voir la structure de ses dossiers (pour des raisons éthiques, vous ne pourrez consulter des données spécifiques). Demandez-lui de vous expliquer quels types de fichiers sont conservés. Examinez l’organisation et la désignation de ses dossiers et fichiers. Posez-lui des questions sur la nature de ce qui a été conservé, l’emplacement de ses données et les raisons de ses choix. En tenant compte de ce que vous avez appris, pouvez-vous proposer des moyens pour améliorer les approches actuelles de la chercheuse ou du chercheur dans la gestion de ses données?

Le traitement des données n’est pas toujours aussi complexe que dans l’exemple de travail ci-haut. Pendant des décennies, les recherches qualitatives ont intégré des approches à la fois simples et efficaces. Cela dit, il y a toujours place à l’amélioration, particulièrement avec l’émergence de nouvelles exigences en GDR. Le savoir ouvert (open scholarship) exige des chercheuses et chercheurs que leur gestion des données qualitatives se fasse, dans la mesure du possible, selon des modalités compatibles avec l’excellence en recherche, mais aussi avec la perspective du partage et de la réutilisation des données. Cette transition peut avoir des conséquences sur deux pratiques encore peu courantes en recherche qualitative : les métadonnées et l’archivage des données.

Joindre des métadonnées aux données de recherches qualitatives peut être problématique puisque ce type de données nécessite des détails contextuels. Cependant, le contexte peut mener à l’identification des personnes participantes. Comment les données peuvent-elles être adéquatement décrites sans compromettre la confidentialité? Des métadonnées qui indiquent, par exemple, que des données proviennent d’une étude sur les perspectives de cliniciennes et cliniciens qui fournissent des soins de compressothérapie dans une clinique communautaire sont probablement trop simples. Indiquer que les personnes participantes font partie du corps infirmier ayant suivi la même formation spécialisée, que la clinique joue un rôle de premier plan dans le développement d’une approche innovante pour les vêtements de compression et que les patientes et les patients souffrent tous de diabètes de type 2 accroît l’utilité des données. Toutefois, de tels détails augmentent les risques de divulgation et de réidentification. Le problème est moins grand dans le cas de métadonnées utilisées par des chercheuses ou chercheurs en solo ou à l’intérieur des équipes de recherche lors de la collecte et l’analyse de données primaires. Mais qu’en est-il des métadonnées utilisées pour faciliter l’analyse secondaire par la communauté de recherche externe? Les normes spécifiques aux métadonnées dans le contexte des recherches qualitatives sont difficiles à trouver. En 2023, la question est moins pressante, puisque les données qualitatives sont encore rarement conservées dans des dépôts de données et encore moins accessibles sans restriction.

Plusieurs chercheuses et chercheurs en recherche qualitative hésitent à archiver leurs données et à les ouvrir pour la réutilisation. En plus, les organismes subventionnaires ne les y obligent pas. Le partage des données qualitatives soulève aussi des questions liées au recrutement; la majorité des chercheuses et chercheurs s’engagent auprès de leurs participantes et participants à rendre leurs données accessibles uniquement aux membres de l’équipe de recherche. Ces pratiques sont susceptibles d’évoluer à mesure que les principes d’ouverture des données s’intègrent dans des disciplines plus qualitatives et que les attentes des organismes subventionnaires changent. Nous constatons déjà ce phénomène dans le mouvement de souveraineté des données autochtones, ce qui suscite des questions fondamentales sur les métadonnées et leur propriété (pour plus d’informations, consultez le chapitre 3, « Souveraineté des données autochtones » ). De nombreuses préoccupations semblables sont soulevées par et au sujet d’autres groupes identifiables de la société. Qui faut-il consulter, par exemple, quand des décisions de GDR doivent être prises sur la collecte de données auprès de communautés religieuses ou de minorités ethniques? Qui décide de la façon dont ces données seront décrites, archivées, et possiblement réutilisées? Lisez le chapitre 12 « Planification de la gestion des données pour les processus de travail en science ouverte » pour en savoir plus sur les données ouvertes.

Pour terminer, le plus important des défis illustrés avec l’exemple de travail précédent est de déterminer laquelle des versions des données constitue la version définitive. Les enregistrements originaux sont les plus fidèles et descriptifs, mais ils sont plus susceptibles de mener à la réidentification des personnes participantes. Les transcriptions vérifiées et anonymisées semblent donc le choix le plus sûr, mais comment s’assurer du retrait complet de tout détail identifiant? Les versions intermédiaires sont-elles conservées et si oui, pendant combien de temps? Si un établissement hôte oblige que les données soient conservées pendant une période de cinq ans suivant la fin de l’étude, est-ce obligatoire pour l’ensemble des versions ou certaines d’entre elles peuvent être supprimées? Ce type de questionnement peut s’appliquer à tout type de données générées en recherche qualitative, rendant ainsi la gestion des données qualitatives extrêmement complexe.

Un modèle de coproduction de GDR et de données qualitatives

L’exemple de travail vu plus tôt incite à se demander : est-ce que la gestion efficace des données qualitatives est réaliste dans le contexte des principes, des politiques, des stratégies et des pratiques de GDR. L’apparition de certaines initiatives suggère que oui, notamment les principes de PCAP® des Premières Nations, une structure significative d’envergure dont la mise en pratique est en cours et dont les détails sont précisés dans le chapitre 3, « Souveraineté des données autochtones. » Comment atteindre l’objectif d’une gestion efficace des données qualitatives? Règle générale, les chercheuses et chercheurs en recherche qualitative n’ont pas les compétences nécessaires en gestion de l’information pour l’établissement de meilleures pratiques en GDR. Inversement, les bibliothécaires, archivistes et gestionnaires de données sont souvent moins versés sur les complexités des données qualitatives et les processus de recherche qui y sont associés.

En 2020, alors que je travaillais sur une étude portant sur la coproduction dans le domaine de la santé, j’ai assisté à une session de formation en GDR qui, une fois de plus, ne tenait pas compte de mon type de recherche ou de mes préoccupations en matière de gestion des données. Toutefois, je me suis rendu compte à quel point les champs de compétences des chercheuses et chercheurs et des spécialistes des données/de l’information étaient complémentaires. En faisant équipe, un meilleur système de gestion des données qualitatives pourrait être créé.

Pour être efficace, la coproduction doit être hautement collaborative et faire appel à ce qui se fait de mieux dans chacun des domaines. Terminons donc notre discussion sur les avenues potentielles d’une telle coopération :

  • Les chercheuses et chercheurs qualitatifs seraient responsables des éléments suivants:
    • s’assurer que les partenaires en GDR comprennent bien les données qualitatives et les processus de recherche;
    • garantir l’uniformité des pratiques de gestion des données à travers les équipes de recherches et maximiser la valeur analytique des données;
    • trouver les fonds nécessaires pour couvrir les coûts du projet associé à la GDR (p. ex., l’embauche d’une personne qualifiée en archivistique ou en recherche);
    • faire la promotion du partage des données dans la culture de recherche;
    • faire appel à leur propre réseau et statut professionnel pour informer les organismes subventionnaires et les établissements de la nature des défis et des coûts inhérents à la gestion de données qualitatives;
  • Les bibliothécaires, archivistes et autres spécialistes des données seraient responsables des éléments suivants :
    • appliquer les principes de bibliothéconomie, de sciences des données / de l’information et des meilleures pratiques à la gestion des données qualitatives;
    • soutenir les chercheuses et chercheurs dans la création de jeux de données finaux (avec les métadonnées qui y sont associées) qui répondent ou dépassent les exigences d’excellence en recherche;
    • faire appel à leurs relations professionnelles pour rester au courant et pour faire circuler des développements en matière de pratiques de GDR qualitatives;
  • Les deux groupes seraient conjointement responsables des éléments suivants:
    • établir et promouvoir des normes efficaces en gestion des données qualitatives;
    • développer et dispenser des formations en GDR;
    • faire la promotion d’une plus grande inclusivité de toutes les formes de données de recherche dans les futurs principes et futures politiques, stratégies et pratiques de GDR.

Conclusion

L’époque actuelle est à la fois excitante et frustrante pour les personnes impliquées dans la gestion de données de recherche qualitatives. Les opportunités d’avancement de nouveaux principes, politiques, stratégies et pratiques ne manquent pas. En même temps, la plupart des chercheuses et chercheurs en recherche qualitative peinent à se retrouver dans les structures actuelles de GDR. Les établissements, les organismes de financement et les spécialistes de GDR doivent s’atteler à trouver des moyens de répondre aux besoins de la communauté de recherche. Même si les données qualitatives ne sont pas particulièrement uniques (après tout, elles sont régulièrement utilisées en collaboration avec d’autres types de données de recherche), elles sont quand même distinctes à plusieurs égards. De telles complexités font ressortir non seulement les limites des approches plus globales de GDR, mais aussi la nécessité d’élargir la gestion des données pour mieux intégrer toutes les disciplines, les domaines de recherche et les méthodes d’enquête.

Questions de réflexion

  1. Identifiez au moins trois caractéristiques importantes des données qualitatives.
  2. En plus des entrevues, des groupes de discussion et des observations, nommez deux autres formes de données qualitatives.
  3. Quel est le but de la piste de vérification?
  4. Identifiez deux défis liés aux données qu’une chercheuse ou un chercheur en recherche qualitative peut rencontrer sur le terrain dans un lieu éloigné.
  5. Les données d’entrevues existent généralement en multiples versions entre la collecte et l’analyse. Identifiez deux de ces versions.
  6. En une phrase, décrivez l’objectif d’un modèle de coproduction pour la GDR qualitative.

Voir le solutionnaire pour les réponses.

Éléments clés à retenir

  • Les données générées par le biais de recherche qualitative sont complexes parce qu’elles traitent de l’être humain, sont itératives, ancrées dans le contexte et très difficiles à dépersonnaliser.
  • De telles données sont difficiles à placer dans le contexte actuel des principes, des politiques, des stratégies et des pratiques de la GDR.
  • Une bonne gestion des données de recherche qualitatives doit comprendre et tenir compte des processus de recherche en jeu, y compris l’évolution des attentes en matière d’archivage et de réutilisation des données, ainsi que le transfert des responsabilités des participantes et participants de recherche.
  • Ensemble, les chercheuses et chercheurs et les spécialistes des données/de l’information sont bien placés pour coproduire de nouvelles approches en GDR qui répondent mieux aux besoins des données des chercheuses et chercheurs en recherche qualitative .

Remerciements

Le Dr Minion remercie sincèrement la Dre Naomi Adelson et la Dre Tamara McCarron pour leurs précieux commentaires sur les versions antérieures de ce chapitre.

Lectures et ressources supplémentaires

Adelson, N. et Mickelson, S. (2022). The Miiyupimatisiiun research data archives project: Putting OCAP® principles into practice. Digital Library Perspectives, 38(4), 508-520.

Budin-Ljøsne, I., Teare, H. J. A., Kaye, J., Beck, S., Bentzen, H. B., Caenazzo, L., Collett, C., D’Abramo, F., Felzmann, H., Finlay, T., Javaid, M.K., Jones, E., Katić, V., Simpson, A. et Mascalzoni, D. (2017). Dynamic consent: A potential solution to some of the challenges of modern biomedical research. BMC Medical Ethics, 18(1), 1-10. https://doi.org/10.1186/s12910-016-0162-9

Chauvette, A., Schick-Makaroff, K. et Molzahn, A. E. (2019). Open data in qualitative research. International Journal of Qualitative Methods, 18, 1-6. https://doi.org/10.1177/160940691882386

Corti, L. (2019). Archiving qualitative data. Dans P. Atkinson, S. Delamont, A. Cernat, J.W. Sakshaug et R.A. Williams (dir.), SAGE Research Methods Foundations. SAGE Publications. https://dx.doi.org/10.4135/9781526421036813114

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About the author

Joel T. Minion, PhD MLIS MA BA (spécialisé) est un chercheur qualitatif en santé, un bibliothécaire, un gestionnaire de données et un éducateur ayant de l’expérience en gestion de données de recherche (GDR) au Canada et en Europe. Il est actuellement chercheur scientifique au sein du programme Translating Research in Elder Care (TREC) de la Faculty of Nursing de l’Université de l’Alberta où il est responsable de la planification de l’héritage des données longitudinales du TREC. Joel était auparavant responsable de la recherche qualitative pour la Health Technology Assessment Unit de l’Université de Calgary au sein du O’Brien Institute for Public Health et avant cela, il était associé principal de recherche au centre de recherche PEALS (Policy, Ethics and Life Sciences) de l’Université Newcastle au Royaume-Uni. Il est titulaire d’un doctorat en informatique de la santé de l’Université de Sheffield et d’un diplôme MLIS de l’Université Western. Depuis 2010, Joel est activement impliqué dans la gestion des données de recherche qualitative et dans les efforts en cours pour les intégrer dans des cadres de GDR plus larges.

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https://doi.org/10.5206/ZEGS4596

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