5

une ligne décorative arc-en-ciel

Bien que nous ayons divisé ce travail en quatre modules, l’équipe est consciente des inconvénients des taxonomies, des silos ou des catégories qui lient artificiellement les choses entre elles ou les séparent comme si elles ne se croisaient pas et ne s’influençaient pas. Au contraire, ce travail est profondément intersectionnel, profondément interdisciplinaire, et a un impact profond sur les individus à tous les niveaux de l’éducation. Il a un impact sur les établissements, la culture et la société. Pour saisir certains des fils qui sont cousus tout au long de ce travail, nous avons identifié 12 « super thèmes ». Il s’agit de concepts et de thèmes centraux qui font partie intégrante de notre exploration. Ils ne sont ni universels ni exhaustifs et ne seront jamais « complets » ni « résolus ». Il s’agit de thèmes interconnectés et multicouches, et non d’une liste autonome de concepts indépendants. Nous avons noté ci-dessous comment ces thèmes se retrouvent dans les quatre modules de ce travail.

Questionnement et incertitude

Discordances, personnes marginalisées et moyenne

Réflexion

Représentation/cocréation/conception

Confiance

Vulnérabilité et redéfinition de l’échec

Contexte

Rétroaction constructive : l’art de la rétroaction

Bien-être, temps, soutien : à l’ère de la surcharge

Douceur, à l’opposé de la rigueur

Tension

et friction relationnelles

Questionnement et incertitude

Un plancher de roches vu à travers une eau limpide
Figure 1 : Photo de Randy ORourke sur Unsplash

Lorsque nous abandonnons nos notions de clarté, d’exhaustivité et d’exactitude, nous voyons (et pensons) différemment. Quelles questions devrions-nous poser sur l’éducation et l’apprentissage? Pourquoi y a-t-il une limite de capacité pour les salles de classe? Pourquoi les manuels scolaires et le matériel d’apprentissage sont-ils si dispendieux? Pourquoi les conditions préalables sont-elles souvent rigides et inflexibles? Pourquoi les étudiants doivent-ils s’en remettre aux professeurs? Pourquoi les salles de classe sont-elles encore conçues comme une structure théâtrale avec un auditoire et une scène? Pourquoi tous les éducateurs n’apprennent-ils pas à enseigner? Tous les éducateurs et tous ceux qui sont éduqués devraient s’interroger et explorer l’histoire qui a permis à l’éducation d’arriver là où elle est. En explorant l’histoire, nous pouvons découvrir comment les décisions ont été prises : par qui et pour qui? Quels étaient les préjugés en jeu? Les décisions sont-elles encore pertinentes?

Lorsque nous omettons le questionnement, l’interrogation et la remise en question du passé, nous restons stagnants et pouvons donner notre assentiment par le silence. La stabilité n’est pas la stagnation; et l’éducation n’est pas la stagnation. Si nous n’enseignons pas aux enseignants comment enseigner ou si nous ne leur donnons pas les outils nécessaires pour faire une pause et réfléchir, plusieurs risquent de suivre les méthodes qu’on leur a enseignées, et le changement ne se produira pas. Comment pouvons-nous soutenir un changement significatif? Comment pouvons-nous « innover » et explorer de nouvelles façons de faire? Comment pouvons-nous expérimenter au niveau pédagogique, en connaissant parfois des échecs et parfois des réussites, mais en alimentant toujours la réflexion? Comment pouvons-nous intégrer la flexibilité à notre méthode d’enseignement afin de pouvoir nous ajuster et nous adapter en fonction des succès et des échecs?

Ce qui fonctionne dans une situation ou pour une classe peut ne pas fonctionner dans une autre situation ou un autre contexte. Nous devons reconnaître la valeur de l’intégration de la flexibilité et de l’autonomie dans le processus d’enseignement, en tenant compte de son impact sur toutes les personnes impliquées. Cette flexibilité réflexive nous invite à continuer à remettre en question les décisions que nous prenons et peut se faire de différentes manières. Notre collègue du mouvement de la pédagogie ouverte, Jesse Stommel, raconte qu’il a procédé à l’interrogation de son propre plan de cours en ajoutant « parce que j’en ai décidé ainsi ». Cette simple technique, qui consiste à ajouter un groupe de mots condescendants, aide Jesse à repérer les mandats du plan de cours qui sont des actes arbitraires de pouvoir sur autrui et qui ne sont pas nécessaires. Par exemple, rédigez une dissertation de quatre pages sur votre expérience « parce que j’en ai décidé ainsi ». Doit-elle obligatoirement compter quatre pages? Doit-il obligatoirement s’agir d’une dissertation écrite? À qui imposons-nous des limites? À qui avons-nous bridé la créativité?

Traduction du gazouillis de Jesse Stommel : « Je me souviens du jeu ‘parce que j’en ai décidé ainsi’ que j’ai présenté lors d’un séminaire de perfectionnement du corps enseignant. J’ai demandé aux participants d’imaginer l’ajout des mots ‘parce que j’en ai décidé ainsi’ à chacun de nos énoncés de politique du plan de cours pour inviter une réflexion sur le ton et le fondement de ces énoncés. Une grande partie est arbitraire. »
Figure 2 : Gazouillis de Jesse Stommel, le 20 septembre 2019, https://twitter.com/Jessifer/status/1175033971572432896

Quels que soient la discipline et le niveau d’éducation, le questionnement doit être un acte central. En nous interrogeant, nous pouvons mieux comprendre pourquoi certaines personnes sont exclues injustement et pourquoi nous affirmons que « rien n’est neutre ». Fort de cette compréhension, nous pouvons alors commencer à concevoir un environnement éducatif qui soutient tous les apprenants – en reconnaissant l’humanité dans l’éducation.

Un véritable questionnement exige que nous soyons à l’aise avec l’incertitude. Nous ne savons pas quels seront les réponses ou les résultats. Tout au long des séances de conception participative de cette œuvre, le thème de l’incertitude a été soulevé dans divers principes de l’enseignement et de l’apprentissage, en particulier en ce qui concerne l’inconnu relié aux défis ou aux obstacles qui peuvent survenir et aux résultats qui seront obtenus. Une partie de l’incertitude réside dans le fait qu’il n’existe pas de réponse ni de chemin pertinents de manière universelle dans les domaines de l’enseignement et de l’apprentissage, et que les réponses dépendront du contexte et des personnes.

Discordances, personnes marginalisées et moyenne (décortiquer la « meilleure » réussite, notamment)

Les concepts de « bon » et de « meilleur » sont omniprésents en éducation. Les réponses sont soit justes, soit fausses, et les grilles d’évaluation sont satisfaites ou non. Afin d’humaniser l’apprentissage, il est important de reconsidérer les définitions de « bon » et de « meilleur ». Combien de fois un changement de perspective a-t-il entraîné une modification de ce qui est considéré comme bon? Il s’agit également de reconnaître le processus plutôt que le produit et d’y mettre l’accent : le processus d’apprentissage et d’exploration par rapport au produit final qui consiste à montrer ce que l’on sait lors d’un examen ou à remettre une dissertation. Devrions-nous abandonner l’appellation populaire des « meilleures pratiques »? Chaque fois que nous entendons ce groupe de mots, nous devrions peut-être nous poser la question suivante : « meilleures pour qui? »

L’accent mis sur le « juste » et le « meilleur » peut entraîner une « aliénation ». Si quelque chose est juste, une autre chose ne l’est pas, et cela peut s’étendre aux personnes lorsqu’elles sont catégorisées. Lorsque nous parlons d’éducation, il est facile de catégoriser les gens dans des groupes distincts : enseignant, étudiant, administrateur. Mais fondamentalement, nous sommes les personnes qui, collectivement, rendent l’apprentissage possible et utile. Ensemble, nous donnons un contexte à l’éducation et déterminons son processus et sa méthode. Lorsque nous parlons de l’autre dans l’abstrait et en fonction de son rôle plutôt que de sa personne, nous perdons l’occasion d’apprendre les uns des autres, d’explorer nos différences et de reconnaître la diversité de nos expériences et de nos points de vue. Il s’agit d’une grande perte sur les plans social, culturel et institutionnel, mais aussi sur le plan individuel. L’équipe de conception participative insiste beaucoup sur le fait que nous devons comprendre l’individu comme étant intégré dans cette complexité : dans les systèmes qui constituent les espaces où se déroulent l’éducation et l’enseignement.

Dans le domaine de l’éducation, l’équation actuelle du processus et de la réussite pourrait être formulée comme ceci :

Nous concevons la réussite en montrant les résultats obtenus au fil du temps par le biais de l’ÉVALUATION. Dans la plupart des cas, cela se traduit par des résultats, des classements et des notes – nous les quantifions (ÉVALUATION), les suivons dans le temps et les qualifions (RÉUSSITE), et les récompensons (OCCASIONS). Et si une partie de notre équation bien ordonnée était fausse? Est-il possible que l’évaluation soit erronée? Et si l’occasion était, par conséquent, donnée à de faux méritants? Nous avons donc recours à des astuces, à des observateurs, à une surveillance et à tout ce qui peut nous donner un sentiment de SIMILITUDE et de RIGUEUR, et non de justice ou d’équité. Au lieu de nous concentrer sur l’étudiant avec intégrité et d’établir des relations de confiance, des réseaux d’échange de pratiques et une éthique de prise en charge, nous avons créé un « nous » et un « eux » qui sont en compétition. Cette équation sous-tend quelque chose de fondamentalement défectueux dans la façon dont nous traitons actuellement les gens dans le domaine de l’éducation.[1]

Et si, au lieu de nous concentrer sur ceux qui suivent ou enfreignent les règles, nous nous concentrions sur les étudiants en tant que personnes ayant un passé, des contraintes, des avantages et des inconvénients? Et si nous mettions l’accent sur le processus de rassemblement en vue de former une communauté diverse et mixte? Nous pouvons alors commencer à nous interroger sur ce que peut être « l’équité en éducation ». Nous pouvons alors commencer à nous interroger et à réfléchir à notre évaluation et à la possibilité de la suivre et de trouver des moyens de la reconcevoir pour, en réalité, la perturber.

L’un des participants de la conception participative a déclaré que « choisir la similitude n’est pas un geste neutre ». Nous voulons tous être vus et entendus. À quoi ressemble un système d’éducation qui va dans ce sens?

Réflexion

Dans notre course à la solution la plus rapide, nous ratons des occasions de nous interroger sur la manière dont nous enseignons et apprenons le contenu; nous finissons par enseigner et apprendre que le contenu lui-même. Ce faisant, nous ratons des occasions de réfléchir à la manière dont notre pratique actuelle de la course à la solution/à l’arrivée a un impact sur les résultats : sur la durabilité, sur la longévité, sur la société, sur le bien-être individuel, et plus encore. Nous avons constaté que le fait de prévoir un temps de réflexion peut avoir un impact énorme sur votre compréhension de ce qui vous entoure, votre compréhension de vous-même dans le contexte, vos interactions avec le contenu et l’évolution de vos propres idées au fil du temps. Si l’un des objectifs de l’éducation est d’aider les gens à apprendre et à se développer sur le plan personnel, comment mesurer cela de manière authentique si ce n’est par le biais de la réflexion?

Comment pouvons-nous faire en sorte que notre réflexion est significative? Comment pouvons-nous faire en sorte que notre réflexion nous aide à être des acteurs du changement? Les réflexions sont personnelles et peuvent suivre des processus différents, mais elles ont un point commun : le rythme. Les réflexions lentes et non précipitées sont généralement plus riches en matière de contenu. Dans notre société actuelle, il semble que nous soyons perpétuellement débordés; nous avons l’impression de courir d’une chose à l’autre, de passer d’une liste de choses à faire à l’autre. Les collaborateurs de ce projet ont cité le « manque de temps » et le « manque de temps ininterrompu » comme des obstacles majeurs à une pratique réflexive cohérente. Nous avons besoin de temps pour bien assimiler les choses, ce qui signifie que nous devons prendre une pause de notre liste de choses à faire.

Représentation/cocréation/conception (« cocréer la table » plutôt que « s’asseoir à la table »)

Envisagez les scénarios suivants : vous faites une demande de participation, je vous invite à participer, je collabore avec vous dès le début pour déterminer ce que nous ferons et comment nous participerons, tous. Quelle que soit la nature de la mobilisation, chacun de ces scénarios donne lieu à des communications différentes sur la valeur de votre participation.

Vous faites une demande de participation : vous devez me prouver, ou prouver à un groupe de personnes comme moi (les responsables), que vous méritez de participer à l’activité. Vous partez d’une position « inférieure » et devez vous élever à partir de celle-ci. C’est souvent à ce niveau que les préjugés systémiques ou les points de départ intergénérationnels influencent la distance que l’on peut parcourir, voire la chance de la parcourir.

Je vous invite à participer : dans ce scénario, je vous ai béni avec ma sélection. Vous participez à l’événement parce que je vous en ai donné l’occasion. Je suis toujours dans la position de décider, et vous êtes maintenant dans la position de vous sentir « spécial » ou « méfiant » d’avoir été invité. Spécial, si cela correspond à votre propre histoire à propos de qui vous êtes et où vous devriez être; méfiant si vous risquez d’être là pour des raisons symboliques.

Je collabore avec vous dès le début pour déterminer ce que nous ferons et comment nous participerons, tous : enfin, nous voici en train de cocréer un espace (nous ne pouvons même plus utiliser le terme de participation). Il est intéressant de noter que nous devons le définir comme un espace collaboratif, car il est cocréé dès le départ. Il s’agit du scénario dans lequel un groupe diversifié de personnes se réunit pour cocréer une table ou un cercle (comme c’est le cas dans de nombreuses cultures autochtones) ou un espace de réunion. Cet espace cocréé se situe autant que possible en territoire neutre afin que nous puissions repartir sur de nouvelles bases. Plutôt que de supposer des mœurs et des pratiques communes, plutôt que d’inviter « les autres » à une table déjà construite et codifiée avec des « façons de faire » et des « histoires », cette approche rassemble authentiquement les gens pour construire quelque chose ensemble.

Cependant, ce n’est pas l’approche couramment mise en pratique dans l’éducation. Le groupe de mots « avoir un siège à la table » est souvent utilisée pour signifier qu’il y a une représentation, c’est-à-dire que des personnes d’origines diverses sont présentes. On suppose que le fait de s’asseoir à la table signifie également que ces personnes seront écoutées et qu’elles auront une voix. Il convient toutefois de noter qu’il existe de nombreux types de tables différentes, construites par des personnes différentes à des fins différentes. À quelle table êtes-vous assis? Qui l’a construite? Doit-elle être modifiée? La réponse à la dernière question est souvent « oui » si elle a été construite par des personnes en position de pouvoir et de privilège[2]. Sandy Hudson, cofondatrice de Black Lives Matter Toronto, est d’avis qu’il faut parfois détruire la table et en créer une toute nouvelle. Pour sa part, Robyn Maynard, autrice de Policing Black Lives, affirme qu’il est vraiment important que nous nous demandions vers quoi cette table est orientée.

Sandy Hudson, cofondatrice de Black Lives Matter Toronto, regarde vers l’avant. À côté d’elle, on peut lire : « Il faut parfois détruire la table et en créer une toute nouvelle. »
Figure 3 : Balados CBC. « What a ‘Seat at the Table’ Means in the Black Lives Matter Era. » CBC, 14 octobre 2020, http://www.cbc.ca/radio/podcastnews/what-a-seat-at-the-table-means-in-the-black-lives-matter-era-1.5761670

Robyn Maynard, autrice de Policing Black Lives, regarde vers l’avant. À côté d’elle, on peut lire : « Il est vraiment important que nous nous demandions vers quoi cette table est orientée ».
Figure 4 : Balados CBC. « What a ‘Seat at the Table’ Means in the Black Lives Matter Era. » CBC, 14 octobre 2020, http://www.cbc.ca/radio/podcastnews/what-a-seat-at-the-table-means-in-the-black-lives-matter-era-1.5761670

Pour passer à un environnement d’apprentissage où il est possible de cocréer des tables, nous devons être prêts à briser certaines structures et certains processus existants. Il peut s’agir d’agrandir la table et d’ajouter des chaises, de modifier la forme de la table ou de changer les matériaux qui la composent. L’aspect essentiel ici est que toutes les personnes doivent disposer d’un espace et d’un soutien leur permettant de contribuer à la définition de la table et à son fonctionnement.

Confiance

Nous voyons ici un autre aspect apparu plus haut : celui du temps et de la lenteur. La confiance se construit au fil du temps et ne peut pas être hâtée. Pour faire confiance, il faut que les paroles et les actes soient cohérents et authentiques au fil du temps. Dans le domaine de l’éducation, l’instauration de la confiance ne peut pas être une liste de contrôle, un ajout ou une activité scénarisée : elle ne peut pas être planifiée pour un lieu et un moment particuliers ou avec une approche unique, et elle ne peut pas être hiérarchique.

Les étudiants affirment qu’un climat de confiance et de transparence authentiques influe sur leur motivation à apprendre. Certains des collaborateurs à cet ouvrage ont souligné l’importance de disposer de lieux d’apprentissage sûrs et axés sur la confiance. D’autres ont expliqué qu’ils avaient l’impression d’être des « funambules » et qu’ils n’étaient pas sûrs des normes de comportement lorsqu’il n’y avait pas d’atmosphère et d’attente de confiance. Comme la confiance s’établit au fil du temps et de chaque interaction, chaque instant compte. La façon dont le plan de cours est rédigé peut instaurer la confiance ou, au contraire, renforcer la dynamique de pouvoir et de punition. La façon dont l’enseignant entre dans la salle et commence à interagir avec les étudiants peut également avoir un impact profond sur l’établissement des bases de la confiance. Jess Mitchell, membre de l’équipe, a écrit sur l’importance de ces premiers instants pour perturber et reconstruire la dynamique de la salle de classe : An Attempt to Disrupt Education.

Vulnérabilité et redéfinition de l’échec

La confiance est étroitement liée à la vulnérabilité et à la redéfinition de l’échec (d’autres super thèmes du document sur l’humanisation de l’éducation). Bien qu’il puisse être difficile de savoir comment, quand ou à quel point se rendre vulnérable, il s’agit de l’une des façons de montrer notre humanité et nos faiblesses. L’échec et la lutte sont des éléments normaux de l’expérience humaine. En fait, l’échec est un élément essentiel du processus d’apprentissage. Cependant, ce n’est pas quelque chose que nous enseignons délibérément aux étudiants dans nos cours. Dans le milieu universitaire, l’échec est souvent interprété comme un échec scolaire, c’est-à-dire échouer à un examen ou à un cours. Cependant, le rôle de l’échec dans l’apprentissage est plus proche de la lutte et de la résistance. Dans le contexte de l’enseignement supérieur, nous devons nous interroger sur la manière dont nous définissons l’échec : parlons-nous ouvertement d’apprendre de nos erreurs? Encourageons-nous nos étudiants à accepter l’échec et à en tirer des leçons? Avons-nous mis en place des structures de soutien pour aider les étudiants à réfléchir à leurs échecs et à s’en remettre? Comment comprendre la notion « d’achèvement » dans des activités qui n’ont pas de point de départ et d’arrivée distincts, comme les activités humaines et sociales? Que faisons-nous de l’inconfort? Évitons-nous l’incertitude? Nos réponses à ces questions montrent notre niveau de confort avec la vulnérabilité. Notre vulnérabilité témoigne de notre capacité à être transférables et ouverts, à établir des liens avec autrui.

La redéfinition de l’échec commence par la normalisation de l’existence de l’échec. Si nous pouvons montrer le processus d’apprentissage à nos étudiants à partir des échecs et des erreurs, nous pouvons contribuer à réduire la stigmatisation que ressentent les élèves à l’égard de l’échec.[3] Nous pouvons souligner que l’échec est à la fois une partie normale et essentielle du processus d’apprentissage en prévoyant une certaine flexibilité dans nos plans de cours pour permettre des devoirs avec révision ou des évaluations d’apprentissage effectuées lors des examens. Nous pouvons être transparents avec nos étudiants à propos de notre histoire en tant qu’enseignants et des erreurs que nous avons commises. Nous devons cependant faire une pause ici pour souligner à quel point les mots qui viennent d’être écrits peuvent sembler insipides et vides de sens s’ils ne sont pas accompagnés de soutiens structurels. Il est facile de prendre des risques et d’échouer si l’on sait que l’on dispose d’un filet de sécurité : si l’on sait que l’on aura une deuxième, une troisième, voire une quatrième chance. Il peut être hypocrite de dire aux étudiants d’accepter l’échec lorsque l’établissement pénalise l’échec scolaire par des relevés de notes permanents et des échéances et structures d’abandon de cours inflexibles. Existe-t-il un espace au sein de l’établissement où nous pouvons créer un refuge sûr pour la prise de risque et l’échec? Les enseignants en position de précarité n’ont peut-être pas l’impression que la salle de classe est un refuge sûr où ils peuvent discuter de leurs échecs s’ils ne savent pas quel impact cela aura sur les évaluations ultérieures de l’enseignement par les étudiants et, éventuellement, sur leur emploi ultérieur. Une grande partie de la discussion sur « qui est autorisé à échouer » s’est également alignée avec la discussion sur « qui est autorisé à être vulnérable ».

Contexte

Crocus violets poussant sur un sol rocailleux.
Figure 5 : Photo par Raphael Wild sur Unsplash

Ces dernières années, nous avons appris que nous pouvons nous adapter et changer (et assez rapidement quand nous le voulons) et qu’il nous est impossible de prédire l’avenir. Personne dans le monde de l’éducation n’a imaginé que nous allions tous passer à l’enseignement en ligne à cause d’une pandémie mondiale. Personne ne savait comment nous reviendrions et personne ne le sait réellement encore. Certains adoptent ce que nous avons appris en intégrant de manière permanente des supports de cours flexibles dans leurs programmes ou en passant à des formats en ligne (synchrones ou asynchrones).

Ce qui fonctionne dans un contexte donné peut ne pas fonctionner dans un autre. Il est important de se souvenir que nous avons tous notre propre contexte et que nous examinons les problèmes et les occasions par nos lentilles sur la base de nos contextes. Il en va de même pour les étudiants et la manière dont ils interagissent avec notre matériel de cours.

Le contexte, tel que nous l’explorons dans cette discussion, sous-tend le fait qu’il n’existe pas d’approche unique qui convienne à tous les apprenants et enseignants. Il s’agit là d’un élément essentiel du concept d’humanisation : le processus et l’approche que nous adoptons doivent dépendre du contexte.

Rétroaction constructive : l’art de la rétroaction

La rétroaction constructive ne nous est pas enseignée de manière formelle. Les étudiants et les collègues, même ceux qui essaient de mettre en place de meilleurs systèmes, associent souvent la rétroaction à la critique négative. La rétroaction est un art : bien faite, elle permet de nouer des relations et d’aider les gens à progresser en collaboration. Mais lorsque nous parlons de la manière de critiquer au lieu de détruire en lambeaux, nous devons clarifier les différences entre la critique d’un élément et la critique d’une personne. Et si nous critiquons sans établir de relation, nous serons souvent perçus comme critiquant la personne, même si notre objectif est de critiquer l’élément. Les relations sont donc au cœur d’une rétroaction constructive au service du changement. Cela a des conséquences importantes pour l’éducation et le cycle de rétroaction formative et sommative entre les enseignants et les étudiants. Comment pouvons-nous formuler notre rétroaction de manière à ne pas viser la personne? Comment pouvons-nous aider les étudiants à interpréter la rétroaction, à y réfléchir et à y réagir?

Prise en charge, bien-être, temps, soutien du corps enseignant : à l’ère de la surcharge (comment y arriver dans le contexte d’un manque de soutien institutionnel significatif et d’un manque total de temps à l’ère de la surcharge?)

Cultiver un lien significatif avec les étudiants et accomplir d’autres gestes pour humaniser les cours, demande du temps et des efforts, ce qui exige une présence à la fois cognitive et sociale. Cela ne peut se faire de manière efficace et durable sans un soutien structurel et des ressources, plus particulièrement du temps et un espace sûr. Il est également important de reconnaître qu’il existe des inégalités historiques en ce qui concerne les personnes qui sont censées effectuer ce travail et celles qui reçoivent un soutien pour le faire. À quoi ressemble le soutien structurel à une pédagogie de la prise en charge et de la bienveillance? Comment aider le corps enseignant à établir des liens significatifs?

Un soutien structurel particulier pourrait être fourni dans une structure à plusieurs niveaux. Par exemple, les soutiens institutionnels pourraient inclure des attentes concernant le temps à consacrer à la création de lien significative, des pratiques culturellement sensibles de la part des dirigeants, la coordination et la collaboration entre les silos institutionnels historiques et des équipes de développement du corps enseignant dédiées à l’apprentissage inclusif et à la création de lien significative. Les soutiens au niveau des cours pourraient prendre la forme d’une rétroaction constructive sur les cours en session, de soutiens personnalisés et flexibles pour le corps enseignant ainsi que de structures de collaboration délibérées permettant aux étudiants de s’impliquer dans un apprentissage fondé sur la collaboration. Aucune des mesures de soutien susmentionnées n’aborde de manière adéquate la ressource dont nous manquons tous en ce moment : le temps. Le travail relationnel prend du temps; pour que les enseignants puissent y consacrer du temps, celui-ci doit être valorisé et reconnu par l’établissement lorsqu’il est question d’attribution de la charge de travail.

Un autre thème qui est ressorti de notre discussion : le bien-être. Nous ne pouvons pas nous impliquer de manière significative dans le travail d’humanisation de l’apprentissage si nous n’avons pas d’espace ni de soutien pour notre propre bien-être. Souvent, le conseil de « prendre soin de soi » se trouve à la fin d’une longue liste. Au contraire : nous devons en faire un élément fondamental et l’intégrer dans notre méthode d’enseignement. Nous devons également reconnaître que nous avons une responsabilité collective en matière de prise en charge.[4] Les établissements ont récemment intensifié leur discours à ce sujet, avec des courriels sur le bien-être, des réunions mensuelles sur le bien-être et des comités dédiés au bien-être sur le lieu de travail. C’est l’occasion d’offrir une rétroaction constructive de cette approche et d’essayer de déterminer si elle est significative ou si elle représente un théâtre inefficace. L’un des membres de notre équipe a rédigé une critique du théâtre du bien-être : Beware the Futility of Higher Education’s Wellness Theatre.

Douceur, à l’opposé de la rigueur

Nous nous comportons comme si, avec suffisamment de données, tout était connaissable, mesurable et prévisible. Toute structure dont les fondations sont constituées de ce matériau commencera à se fissurer. Ces fissures dans les fondations sont visibles dans tous les domaines et toutes les disciplines, mais surtout, peut-être, en éducation. Lorsque l’information est plus importante que la connaissance, et que la certitude et la mesurabilité sont plus importantes que la réflexion, le risque, l’émerveillement, l’exploration et la découverte, que perdons-nous? À quoi renonçons-nous? Si un élément ne peut être valorisé que s’il est mesurable, que négligeons-nous et que manquons-nous? Quel est le sous-produit, la sciure ou le déchet créé par notre besoin d’avoir des coins nets, simples et exacts (dans l’éducation, dans les affaires et ailleurs)?

Lorsque la mesurabilité est un succès, elle devient une fin en soi. Nous commençons à poser des questions qui nous conduisent à des réponses mesurables. Nous commençons à mesurer ce qui est facilement mesurable. Il ne s’agit pas là de gestes neutres. Nous agissons en fonction de nos mesures – les données deviennent les feuilles de thé pour la prise de décision, la carte pour le changement, le chemin vers le progrès (voir plus ici sur la prise de décision fondée sur les données en éducation). Nous pouvons même ressentir un sentiment de confort après avoir suivi les directives issues de données désincarnées.

L’essentiel est que cela « semble » moins aléatoire; en réalité, ce n’est souvent pas le cas. Mais cela nous libère du sentiment que nous prenons des décisions qui ne sont pas justifiées, validées ou justifiables par un pouvoir supérieur – dans ce cas, le pouvoir de la collecte de données et de ses révélations.[5] Cela se traduit parfois par l’accent mis sur les données quantitatives et les mesures, peut-être au détriment des données qualitatives et des récits.

Ce super thème s’intitule « douceur », car la douceur peut sembler être le contraire de la rigueur, et le manque de rigueur est souvent qualifié de « douceur ». En utilisant ici le mot « douceur », nous évoquons le concept de flexibilité et de fluidité. Il ne s’agit pas d’une voie insipide et facile vers l’apprentissage, mais plutôt d’une voie fondée sur les liens et l’apprentissage centré sur l’étudiant. Des liens souples et fluides peuvent favoriser la créativité. Dans la quête d’excellence de l’établissement, ce récit peut souvent se perdre.

Relationnel

Ne sous-estimez jamais le pouvoir du jeu, de l’humour, d’une impropriété de langage bien placée ou de l’inattendu : autant de moyens d’ouvrir le dialogue et de créer des liens. En fin de compte, le travail d’humanisation de l’éducation se fera dans les liens. Le contenu ne nous humanisera pas; la façon dont nous parlons, écoutons, célébrons et comprenons les uns et les autres nous permettra d’y arriver. Nous utilisons le terme « relationnel » pour couvrir ce vaste espace de connexion humaine, d’équipes, de groupes, de communautés – essentiellement toutes les façons dont nous existons dans un monde social. Il n’y aura jamais une seule façon d’établir des liens. Heureusement, cela dépendra du contexte, des personnes et de tout ce qui se trouve entre les deux. C’est la richesse de l’interaction humaine : nous pouvons le sentir lorsque nous avons dit quelque chose qui relie, qui touche, qui a un impact sur l’autre et nous pouvons le sentir lorsque cela nous arrive. Ce sont les moments où l’on est humain, ensemble.

Traduction d’un gazouillis de Matthew R. Kay

Je viens d’apprendre que le Kay-isme préféré de mes étudiants est « Sortez avec cette idée, ne l’épousez pas tout de suite… » L’expression de l’entraîneur Kay préférée par les joueurs : « Si tu ne t’amuses pas, c’est que tu le fais mal. » Quels sont les « vous-ismes » de votre classe?Figure 6 : Traduction d’un gazouillis de Matthew R. Kay, 31 janvier 2022

Friction et tension

Le dernier super thème que nous souhaitons souligner ici est celui qui revenait sans cesse à la surface lorsque les collaborateurs parlaient d’obstacles, de nouvelles voies et de « et si… » Nous sommes confrontés à des frictions et à des tensions chaque fois que nous nous engageons dans quelque chose d’inconfortable ou d’inconnu. L’inconfort a de la valeur. Nous devons apprendre à le ressentir au lieu de courir pour le traverser. La friction et la tension nous y aident, car les forces en jeu nous ralentissent. Nous avons parlé plus haut de l’importance d’avancer lentement, que ce soit pour la réflexion, l’établissement de liens ou l’apprentissage en général. Comment pouvons-nous nourrir les frictions et les tensions et utiliser ces forces pour nous aider à mettre en œuvre le changement? Comment pouvons-nous aider nos étudiants à traverser frictions et tensions? Toutes les frictions et tensions sont-elles utiles? Ou faut-il en éviter et en minimiser certaines? Certaines frictions sont-elles en fait destructrices? L’un des co-concepteurs de ce travail a fait remarquer que les frictions et les tensions souligneront ce qui fait obstacle à ce travail et mettront en lumière les obstacles potentiels et les occasions d’apprentissage.

L’assemblage des super thèmes

Ces super thèmes ne sont pas des unités distinctes ou des entités indépendantes. Il s’agit plutôt d’idées à plusieurs niveaux qui se croisent et s’entremêlent dans le paysage de l’humanisation de l’apprentissage. Il s’agit de points de contact que nous voulons garder à l’esprit en raison de leur influence considérable sur l’enseignement et l’apprentissage. Tous ces thèmes dépendent du contexte et sont influencés par la positionnalité des personnes concernées. Pour cette raison, il est important que ces 12 thèmes ne soient pas interprétés comme une liste à retenir, mais plutôt comme des couches ou des lentilles qui nous rappellent les principes fondamentaux de l’humanisation de l’apprentissage, qui peuvent changer et se plier aux changements de contexte.

Ces thèmes se rejoignent également dans l’importance qu’ils accordent au questionnement et à l’action, nous rappelant que le travail effectué ici doit être suivi par des actions pour être significatif. Lire et s’impliquer dans ce travail est la première étape d’un processus plus long. Cette œuvre se veut un appel à l’action, tout comme la grève mondiale pour le climat de l’automne 2019 n’était pas en soi une action, mais plutôt un appel à l’action. Cet appel consiste à se concentrer sur le processus plutôt que sur le produit, en intégrant le changement inclusif et durable comme valeur centrale.


  1. https://medium.com/age-of-awareness/the-damage-we-do-assessment-ff7c1e3fae88
  2. Nixon, S. A. (2019). The coin model of privilege and critical allyship: implications for health. BMC Public Health, 19(1), 1-13.
  3. Nunes, K., Du, S., Philip, R., Mourad, M. M., Mansoor, Z., Laliberté, N., et Rawle, F. (2022). Science students’ perspectives on how to decrease the stigma of failure. FEBS Open bio, 12(1), 24-37.
  4. Bali, M. (10 avril 2021). Pedagogy of Care — Caring for Teachers. Reflecting Allowed. https://blog.mahabali.me/pedagogy/critical-pedagogy/pedagogy-of-care-caring-for-teachers/.
  5. https://medium.com/age-of-awareness/the-tyranny-of-clear-thinking-580a94b9fcfc

 

License

Icon for the Creative Commons Attribution 4.0 International License

Apprendre à être humain ensemble Copyright © 2022 by Co-designed by Students, Faculty and Staff at OCAD University, Mohawk College, Brock University, Trent University, Nipissing University, University of Windsor, University of Toronto-Mississauga is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License, except where otherwise noted.

Share This Book