Chapitre 3 : Phonétique

3.1 Modalité

Les principaux éléments de la communication

Un acte de communication entre deux personnes commence généralement par l’élaboration d’un message dans l’esprit de l’une d’entre elles (étape ❶ de la figure 3.1). Cette personne peut ensuite donner à ce message une réalité physique grâce à divers mouvements et configurations des parties de son corps, que l’on désigne comme l’articulation (étape ❷). Le signal linguistique physique (étape ❸) peut se présenter sous différentes formes, telles que des ondes sonores (pour les langues parlées) ou des ondes lumineuses (pour les langues des signes). Le signal linguistique est ensuite reçu, perçu et traité par la perception d’une autre personne (étape ❹), permettant à celle-ci de reconstituer le message voulu (étape ❺). Toute la chaîne de la réalité physique, de l’articulation à la perception, est appelée modalité de la langue.

Deux bonshommes fil de fer. Le bonhomme fil de fer de gauche dit dans une bulle de dialogue « Bonjour, cher humain », qui est étiqueté comme l’étape 1. Il y a des lignes ondulées près de sa bouche et de ses bras pour indiquer le mouvement. Ces lignes sont étiquetées comme l’étape 2, articulation. Une grande flèche, étiquetée comme l’étape 3, signal linguistique, s’éloigne du bonhomme fil de fer de gauche et se dirige vers le bonhomme fil de fer de droite. À l’intérieur de la flèche se trouvent une rangée d’ondes sonores et une rangée d’ondes lumineuses de différentes couleurs. Le bonhomme fil de fer de droite a des cercles orange sur les yeux et les oreilles, avec des lignes ondulées orange qui vont des cercles au cerveau, étiquetées comme l’étape 4, perception. Ce bonhomme dit dans une bulle de dialogue « Ah, c’était “Bonjour, cher humain”! », étiqueté comme l’étape 5. Une structure ramifiée globale située en haut relie le mot « modalité » au dessin d’articulation à gauche, au signal linguistique au milieu et au dessin de perception à droite.

Figure 3.1. Étapes de la transmission d’un signal linguistique d’une personne à une autre.

Les langues parlées et les langues des signes

La modalité des langues parlées, telles que l’anglais et le cantonais, est vocale, car ces langues sont articulées avec le conduit vocal; acoustique, car elles sont transmises par des ondes sonores, et auditive, car elles sont reçues et traitées par le système auditif. Cette modalité est souvent abrégée en vocale-auditive, laissant entendre la nature acoustique du signal, étant donné que celui-ci est l’entrée habituelle pour le système auditif.

Les langues des signes, telles que la langue des signes américaine et la langue des signes chinoise, ont également une modalité : elles sont manuelles, car elles sont articulées par les mains et les bras (bien que presque tout le reste du corps puisse également être utilisé, de sorte que cette composante de la modalité pourrait être qualifiée de corporelle); photiques, car elles sont transmises par des ondes lumineuses, et visuelles, car elles sont reçues et traitées par le système visuel. Cette modalité est souvent abrégée en manuelle-visuelle.

D’autres modalités sont également possibles, mais une étude approfondie du sujet va au-delà de la portée de ce manuel. Un exemple notable est la modalité manuelle-somatique ;de la langue des signes tactile, dans laquelle les signaux linguistiques sont articulés principalement par les mains et sont perçus par le système somatosensoriel, qui est responsable de la sensation de divers phénomènes physiques sur la peau, tels que la pression et le mouvement. Cette modalité peut être utilisée par les personnes sourdes et aveugles pour communiquer. Le processus nécessite souvent d’adapter certains aspects d’une langue des signes existante de manière à ce que les signes soient ressentis plutôt que vus. La langue des signes italienne tactile (Checchetto et al. 2018) et une version tactile de la langue des signes américaine appelée protactile (Edwards et Brentari 2020) sont des exemples de telles langues.

Enfin, il est important de noter que les exemples réels de communication sont souvent multimodaux, ce qui signifie que les utilisateurs de la langue font appel aux ressources de plus d’une modalité à la fois (Perniss 2018, Holler et Levinson 2019). Par exemple, la langue parlée est souvent accompagnée de divers types de comportements coverbaux, tels que le haussement d’épaules, les expressions faciales et les gestes des mains, qui sont utilisés pour de nombreuses fonctions significatives dans le signal linguistique : l’insistance, l’émotion, l’attitude, le changement de sujet, les tours de parole dans une conversation, etc. (Hinnell 2020; voir également les sections 8.7 et 10.4 pour obtenir des détails sur des questions et des exemples connexes). Une analyse complète du fonctionnement de la langue doit finalement tenir compte de sa nature multimodale, ainsi que de la complexité et de la flexibilité avec lesquelles les humains utilisent les langues.

Note terminologique : Les langues des signes sont parfois appelées langues signées. Les deux termes sont généralement acceptables, et vous pouvez donc rencontrer l’un ou l’autre dans les écrits linguistiques. Le terme langue des signes a longtemps été le terme le plus courant, mais le terme langue signée a récemment gagné en popularité parmi les chercheurs dans le domaine de la surdité.

Un autre élément relatif à la terminologie évolutive dans le domaine est la distinction qui existe depuis longtemps entre le mot Sourd, écrit avec une majuscule (une identité socioculturelle) et le mot sourd, écrit avec une minuscule (un état physiologique). Cependant, il a été avancé que cette distinction contribuait à l’élitisme au sein des communautés sourdes, de sorte que de nombreuses personnes sourdes ont fait pression pour l’éliminer (Kusters et al. 2017, Pudans-Smith et al. 2019).

Dans ce manuel, nous suivons ces tendances modernes en utilisant les langues des signes, sans faire la distinction Sourd/sourd. Cependant, certains termes sont encore largement répandus dans les écrits linguistiques, et il est donc possible que vous les rencontriez encore.

Pour ces questions, il est important de procéder avec prudence et de suivre les conseils d’une personne mieux informée que vous, surtout si elle est sourde. Si vous doutez de l’usage approprié dans une situation donnée avec une personne sourde, demandez-lui ce qu’elle préfère.

L’étude de la modalité

Parce que les langues parlées ont longtemps été l’objet d’étude par défaut en linguistique, et parce que la modalité vocale-auditive est centrée sur le son, l’étude de la modalité linguistique est appelée phonétique, un terme dérivé de la racine grecque ancienne φωνή(phōnḗ) « son, voix ». Cependant, toutes les langues présentent de nombreuses similitudes sous-jacentes, de sorte que les linguistes utilisent depuis longtemps un grand nombre de termes identiques pour décrire les propriétés de différentes modalités, même lorsque l’étymologie est propre aux langues parlées. Cela inclut le terme phonétique, qui est aujourd’hui couramment utilisé pour désigner l’étude de la modalité linguistique en général, et pas seulement de la modalité vocale-auditive.

Il est important de se rappeler que l’étymologie d’un mot peut vous donner des indications sur son sens, mais qu’elle ne le détermine pas. Au contraire, le sens d’un mot est déterminé par l’usage que les gens en font (pour obtenir plus de détails sur le sens, voir le chapitre 7 sur la sémantique). Ce sens basé sur l’usage peut diverger, voire contredire l’étymologie historique, notamment dans les domaines scientifiques où notre connaissance du monde est en constante évolution.

Un exemple d’une telle divergence entre l’étymologie et l’usage actuel pour un terme scientifique peut être observé avec le mot atome, qui vient du grec ancien ἄτομος(átomos) « indivisible ». Les philosophes de la Grèce antique utilisaient ce terme pour appuyer leur croyance selon laquelle les atomes étaient les plus petits éléments constitutifs de la matière. Cependant, plus de 2000 ans plus tard, nous avons découvert que les atomes sont en fait divisibles, étant constitués de protons, de neutrons et d’électrons. Plutôt que de renommer les atomes, nous avons conservé l’ancien nom ;et accepté que son étymologie ne représente plus exactement nos connaissances scientifiques actuelles. Il en va de même pour le terme phonétique.

Cependant, il faut savoir que de nombreux linguistes ont encore une vision subjective de la langue et de la linguistique, et qu’ils oublient souvent d’inclure les langues des signes et d’autres modalités lorsqu’ils parlent de phonétique ou de langue en général. Certains pensent même que les langues des signes ne peuvent pas avoir de phonétique. Au fur et à mesure que les linguistes ont acquis une meilleure connaissance de la diversité linguistique et qu’ils sont devenus plus sensibles aux difficultés rencontrées par les groupes marginalisés, nous avons assisté à une évolution constante vers une plus grande inclusivité dans notre manière de parler de la langue. Comme pour tout changement de ce type, certaines personnes resteront ancrées dans le passé, tandis que d’autres prendront activement part à l’évolution inévitable.

Dans ce chapitre, nous nous concentrons sur la phonétique articulatoire, qui est l’étude de la manière dont le corps crée un signal linguistique. Les deux autres composantes principales de la modalité ont également des sous-domaines consacrés à la phonétique. La phonétique perceptive est l’étude de la manière dont le corps humain perçoit et traite les signaux linguistiques. Nous pouvons également étudier les propriétés physiques du signal linguistique lui-même. Pour les langues parlées, il s’agit du domaine de la phonétique acoustique, qui étudie les ondes sonores linguistiques. Cependant, il n’existe actuellement aucun sous-domaine comparable de la phonétique pour les langues des signes, car les propriétés physiques des ondes lumineuses ne sont normalement pas étudiées par les linguistes. La phonétique perceptive et la phonétique acoustique sont deux domaines qui dépassent le cadre de ce manuel.


Vérifiez votre compréhension

 

Un élément interactif H5P a été exclu de cette version du texte. Vous pouvez le consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais :
https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=578#h5p-53


Références

Checchetto, Alessandra, Carlo Geraci, Carlo Cecchetto, and Sandro Zucchi. 2018. The language instinct in extreme circumstances: The transition to tactile Italian Sign Language (LISt) by Deafblind signers. ;Glossa: A Journal of General Linguistics 3(1): 66(1–28).

Edwards, Terra, and Diane Brentari. 2020. Feeling Phonology: The conventionalization of phonology in protactile communities in the United States. Language 96(4): 819–840.

Hinnell, Jennifer. 2020. Language in the body: Multimodality in grammar and discourse. Doctoral dissertation, University of Alberta.

Holler, Judith, and Stephen C. Levinson. 2019. Multimodal language processing in human communication. ;Trends in Cognitive Sciences 23(8): 639–652.

Kusters, Annelies, Maartje De Meulder, and Dai O’Brien. 2017. Innovations in Deaf Studies: Critically mapping the field. In Innovations in Deaf Studies: The role of deaf scholars, ed. Annelies Kusters, Maartje De Meulder, and Dai O’Brien, Perspectives on Deafness, 1–56. Oxford: Oxford University Press.

Perniss, Pamela. 2018. Why we should study multimodal language. ;Frontiers in Psychology 9(1109): 1–5.

Pudans-Smith, Kimberly K., Katrina R. Cue, Ju-Lee A Wolsley, and M. Diane Clark. 2019. To Deaf or not to deaf: That is the question. Psychology 10(15): 2091–2114.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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