L’histoire de Jacques

Profil de Jacques

En 1946, des parents ojibwés ont mis au monde un fils dans une réserve du Nord-Ouest de l’Ontario. Lorsqu’il avait à peine 6 ans, Jacques a été retiré de force de son foyer et envoyé dans un pensionnat dirigé par une organisation religieuse. Les prêtres lui ont donné le nom de « Jacques » pour remplacer son nom autochtone.

Une photographie en noir et blanc d’élèves d’un pensionnat.
CC BY 4.0 Une photographie en noir et blanc d’élèves d’un pensionnat.

 

L’école était axée sur l’enseignement des métiers et de l’agriculture. Jacques y a subi une discipline sévère, de la malnutrition, de mauvais soins, des abus physiques, émotionnels et sexuels, ainsi que la suppression délibérée de sa culture et de sa langue.

Le premier jour, Jacques est monté à bord d’un autobus qui l’a conduit à l’école. Il croyait qu’il s’agissait d’une promenade de quelques heures et qu’il rentrerait chez lui le soir. Le pensionnat où on l’a conduit était un milieu complètement désorientant. Jacques a reçu des vêtements et a pris une douche à son arrivée. Il était en terrain étranger. Au pensionnat, lorsqu’ils étaient autorisés à sortir pour jouer, les garçons étaient séparés des filles dans la cour.

La journée typique au pensionnat commençait par le réveil à 6 h, suivi du déjeuner, d’une douche et d’une visite à l’église. Jacques priait plus qu’il n’allait à l’école. Au début, lorsque Jacques parlait sa langue maternelle, les enseignantes et enseignants lui tiraient l’oreille et le frappaient avec une règle. Ils le faisaient s’agenouiller dans l’église comme punition supplémentaire.

S’il était demeuré auprès de ses parents, Jacques aurait été en mesure de parler sa langue et de comprendre sa culture. Les quelques fois où il est retourné dans sa communauté au fil des ans, Jacques s’est senti comme un étranger. Il avait perdu l’usage de sa langue et ne parvenait plus à communiquer convenablement avec sa famille.

Jacques a passé des années difficiles au pensionnat. Il y a acquis un dédain des règles. Après avoir quitté le pensionnat, Jacques a connu des démêlés avec la justice en raison de sa consommation d’alcool. Il se faisait arrêter pour ivresse et trouble de l’ordre public, et passait quelques jours à la fois derrière les barreaux.

Les douches quotidiennes au pensionnat ont laissé une profonde cicatrice dans l’esprit de Jacques. Le personnel essuyait les enfants avec des serviettes et leur mettait de la poudre sur le corps. Jacques et ses compagnons trouvaient ces chatouillements comiques, sans comprendre à l’époque qu’il s’agissait en fait d’abus sexuels.

La qualité de l’enseignement laissait grandement à désirer. À sa sortie du pensionnat, Jacques a abouti dans la rue. Son éducation était inadéquate pour lui permettre de décrocher un emploi. Le jeune homme a essuyé de nombreux refus d’employeurs qui ne voulaient pas embaucher un « Indien ». À force de persévérance, Jacques a cumulé une série de petits emplois, par exemple comme ouvrier agricole ou dans la cour à bois locale, avant d’obtenir un poste permanent pour une société minière.

Cette histoire est inspirée de celle de Tim Antoine: https://legacyofhope.ca/wherearethechildren/stories/

Un groupe de garçons debout sur le terrain d’un pensionnat.
CC BY 4.0 Un groupe de garçons debout sur le terrain d’un pensionnat.

Jacques a rencontré Marie en 1962 au magasin général où elle travaillait. Il est ensuite parti travailler dans les mines pendant quelques années. Marie et Jacques se sont mariés en 1969. Jacques a trouvé un emploi dans une mine près de leur résidence et y a travaillé jusqu’à sa retraite. Le couple a eu deux enfants. Marie allait régulièrement à l’église avec les enfants, mais Jacques refusait de les accompagner, car cela lui rappelait trop de souvenirs d’enfance douloureux.

Dans son rôle de père, Jacques avait l’impression d’avoir peu à offrir à ses enfants, puisqu’il avait été dépossédé de sa culture. Jacques était toutefois proche de sa fille Nancy, qu’il encourageait dans ses activités sportives et avec laquelle il pratiquait la chasse et la pêche. Le fils de Jacques et Marie, Phillip, n’avait aucun intérêt pour de telles activités.

Jacques n’a ménagé aucun effort pour entretenir la maison qu’il a partagée avec Marie pendant près de 50 ans. Au cours des cinq dernières années, Jacques a commencé à éprouver des douleurs et engourdissements aux pieds, ce qui a limité progressivement sa mobilité et sa capacité d’accomplir des tâches d’entretien à la maison.

À l’aube de la cinquantaine, Jacques a reçu un diagnostic de diabète de type 2. Il prend de l’insuline à action rapide avec les repas. Jacques a besoin de ces injections parce qu’il n’a pu atteindre les niveaux de glycémie souhaités par la planification de ses repas, la perte de poids, l’activité physique et les médicaments.

CC BY 2.0

Un épisode difficile

Récemment, Marie, la conjointe de Jacques, a été hospitalisée pendant sept jours. En l’absence de son épouse, Jacques a du mal à préparer les repas, à mesurer sa glycémie et à s’administrer ses injections d’insuline. À l’approche du congé de l’hôpital, Nancy et Paul acceptent que Jacques et Marie emménagent chez eux temporairement à Toronto pour faciliter la convalescence.

Un jour, Nancy se rend chez ses parents pour préparer ce dont Jacques et Marie auront besoin pendant leur séjour chez elle.

Nancy est choquée par le délabrement de sa maison d’enfance et l’aspect négligé de son père. Elle constate que Jacques ne s’est pas lavé depuis plusieurs jours, qu’il semble légèrement essoufflé, qu’il boite et qu’il dégage une odeur étrange.

Jacques reconnaît qu’il se porte mal en l’absence de Marie. Il ne s’alimente pas bien et ne gère pas adéquatement sa glycémie et sa prise d’insuline. D’un air penaud, il admet à Nancy qu’il ne s’est pas lavé pendant la période d’hospitalisation de Marie, car il ne peut pas accéder seul à la baignoire.

Nancy prépare le dîner pour son père et vérifie sa glycémie (12,4 mmol/L). Nancy administre la dose d’insuline nécessaire et dîne en compagnie de Jacques.

Après le dîner, Nancy aide son père à prendre une douche. Jacques a le souffle plus court à cause de cet effort. Il dit à Nancy qu’il a l’impression que son cœur s’emballe. Il n’arrive pas à reprendre son souffle. Nancy prend son pouls radial et estime qu’il atteint 130 battements par minute. Jacques est gêné de recevoir de cette aide, mais il laisse sa fille l’aider à se dévêtir.

Lorsque Jacques enlève ses chaussettes, l’odeur désagréable que Nancy avait remarquée à son arrivée devient plus prononcée. Nancy découvre maintenant la source de cette odeur : une plaie ouverte et suintante sur le pied droit de son père. Une fois la douche terminée, Nancy installe Jacques avec une collation et une tasse de thé. Elle appelle son médecin de famille.

Le médecin recommande à Nancy d’emmener son père au service des urgences de l’hôpital local. Il prévient le personnel de l’hôpital de l’arrivée du patient.

À l’hôpital, la médecin de garde diagnostique un nouvel épisode de fibrillation auriculaire. (Des informations supplémentaires sur la fibrillation auriculaire sont fournies dans un document distinct, à consulter selon les besoins.)

Jacques est hospitalisé. Il doit consulter un cardiologue au sujet de sa fibrillation auriculaire, un endocrinologue pour recevoir des soins appropriés pour son diabète de type 2, ainsi que l’infirmière spécialisée en traitement des plaies pour sa plaie au pied.

Médicaments

  • Lovenox
  • Propranolol (bêtabloquant)
  • Cardizem (inhibiteur calcique)

Nancy se retrouve devant un dilemme. Ses deux parents sont hospitalisés, mais Marie doit sortir de l’hôpital le jour suivant. Nancy avait prévu héberger ses deux parents chez elle, le temps que sa mère se rétablisse. Entre-temps, Nancy doit rentrer à Toronto pour retrouver son fils et son mari et pour poursuivre ses études. Le temps presse.

Nancy discute avec la responsable des congés de l’hôpital pour lui expliquer la situation. Ensemble, elles décident que Marie demeurera hospitalisée jusqu’à ce que Jacques soit également prêt à sortir. Nancy retourne ensuite à Toronto, en attendant que ses parents reçoivent leur congé.

Entre-temps, Jacques a été transféré à l’étage de cardiologie/télémétrie, où son état de santé est surveillé de près. Un matin, l’infirmière remarque que les chevilles, les pieds et les jambes de Jacques sont de plus en plus enflés et que ses extrémités inférieures sont froides au toucher.

En essayant de réveiller Jacques, l’infirmière constate qu’il semble extrêmement amorphe. Il refuse d’ouvrir les yeux. Jacques répond aux questions à un rythme très lent et sur un ton léthargique. Il dit qu’il ne sait plus où il est et demande de voir sa femme.

L’infirmière note immédiatement ses observations et en fait part au cardiologue, qui donne des instructions sur les mesures à prendre. Nancy, lors de sa visite suivante à l’hôpital, est informée de l’insuffisance cardiaque de son père.

Après quatre jours d’hospitalisation, l’état de santé de Jacques s’est amélioré. Il est prêt à obtenir son congé et à s’installer chez Nancy avec Marie. Le personnel médical donne plusieurs consignes pour le retour à domicile :

  • Visites quotidiennes de l’infirmière spécialisée en traitement des plaies pour changer les
    pansements et évaluer la guérison
  • Mesure et documentation de la glycémie quatre fois par jour
  • Ajustements aux doses d’insuline en fonction de la glycémie
  • Injections d’insuline effectuées par Nancy
  • Prise de médicaments en suivant la posologie
  • Modération de la consommation d’aliments gras et salés
  • Activité physique trois fois par semaine
  • Rendez-vous de suivi en cardiologie et en endocrinologie quatre semaines après le congé

Au cours des jours suivant son arrivée chez sa fille, Jacques remarque des tensions entre Nancy et son mari Paul, visiblement au sujet de leur fils adoptif Sam, qui est atteint de fibrose kystique. Jacques croit que Nancy et Paul devraient pouvoir annuler cette adoption, puisqu’ils ne s’étaient pas engagés en toute connaissance de cause au moment d’adopter l’enfant de 2 ans.

Jacques a l’impression que ses soins représentent un fardeau constant pour Nancy et Paul. Il passe la majorité de son temps dans la chambre qu’il partage avec Marie. Il se préoccupe également du rétablissement de sa femme et souhaite tout simplement rentrer à la maison.

Après s’être rétabli, Jacques reprend le cours de sa vie. Les années passent. Graduellement, Jacques commence à ressentir des douleurs et de l’enflure à l’abdomen. Rappelons qu’il avait été un grand consommateur d’alcool plus tôt dans sa vie. Ses collègues de travail lui font remarquer que ses yeux et sa peau ont une teinte jaunâtre. Jacques prend rendez-vous chez le médecin pour tirer les choses au clair.

Le médecin recueille des informations et fait passer des tests à Jacques. Quelques jours plus tard, Jacques reçoit un appel téléphonique du médecin, qui lui annonce le diagnostic de cancer malin du foie. Le médecin informe Jacques des prochaines étapes pour le traitement de la maladie.

L’épisode de maladie de Marie a donné à Jacques l’occasion de contempler sa vie. Il conclut que s’il n’était pas allé au pensionnat, il aurait été une personne très différente, et aurait mené une vie très différente. Le pensionnat lui a enlevé ses origines, sa culture et son histoire. D’ailleurs, peu après son mariage, il avait cessé de rendre visite à sa famille dans la réserve, où il se sentait comme un étranger. Jacques a l’impression d’avoir laissé tomber ses enfants, en manquant de leur transmettre le riche héritage du peuple ojibwé.

Mots-clés

Mots-clés : Autochtone, fibrillation auriculaire, conduction cardiaque, système endocrinien, ulcère du pied, cœur, maladies professionnelles, pancréas, circulation périphérique, neuropathie périphérique, trouble de stress post-traumatique, pensionnats, diabète de type 2, insuffisance cardiaque, cancer du foie, ISBAR, RCR, réadaptation cardiaque, écouvillonnage de plaies, gestion des soins infirmiers en radiothérapie

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Études De Cas Polyvalentes En Sciences De La Santé Copyright © 2024 by Laura Banks; Elita Partosoedarso; Manon Lemonde; Robert Balogh; Adam Cole; Mika Nonoyama; Otto Sanchez; Sarah West; Sarah Stokes; Syed Qadri; Robin Kay; Mary Chiu; and Lynn Zhu is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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