La théorie rattachée à la gazométrie artérielle et à l’équilibre acido-basique

Dans le corps humain s’opère une quête perpétuelle et complexe d’équilibre, menée par le pH du corps et du sang. Les organes et les cellules atteignent un fonctionnement optimal en présence d’un pH bien précis. Cet équilibre est ce qu’on appelle l’homéostasie de l’organisme. Il existe deux sous-produits qui influencent le pH du corps, fabriqués par différents appareils de l’organisme : le dioxyde de carbone (CO2) et les bicarbonates (HCO3). Le CO2 et les HCO3 sont régulés et modifiés par le corps pour maintenir le pH en équilibre. Le cerveau assure l’équilibre en amplifiant ou en diminuant des processus précis dans l’organisme pour réguler les taux de CO2 et de HCO3 en une tentative pour rétablir un pH « normal » ou équilibré. Ainsi, l’analyse du taux sérique de CO2 et de HCO3 et la vérification du pH sanguin sont des méthodes très rapides et efficaces pour évaluer l’état d’un organisme. Un taux anormal est l’un des premiers indicateurs d’une détérioration et les cliniciens peuvent décider d’intervenir et d’apporter une aide au patient pour éviter une insuffisance respiratoire ou une défaillance viscérale.

L’équilibre acido-basique et la gazométrie artérielle sont un sujet costaud qui pourrait en soi faire l’objet d’un ouvrage complet. Le présent chapitre s’attarde surtout aux principaux concepts à connaître et sur les raisons qui expliquent l’importance de l’équilibre acido-basique dans la respiration des humains (vos patients). Penchons-nous un peu plus sur les concepts de pH et de taux de CO2 et de bicarbonates dans l’organisme.

Quelles sont les valeurs normales? Le corps atteint l’homéostasie à un pH entre 7,35 et 7,45. Cet écart est normal. Si le pH de l’organisme est inférieur à 7,35, il est acide. S’il est supérieur à 7,45, il est basique ou alcalin.

L’image ci-dessous illustre le spectre du pH sur une échelle allant du pH acide (gauche) au pH basique (droite), avec au centre une homéostasie saine et équilibrée.

Le pH représenté sur une échelle.

Le dioxyde de carbone (CO2), défini comme le déchet de toute cellule au niveau moléculaire, est un acide puissant. Toutes les cellules créent du CO2 dans le processus de respiration cellulaire. Vous souvenez-vous de vos cours de biologie au secondaire? Vous avez probablement appris que le CO2 est un produit de déchet dans le cycle de Krebs. Si elle n’est pas surveillée, une production excessive peut favoriser dans le corps un environnement hautement acide.

Exemple pratique

Fine coupure sur le bout d’un doigt.
D’après vous, qu’est-ce qui arriverait aux cellules et organes s’ils étaient dans un environnement hautement acide? Pensez à l’intensité de la douleur ressentie lorsque du vinaigre entre en contact avec une fine coupure. Ça chauffe! C’est ce qui arrive aussi à l’organisme lorsqu’il contient trop de CO2.

Cet acide (le CO2) doit donc être tamponné (ou neutralisé) par le corps, puis éliminé de l’organisme. L’équilibre acido-basique vise à neutraliser la quantité de CO2 dans le corps jusqu’à ce qu’elle soit évacuée par les poumons. Rappelez-vous, nous expirons du CO2.

Donc comment se passe la neutralisation? Comment le corps fait-il pour réguler le pH sans s’acidifier? L’organisme utilise deux méthodes pour réguler le pH :

  1. Neutralisation (tamponner l’acide)
  2. Évacuation du CO2 (éliminer l’acide)

Neutralisation

Les reins sont les principaux acteurs de la neutralisation et de la régulation du pH dans l’organisme. Les processus cellulaires peuvent créer des acides à un rythme effarant. Pour contrer cet effet, les reins peuvent réguler un important électrolyte qui tamponne (ou neutralise) tout acide présent dans le corps. Le bicarbonate est un ion négatif qui peut se lier aux ions d’une molécule acide d’hydrogène (H+) pour éliminer les acides circulants. Essentiellement, les bicarbonates (HCO3) tamponnent ou neutralisent les acides circulants pour stabiliser le pH de l’organisme.  L’HCO3 est l’électrolyte le plus important dans la régulation du pH. L’acide carbonique (H2CO3) circule dans l’organisme jusqu’à atteindre les poumons, où il se décompose en CO2 pour être ensuite expiré. Les reins jouent un rôle prépondérant dans la neutralisation des acides, car ils en excrètent dans l’urine tout en conservant ou en éliminant les bicarbonates de sorte qu’il y ait une quantité idéale dans l’organisme pour neutraliser tout le CO2. Ce processus est la composante métabolique de la gazométrie artérielle.

Le processus continu de neutralisation ressemble à ce qui suit :

CO2 + H2O ↔ H2CO3 ↔ H+ + HCO3

Évacuation du CO2

L’autre méthode pour maintenir l’homéostasie est l’évacuation du CO2. Le CO2 est évacué du corps par les poumons. Il est transporté par la circulation sanguine jusqu’à la membrane alvéolocapillaire où il se diffuse dans l’alvéole afin d’être expiré à chaque respiration. On appelle ce processus la composante respiratoire de la gazométrie artérielle.

Toute perturbation de la physiologie normale ou tout processus pathologique peut modifier le taux de CO2 de deux façons :

  1. En modifiant la production de CO2 dans les cellules, ce qui entraîne une hausse ou une baisse du taux de CO2 qui circule dans l’organisme (p. ex., maladie, métabolisme plus rapide, exercice).
  2. En modifiant la quantité de CO2 éliminée par les alvéoles : modification des échanges gazeux, hausse ou baisse de la quantité de CO2 expirée chaque minute (p. ex., modification de la fréquence respiratoire ou du volume des respirations; poumons défectueux incapables de participer aux échanges gazeux).

Dans tous les cas, si l’un ou l’autre de ces changements se produit, le taux de CO2 dans l’organisme peut rapidement augmenter ou diminuer. Rappelez-vous : le CO2 étant un acide, toute augmentation rendrait le pH acide, tandis qu’une diminution rendrait le pH alcalin (ou basique). Les chémorécepteurs du cerveau (dont nous avons parlé au chapitre 1) perçoivent ce changement et tentent de rétablir l’homéostasie du corps par deux moyens :

  • En modifiant les cycles respiratoires de l’organisme.
  • En modifiant le taux de bicarbonates dans le corps.
Le chapitre 1 aborde les chémorécepteurs dans le cerveau qui perçoivent le taux d’O2 et de CO2 et déclenchent nos respirations. La gazométrie artérielle est une analyse au chevet qui permet de voir les valeurs de pH et de CO2 auxquelles réagissent les chémorécepteurs. Si vous examinez les résultats de la gazométrie artérielle avec vos patients, vous pourrez observer cette réaction. Les patients qui respirent rapidement présenteront un taux élevé de CO2. C’est ce taux élevé de CO2 qui incite le cerveau à déclencher des respirations accélérées. Plus précisément, les chémorécepteurs réagissent au pH du sang plus qu’au CO2 en soi.

La première stratégie pour rétablir l’équilibre acido-basique passe par l’appareil respiratoire et la modification des cycles respiratoires du corps, car cet ajustement peut être appliqué immédiatement et ses effets peuvent être observés en quelques minutes. Un taux élevé de CO2, ou plus précisément, une diminution du pH (lequel s’acidifie), provoque le cerveau pour qu’il stimule le patient à respirer plus afin d’expirer plus de CO2 (voir le chapitre 1). Qui plus est, une respiration accélérée ramène le pH à une valeur normale puisque c’est à cette valeur que l’organisme fonctionne le mieux.

La deuxième stratégie pour rétablir l’équilibre acido-basique passe par le processus métabolique des reins et la modification du taux de bicarbonates (HCO3). Cette stratégie est moins immédiate puisque le HCO3 est soit excrété dans l’urine, soit réabsorbé dans l’appareil urinaire, et demande du temps pour être réabsorbé par l’organisme. Il faut 24 à 48 heures à ce processus métabolique pour corriger un déséquilibre. Bien qu’il prenne plus de temps pour y arriver, le taux de bicarbonates peut aussi réguler le pH et le rétablir à sa valeur physiologique normale (7,35-7,45) afin d’éviter à l’appareil respiratoire de faire tout le « travail ».

Comprendre l’écart entre les deux stratégies quant au temps nécessaire pour corriger le déséquilibre est d’une importance capitale. En effet, les changements respiratoires se produisent en quelques minutes, tandis que les changements métaboliques prennent 24 heures avant de commencer à s’opérer. Si pour une raison ou une autre, la commande respiratoire d’une personne est altérée par une blessure ou une maladie, la capacité du cerveau à corriger les déséquilibres acido-basiques à court terme disparaît aussitôt. Une légère modification du pH peut entraîner de très grands changements dans l’état de conscience de la personne et peut même devenir très rapidement dangereuse. Si la situation n’est pas corrigée, les bicarbonates peuvent manquer de temps pour s’ajuster avant que le déséquilibre menace la vie du patient. Il en résulte une affection appelée insuffisance respiratoire (ou ventilatoire) qui nécessite un quelconque type de soutien ventilatoire – dans la plupart des cas, la ventilation mécanique. La ventilation mécanique est un moyen qu’utilise le prestataire de soin pour corriger le déséquilibre acido-basique d’un patient lorsque sa capacité physiologique est compromise ou jugée inadéquate.

Pas de souci si vous ne comprenez pas tout! Retenez surtout que le corps cherche à maintenir un pH entre 7,35 et 7,45 pour assurer le fonctionnement optimal de ses cellules et ses organes vitaux. Pour ce faire, il régule la quantité de CO2 et de bicarbonates qu’il contient. Rappelez-vous :

  • Bicarbonates = alcalin
  • CO2 = acide

Tant qu’il produit une quantité suffisante de bicarbonates pour rivaliser avec son taux de CO2, l’organisme demeure en équilibre.

Concepts clés

Les chémorécepteurs dans le cerveau perçoivent le taux acido-basique (pH) de l’organisme. Tout problème relatif au taux de CO2 est d’origine respiratoire et tout problème lié au taux d’HCO3 est d’origine métabolique. Pour rétablir rapidement l’homéostasie du taux acido-basique, il faut modifier les cycles respiratoires pour ajuster le rythme auquel le CO2 est expiré. Ces ajustements peuvent modifier le taux de CO2 en quelques minutes. L’autre méthode pour contrôler l’équilibre acido-basique consiste à emprunter la voie métabolique en contrôlant la quantité de bicarbonates pouvant être utilisés comme tampons dans l’organisme. Le processus est régulé par les reins et peut prendre un minimum de 24 heures pour corriger les déséquilibres acido-basiques.

En savoir plus

Si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur la matière abordée ici, consultez les ressources suivantes :

Attribution des éléments visuels

Licence

L’ABC de la ventilation mécanique© par Melody Bishop, B.Sc., thérapeute respiratoire, assistante en anesthésie clinique certifiée (AACC). Tous droits réservés.

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