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4. Le mot

1.  Le sens dans la langue

L’utilité du langage réside dans sa capacité à transmettre des messages, à faire du sens. L’étude du sens, cependant, semble plus difficile que l’étude de la forme. Qu’est-ce que le sens exactement? Contrairement aux codes oral et écrit, qui ont une réalité concrète, audible ou visible, l’étude du sens demande de sauter dans un monde d’abstraction. Avec le code oral, on peut faire une relation directe entre des séquences de mouvements d’articulateurs, la production de son avec notre système moteur et la perception de ces sons. Les transcriptions en API sont une synthèse d’une série de processus physiologiques et cognitifs. Il en va de même pour le code visuel.

Pour le sens, la situation est beaucoup moins claire:  y a-t-il dans notre cerveau des processus physiologiques qu’on peut mettre en relation avec ce que nous appelons le sens? Il s’agit là d’une question qui dépasse largement le cadre de la présente discussion. En fait, on peut penser que cette question n’est pas directement pertinente pour l’analyse linguistique parce que la relation forme-sens dans la langue est arbitraire. Pour cette raison, le sens est une affaire de convention: c’est le sujet de l’exercice suivant.

Exercice 1 : étiqueter les réalités du monde; l’arbitraire du signe

 


Points à retenir

Nous aborderons les mots comme des étiquettes (des formes) qu’on applique à des réalités du monde. Cette position présuppose donc l’existence d’un monde composé de réalités, objets qui existent indépendamment des formes linguistiques. Nous prenons pour acquis que tous les êtres humains appréhendent le monde et les réalités qui le composent de façon similaire.

Dans cette perspective, les mots sont:

  • des formes (audible ou visible, selon le code) servant à étiqueter le monde.
  • l’étiquetage est arbitraire (l’arbitraire du signe): la forme d’une étiquette n’évoque en aucune façon la réalité à laquelle elle s’applique.
  • en raison de l’arbitraire du signe,
    • l’application d’une étiquette à une réalité doit être apprise cas par cas;
    • l’application d’une forme à une réalité doit faire l’objet d’une convention, un accord tacite entre locuteurs et locutrices.

Nous allons étudier dans cette unité du cours les relations lexicales à l’intérieur de cette approche du mot, et en même temps étendre le lexique des étudiants. Nous commençons tout d’abord avec une mise en pratique de l’idée que les mots sont simplement des étiquettes.

2. Les mots comme des étiquettes

Selon la perspective présentée ici, le lexique d’une langue est un ensemble de formes, des étiquettes, que les locuteurs et locutrices de la langue acceptent d’un commun accord d’appliquer à des réalités du monde afin de désigner celles-ci. Nous exprimerons ceci en parlant du DOMAINE d’APPLICATION d’une forme: de façon préliminaire, on dira que le domaine d’application du mot fleur est l’ensemble des réalités du monde que les locuteurs et locutrices s’accordent à désigner avec la forme orale [flœr] ou écrite fleur. Les exercices suivants vous permettent d’établir de façon préliminaire le domaine d’application de certaines étiquettes graphiques et API du français.

Exercice 2 : le jeu des étiquettes


Point à retenir

  • Un mot est un accord tacite entre locuteurs et locutrices qu’une certaine étiquette (fleur ou la production orale [flœr]) peut être appliquée à une certaine réalité indépendante, i.e. les choses qui ressemblent à 🌸 pour désigner celle-ci.
  • Les exemples vus dans cet exercice permettent de définir une petite partie du domaine d’application des formes discutées: mais il s’agit d’un domaine très partiel pour ces formes, le lexique de la langue étant beaucoup plus complexe comme on le verra plus loin et la semaine prochaine.

3. Plusieurs étiquettes sur une même réalité: la synonymie

La construction d’un lexique est donc, dans notre perspective, d’établir les domaines d’application des formes de la langue, c’est-à-dire, à quelle(s) réalité(s) du monde cette étiquette s’applique. Parfois, les domaines d’application de formes sont les mêmes: on parle alors de synonymie, le sujet de l’exercice suivant.

Exercice 3 : plusieurs étiquettes sur une même réalité

 

Mais d’où vient la synonymie, et à quoi sert-elle? Cette question est abordée dans l’exercice suivant

Exercice 4 : découverte; pourquoi la synonymie?


Points à retenir

  • Il y a synonymie lorsque des étiquettes ont le même domaine d’application, ou dit autrement, lorsque plusieurs formes s’appliquent à une même réalité dans le monde.
  • L’existence de synonyme reflète le fait qu’il y a des mots qui appartiennent à:
    • des vocabulaires spécialisés,
    • différentes variétés de langue,
    • des niveaux de langue plus ou moins familier.
  • L’utilisation du bon synonyme relève donc du contexte d’utilisation et du niveau de langue utilisé. L’utilisation d’un synonyme dans un contexte non approprié peut mener à des problèmes de communication.

4.  Les faux-amis

Le vocabulaire des langues du monde est rempli d’emprunts à d’autres langues. Un emprunt peut être utile si la forme (l’étiquette) dans une langue s’applique à la même réalité dans l’autre langue (si les deux mots ont le même domaine d’application): c’est le cas par exemple pour question en français et en anglais, qui s’applique à la même notions dans les deux langues (l’idée de requête, de demande d’information). Voilà un mot de moins à mémoriser!

Le danger réside dans le fait qu’il y a plusieurs faux-amis dans ces mots ayant des formes identiques ou similaires, un piège pour les apprenants de la langue seconde.

 

Exercice 5 : attention aux faux-amis!


Points à retenir

  • On doit donc se souvenir que l’identité de forme entre des mots de deux langues (ou leur ressemblance) n’est nullement une indication de l’identité du sens (c’est-à-dire que ces étiquettes s’appliquent à la même réalité).
  • En cas de doute, l’utilisation d’un dictionnaire reste la meilleure façon de s’assurer de la bonne utilisation des mots.

Points à retenir pour le chapitre 4

Selon la perspective envisagée ici, un mot est simplement l’accord tacite entre locuteurs et locutrices qu’une certaine étiquette peut être appliquée à une certaine réalité du monde qui existe de manière indépendante.

  • Cette définition découle du caractère arbitraire du signe: comme la forme d’un mot n’indique rien à propos de la réalité à laquelle elle s’applique, il est nécessaire de s’entendre sur cette application, et de la mémoriser.
  • Le domaine d’application d’un mot est l’ensemble des réalités auquel s’applique une étiquette.
  • Lorsque le domaine d’application de deux étiquettes est le même, on parle de synonymes: des étiquettes différentes s’applique à une même réalité. Pour une communication efficace, on doit être conscient qu’il existe des synonyme appartenant à
    • des vocabulaires plus ou moins spécialisés qui utilisent des formes particulières pour désigner certaines réalités
    • des niveaux de langue différents qui transmettent une familiarité
    • des variétés de langue différentes qui ont développé des items particuliers
  • Il est important aussi d’être conscient de l’existence de faux-amis: des formes qui se ressemblent dans des langues différentes, soit parce qu’elles ont été empruntées ou en raison d’accident de l’histoire, ne s’appliquent pas nécessairement au même réalité du monde.
  • La meilleure façon de maîtriser toutes ces nuances est de prendre l’habitude d’utiliser des outils de référence comme un bon dictionnaire.

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FRENCH 1999 - Introduction aux études françaises© 2019 par Jacques Lamarche. Tous droits réservés.