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3. Le code oral et le code écrit

1.  Le code oral et le code écrit


Les premiers cours ont montré qu’il faut clairement distinguer entre deux systèmes différents dans une langue comme le français. Dans un premier temps, il y a un système pour la langue orale: c’est ce que nous appellerons ici le code oral. La prononciation du français, telle qu’exprimée dans les transcriptions phonétiques, appartient au code oral. Le deuxième système porte sur la langue écrite, ce qu’on désignera ici comme le code écrit.  Le système orthographique du français, et ses liens avec la grammaire traditionnelle, appartient au code écrit.

Nous avons aussi observé que le rapport entre ces deux codes est loin d’être direct. Un des objectifs du présent chapitre est, d’une part, de chercher à comprendre la place de la linguistique relativement à ces deux codes, notamment en ce qui concerne la norme et la connaissance de la langue, et d’autre part, d’explorer en détail à quel niveau les deux codes sont différents. Ceci permettra aux étudiants de développer des aptitudes particulières pour atteindre leurs objectifs en français.

Nous allons commencer le cours en regardant une seconde fois l’extrait de la vidéo du Bourgeois Gentilhomme, avec maintenant un oeil critique sur l’exposé du philosophe:

 

 

La leçon d’orthographe

Pour visionner la vidéo du Bourgeois Gentilhomme, cliquer le lien suivant: La leçon d’orthographe

 

Votre interprétation de l’exposé du philosophe a-t-elle évolué depuis la première semaine du cours? Vous pourrez constater en répondant aux questions suivantes:

 

Exercice 1 : Mise en contexte

 

Dans le reste de ce chapitre, nous ferons le point sur plusieurs des idées vues jusqu’à maintenant. Tout d’abord, nous verrons des arguments supplémentaires pour l’idée que la linguistique est l’étude de la forme sonore de la langue, le code oral, et non l’étude du code écrit, et nous discuterons brièvement de la tension qui existe entre la norme linguistique et la linguistique comme science. La section suivante cherche à voir comment la mise en parallèle de l’oral et de l’écrit permet d’avoir une interprétation plus nuancée de ce que veut dire ‘connaître le français’. Une grande partie du chapitre sera ensuite consacrée à des exercices de découverte et d’application pour renforcer les notions vues dans le cours jusqu’à maintenant.

 

2. Langue orale (la poule) et langue écrite (l’oeuf)

Plus tôt dans le cours (vidéo 1, Semaine 2), nous avons montré que l’orthographe traditionnelle n’est pas en mesure de décrire la variation, une réalité des langues humaines que les linguistes cherchent à comprendre. C’est une des raisons qui montrent qu’une étude scientifique du langage doit porter sur la langue orale. Nous discutons ici d’une autre raison qui indique que la langue orale est centrale pour la linguistique: dans l’histoire de l’humanité, l’émergence de codes écrits a nécessité des conditions particulières. Par exemple, l‘écriture requiert la capacité à inscrire des symboles graphiques sur un support physique ainsi que la volonté de la société de ‘mettre’ la langue sur un support physique visuel. Les exercices suivants vous permettront de voir que ces conditions spécifiques à la langue écrite ne s’appliquent pas à la langue orale.

Exercice 2 : Le yin et le yang des codes oral et écrit.

Points à retenir

  • La langue orale émerge naturellement chez l’enfant lorsqu’il est entouré d’individus qui parlent cette langue.
  • La langue écrite nécessite un support physique pour la graphie, le développement d’une orthographe, et un système d’éducation.

Il s’agit là d’un argument supplémentaire en faveur de la conclusion que l’étude scientifique de la langue doit porter sur la connaissance de la langue orale, et non de la langue écrite. Le langage chez les êtres humains est d’abord et avant tout oral, et le développement d’un code écrit n’advient que dans des circonstances particulières et une volonté d’une société de donner un support visuel à la langue orale.

3 La norme et la linguistique

On l’a noté, la variation linguistique est la norme dans la langue orale: l’écoute attentive des productions linguistiques révèle des différences parfois mineures parfois plus importante, en fonction de l’âge des locuteurs et locutrices, leur classe sociale, la location géographique des individus, et ainsi de suite…. Le cas normal de la variation est donc en opposition directe avec l’autre norme, la norme langagière: celle-là dicte ce qui est ‘correct’. Pour certaines personnes, dire ‘correct’ peut vouloir dire ‘meilleur que les autres’.  De là, il n’y a qu’un pas à franchir pour que personnes concluent que la langue écrite est plus donc plus importante, plus prestigieuse et plus pure que la langue orale parce qu’elle est la norme.

 

Un regard neutre montre c’est là une idée reçue (ou une séquence d’idées reçues imbriquées les unes dans les autres): aucune variété de français n’est meilleure que les autres, et si la langue écrite nous semble plus importante pour la transmission de la culture, il reste que la langue orale est la base de la connaissance linguistique. L’oral émerge naturellement chez les êtres humains en contexte social, alors que l’écrit est une production culturelles nécessitant une infrastructure significative (établissement d’un système d’écriture et d’un système d’éducation etc.).  Écrire la langue a évidemment des effets bénéfiques pour la société (la communication à distance, l’éducation, la documentation de la société, la création culturelle, etc.), et on peut reconnaître l’utilité de la norme pour établir un code écrit qui fasse abstraction de certaines variations: en ayant un code orthographique qui ne distinguent pas toutes les différences phonétiques possibles, le résultat est accessible à des lecteurs et lectrices parlant des variétés différentes de la langue. En ce sens, donc, une normalisation du code écrit est souhaitable.

La norme à l’écrit, cependant, n’a pas à être calquée sur une variété spécifique de la langue parlée. Des raisons historiques et économiques favorisent évidemment la langue de l’élite comme modèle pour la norme écrite, mais dans les faits, rien n’empêche qu’il en soit autrement. On peut soutenir que le succès d’un système orthographique ne réside pas dans la source orale de ce système, mais dépend du respect des conventions adoptées pour son utilisation. La complexité de la norme en français est la meilleure démonstration de cette conclusion: plus personne ne parle cette langue; et ce n’est pas la transparence ni la simplicité du système écrit du français qui assure son existence, mais bien le fait que tout le monde accepte de le suivre (avec parfois un peu de grognement).

 

4 Les codes oral et écrit: une approche linguistique

Comme on l’a vu précédemment, la relation entre le code oral et le code écrit du français est complexe: l’objectif principal d’un système d’écriture est d’offrir une représentation visuelle de la langue orale. Mais pour des raisons historiques complexes, la langue française contemporaine a hérité d’un système orthographique complexe. La situation de l’époque à laquelle le système orthographique du français utilisé aujourd’hui a été créé était très complexe: d’un côté, le territoire français était couvert d’une multitude de dialectes du français plus ou moins reliés, parfois très différents, faisant usage de plusieurs inventaires de sons différents. De l’autre côté, les conventions pour la forme des graphies et leur association avec des sons étaient différentes selon les régions. Ensuite, lorsque les orthographes que nous avons aujourd’hui ont été élaborées, certaines des lettres à l’écrit était effectivement prononcées. Mais par la suite, la langue orale a continué à évoluer, mais le code écrit lui ne s’est pas ajusté, et est resté en quelque sorte figé dans passé. Rappelons enfin qu’en plus, comme on l’a noté au chapitre précédent, les grammairiens ont cherché à laisser des traces de la langue mère (le latin) dans certains mots de la langue. Tout ceci pour dire qu’on se retrouve aujourd’hui avec une norme orthographique en français qui est bien loin du code oral, dans lequel il existe plusieurs exceptions, ce qui le rend très difficile à maîtriser.  

L’apprenant-e du français langue seconde doit donc apprendre à décoder un système orthographique complexe pour lire la langue, tout en faisant abstraction de multitude de lettres dans ce système pour la parler adéquatement. Ceci demande un travail de mémorisation considérable. Nous allons contribuer à cet effort de mémorisation en discutant d’une sous-partie de la grammaire du français, celle portant sur les accords en genre entre les noms, les adjectifs et les déterminants. Nous allons travailler comme des linguistes: faire des observations pour établir les contrastes formels au niveau oral et écrit, et tirer des conclusions sur les faits observées et les différence qui caractérisent les deux codes. Une des points importants à retenir de cette discussion est le suivant: pour maîtriser l’orthographe du français , il est important de développer l’habitude de consulter les grammaires et les dictionnaires de façon systématique lorsqu’on écrit.

Exercice 3. Préparation et découverte: l’accord de l’adjectif en genre

L’exercice suivant vise à mettre en parallèle le code oral avec le code écrit pour que vous soyez à même de constater qu’un de ces codes est beaucoup plus riche en terme d’information (le code écrit) que l’autre (le code oral). Il permet de voir certaines notions de grammaire traditionnelle sous un oeil nouveau.

 

 

Exercice 4. Découverte et matière: le genre grammatical

Les formes longues de l’adjectif, à l’oral et à l’écrit, apparaissent dans un contexte lorsque la forme est en rapport avec un nom féminin. Mais comment détermine-t-on qu’un nom est masculin ou féminin? Il s’agit évidemment d’une information l’apprenant-e doit mémoriser. Mais qu’est-ce que l’enfant en bas âge mémorise exactement a propos du genre des noms? C’est une question significative étant donné que les jeunes enfants ne peuvent pas écrire? Ce point de vue apporte un éclairage particulier sur la fonction du genre dans la langue.

 


Points à retenir

Le genre comme une notion strictement formelle n’ayant aucun rapport avec le genre biologique: il régit l’apparition de certaines formes dans le contexte où le nom apparaît.

  • Le nom masculin: ne déclenche pas l’apparition de forme particulière sur les éléments du contexte (déterminant et contexte), qui apparaissent alors dans leur forme courte (ou forme de base);
  • Le nom féminin: déclenche l’apparition de forme particulière sur les éléments du contexte (forme longue ou altération de la forme de base);

La marque la plus systématique pour identifier le genre du nom apparaît DEVANT le nom, sur les déterminant ( un truc mais une chose).

  • Cette marque disparaît parfois en contexte d’initiale vocalique: le code écrit peut à l’occasion aider (cet attirail versus cette attitude) mais pas toujours: il faut donc faire attention.

Plusieurs de déterminants du français s’opposent par rapport au genre grammatical, c’est-à-dire on trouve deux formes du déterminant, une forme de base (courte) et une forme spécifique pour le féminin (longue): le-la; ce-cette; mon-ma; ton-ta; etc. Vous n’êtes pas entièrement à l’aise avec la notion de déterminants? N’hésitez pas à consulter les chapitres suivants de la grammaire en ligne: Les déterminants et Les articles partitifs et les déterminants indéfinis.

Exercice 5. Découverte et matière: le nombre grammatical

Nous n’avons pas encore discuté du pluriel: comment est-il marqué dans la langue orale par rapport à la langue écrite?

 


Points à retenir

On constate que la réalité à laquelle l’enfant est exposé est beaucoup plus simple que celle du code écrit, qui contient plusieurs règles d’accord en genre et en nombre, qui résulte un grand nombre de marques dans la phrase. La réalité de l’orale se résume en quelques points:

  • La majorité des marques de genre (masculin et féminin) et de nombre (singulier et pluriel) apparaissent AVANT le nom en français, c’est-à-dire sur le déterminant.
    • Les marques du singulier sont exprimées par des contrastes de voyelle et syllabe sur le déterminant, lorsque le déterminant porte une marque de genre (que cette marque est effacée au contact d’un mot à initiale vocalique dans le cas de l’élision de [ə] ou [a] avec l’article défini le-la).
    • Les marques du pluriel sont exprimées par la voyelle [e] sur la majorité des déterminants, et la consonne [z] dans les contextes d’initiale vocalique.
  • Il y a seulement un petit nombre de mots et d’adjectifs qui portent une marque audible du pluriel.

Les exercices qui concluent ce chapitre vous permettront de mettre en pratique plusieurs des faits qui viennent d’être discutés, et permettront aussi de pratiquer vos transcriptions phonétiques

Exercice 6. Les indices dans le code écrit et le code oral

Exercice 7. Pratique: transcription phonétique et orthographique

 

Les points à retenir du chapitre

  • La connaissance linguistique spécifique au humain est la connaissance de l’oral, pas de l’écrit.
  • La plupart des faits linguistiques qui ont été décrits jusqu’à maintenant existent en anglais.
    • On peut mieux comprendre l’écrit en devenant plus sensible aux différences entre l’oral et l’écrit.
    • En établissant des ‘règles’ qui mettent en évidence certaines régularités historico-étymologiques.

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FRENCH 1999 - Introduction aux études françaises© 2019 par Jacques Lamarche. Tous droits réservés.