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Pionnières du risque : Histoires de femmes intrépides

Texte

Préparation

Couverture du livrePIONNIÈRES DU RISQUEHISTOIRES DE FEMMES INTRÉPIDES
Pionnières du risque, roman de Marie-Ève Sténuit © Éditions du trésor, 2021

À propos de l’auteure

Marie-Ève Sténuit est archéologue et écrivaine belge. Elle a publié plusieurs romans, dont Les Frères Y, qui remporte le prix littéraire 2008 du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle s’intéresse également à l’histoire et Pionnières du risque fait partie d’une collection de livres dans lesquels l’auteure raconte les (més)aventures des nombreuses « femmes intrépides », des héroïnes qui ont ouvert le chemin aux aventurières d’aujourd’hui.

Vocabulaire utile

français anglais
un panier a basket
un engouement a craze, a strong enthusiasm
une montgolfière a hot-air balloon
se procurer to obtain, to acquire
à juste titre rightly, with good reason
un cerveau a brain
ce n’est pas gagné d’avance. it’s not a given. It’s not guaranteed.
avoir beau faire quelque chose to do something in vain
un atterrissage a landing
tant bien que mal as best as one can, with difficulty
sain et sauf / saine et sauve unharmed, unhurt
se tirer d’affaire to get out of trouble
un aplomb a self-confidence

Questions préliminaires (à discuter en groupe ou individuellement) :

  1. Est-ce qu’il y a des moments dont vous vous souvenez en grand détail? C’est-à-dire, des souvenirs composés de sensations précises (p. ex. images, odeurs, sons, etc.).
  2. On impose certains apprentissages aux enfants (p. ex. les parents obligent parfois leurs enfants à étudier un instrument). Avez-vous déjà eu cette expérience? Qu’est-ce que vous pensez de cette expérience aujourd’hui, avec le recul
  3. Quand vous étiez élèves, quelles étaient les punitions possibles pour un élève « pris en faute »?
  4. Le verbe « traduire » a un sens propre et un sens figuré. Est-ce qu’il vous arrive parfois de devoir « traduire » littéralement (d’une langue à une autre) ou au sens figuré (p. ex. expliquer une référence culturelle à quelqu’un)?
  5. Le titre du texte constitue une contradiction. Est-ce que vous pouvez penser à des objets ou des expériences qui sont à la fois magiques et ordinaires?

Lecture

Illustration historique montrant un ballon à air chaud s’élevant au-dessus d’une foule rassemblée dans une plaine, avec des montagnes en arrière-plan.
Première expérience aérostatique à Annonay, le 4 juin 1783. Source: Wikipedia (opens in a new window) (Domaine public)

Le 4 juin 1783 à Annonay, après plusieurs essais, Joseph-Michel et Jacques-Étienne Montgolfier démontrent qu’un ballon de toile et de papier rempli d’air chaud peut s’élever seul dans le ciel. L’idée leur vient ensuite que s’il était suffisamment volumineux il pourrait soulever des objets, tel un panier dans lequel on pourrait – pourquoi pas ? – placer des êtres vivants. Prudemment, les frères tentent d’abord le coup avec un mouton, un coq et un canard. Le 1er octobre, les animaux ayant survécu, Pilâtre de Rozier, professeur de sciences, réalise le premier vol humain en ballon captif. Le mois suivant, le 21 novembre 1783, accompagné de son ami le marquis d’Arlandes, un ex-militaire qui n’a pas froid aux yeux, le même Pilâtre tente, avec le même succès, l’aventure du ballon libre après avoir décliné la suggestion de Louis XVI de faire d’abord un essai avec des criminels.

L’engouement du public est immédiat – du moins dans les villes, les paysans voyant d’un moins bon œil ces machines volantes diaboliques s’abattre sur leurs champs déjà malmenés par les rigueurs du climat des dernières années, écrasant au passage leur maigre récolte quand elles n’y mettent pas le feu. D’ailleurs l’Église aussi y trouve à redire, et cela depuis les premières tentatives. Monter au ciel de son plein gré est une hérésie, une insulte à Dieu, supposé être seul capable de provoquer le miracle de l’ascension […].

Mais l’Église n’est pas entendue. En plein siècle des Lumières, le Paris prérévolutionnaire est pris de « ballonomanie ». Le ciel est soudain encombré de mini montgolfières de papier que chacun peut se procurer à bon prix, au grand dam de la préfecture qui craint – à juste titre – les incendies. Les ballons fleurissent partout : sur la vaisselle de porcelaine, au dos des jeux de cartes, en décor de bonbonnières ou d’éventails, au pommeau de cannes, sur des gravures ou des estampes, et se déclinent en médailles, en pendules, sous toutes formes de bijoux […].

La démonstration étant faite que l’homme et l’animal sont capables de supporter l’altitude sans que leur cerveau n’explose, se pose aussitôt la question de savoir si les femmes, ces êtres prétendument si délicats, à l’organisme si complexe, peuvent en faire autant.

Ce n’est pas gagné d’avance (rien ne l’est jamais pour le sexe féminin). À l’argument médical viennent en effet s’ajouter des objections morales : n’est-il pas inconvenant de permettre à un homme et une femme de voyager côte à côte dans la nacelle étroite d’un aérostat? (Comme si un panier d’osier instable, ouvert à tous les vents – plutôt froids – de l’altitude était l’alcôve idéale où abriter des ébats amoureux!) Le bon sens heureusement prévaut, les autorités considérant que la promiscuité dans un ballon n’est pas plus scandaleuse qu’elle ne l’est dans un fiacre.

Les volontaires ne manquent pas. On se bat presque pour être la première.

Les comtesses, la marquise et la demoiselle

À Paris, le 20 mai 1784, la comtesse et la marquise de Montalembert (Marie-Joséphine de Comarieu, femme de lettres qui tient salon dans la capitale), accompagnées de la comtesse de Podenas et d’une demoiselle de Lagarde se lèvent de bonne heure pour se rendre à la Folie Titon, la manufacture royale des papiers peints située dans le faubourg Saint-Antoine. Joseph-Michel Montgolfier en personne les y attend, à côté de ses rutilants engins. La nouvelle montgolfière, financée par le roi, est impressionnante : vingt-six mètres de haut pour un volume de cinq mille mètres carrés. Le ballon a été renforcé de plus de mille cinq cents fines peaux de mouton afin d’augmenter sa résistance. Il sera manœuvré par le déjà célèbre Pilâtre de Rozier. De quoi mettre ces dames en confiance. Les quatre aristocrates soulèvent leurs jupes avec entrain pour escalader les marches qui mènent à la nacelle (un spectacle en soi pour les spectateurs avides de chevilles entrevues…).

Les passagères ayant pris place, le ballon s’élève majestueusement dans l’air parisien, bien au-dessus des plus hauts bâtiments. À la satisfaction générale, on constate que le noble équipage féminin résiste aussi bien à l’altitude que les moutons et les hommes. Le vol dure environ une heure, pendant laquelle Pilâtre de Rozier fait monter et descendre son ballon à plusieurs reprises. Une façon de s’occuper car, au grand regret des dames, il s’agit d’un vol captif. Elles ont beau demander qu’on libère le ballon pour voler pour de bon, ce n’est pas au programme […].

Élisabeth Tible, cantatrice céleste

Gravure montrant un ballon à air chaud, la Montgolfière “La Gustave”, s’élevant au-dessus d’une foule dans un parc entouré de bâtiments.
La Gustave décolle le 4 juin 1784. Histoire des ballons et des aéronautes célèbres. Source: Science Museum (opens in a new window) (Domaine public)

Deux semaines plus tard, le 4 juin 1784, à Lyon, c’est au tour d’Élisabeth Tible (née Estrieux) de monter dans un ballon à air chaud financé par le comte de Laurencin (qui a déjà effectué un vol au mois de janvier avec Joseph-Michel Montgolfier, lequel s’est terminé plutôt brutalement). Le comte a confié à un certain M. Fleurant, peintre résidant à Lyon, la construction de ce nouvel aérostat. L’engin doit être le clou des festivités organisées par la ville à l’occasion de la visite du roi de Suède, Gustave III, francophile, grand admirateur de la philosophie des Lumières. En son honneur on a drapé le ballon de bleu et de jaune et on l’a baptisé Gustave.

Comment Mme Tible se débrouilla-t-elle pour être du voyage? On ne le sait. Étonnamment, cette jeune femme est une simple roturière, mariée dès l’âge de 12 ans à un vendeur de bas. L’homme l’a abandonnée depuis, un événement somme toute plutôt heureux car à présent Élisabeth est une femme libre. Elle n’a de comptes à rendre à personne, si ce n’est qu’en prétendant voler elle contrevient aux ordres de Louis XVI qui souhaite ajouter le droit de s’élever dans le ciel au catalogue des privilèges exclusifs de la noblesse. Mais peut-être était-elle une proche de Fleurant ou bien sont-ce son charme et sa voix délicieuse qui firent retenir sa candidature pour améliorer le spectacle? Certains biographes affirment en effet qu’Élisabeth Tible était cantatrice en plus d’être modiste. Toujours est-il que ce 4 juin, vêtue pour l’occasion d’un costume de Minerve, elle est présente au quartier des Brotteaux où le ballon lentement se gonfle. Elle n’a pas dormi de la nuit tant elle est anxieuse. Non pas à cause de l’ascension mais parce qu’elle a du mal à croire à sa chance et craint qu’à la dernière minute le comte de Laurencin ne décide de prendre sa place. Heureusement il n’en fait rien, peut-être échaudé par son précédent atterrissage. Le départ est retardé car on attend le roi de Suède.

Gravure représentant une personne debout dans une nacelle suspendue par des cordes, tenant un drapeau, lors d’un vol aérostatique historique.
Représentation de Sophie Blanchard, célèbre aéronaute, en vol (15 août, 1811, à Milan). Source: Wikipedia (opens in a new window) (Domaine public)

Finalement Sa Majesté arrive. Il faut encore la saluer puis, à 18h10 et à son grand soulagement, Élisabeth embarque en compagnie de Fleurant. Sous les roulements de tambour, les deux passagers attisent le feu dans le réchaud situé sous l’ouverture du ballon, des assistants abattent l’estrade qui l’entoure, dénouent les cordes qui le retiennent au sol et l’engin, lentement, s’arrache à la terre tandis que Mme Tible, tout sourire, salue la foule de son petit drapeau. Dans une lettre relatant son expérience, elle évoque son sentiment de volupté, les délices qu’elle a ressentis dans cette élévation céleste « où règne le silence le plus majestueux ». Silence qu’elle brise cependant aussitôt ne pouvant se retenir de chanter un air tiré de La Belle Arsène (un opéra-comique de Charles-Simon Favart créé dix ans plus tôt) […].

Soudain, la félicité des deux aéronautes est perturbée par un incident. Une des planches de la nacelle se disjoint, obligeant Mme Tible à s’accrocher d’une main au cercle extérieur de la galerie pour se tenir en équilibre sur le plancher bancal pendant que de l’autre elle continue à alimenter le foyer. Arrivés à l’altitude de deux mille sept cents mètres, alors que les maisons de Lyon « ne ressemblent plus qu’à des petits cailloux », le froid, la douleur dans les oreilles et la difficulté à respirer sont tels que Fleurant doit diminuer le feu pour redescendre un peu. Après quarante-cinq minutes de vol, poussé par des courants aériens superposés changeants, le Gustave se pose dans un champ de blé du quartier de la Duchère qui domine la Saône, sur la troisième colline à Lyon, à environ trois kilomètres de son lieu de départ. L’atterrissage est mouvementé : en touchant terre trop brutalement, le ballon se renverse et la toile dégonflée s’abat sur ses passagers avant de s’embraser. Élisabeth, aveuglée par la fumée, se tire tant bien que mal de son piège de tissu, sans brûlures mais avec une entorse. Fleurant émerge derrière elle, également sain et sauf. Mais alors que l’on croit tout le monde tiré d’affaire, on entend des cris monter du sol : le ballon est tombé sur un spectateur, finalement moins malchanceux qu’il n’y paraît car il n’aura à déplorer qu’une veste roussie. La foule continue d’accourir, le ballon à présent flambe, chacun tente d’en arracher un souvenir ; en quelques minutes, il ne reste plus rien de l’aérostat de M. Fleurant.

Mme Tible est portée en triomphe dans un fauteuil (ça tombe bien, elle ne peut plus marcher tant sa cheville la fait souffrir), Fleurant et le comte de Laurencin saluent son courage et aplomb. (pp. 15-23)

Source : Les extraits sont tirés de Pionnières du risque : histoires de femmes intrépides, récit historique de Marie-Ève Sténuit, (Éditions du Trésor, 2021).

Compréhension

Vrai/Faux? 

Questions de compréhension/Analyse

  1. Comment est-ce qu’on pourrait définir la « ballonomanie » que décrit ce texte?
  2. Le texte contraste l’Église (catholique) avec les « Lumières ». Résumez cette opposition dans vos propres mots.
  3. Après le premier vol humain en ballon réalisé par un homme, pourquoi est-ce qu’on était encore incertain que les femmes puissent aussi monter dans le ciel?
  4. Il n’est pas surprenant que les premières femmes à monter dans une montgolfière étaient aristocrates. Quels faits sociopolitiques expliquent cette réalité?
  5. Quelles sont les différences principales entre le vol de la comtesse de Montalembert et celui d’Élisabeth Tible? Par exemple, qui semble participer plus activement au vol?

Discussion

  1. Pensez-vous que le genre (p. ex. le fait d’être femme) influence la hardiesse d’une personne? Expliquez.
  2. Les femmes ont fait du progrès depuis le 18e siècle. Est-il encore possible d’être « pionnière » aujourd’hui? Expliquez.
  3. Comparez la « ballonomanie » du 18e siècle à une « manie » que vous et votre génération avez vécue.
  4. À votre avis, quelles sont les conditions nécessaires pour donner libre cours aux innovations et découvertes?
  5. Pour attirer des étudiant.e.s, les universités affirment souvent qu’elles privilégient l’innovation. Pensez-vous que les Montgolfiers pourraient développer leurs ballons à votre université? Comment l’université aiderait-elle un tel projet? Comment pourrait-elle rendre sa réussite plus difficile?

 

 

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