Chapitre 8 : Pragmatique

8.9 Sens illocutoire

Sens illocutoire

À la section 7.11 du chapitre 7, nous avons abordé le sens des phrases en fonction de leur condition de vérité. Nous avons appris ce que la phrase implique, c’est-à-dire ce qu’elle signifie en soi, indépendamment du contexte. Jusqu’à présent dans ce chapitre, nous avons également vu que lorsque nous combinons le sens littéral vériconditionnel de la phrase avec le contexte discursif, d’autres couches de signification linguistique émergent, comme les implicatures. Les implicatures reposent sur le fait que les phrases ne se produisent pas de manière isolée dans la langue naturelle : elles font partie d’un contexte discursif plus large.

Dans cette section, nous explorerons le sens illocutoire, soit le sens phrastique, ou ce que le locuteur ou le signeur veut dire en produisant un énoncé. En fait, après avoir construit de manière compositionnelle le sens littéral d’une phrase, nous ;utilisons cette phrase dans une conversation. Cela nous amène à la question suivante : quel est l’intérêt de dire quelque chose dans une conversation? Voyons plus précisément l’utilisation que nous faisons des phrases dans un discours.

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Qu’est-ce que le sens illocutoire?

Le sens illocutoire est la signification d’une phrase par rapport à l’intention du locuteur/signeur qui l’énonce. Pour mieux comprendre ce que cela signifie, examinons la conversation en (1) :

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(1) (Contexte : Aya et Bo sont colocataires et essaient de décider ce qu’ils vont cuisiner pour le souper.)

Aya : Devrions-nous manger des spaghettis pour souper?

Bo : Nous avons de la sauce tomate et du bœuf haché dans le réfrigérateur.

Aya : Oui. Pouvons-nous faire des pâtes à la bolognaise avec ces ingrédients?

Bo : Je pense que oui.

Aya : D’accord, c’est super. Donc, nous mangerons des spaghettis.

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Concentrons-nous sur l’énoncé de Bo, soit Nous avons de la sauce tomate et du bœuf haché dans le réfrigérateur. Le sens de cette phrase est le sens lexical de tous les mots combinés qu’elle contient. Or, Bo ne dit pas cette phrase dans cette conversation simplement pour le plaisir d’exprimer le sens de la phrase. Il la prononce parce qu’il croit que cette phrase est vraie et qu’il aimerait que sa destinataire, Aya, soit d’accord avec cela. Cette couche de sens est ce que nous appelons le sens illocutoire et ce que nous entendons par « ce que nous voulons dire en faisant un énoncé ». Dans ce cas-ci, Bo fait une assertion. En revanche, si nous regardons le premier énoncé d’Aya en (1), elle pose une question : Devrions-nous manger des spaghettis pour souper? ; Les catégories « assertion » et « question » permettent de classer les phrases en fonction de leur sens illocutoire. Nos conversations ne se limitent pas à faire des assertions ou à poser des questions. Par exemple, nous pouvons nous exprimer avec une phrase ;exclamative (p. ex. Quel mignon raton laveur!) ou encore, donner des ordres à l’aide ;d’une ;phrase impérative (p. ex. Regardez le raton laveur!). Dans ce manuel, nous nous concentrerons uniquement sur les assertions et les questions. Dans ce chapitre, nous poserons la question suivante : quelle est l’intention communicative lorsqu’une personne fait une assertion ou pose une question dans un contexte discursif?

Rappel : la langue est performative

Au chapitre 2, nous avons présenté l’idée que la langue est performative, ce qui signifie que des événements ;se produisent et que le monde ;change lorsque nous parlons ou signons. Si quelqu’un dit « Je nomme ce navire le S.S. Anne », il baptise le navire. Écrire dans un testament Je lègue ma collection de cartes à mon enfant ; donne lieu à certains droits contractuels concernant la propriété future de la collection de cartes. Comme l’écrit le philosophe John Langshaw Austin, « dire quelque chose, c’est faire quelque chose » (Austin YEAR – How to do things with words). À l’origine, Austin a utilisé le terme « performatif » pour faire référence à certains types de phrases, tels que le baptême d’un navire, les legs testamentaires et les vœux de mariage. Selon la définition originale, les énoncés performatifs sont produits dans un but précis pour donner lieu à une conséquence conventionnelle (par exemple, un transfert de droits, une union juridique, etc.) Ils comprennent généralement des verbes performatifs comme « je nomme », « je lègue », « je déclare », etc.

Tout ce que vous exprimez dans le but de « poser une action » s’appelle un acte de langage. Il est à noter que certains linguistes utilisent le terme d’acte de langage pour désigner les actes dans toutes les modalités du langage. Ainsi, lorsque vous dites un énoncé performatif tel que « Je vous déclare mariés », il s’agit d’un acte de langage. Cependant, il n’est pas toujours nécessaire d’utiliser des verbes performatifs pour réaliser un acte de langage. Par exemple, si vous posez simplement la question « Êtes-vous marié? » ; en français parlé (au lieu de l’exprimer sous forme d’énoncé performatif comme « Je demande par la présente si vous êtes marié »), il s’agit toujours d’un acte de langage : c’est un acte qui invite le destinataire à fournir des informations. Les énoncés performatifs ne sont donc qu’un type particulier d’acte de langage.

En réalisant un acte de langage, vous faites simultanément plusieurs actions : vous faites un acte locutoire, un ;acte illocutoire et un ;acte perlocutoire. Prenons la phrase Vous faites de l’étalement masculin, énoncée par une femme à un homme dans un autobus.

L’acte locutoire d’un acte de langage est l’expression du sens locutoire de la phrase, qui est le sens littéral de la phrase. Le sens locutoire de ;Vous faites de l’étalement masculin serait « le destinataire, présupposé être un homme, est assis avec les jambes largement écartées ».

L’ ;acte illocutoire d’un acte de langage est l’expression du sens illocutoire de la phrase, c’est-à-dire ce que l’on « fait » en énonçant une parole ou en effectuant un signe. En faisant cette assertion, la locutrice se prononce sur la vérité de l’énoncé (la version performative serait quelque chose comme « Je déclare publiquement par la présente que je crois que vous faites de l’étalement masculin »). Dans ce cas particulier, elle « fait » probablement aussi autre chose : elle fait une demande à l’homme (celle de bouger ses jambes pour faire de la place). Dans les deux cas, il s’agit d’actes illocutoires. Outre l’assertion et la demande, les actes illocutoires peuvent inclure des actions comme celles-ci : demander, démissionner, promettre, féliciter, et bien d’autres encore.

Enfin, l’acte perlocutoire (ou l’effet perlocutoire) d’un acte de langage est une expression du sens perlocutoire de la phrase, c’est-à-dire l’effet réel de l’énoncé sur le destinataire. Dans ce cas, l’effet perlocutoire de ;Vous faites de l’étalement masculin ; pourrait être que le destinataire déplace ses jambes pour faire plus de place à la locutrice.

Dans la suite de ce chapitre, nous nous concentrerons sur le sens illocutoire des phrases, en particulier celui des assertions et des questions. Notez qu’il n’y a pas de correspondance univoque entre la forme d’une phrase et son sens illocutoire. Dans un certain contexte, l’expression « Tu as obtenu la première place! » peut être un acte de félicitations (par exemple, des adultes qui jouent à un jeu vidéo), mais dans un autre contexte, il peut s’agir d’un acte de réprimande (par exemple, un adulte qui a triomphé trop facilement en jouant contre un groupe d’enfants dans un jeu vidéo). En fait, même un énoncé performatif comme ;Je promets par la présente que je vous achèterai le jeu n’a pas vraiment le sens illocutoire d’une promesse à moins que l’énonciateur ne le pense sincèrement. Cependant, certains types de sens illocutoire sont étroitement liés à l’ordre des mots, à l’intonation ou aux verbes performatifs. Par exemple, l’inversion « sujet-verbe » en français parlé indique généralement qu’une question est posée.


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Références

Austin, J. L. (1975). ;How to Do Things with Words. Oxford University Press.

Cohen, T. (1973). Illocutions and perlocutions. ;Foundations of Language, ;9(4), 492-503.

Searle, J. R. (1975). A taxonomy of illocutionary acts, in K. Gunderson (ed.), ;Language, Mind and Knowledge, Minneapolis, MN: University of Minnesota Press, 344-369.

Searle, J. R. (1985). ;Expression and meaning: Studies in the theory of speech acts. Cambridge University Press.

Searle, J. R., Searle, J. R. S., Vanderveken, D., & Willis, S. (1985). ;Foundations of Illocutionary Logic. CUP Archive.

Vanderveken, D. (1990). ;Meaning and Speech Acts: Principles of Language Use ;(Vol. 1). Cambridge University Press.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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