Chapitre 8 : Pragmatique

8.5 Le principe de coopération

Le principe de coopération

Dans cette section, nous examinerons la logique conversationnelle qui sous-tend l’apparition de certaines implicatures dans le discours. Commençons par l’exemple suivant en (1) :

(1) Aya : Raj a-t-il nourri le chat et nettoyé la litière?
Bo : Il a nourri le chat.
Aya : (Infère : «Il n’a pas nettoyé la litière. »)

D’un point de vue terminologique, le locuteur/signeur crée une implicature ou sous-entend ce contenu. Le destinataire fait une inférence ou il infère ce contenu.

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Nous utilisons les termes locuteur/signeur et destinataire dans ce chapitre pour distinguer la « personne qui produit l’énoncé » ; de la « personne à qui l’énoncé s’adresse ». ; Lorsque nous faisons référence à la personne qui produit un énoncé dans une langue parlée en particulier, nous utilisons le terme locuteur. Lorsque nous faisons référence à la personne qui produit un énoncé dans une langue signée en particulier, nous utilisons le terme signeur. Lorsque nous faisons référence à la personne qui produit un énoncé d’une manière plus générale et non spécifique à la modalité, nous utilisons les termes locuteur/signeur. Dans un autre contexte que ce manuel, il se peut que le terme locuteur soit utilisé pour désigner la « personne qui produit un énoncé » (sans égard à la modalité). Certains utilisateurs de la langue des signes ne voient pas d’inconvénient à cette utilisation du terme locuteur, mais de nombreux utilisateurs de langues des signes sont d’avis qu’il conviendrait d’utiliser un terme plus inclusif envers toutes les modalités. Voici d’autres possibilités : ; énonciateur/destinataire, émetteur/destinataire, auteur/destinataire, expéditeur/récepteur, producteur/percepteur, expéditeur/receveur, expéditeur/récepteur et communicateur/auditoire.

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L’idée de base pour comprendre cette implicature dans ce contexte est que si Raj avait nourri le chat et nettoyé la litière, Bo l’aurait mentionné. Comme il ne l’a pas fait, Aya peut donc inférer que l’énoncé voulant que Raj ait nourri le chat est vrai, et que celui voulant que Raj ait nettoyé la litière est faux. Voici comment Aya établirait cette implicature :

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  1. J’ai demandé à Bo si Raj avait nourri le chat et nettoyé la litière.
  2. Je suppose que Bo ne me dira que des choses vraies.
  3. Je suppose que Bo me donnerait la réponse la plus informative possible à ma question.
  4. Bo aurait pu répondre « Raj a nourri le chat et nettoyé la litière », « Raj a nourri le chat », « Raj a nettoyé la litière » ou « Raj n’a pas nourri le chat ni nettoyé la litière ».
  5. Si les faits réels étaient que Raj a nourri le chat ET nettoyé la litière, alors les réponses suivantes seraient des déclarations logiquement vraies : « Raj a nourri le chat et nettoyé la litière », « Raj a nourri le chat » et « Raj a nettoyé la litière ».
  6. Cependant, si Raj a effectivement nourri le chat ET nettoyé la litière, « Raj a nourri le chat et nettoyé la litière » serait l’énoncé le plus informatif à communiquer plutôt que de dire simplement « Raj a nourri le chat » ou « Raj a nettoyé la litière ».
  7. En réalité, Bo a seulement dit « Raj a nourri le chat ». Cela s’explique par le fait que s’il avait répondu : « Raj a nourri le chat et nettoyé la litière », ce serait une déclaration fausse.
  8. Par conséquent, on peut conclure que seul l’énoncé « Raj a nourri le chat » est vrai, tandis que l’énoncé « Raj a nettoyé la litière » est faux.

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Cette façon d’analyser les implicatures du discours est appelée le principe de coopération, proposé par le philosophe Paul Grice. Pour expliquer comment les implicatures émergent dans une conversation, il a avancé l’idée que les participants à la conversation appliquent des principes conversationnels implicites. Selon le principe de coopération, la principale hypothèse sous-jacente que nous faisons dans une conversation est que tous les participants agissent de manière à atteindre des objectifs conversationnels. Par exemple, supposons que le sujet de discussion soit : « Combien d’argent devrions-nous dépenser pour la fête d’anniversaire de notre chat? » Si tous les participants à la conversation conviennent que l’objectif est de déterminer un coût raisonnable pour la fête, alors tous tiendront pour acquis que chacun agit de manière raisonnable et prononce des paroles dans le but d’atteindre cet objectif. C’est ce que l’on entend par la « coopération » dans ce principe conversationnel. Plus précisément, Grice décrit quatre maximes (ou règles générales de conduite) qui pourraient constituer la base de nombreuses conversations : les maximes de qualité, de quantité, de relation et de manière. L’idée sous-jacente est que si les personnes suivent ces règles conversationnelles (et qu’elles supposent que les autres suivent également ces règles), cela expliquerait l’émergence de certaines implicatures dans le discours.

Vous remarquerez que les maximes sont énoncées sous la forme impérative (« Faites ceci! », « Ne faites pas cela! »). Or, il ne s’agit pas d’une liste prescriptive de choses à faire ou à ne pas faire. Ces règles doivent être considérées comme un moyen de décrire les connaissances pragmatiques d’une personne dans une langue, un peu comme on le fait pour expliquer certaines règles phonologiques : « Transformez les consonnes non voisées en consonnes voisées! » ou « Ne sonorisez pas la consonne si vous avez déjà une obstruante voisée dans le morphème! ». Grice décrit le principe de coopération comme une chose « RAISONNABLE à suivre » et que « nous NE DEVONS PAS abandonner » (Grice 1975, p.48; mise en évidence de sa part). À tort, le principe de coopération est souvent interprété comme un ensemble de règles prescriptives, ce qui peut laisser entendre que si une personne ne les suit pas, elle n’est pas une bonne utilisatrice de la langue. Mais il n’en est rien. Une interprétation plus juste du principe de coopération est la suivante : SI les participants à la conversation ont un objectif commun immédiat dans la conversation, ALORS il est dans leur intérêt de suivre le principe de coopération (Grice, 1975, p.49). Grice s’est demandé si ce type d’hypothèse pouvait être un prolongement des échanges coopératifs en général, sans se limiter au langage. Par exemple, si vous et moi avons convenu de faire réparer une voiture ensemble, il serait dans notre intérêt d’agir de manière coopérative pour atteindre cet objectif (Grice, 1975, p.48).

Bien entendu, ce qui est considéré comme « coopératif » dans une conversation peut varier en fonction du type de conversation (Grice, 1975, p.48). Or, que se passe-t-il lorsque l’on se dispute? Ou lorsqu’on écrit une lettre? Ou lorsqu’on témoigne au tribunal? Pour illustrer le fonctionnement du principe de coopération, nous prendrons comme exemple dans ce chapitre des conversations « ordinaires » (par exemple, des conversations informelles entre amis, membres de la famille, colocataires, etc.). Après avoir lu ou écouté ce chapitre, nous vous encourageons à réfléchir à la manière dont le principe de coopération pourrait s’appliquer différemment dans d’autres types de discours.

En ce qui concerne la variation, nous avons déjà vu que les règles conversationnelles peuvent varier d’une communauté à l’autre, ce qui signifie que ce qui est considéré comme étant « coopératif » peut varier en fonction des interlocuteurs (et pas seulement du genre de discours). Nous étudierons le principe de coopération tel qu’il est appliqué dans diverses communautés linguistiques. Nous vous encourageons également à réfléchir à la manière dont les règles conversationnelles peuvent différer dans votre propre culture. Les linguistes considèrent que le principe de coopération est sujet à des variations au sein des communautés linguistiques et entre elles.

En gardant tout cela à l’esprit, examinons les quatre maximes décrites par Grice.

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La maxime de qualité

Grice a observé que les participants à la conversation semblent suivre une règle conversationnelle basée sur l’honnêteté. Il définit cette règle comme la maxime de qualité : dans une conversation, vous dites uniquement ce que vous croyez être vrai et ce pour quoi vous avez suffisamment de preuves. Dans un souci de commodité, notre exemple précédent est reproduit ci-dessous en (2).

(2) Aya : Raj a-t-il nourri le chat et nettoyé la litière?
Bo : Il a nourri le chat.
Aya : (Infère : « Il n’a pas nettoyé la litière. »)

Selon cette maxime, l’hypothèse fondamentale est qu’en principe, personne ne ment dans la conversation. Aya effectue partiellement cette inférence à partir de la déclaration de Bo en (2) parce qu’elle suppose qu’il ne dirait que des choses vraies. Son raisonnement est que Bo n’aurait pas affirmé « Raj a nettoyé la litière » parce que ce serait faux.

S’il y a violation de la maxime de qualité, c’est que quelqu’un ment ouvertement dans le discours. Imaginez par exemple que la conversation en (2) ait eu lieu, sauf que Raj n’a jamais nourri le chat (ni nettoyé la litière d’ailleurs). Bo se montrerait manifestement peu coopératif dans cette conversation. Lorsqu’il y a violation d’une maxime dans une conversation, cela suscite l’intuition qu’il y a eu dysfonctionnement dans le discours. Dans ce cas, l’objectif de la conversation était de savoir si Raj a nourri le chat et si Raj a nettoyé la litière, mais maintenant Aya pense à tort que Raj a nourri le chat. Cela ne contribue pas à l’objectif de la conversation, donc quelque chose a mal tourné. Notez que si Bo est un bon menteur, Aya peut ne pas se rendre compte que quelque chose cloche pendant la conversation. Cependant, s’il était révélé plus tard que Raj n’avait pas nourri le chat, Aya aurait certainement le sentiment que la coopération dans la conversation qu’elle a eue précédemment avec Bo a été rompue : il y aurait eu violation d’une maxime.

En anglais et dans de nombreuses langues, le fait de ne pas essayer ;est considéré comme une violation de la maxime. En d’autres termes, si vous n’ ;essayez ;pas de respecter la maxime de qualité et que vous savez que la déclaration est fausse, mais que vous l’énoncez quand même, cela est considéré comme une violation. Ainsi, en (2), si Bo pensait réellement que Raj avait nourri le chat, le fait de dire « Il a nourri le chat » ne serait techniquement pas une violation du principe de coopération. Les utilisateurs de la langue n’accuseraient probablement pas Bo de « mentir » parce qu’il était lui-même persuadé de dire la vérité (Carson, 2006). Bo a affirmé une fausseté, mais n’a pas menti.

Ce qui est considéré comme une violation de la maxime peut varier d’une langue à l’autre. En mopan ou maya mopan (une langue autochtone de la famille maya de l’est de l’Amérique centrale parlée par les Mopan), les faussetés se nomment tus, « mensonges », que le locuteur soit conscient ou non de la fausseté au moment de l’énonciation (Danziger, ; 2010). Ainsi, en mopan, Bo (2) a effectivement commis une violation de la maxime de qualité. Il convient de noter que tus a une connotation négative, tout comme le mot lie en anglais : en mopan, on constate une désapprobation morale des mensonges (Danziger, 2010). Ce paramètre de la maxime de qualité en mopan soulève des répercussions intrigantes sur la manière dont la fiction est traitée dans la langue et la culture. Prenons l’anecdote suivante, tirée de Danziger (2010) :

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« Depuis les années 1980, chez les Mopan, une ou deux familles prospères possèdent des générateurs électriques et des magnétoscopes. Or, il est difficile dans les communautés éloignées de trouver des cassettes à lire sur ces appareils. Lorsque j’ai quitté le village après mon premier long séjour (et avant d’avoir commencé à faire des recherches sur les questions de vérité et de mensonge en mopan), on m’a demandé de ramener des vidéocassettes à mon retour. Ce que j’ai fait. La première vidéocassette que j’ai fournie était The Jungle Book (Le Livre de la Jungle) de Walt Disney. Le film a été accueilli avec enthousiasme, comme je l’espérais. Il est coloré, amusant et, comme l’histoire se déroule dans la forêt tropicale, il s’est avéré très compréhensible pour les Mopan plus âgés et ceux qui ne parlent qu’une seule langue. Cependant, la vidéo montre des scènes troublantes. Dans ce film, un bébé est abandonné dans la forêt et recueilli par des bêtes sauvages, qui ne le mangent pas. Plus tard, le garçon développe l’inquiétante habitude de jouer joyeusement avec les félins de la jungle et d’autres animaux sauvages. Plus inquiétant encore, dans une scène chorégraphiée, Mowgli ne se contente pas de toucher le serpent Kaa, mais danse avec lui! Dans le sud du Belize, les serpents constricteurs sont inconnus, mais la région abrite des serpents qui produisent certains des venins les plus puissants et mortels au monde, agissant de manière extrêmement rapide. Un jour, une bonne amie m’a demandé avec scepticisme si tout cela était réellement vrai. Lorsque j’ai répondu que ce n’était évidemment pas le cas, j’ai trouvé sa stupéfaction étonnante. Elle semblait penser que si cette histoire n’était pas vraie, elle ne pouvait être considérée que comme des « mensonges » (tus en mopan). J’ai découvert que cette conclusion s’applique à tous les domaines où l’évaluation des récits est nécessaire en mopan. Bien que les récits présentés dans différents médias offrent des intrigues et des thèmes fascinants, aucune distinction classificatoire n’est faite par les Mopan entre les histoires impliquant des créatures surnaturelles et celles qui relatent des événements réels de la vie du locuteur. Si l’on découvre que les histoires ne sont pas vraies, elles ne sont pas acceptées comme des fictions, mais condamnées en tant que « tus » (Danziger, 2010, p.213).

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En résumé, la maxime de qualité peut être paraphrasée comme suit : « ne mentez pas » et « assurez-vous d’avoir suffisamment de preuves pour affirmer ce que vous dites ». Cette maxime est un principe commun à de nombreuses langues, mais ce qui est considéré comme un mensonge (soit une violation de la maxime) peut varier d’une communauté à l’autre. Plus loin, à la section 8.6, nous verrons que les « preuves suffisantes » peuvent également varier d’une personne à l’autre.

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La maxime de quantité

Grice observe également que les participants à la conversation semblent suivre une règle conversationnelle relative à la quantité d’informations qu’ils doivent fournir pour atteindre les objectifs de la conversation. C’est ce qu’il appelle la maxime de quantité : dans une conversation, veillez à ce que votre contribution ne soit ni plus informative que nécessaire ni moins informative que nécessaire en fonction de l’objectif de la conversation. Votre contribution doit être aussi informative que nécessaire. L’informativité se mesure généralement en fonction des relations d’implication. L’informativité peut se définir comme suit : Considérons ;p et ;q comme des variables représentant des phrases. ;

(3) Si ;p implique q ;(et que ;p ;n’est pas identique à ;q), alors ;p est plus informative que q.

Selon cette définition, la phrase Panks est un chat sibérien (=p) est plus informative que Panks est un chat (=q), car p implique q et il ne s’agit pas de la même phrase. Reprenons notre exemple initial, reproduit ci-dessous en (4).

(4) Aya : Raj a-t-il nourri le chat et nettoyé la litière?
Bo : Il a nourri le chat.
Aya : (Infère : « Il n’a pas nettoyé la litière. »)

La relation d’implication pertinente est établie entre les énoncés ;Raj a nourri le chat et ;Raj a nourri le chat et nettoyé la litière. La deuxième phrase implique la première; donc, ; Raj a nourri le chat et nettoyé la litière est plus informative que ;Raj a nourri le chat.

Pour comprendre le fonctionnement de cette maxime, imaginez en (4) que Bo savait que Raj avait effectivement nourri le chat ET nettoyé la litière, mais qu’il a quand même répondu exactement la même chose (« Il a nourri le chat »). Cela constituerait une violation de la maxime de quantité, car la déclaration Il a nourri le chat ne fournit pas l’information suffisante : la déclaration la plus informative dans cette situation serait Raj a nourri le chat et nettoyé la litière. Si Aya découvrait après la conversation en (4) que Raj a aussi nettoyé la litière, elle estimerait probablement que Bo n’a pas été coopératif dans la conversation qu’ils ont eue (« Pourquoi ne m’as-tu pas dit qu’il avait aussi nettoyé la litière, alors que tu le savais? »). Si la déclaration de Bo n’était pas fausse, elle n’était cependant pas la plus informative. C’est également le cas dans l’affaire Bronston c. United States (1973) de la section 8.2 : Bronston n’a pas fourni un maximum d’information dans la salle d’audience, c’est pourquoi il a été accusé de tromperie.

Le revers de la médaille est la « SURinformation ». Pour l’imager, voyons cette version de l’échange précédent :

(5) Aya : Raj a-t-il nourri le chat et nettoyé la litière?
Bo : ?? Oui, il a nourri le chat, il a nettoyé la litière, il a brossé le chat, il a coupé les griffes du chat, il a dit au chat qu’il était un bon garçon, il a caressé le chat, il a fait la sieste avec le chat…

Supposons que Raj ait réellement fait toutes les choses que Bo a mentionnées. Il n’y a pas eu violation de la maxime de qualité. Cependant, il y a eu violation de la maxime de quantité. Cette fois, il a donné plus d’informations que nécessaire à la question d’Aya. Un simple « Oui (il a nourri le chat et nettoyé la litière) » aurait suffi à atteindre l’objectif de la conversation.

Il convient de noter qu’en fonction des autres facteurs linguistiques et extralinguistiques en jeu, le fait de ne pas divulguer certaines informations n’est pas nécessairement considéré comme « peu coopératif ». Voyons la traduction de la conversation suivante en malgache, une langue austronésienne parlée à Madagascar (Keenan [1976] ne fournit pas les énoncés originaux en malgache, mais seulement les traductions en anglais) :

(6) A : Where is your mother? (Où est votre mère?)
B : She is either in the house or at the market. (Elle est à la maison ou au marché.)

Si vous êtes francophone, vous avez peut-être tirer l’inférence que B n’a pas l’information précise concernant l’endroit où se trouve la mère en raison de la disjonction ;ou : si B savait exactement où elle se trouvait, il l’aurait dit. En malgache, ce type d’inférence est peu probable. Pour les utilisateurs de la langue malgache, les informations qui ne sont pas déjà connues de tous ont une grane valeur, ce qui signifie que le fait d’avoir une connaissance exclusive est hautement estimé (Keenan, 1976). En raison de cette valeur culturelle, A est plus susceptible de d’inférer que « B est supérieur à moi en ce moment » dans ce type de conversation (Prince, 1982). Même si B savait que A connaissait le lieu où se trouve la mère, la conversation en (6) ne serait toujours pas considérée comme peu coopérative, car A comprendrait que B dit ce qu’il dit pour obtenir de la reconnaissance sociale.

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La maxime de relation

Grice observe en outre que les participants à la conversation semblent s’attendre à ce que chacun s’en tienne au sujet de la conversation. Il décrit cela comme la maxime de relation : faites en sorte que vos contributions à la conversation soient pertinentes par rapport au sujet discuté. Considérez la conversation présentée en (6) :

(6) Aya : Je prenais des leçons de piano quand j’étais petite. Quelles activités extrascolaires faisais-tu lorsque tu étais enfant?
Bo : C’est bien! Quand j’étais petit, j’allais à des cours de natation chaque semaine.

Il s’agit d’une conversation tout à fait normale et coopérative parce qu’Aya a abordé le sujet des activités qu’ils ont faites dans leur enfance. Bo répond par un énoncé qui est en lien avec le sujet : ce qu’il faisait quand il était enfant, dans ce cas-ci, des cours de natation. La maxime de relation est respectée.

En revanche, la réponse de Bo en (7) est un peu plus surprenante.

(7) Aya : Je prenais des leçons de piano quand j’étais petite. Quelles activités extrascolaires faisais-tu lorsque tu étais enfant?
Bo : ?? Quand j’étais petit, mon plat préféré était les croquettes de poulet.

En supposant que Bo ne mente pas, Bo a dit quelque chose de vrai, donc Bo respecte la maxime de qualité. Nous n’avons pas l’impression qu’il transmet trop ou pas assez d’information, et il a au moins parlé de son enfance, ce qui est informatif dans une certaine mesure. Donc, il ne semble pas y avoir eu violation de la maxime de quantité non plus. La principale raison pour laquelle la réponse en (7) semble étrange à certains adultes utilisateurs de la langue est que Bo s’éloigne du sujet. Le sujet de la discussion est « Quelles activités extrascolaires faisais-tu lorsque tu étais enfant? ». Pour rester dans le sujet, il aurait donc fallu au minimum nommer des événements précis, et non des caractéristiques statiques telles que mentionner son plat préféré. Dans ce contexte, il s’agirait d’une violation de la maxime de relation.

Si vous vous retrouvez à penser des choses comme « Peut-être que Bo veut dire qu’il a suivi des cours de cuisine, ou qu’il n’a pas fait d’activités extrascolaires du tout », vous tentez de faire une inférence tout à fait valable. La section 8.5 explique pourquoi nous ressentons l’impulsion de donner un sens à l’énoncé de Bo.

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La maxime de manière

La quatrième et dernière observation de Grice veut que les participants à une conversation aient des attentes quant à la ;manière de dire les choses, et non seulement à ;ce qu’ils disent. Il nomme cette règle maxime de manière : exprimez-vous de la manière la plus claire, brève et ordonnée que possible lors de vos contributions à une conversation. Prenons l’exemple de la conversation suivante :

(8) Aya : Peux-tu m’expliquer comment utiliser ce lave-vaisselle?
Bo : ?? Appuie sur le bouton « Start ». Mets le détergent dans le petit compartiment situé à l’intérieur de la porte. Sélectionne la température. Mets la vaisselle sale à l’intérieur.

Les instructions de Bo sont véridiques, en ce sens que chaque étape qu’il énumère correspond à ce que l’on fait lorsqu’on utilise un lave-vaisselle. Sa contribution est également appropriée sur le plan informatif et pertinente par rapport à la question posée par Aya. Cependant, Bo a énoncé les instructions d’une manière étrange : les étapes ne sont pas dans l’ordre. L’étrangeté de l’énoncé de Bo provient donc principalement d’une violation de la maxime de manière. Pour que Bo se conforme à la maxime de la manière, il faudrait bien sûr changer l’ordre dans lequel il présente les étapes :

(9) Aya : Peux-tu m’expliquer comment utiliser ce lave-vaisselle?
Bo : Mets la vaisselle sale à l’intérieur. Mets le détergent dans le petit compartiment situé à l’intérieur de la porte. Sélectionne la température. Appuie sur le bouton « Start ».

Essentiellement, la maxime de manière précise que la façon dont vous présentez l’information ne devrait pas entraver sa transmission. Cette maxime s’applique donc à des éléments tels que l’ordre dans lequel vous présentez l’information, l’ambiguïté de votre déclaration, les mots que vous choisissez, la vitesse à laquelle vous parlez ou signez, et l’intensité de votre voix (pour les langues parlées). La maxime de manière se décline en de nombreuses variations culturelles. Par exemple, ce qui est considéré comme une « manière » appropriée de parler peut dépendre d’éléments tels que les attentes culturelles concernant l’expression des émotions (Wierzbicka, 2009) et les différentes valeurs associées au discours voilé (Ameka et Terkourafi, 2019). Par exemple, dans certaines cultures africaines, il n’est pas nécessairement considéré comme « peu coopératif » de formuler des énoncés obscurs, longs et vagues (Ameka et Terkourafi, 2019).

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Autres maximes possibles

Il convient de noter que les quatre maximes ci-dessus ne constituent pas une liste exhaustive de principes conversationnels. Grice lui-même a émis l’hypothèse qu’il existe probablement plus que ces quatre maximes dans le langage (Grice, 1975, p.47). ;

L’une des maximes que Grice mentionne, sans toutefois l’approfondir, est la ;maxime de politesse. Certains chercheurs sont d’avis que cette maxime est nécessaire (Kallia, 2007, Pfister, 2009), tandis que d’autres pensent qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une maxime (Brown et Levinson, 1987). Cependant, il existe un consensus sur le fait que la politesse est un élément pertinent dans le discours. Certaines langues, comme le japonais, le coréen et le thaï, ont des affixes spécifiques qu’il faut utiliser pour exprimer la politesse. Pfister (2009) a proposé la maxime de politesse suivante : N’imposez pas d’exigence au destinataire (évitez les impositions inutiles) et montrez votre approbation des désirs et des actions du destinataire. Ne pas « imposer » signifie ne pas contraindre l’autre personne à faire ce qu’elle ne souhaite pas nécessairement faire (par exemple, ne pas lui demander de vous conduire à l’aéroport pendant son jour de congé). Quant à « montrer son approbation des désirs et des actions », cela signifie montrer que ce que l’autre personne veut est souhaitable (par exemple, complimenter sa coupe de cheveux).

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Vérifiez votre compréhension

 

Un élément interactif H5P a été exclu de cette version du texte. Vous pouvez le consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais :
https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=869#h5p-84


Références

Ameka, F. K., & Terkourafi, M. (2019). What if…? Imagining non-Western perspectives on pragmatic theory and practice. ;Journal of Pragmatics, ;145, 72-82.

Brown, P., & Levinson, S. C. (1978). Universals in language usage: Politeness phenomena. In ;Questions and Politeness: Strategies in Social Interaction ;(pp. 56-311). Cambridge University Press.

Carson, T. L. (2006). The Definition of Lying. ;Noûs, ;40(2), 284–306. http://www.jstor.org/stable/3506133

Danziger, E. (2010). On trying and lying: Cultural configurations of Grice’s Maxim of Quality, 7(2), 199-219. https://doi.org/10.1515/iprg.2010.010

Grice, H. P. (1975). Logic and conversation. In ;Speech Acts ;(pp. 41-58). Brill.

Kallia, A. (2007). ;Politeness and implicature: Expanding the cooperative principle. Kovač.

Keenan, E. O. (1976). The universality of conversational postulates. ;Language in Society, ;5(1), 67-80.

Pfister, J. (2010). Is there a need for a maxim of politeness?. ;Journal of Pragmatics, ;42(5), 1266-1282.

Prince, E. F. (1982). Grice and universality: A reappraisal.

Wierzbicka, A. (2009). ;Cross-cultural pragmatics. De Gruyter Mouton.

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