Chapitre 7 : Sémantique

7.9 Degrés

 

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Lorsque vous décrivez quelqu’un comme étant tall (grand), la réponse pourrait être « How tall »? Il existe plusieurs façons de répondre à cette question en anglais, par exemple, very tall (très grand) ou six feet tall (6 pieds). Vous pouvez également comparer la taille de deux personnes en disant que l’une d’entre elles est taller than the other (plus grand que l’autre) . Ainsi, de nombreux adjectifs permettent de préciser l’ampleur ou le degré de la propriété caractérisant une personne. Les points (1) à (3) sont des exemples de constructions de ce type liées au degré.

(1) That’s a very scary story.
(2) It’s warmer today than yesterday.
(3) That person is 6 feet tall.

On appelle les adjectifs comme scary, warm et tall ;des adjectifs gradables. Les adjectifs gradables peuvent être modifiés par le mot very comme dans l’exemple (1), et apparaître dans des constructions comparatives (2). S’il existe une unité de mesure pour l’adjectif, ce dernier peut également être modifié par un syntagme de mesure comme six feet pour tall dans la phrase (3).

Pour analyser la gradabilité, nous pourrions proposer que la sémantique lexicale de ces adjectifs a les degrés pour argument. Autrement dit, tall ne signifie pas seulement « x is tall » (où x est la variable du sujet) – le terme signifie que « x is tall à un degré d ». ;De plus, il faut préciser que ce degré d se situe sur une échelle. Envisagez une échelle comme un instrument de mesure abstrait. La taille est mesurée sur une échelle de hauteur et le mot warm est mesuré sur une échelle de température. Lorsque vous dites six feet tall, vous précisez que le degré de grandeur sur l’échelle est de six feet (six pieds), alors que si vous dites very tall, vous affirmez que ce degré est considéré comme élevé dans le contexte. Par ailleurs, si vous utilisez un comparatif comme A is taller than B vous dites que A et B se situent sur la même échelle (la hauteur dans ce cas) et que le degré de B sur cette échelle est plus élevé que celui de A sur cette échelle.

Pour les éléments comme la longueur et la température, l’idée des échelles peut sembler intuitive parce que l’anglais possède des unités de mesure pour ces éléments (par exemple, cm, ft, °C, °F), mais il convient de souligner ici que tous les adjectifs gradables ont une échelle associée, que l’unité de mesure soit lexicalisée dans cette langue ou non. Par exemple, l’anglais n’a certainement pas d’unité de mesure pour scary, mais comme nous avons l’intuition et l’observation descriptive qu’il existe différentes magnitudes de scariness, nous pouvons analyser scary comme ayant également une échelle dans sa sémantique lexicale. Il peut être utile d’envisager les choses de la manière suivante : vous pouvez toujours créer une échelle pour les adjectifs gradables, même si celle-ci n’a pas d’unité conventionnelle. Par exemple, nous pourrions nous poser la question « Sur une échelle d’un à dix, à quel point le film était-il effrayant? » ;

Dans la langue des signes italienne (LIS, « Lingua Italiana dei Segni »), les degrés d’une échelle sont « visibles » pour certains adjectifs (Aristodemo et Geraci 2018). L’exemple (4) montre la séquence mot par mot de « Pietro est grand » dans la LIS (illustration basée sur Aristodemo et Geraci 2018).

(4) Illustration d’un homme tendant son poing gauche, la paume tournée vers l’intérieur, vers sa gauche, le pouce replié. Signe pour « grand » en langue des signes italienne (LIS).
; ;PIETROα IXα GRANDs-Dégd

Le signe de la deuxième image (où l’homme pointe) représente un pronom. Dans le lexique sous l’image, les pronoms pointés sont qualifiés de « IX ». Les pronoms ont un sens déictique : ils renvoient à une personne, une chose, un temps ou un espace spécifique, tout dépendant du contexte. L’indice α dans IXα ;indique qu’il s’agit d’un pronom qui pointe vers le locus α. Un locus est une position dans l’espace d’expression des signes typiquement liée à un élément nominal. Dans l’exemple (4), le locus pertinent est introduit par PIETRO : le pronom pointant fait référence au locus introduit par PIETRO dans la première image. Ainsi, PIETROα est également assorti de l’indice α ;dans le lexique.

Examinons le signe pour GRAND dans la troisième image. Ce signe introduit deux locus : s ;pour le degré minimum de ce que l’on considère comme étant grand (nous appellerons ce degré la norme pour grand), et d pour le degré de grandeur de Pietro.

Dans la LIS, vous pouvez utiliser un pronom pointant pour renvoyer aux degrés introduits par certains adjectifs gradables. Par exemple, le point (5) est une phrase possible dans la LIS.

(5) PIETRO GRANDs-Dégd ;IXd 1,70 MÈTRE
Pietro est grand; il mesure 1,70 mètre.

Dans l’exemple (5), remarquez que le pronom pointant (IX) fait référence au degré de taille de Pietro. C’est ce que nous entendons en affirmant que « les degrés sont visibles » dans cette phrase en LIS : l’argument de degré de grand est un « objet » manifeste auquel un pronom peut renvoyer. En d’autres mots, le ;d ;dans la sémantique de ;grand ;(x est grand à un degré d) est en fait exprimé ouvertement dans la LIS. En anglais parlé, cet argument de degré qui fait partie de la sémantique lexicale de l’adjectif n’est pas exprimé ouvertement. Ainsi, contrairement à la LIS, il n’est pas possible, en anglais parlé, de faire une phrase avec un pronom qui renvoie à l’argument du degré.

(6) * Pietro is tall. It is 1.70 metres.
Sens de l’expression : « Pietro is tall and his height is 1.70 metres. »

Certains adjectifs n’ont pas intrinsèquement de degrés et d’échelles dans leur sens dans toutes les langues. Examinons maintenant les points (7) et (8).

(7) ? This vase is very ceramic.
(8) ? This table is more wooden than that one.

On appelle les adjectifs qui résistent à la modification du degré comme ceramic (céramique) et wooden (bois) des adjectifs non gradables. Les adjectifs non gradables ne peuvent généralement pas être modifiés par very et n’apparaissent pas dans les constructions comparatives. En effet, si un objet est en ceramic, il n’est pas question de déterminer à quel point celui-ci est en céramique : x est ceramic si x est fait d’argile et a été cuit. De même, un objet est qualifié de wooden s’il est fait de bois. Ce type d’adjectif permet simplement de classer les choses en catégories : elles sont faites de bois ou non, elles sont en céramique ou non.

Notez toutefois qu’en tant qu’utilisateurs de la langue, nous avons tendance à établir des échelles, même si un adjectif est à l’origine non gradable. Par exemple, un adjectif comme alive est en principe non gradable : vous êtes soit mort, soit vivant, et nous ne mesurons généralement pas « le degré de vie » de quelqu’un ou de quelque chose. En revanche, si quelqu’un disait : « That mosquito is very alive even though I smacked it », pour de nombreuses personnes, cet énoncé n’est pas complètement inacceptable. Dans ce cas, « l’échelle de vie » permet de mesurer la vigueur démontrée par le moustique. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous pouvons contraindre (forcer) les adjectifs non gradables à avoir une interprétation gradable dans certains contextes en leur attribuant une échelle. ;

Certaines langues n’ont pas d’arguments de degré. En washo (langue parlée par le peuple autochtone Washoe vivant près de la frontière entre la Californie et le Nevada aux États-Unis) et en motu (parlé par les Motuans, un groupe ethnique autochtone de Papouasie–Nouvelle-Guinée), il n’y a pas de morphèmes correspondant au comparatif -er ou more en anglais. Les exemples (9) et (10) illustrent la façon dont les comparaisons seraient exprimées dans ces langues, respectivement.

(9) Washo (Bochnak 2015)
t’é:liwhu delkáykayiʔ k’éʔi daʔmóʔmoʔ delkáykayiʔé:s
man tall is woman tall.not
« The man is taller than the woman. »
(Littéralement : « The man is tall, the woman is not tall ».)


(10) Motu (Beck et al. 2009)
Mary na lata to Frank na kwadogi
Mary TOP tall but Frank TOP short
« Mary is taller than Frank. »
(Littéralement : « Mary is tall but Frank is short ».)


Les exemples (9) et (10) montrent qu’il est logiquement toujours possible d’exprimer la comparaison sans un morphème de degré comme -er. On appelle la méthode de comparaison utilisée dans les langues washo et motu la comparaison implicite (Kennedy 2007, Sapir 1944). Lorsque vous effectuez une comparaison implicite des entités x et y par rapport à la caractéristique tall, vous manipulez le contexte de façon à ce que tall soit vrai pour l’une des entités, mais pas pour les deux. Ainsi, dans l’exemple (10), une certaine norme de ce que l’on considère comme étant tall a été établie dans le contexte, de sorte que Mary est classée dans la catégorie tall, mais pas Frank. Si Marie est dans la catégorie « tall », mais que Frank ne l’est pas, cela signifie nécessairement que la taille de Mary est supérieure à celle de Frank, ce qui explique que l’on puisse obtenir une vision comparative.

Les langues comme l’anglais qui contiennent des morphèmes de degré comme -er emploient des comparaisons explicites (Kennedy 2007, Sapir 1944). Lorsque vous comparez explicitement x et y par rapport à la caractéristique tall, vous dites que le degré selon lequel x est grand (par exemple, 160 cm) est plus élevé que le degré selon lequel y est grand (par exemple, 150 cm). Vous comparez explicitement deux degrés ou deux mesures. En fait, il est possible en anglais de faire des comparaisons à la fois explicites et implicites. Par exemple, l’exemple (11) est une comparaison explicite de degrés, tandis que l’exemple (12) est une comparaison implicite.

(11) Marcin is taller than Anne-Michelle.
(12) Compared to Anne-Michelle, Marcin is tall.

En résumé, les adjectifs précisent dans leur entrée lexicale s’ils ont un argument de degré ou non. Les spécifications lexicales peuvent varier d’une langue à l’autre.

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Vérifiez votre compréhension

 

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https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=817#h5p-64


Références

Aristodemo, V., & Geraci, C. (2018). Visible degrees in Italian sign language. ;Natural Language & Linguistic Theory, ;36(3), 685-699.

Beck, S., Krasikova, S., Fleischer, D., Gergel, R., Hofstetter, S.,Savelsberg, C., Vanderelst, J., and Villalta, E. (2009). Crosslinguistic variation in comparison constructions. Linguistic Variation Yearbook, 9(1):1–66.

Bochnak, M. R. (2015). The degree semantics parameter and cross-linguistic variation. Semantics and Pragmatics, 8:6–1.

Kennedy, C. (2007). Modes of comparison. In Proceedings from the Annual Meeting of the Chicago Linguistic Society, volume 43, 141–165. Chicago Linguistic Society.

Sapir, E. (1944). Grading, a study in semantics. ;Philosophy of Science, ;11(2), 93-116.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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