Chapitre 6 : Syntaxe

6.14 Arbres : Introduction

Les tests de constituance et les règles syntagmatiques sont un point de départ utile pour examiner la structure des syntagmes possibles. Cependant, ils ne permettent pas vraiment d’expliquer pourquoi certaines structures sont grammaticales ni de prédire à quoi pourraient ressembler les grammaires possibles et impossibles. Dans cette section, nous présentons la théorie X-barre, laquelle permet de formuler des prédictions plus solides en limitant la forme des arbres possibles. Elle est ainsi nommée parce qu’elle intègre une couche supplémentaire de structure à l’intérieur des syntagmes, c’est-à-dire le « niveau de barre ».

Afin de comprendre pourquoi il est souhaitable de limiter les arbres possibles, nous examinerons d’abord un type de structure qui est très facile à décrire à l’aide d’une règle syntagmatique.

  • Règle syntagmatique étrange : SN → V (Adj) SP

Cette règle est étrange parce qu’elle décrit un syntagme nominal qui serait composé d’un verbe, suivi d’un adjectif facultatif, suivi d’un syntagme prépositionnel (SP) obligatoire.

Cette règle est particulièrement étrange parce qu’il n’y a pas de nom : nous avons vu précédemment à la section 6.3 que c’est précisément le nom qui fait en sorte qu’un syntagme nominal en est un. La restriction selon laquelle tous les syntagmes des langues naturelles ont des têtes de la même catégorie est la première limite que nous imposerons aux structures possibles de la théorie X-barre.

  • Chaque syntagme (SX) a une tête de la même catégorie (X).

Il en va de même dans l’autre sens : toutes les têtes (mots) projettent un syntagme de leur catégorie ou « sont à l’intérieur » d’un syntagme de leur catégorie.

  • Chaque tête (X) projette un syntagme de la même catégorie (SX).

Cela signifie que même lorsqu’un nom ou un verbe – ou toute autre catégorie de mot – ne semble pas être accompagné d’autres mots immédiats dans le même syntagme, il est toujours inclus dans un SN ou un SV. Autrement dit, bien que les deux phrases en (1) soient, dans un certain sens, très différentes (l’une comporte deux mots, l’autre en comporte onze), elles ont cependant la même structure : les deux phrases sont constituées d’un SN suivi d’un SV.

(1) a) Cats sleep.
b) The many very fast spaceships carried a lot of valuable cargo.

Par défaut, pour la théorie X-barre, nous supposons que les mêmes contraintes s’appliquent à toutes les catégories et à tous les syntagmes, et qu’elles s’appliquent à toutes les langues. En l’absence de preuve du contraire, nous supposons que les déterminants se trouvent à l’intérieur de syntagmes déterminatifs (SDét), que les mots de degré se trouvent à l’intérieur de syntagmes de degré (SDeg), et ainsi de suite.

La caractéristique principale de la théorie X-barre (et l’origine de son nom) tient de l’observation selon laquelle les syntagmes ne sont pas simplement des structures plates.

Notre règle syntagmatique pour les SN, par exemple, permettrait de créer des SN contenant un déterminant (ou SDét), un nom et un SP, mais il n’y a pas de sous-syntagme. L’arbre syntaxique de la figure 6.5 illustre ce principe; le triangle au-dessus de robots indique que nous avons abrégé la structure à l’intérieur de ce constituant.

Arbre syntaxique : [SN [ Dét \\ a ] [ N \\ picture ] [ SP [ [ P \\ of ] [SN [robots ] ] ] ] ]

Figure 6.5. Arbre syntaxique pour [a picture of robots]

À l’examen de tous les types de syntagmes de nombreuses langues, nous constatons que la tête est toujours en relation plus étroite avec un élément en particulier à l’intérieur du syntagme. Plus précisément, les têtes entretiennent une relation plus étroite avec leur complément, qui, en anglais, suit la tête. Nous avons vu à la section 6.3, par exemple, que les verbes déterminent s’ils se combinent avec des objets et avec combien d’objets ils se combinent. Nous avons vu précédemment que les adjectifs se combinent généralement avec des compléments de type SP, mais que quelques adjectifs autorisent de manière idiosyncrasique des compléments de type SN.

Cela signifie qu’il existe des unités – constituants – à l’intérieur des syntagmes. Ainsi, non seulement toutes les têtes ont des syntagmes, et tous les syntagmes ont des têtes, mais l’on trouve également un « sous-syntagme de taille moyenne » dans chaque syntagme (ou un « syntagme intermédiaire »). Ce syntagme de taille moyenne se nomme X-barre (son symbole étant « X’ »), d’où le nom de la théorie.

Nous étendons donc la théorie X-barre aux généralisations suivantes, exprimées sous forme de règles syntagmatiques :

  • SX → (SY) X’
  • X’ → X (SZ)

SX, SY et SZ sont des variables de n’importe quelle catégorie de syntagme. Ces règles peuvent être lues comme suit :

Chaque syntagme (SX) doit contenir un niveau de barre de la même catégorie (X’) et peut être précédé ou non d’un autre syntagme (SY). Chaque niveau de barre (X’) doit comporter une tête de la même catégorie et peut être suivi ou non d’un autre syntagme (SZ).

Les positions occupées par le SY et le SZ sont des positions d’argument et portent des noms particuliers. Les noms des relations structurelles dans les arbres sont basés sur les relations familiales : parent, enfant, etc.

Complément
Le frère ou la sœur de la tête X (enfant de X’) est son complément.
Les têtes déterminent leur complément (ainsi que s’ils ont un complément).
Spécificateur
L’enfant de SX, sœur de X’, est le spécificateur du syntagme.

Si nous remplaçons le « SY » et le « SZ » ci-dessus par ces étiquettes dans l’arbre, nous obtenons un modèle général de X-barre pour l’anglais (propre à l’anglais parce qu’il inclut l’ordre linéaire que commande l’anglais).

Schéma de X-barre pour l’anglais : [ SX [ (spécificateur) ] [ X’ [ X ] [ (complément) ] ] ]

Figure 6.6. Modèle général de X-barre (pour l’anglais, tête initiale)

Qu’est-ce qui confirme l’existence des niveaux de barre? Dans le reste de la présente section, nous examinons les preuves de l’existence de sous-constituants à l’intérieur de SN et de SV.

Preuves pour N’

Pour prouver l’existence de N’ (« N-barre »), nous devons démontrer qu’un nom est en relation plus étroite avec un SP qui le suit qu’avec un déterminant qui le précède.

Pour ce faire, nous pouvons effectuer des tests de constituance qui ciblent cette sous-unité de SN. Ces tests sont un peu plus difficiles à appliquer que les tests de constituance abordés à la section 6.4, mais ils obéissent au même principe général.

Nous n’examinerons ici qu’un seul de ces tests : le remplacement par one. Tout comme un pronom peut remplacer un SN entier, le mot « one » peut (pour au moins certains anglophones) remplacer un nom et un syntagme prépositionnel qui le suit, en laissant de côté tout ce qui se trouve avant le nom. À l’instar des autres types de remplacement, le remplacement par one nécessite la présence d’un SN antérieur qui « complète » l’élément remplacé.

(2) [SN Yesterday’s launch of a spaceship] was exciting, but [today’s one] was not. ([one] = [first launch of a spaceship].)

En revanche, il n’est pas possible de remplacer un déterminant et un N par one, en laissant le SP de côté :

(3) *[SN The launch of a spaceship] is exciting, but [one of a mining drone] is not. ([one] = [the launch])

Nous obtenons ainsi la structure globale suivante d’un SN, montrant une relation plus étroite entre le N et le SP qui le suit par rapport à la relation entre chacun de ces éléments et le déterminant ou le possesseur précédent.

Arbre syntaxique : [ SN [ SN [ yesterday’s ] ] [ N’ [ N [launch] ] [ SP [P’ [P [of] ] [SN [a spaceship] ] ] ] ] ]

Figure 6.7. Arbre syntaxique pour [ yesterday’s launch of a spaceship ]

Preuves pour V’

Nous pouvons réaliser des tests semblables pour trouver un constituant à l’intérieur du SV, composé du verbe et de son objet. Par exemple, nous pouvons omettre un verbe et son objet, en laissant tomber un SAdv antérieur, mais nous ne pouvons pas omettre un SAdv et un V, en laissant tomber le complément d’objet SN.

(4) a) They will [SV quickly build a spaceship], and we will [SV slowly _ ]
b) *They will [SV quickly build a spaceship], and we will [SV _ an orbital station ]
(agrammatical si [quickly build] est enlevé)

Pour de nombreux locuteurs, le contraste est plus clair si l’on utilise le remplacement par do so : do so peut remplacer un verbe et son objet, mais ne peut pas remplacer un adverbe et un verbe si cela laisse l’objet isolé.

(5) a) They will [SV quickly build a spaceship], and we will [SV slowly do so ]
b) *They will [SV quickly build a spaceship], and we will [SV do so an orbital station ]
(agrammatical si [quickly build] est enlevé)

Comme c’est le cas pour les syntagmes nominaux, nous pouvons représenter le fait que le verbe et son complément forment un constituant, à l’exclusion de tout adverbe, en les plaçant tous les deux sous le nœud V’.

Arbre syntaxique : [ SV [ SAdv [Adv’ [Adv quickly ] ] ] [ V’ [ V \\ build] [ SN [SDét [Dét’ [ Dét a ] ] ] [N’ [N spaceship ] ] ] ] ]

Figure 6.8. Arbre syntaxique pour [ quickly build a spaceship ]

Niveaux de barres « vides »

À l’instar de l’hypothèse selon laquelle toutes les têtes projettent des syntagmes, même lorsqu’il n’y a pas d’autres mots dans le syntagme, la théorie X-barre suppose que tous les syntagmes contiennent au moins un niveau de barre, même lorsque celui-ci n’est pas nécessaire pour accueillir un complément.

Ainsi, pour la phrase en (6), nous appliquerions l’arbre de la figure 6.9 dans lequel chaque syntagme a un niveau de barre même si aucun des syntagmes représentés n’inclut de complément.

(6) The spaceships landed.

Arbre syntaxique : [S [SN [SDét [Dét’ [Dét\\The] ] ] [N’ [N\\ spaceships] ] ] [SV [V’ [V\\landed] ] ] ]

Figure 6.9. Arbre syntaxique pour The spaceships landed.

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Cet arbre illustre également l’élément qui manque toujours pour mettre en application la théorie X-barre; nous avons établi que chaque syntagme devait avoir une tête, mais nos phrases n’en contiennent aucune. Dans la section suivante, nous examinerons la proposition selon laquelle toutes les phrases sont projetées à partir d’une tête de temps.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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