Chapitre 6 : Syntaxe

6.11 Modification de la structure d’argument : les constructions causatives et passives

Jusqu’à présent, nous avons uniquement examiné les rôles thématiques précisés par les racines des verbes. Cependant, toutes les langues ont des moyens d’ajuster les rôles thématiques exprimés dans une proposition, soit syntaxiquement ou morphologiquement.

Ajout d’arguments : les constructions causatives

Par exemple, de nombreuses langues ont une construction causative. Les constructions causatives ajoutent une cause ou un agent supplémentaire (qui devient un nouveau sujet) :

(1) a) They read a book. (transitif : agent thème)
b) I made them read a book. (causatif : ajoute une cause/un agent supplémentaire)

L’anglais possède une construction causative syntaxique. D’autres langues ont des constructions causatives morphologiques, qui ne comportent pas de verbe causatif comme make, mais qui ont plutôt une morphologie verbale les amenant à ajouter un argument causal supplémentaire. Le japonais est une langue à causatif morphologique, comme nous pouvons le voir en (2).

(2) a) Neko-wa tabe-ta
cat-SUJET manger-PASSÉ
« The cat ate. » (intransitif : agent)
b) Watasi-wa neko-ni tabe-sase-ta
I-SUJET cat-DAT eat-CAUS-PASSÉ
« I made the cat eat. » (causatif : ajoute un deuxième agent causatif)

Parmi les autres constructions dans lesquelles il y a ajout d’arguments, notons les constructions applicatives (ajout d’un participant pour lequel l’événement a lieu, généralement sous la forme d’un complément d’objet indirect). Par exemple : I baked a cake. -> I baked my friend a cake.)

Suppression d’arguments : les constructions passives

Inversement, il existe des constructions qui suppriment un argument parmi ceux habituellement projetés par le verbe. La construction la plus connue est sans doute la construction passive.

L’anglais, comme beaucoup de langues du monde, a une construction passive, qui supprime le sujet d’origine d’un verbe, faisant en sorte que le complément d’objet d’origine devient le sujet passif. Une phrase non passive est appelée phrase active. Par exemple :

(3) a) They wrote a book. (phrase d’origine : active)
b) A book was written (by them). (phrase passive)

Une construction passive grammaticale possède les trois propriétés suivantes :

  1. Le sujet d’origine du verbe transitif de base (actif) est déplacé : il cesse d’être le sujet et est exprimé de façon facultative dans un syntagme prépositionnel (en anglais = syntagme by) ou avec un cas oblique.
  2. L’objet thème du verbe transitif de base (actif) devient le sujet de la proposition passive.
  3. Morphologie ou syntaxe caractéristique (en anglais = be + participe passé -en/-ed).

Ces trois propriétés sont nécessaires pour qu’une proposition soit réellement une construction passive. Dans la grammaire traditionnelle, l’actif et le passif sont définis comme les « voix » d’un verbe; dans certaines langues, il existe d’autres voix grammaticales, par exemple la « voix moyenne ».

La première propriété des constructions passives les relie aux phrases actives correspondantes. Il s’agit d’une propriété essentielle des constructions passives : pour toute proposition passive, il existe toujours une contrepartie active. (Cela est similaire aux questions, que nous avons décrites en fonction de leur relation grammaticale avec les déclarations.)

Considérez la phrase active suivante :

(4) The pirates sank the ship.

Il s’agit d’une phrase transitive, qui a donc une contrepartie passive :

(5) The ship was sunk (by the pirates).

La phrase en (5) possède les trois propriétés définissant la construction passive :

  1. Le verbe est remplacé par « be » + participe passé sunk
  2. Le sujet d’origine est déplacé et apparaît dans un
    syntagme prépositionnel « by » de façon facultative.
  3. Le sujet est [the ship], qui était l’objet thème du
    verbe actif.

Comparez cela avec l’intransitif thème que nous avons vu plus tôt.

(6) The ship sank (*by the pirates).

Contrairement à (5), (6) ne possède pas les trois propriétés définissant une construction grammaticale passive.

  1. Le sujet est [the ship], qui était l’objet thème du verbe actif.
  2. Toutefois, le sujet original ne peut pas être exprimé dans un syntagme prépositionnel « by ».
  3. Il n’y a pas l’auxiliaire be ni de participe passé.

Bien que le sujet dans ces deux cas soit [the ship], l’intransitif thème ne possède pas les autres propriétés d’une proposition passive.

Le passif dans le discours populaire

Dans la grammaire prescriptive ainsi que dans le cadre de débats populaires, la voix passive est souvent critiquée : les conseils (ou « règles ») en matière d’écriture recommandent souvent d’éviter la voix passive. Parfois, cela est justifié en avançant que la voix passive « cache » l’agent d’un événement.

En fait, le passif permet d’exprimer l’agent dans un syntagme prépositionnel « by ») d’une manière que les autres intransitifs ne peuvent reproduire.

(7) a) The ship was sunk by the pirates. (Passif, mais exprime l’agent.)
b) The ship sank. (Actif! Toutefois, il n’y a aucun moyen d’exprimer qui a fait couler le navire (« who did the sinking »).
c) The bomb exploded. (Actif! Toutefois, ne mentionne pas qui a posé la bombe (« who set the bomb »).

La raison invoquée pour éviter le passif ne tient donc pas.

Dans les règles d’écriture et les discussions en ligne, on critique souvent les journaux pour leurs grands titres qui font appel à la « voix passive » en utilisant des verbes tels que « dies/died » ou « something went wrong », sans préciser la cause du décès ou l’auteur de l’erreur. Si vous cherchez « voix passive » sur une plateforme comme Twitter, vous trouverez de nombreux messages faisant ce genre d’affirmation.

Ces messages soulignent généralement un problème lié au contenu de divers types de langage public (grands titres, déclarations publiques de politiciens), mais ils formulent la critique en se concentrant sur la structure grammaticale. De plus, ces messages critiquent généralement des sources qui sont rarement à la voix passive au sens linguistique évoqué précédemment dans cette section, mais plutôt à la voix active. Dans la plupart des cas, faire appel au passif permet en fait d’exprimer davantage un agent; par exemple, au lieu de mentionner « an individual died », un passif peut exprimer « they were killed by police ».

C’est un exemple de la façon dont les idéologies linguistiques, c’est-à-dire nos attitudes et nos croyances concernant le langage, peuvent s’exprimer dans le discours populaire. Ici, les gens expriment une critique légitime de l’écriture publique qui ne précise pas clairement l’agent ou la personne responsable d’une action, mais ils le font en utilisant une terminologie grammaticale (d’une manière qui ne correspond pas au sens grammatical original du terme « passif »). La critique porte sur la nature des informations exprimées dans les titres des journaux, mais elle est présentée comme s’il s’agissait d’un problème grammatical.

Nous pourrions dire qu’il s’agit simplement d’un changement dans le sens populaire du terme « passif ». Cependant, étant donné qu’« éviter le passif » est également donné comme conseil stylistique de manière plus générale (indépendamment des critiques des titres qui éludent la responsabilité), il est utile d’essayer de réserver le terme « passif » à la structure grammaticale proprement dite.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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