Chapitre 2 : Langage, pouvoir et privilège

2.5 Pronoms, changements linguistiques et police de la grammaire

 

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Comme pour les noms, nous utilisons également des pronoms pour exprimer des choses sur notre propre identité et faire des suppositions sur l’identité d’autres personnes. Nous en apprendrons davantage sur les pronoms au chapitre 6, mais pour l’instant, voici une explication simple. Dans les variétés normalisées de l’anglais[1], les pronoms de la première personne (I, me, we, us) désignent la personne qui parle, signe ou écrit et les pronoms de la deuxième personne (you) désignent la personne à qui l’on s’adresse. Les pronoms de la troisième personne désignent quelqu’un d’autre et peuvent souvent remplacer un syntagme nominal dans une phrase. ;Voici quelques exemples ;de pronoms de la troisième personne en anglais :

inanimé singulier it Samnang really enjoyed the latest book by Ivan Coyote.
Samnang really enjoyed it.
animé masculin singulier he, him Samnang invited Steve to a movie.
Samnang invited him to a movie.
animé féminin singulier she, her Samnang thinks the woman who lives next door is a good gardener.
Samnang thinks she is a good gardener.
animé singulier non genré they, them The passenger in Seat 3A forgot their coat.
They forgot their coat.

Dans la phrase « Samnang really enjoyed the latest book by Ivan Coyote », nous pouvons remplacer le syntagme nominal « the latest book by Ivan Coyote » par it. Dans « Samnang invited Steve to a movie », nous pouvons remplacer Steve par him : ; ;« Samnang invited him to a movie ». Dans la phrase suivante, « Samnang thinks the woman who lives next door is a good gardener », nous pouvons remplacer ce syntagme par she : « Samnang thinks she is a good gardener ». Dans « The passenger in Seat 3A forgot their coat », nous pouvons remplacer ce syntagme nominal par « They forgot their coat ».

Nous pouvons constater que les pronoms de la troisième personne du singulier donnent quelques vagues indices sur leur référent : nous supposons que it désigne une chose, que he désigne un garçon ou un homme, et que she désigne une femme ou une fille. Ces trois catégories — chose, homme, femme — sont très larges. Pourtant, elles peuvent toujours être utilisées pour causer du tort et exclure des personnes. Dans de nombreuses cultures, il est généralement attendu que nous utilisions des pronoms correspondant au genre approprié lorsque nous faisons référence à des personnes. Même lorsque nous rencontrons un tout petit bébé qui ne peut pas être offensé, nous prenons soin de demander « c’est un garçon ou une fille? » et d’utiliser le pronom approprié. Après la petite enfance, être victime de mégenrage peut être embarrassant ou carrément risqué. En outre, une distinction bidirectionnelle entre « masculin » et « féminin » est trop simple pour décrire la richesse des variations entre les sexes humains. Une personne qui n’est ni masculine ni féminine (par exemple, non binaire, de genre queer ou de genre fluide) peut voir à la fois he/him et she/her comme du mégenrage. C’est ici que les pronoms anglais they et them sont utiles.

Le pronom they n’offre pas beaucoup d’indices : il ne précise pas si les référents sont animés ou inanimés, masculins ou féminins. ;Voici quelques exemples du pronom they au pluriel :

pluriel non genré
animéité non précisée
they, them The pistachio cupcakes are delicious.
They are delicious. The prof told the students that class was cancelled.
The prof told them that class was cancelled.

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En anglais, le pronom they ;ne précise même pas toujours s’il est singulier ou pluriel. Voici d’autres exemples.

;nombre non précisé I don’t know who was in here but they left a big mess.
singulier, genre non précisé One of my students told me they needed an extension.

Dans la phrase : « I don’t know who was in here but they left a big mess », nous ne savons pas combien de personnes sont en cause (ce pourrait être une, deux ou vingt personnes) et le pronom they ;ne nous fournit aucun indice. Dans le cas suivant, « One of my students told me they needed an extension », il est clair qu’une seule personne étudiante a demandé une prolongation, et soit nous ne connaissons pas son identité, soit elle n’est tout simplement pas pertinente pour l’histoire, donc they ;fait également l’affaire. ;Cet usage singulier de they est courant en anglais depuis environ 600 ans. De nos jours, l’anglais évolue vers l’utilisation de they ;pour désigner une seule personne dont nous connaissons l’identité, comme dans « Samnang told me they needed an extension. »

À bien des égards, ce passage du pronom they au singulier et non spécifique au pronom they au singulier et spécifique s’apparente à un très petit changement dans la grammaire de l’anglais. Cependant, étant donné que ce changement remet en question les normes de genre patriarcales, les personnes qui bénéficient de ces normes ont tendance à adopter une approche normative, en insistant sur le fait que le pronom « they » au singulier est toujours agrammatical dans toutes les circonstances. Le Chicago Manual of Style indique que « c’est toujours considéré comme agrammatical » et l’AP Stylebook indique que c’est « acceptable dans certains cas », mais que c’est vraiment préférable qu’il ne soit pas utilisé. Et puis il y a les gens extrêmement capricieux comme Jen Doll, qui émet la critique : « Le pronom “they” au singulier est une folie syntaxique qui fait mal aux oreilles, qui brûle les yeux, qui fait mal à l’âme et qui abrutit l’esprit. Cessez d’utiliser « they » au singulier. Arrêtez immédiatement. » (Doll 2013). Mais les prescriptivistes ont beau émettre des critiques, l’usage du singulier spécifique est de plus en plus répandu. En 2015, l’American Dialect Society l’a élu mot de l’année et le dictionnaire Merriam-Webster a fait de même en 2019.

Ce qui est amusant, c’est que le système de pronoms anglais a connu un changement très similaire il y a des centaines d’années. Au 16e siècle, l’anglais disposait d’un pronom de deuxième personne à la fois singulier et pluriel. Si vous vous adressiez à un groupe de personnes, vous utilisiez you comme nous le faisons aujourd’hui. En revanche, si vous vous adressiez à une seule personne, vous l’appeliez « thou » ou « thee », par exemple : « What classes art thou taking this term? » ou « Can I buy thee a drink? ». Au 17e siècle, thou et thee avaient pratiquement disparu et n’étaient utilisés que dans le cadre de conversations très intimes. Le pronom you est donc devenu à la fois singulier et pluriel. En anglais moderne, nous n’utilisons plus du tout thou ou thee, à moins de vouloir être drôle ou rétro. Mais il peut être très utile d’avoir un moyen de faire la distinction entre le singulier et le pluriel, c’est pourquoi certaines variétés de l’anglais parlé ont d’autres formes au pluriel, comme y’all ou you guys ou youse. Peut-être que votre variété de l’anglais utilise une de ces expressions.

Les linguistes mènent des recherches systématiques sur l’évolution grammaticale du pronom anglais they. Bjorkman (2017) a constaté que les anglophones ayant une grammaire conservatrice n’utilisaient pas they de cette manière, mais que ceux ayant une grammaire « innovante » le faisaient. Ackerman (2019) a proposé que plus vous avez d’amis transgenres et non binaires, plus il est probable que votre grammaire utilise le pronom spécifique au singulier they. Conrod (2019) a montré dans sa thèse que les personnes âgées étaient moins susceptibles de l’utiliser et que les jeunes l’étaient davantage, et Konnelly et Cowper (2020) ont suivi les trois étapes du changement grammatical en cours.

Personne ne peut empêcher la langue d’évoluer. Mais les utilisateurs de la langue peuvent accélérer le changement de langue. Le mégenrage cause de réels préjudices. L’une des façons de réduire la probabilité que les personnes non binaires soient mégenrées est que l’anglais fasse ce petit changement pour inclure le pronom they spécifique et singulier. Et pour que la langue évolue, il faut que les gens changent leur façon de l’utiliser. Si votre grammaire contient déjà le pronom they spécifique et singulier, utilisez-le autant que possible! Et si vous souhaitez modifier votre propre grammaire mentale, Kirby Conrod (2017) donne de bons conseils – ralentissez, écoutez les personnes qui l’utilisent dans leur propre langue, et exercez-vous! Plus vous l’utiliserez, plus vous aurez l’impression que c’est naturel.


[les questions de l’autoévaluation seront bientôt à votre disposition]


Références

2015 Word of the Year is singular “they.” (2016, January 9). American Dialect Society.

Ackerman, L. (2019). Syntactic and cognitive issues in investigating gendered coreference. Glossa: A Journal of General Linguistics, 4(1).

Bjorkman, B. M. (2017). Singular they and the syntactic representation of gender in English. Glossa: A Journal of General Linguistics, 2(1), 80.

Conrod, K. (2017, December 4). How to do the absolute minimum (with pronouns). Medium.

Conrod, K. (2019). Pronouns Raising and Emerging [PhD Thesis]. University of Washington.

Doll, J. (2013, January 17). The Singular “They” Must Be Stopped. The Atlantic.

Konnelly, L., & Cowper, E. (2020). Gender diversity and morphosyntax: An account of singular they. Glossa: A Journal of General Linguistics, 5(1).

Merriam-Webster’s Words of the Year 2019. (2019). Retrieved April 28, 2022.


  1. De nombreuses langues présentent des distinctions plus subtiles que celles-ci dans leurs systèmes de pronoms, mais toutes les langues encodent au moins une différence à trois voies entre les pronoms de la première personne, de la deuxième personne et de la troisième personne.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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