Chapitre 11 : Développement du langage chez l’enfant

11.1 Les tout-petits, des apprenants de langue puissants

 

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Si vous avez déjà pris soin d’un nouveau-né, vous savez qu’il est si occupé à grandir qu’il ne peut pas faire grand-chose d’autre. Il peut dormir, manger (tant que sa nourriture est sous forme liquide), faire ses besoins et pleurer. C’est à peu près tout. À sa naissance, il ne peut même pas voir de façon claire ni contrôler ses membres! Cependant, lorsque les enfants font leur entrée à l’école vers l’âge de quatre ou cinq ans, la plupart d’entre eux savent marcher, courir, sauter, et certains peuvent même nager et faire du vélo. À cet âge, les enfants sont capables de tenir des conversations assez élaborées avec des phrases complexes et des mots de plusieurs syllabes. Voici un exemple de propos tenus par l’un de mes jumeaux à l’âge de quatre ans et demi :

« Maman, te souviens-tu de la fois où on a fait du pouding au chocolat? On pourrait peut-être en faire samedi. Ce samedi, en après-midi. Je n’ai pas besoin de faire une sieste. On peut le faire ensemble, et peut-être qu’ensuite on pourrait en manger! »

Aussi géniaux que soient mes enfants, il n’y a rien de remarquable dans leur développement du langage. Tout enfant au développement normal qui a accès au langage parlera couramment la (ou les) langue(s) utilisée(s) autour de lui, la plupart du temps sans enseignement explicite. Comment l’esprit des enfants passe-t-il du stade du nouveau-né, où les seuls sons qu’ils émettent sont des pleurs et des hoquets, à celui où ils sont capables de négocier la sieste et les projets de cuisine? Ces premières années doivent être marquées par un apprentissage considérable. Comme nous le verrons dans ce chapitre, cet apprentissage peut commencer avant même la naissance! Dans ce chapitre, nous examinons certains éléments des connaissances grammaticales acquises par les enfants et nous nous demandons ce que cela nous apprend sur la grammaire mentale.

Le développement rapide du langage chez les enfants peut sembler assez magique de l’extérieur, mais il résulte d’une immense activité cérébrale en réponse à l’environnement langagier, également connu sous le nom de langage ambiant, c’est-à-dire le langage utilisé par les membres de la famille, les personnes qui s’occupent de l’enfant, les adultes et les enfants plus âgés avec lesquels l’enfant passe du temps. Le cerveau de l’enfant suit les schémas de l’environnement langagier et les utilise pour construire sa propre grammaire mentale. Si l’environnement langagier est l’anglais, l’enfant élabore une grammaire mentale pour l’anglais. Il est évident que les enfants évoluant dans un environnement tamoul élaborent une grammaire mentale pour le tamoul, les enfants évoluant dans un environnement mandarin élaborent une grammaire mentale pour le mandarin, et ainsi de suite. Si la langue ambiante est la langue des signes américaine (ASL), l’enfant élaborera une grammaire mentale pour l’ASL, qu’il soit sourd ou entendant. Si un enfant se trouve dans un environnement où deux langues ou plus sont utilisées, il développera des grammaires mentales pour ces deux langues.

L’environnement langagier et la culture oraliste

Il y a un groupe d’enfants qui n’a pas accès à l’environnement langagier. Environ 90 à 95 % des bébés qui naissent sourds ou malentendants sont nés dans des familles où la principale modalité linguistique est la parole (Mitchell et Karchmer, 2004). Dans certains cas, les familles qui apprennent que leur enfant est sourd choisissent de commencer l’apprentissage d’une langue des signes comme l’ASL. S’ils utilisent les signes dans leurs interactions avec leur enfant, celui-ci a accès à une langue ambiante dans la modalité visuelle et élaborera une grammaire mentale à partir de cet apport. Mais certaines familles d’enfants sourds choisissent de ne pas utiliser la langue des signes, ce qui signifie que leur enfant n’a accès à aucune langue ambiante : ni auditive ni visuelle. Pourquoi une famille peut-elle prendre cette décision? Pour répondre à cette question, nous devons parler un peu des implants cochléaires.

Un implant cochléaire (IC) est une prothèse électronique implantée par voie chirurgicale. Il capte les sons de l’environnement et les convertit en signaux électriques. Ces signaux sont ensuite transmis au cerveau par le nerf auditif (NIH NIDCD, 2021). Dans les pays développés, il est très courant que les enfants sourds reçoivent un IC entre l’âge de un et trois ans. Malgré cela, la plupart des enfants porteurs d’un implant cochléaire obtiennent des résultats bien inférieurs à ceux des enfants entendants dans les tests standardisés de compétence linguistique, même lorsqu’ils sont implantés depuis plusieurs années — non pas en raison d’un quelconque déficit chez les enfants, mais parce que les signaux électriques d’un implant cochléaire ne constituent pas un environnement langagier suffisant pour un développement typique (Mauldin, 2019). Malgré ces preuves, les langues des signes et la surdité font toujours l’objet d’une stigmatisation ;persistante. De nombreux parents, enseignants et professionnels de la santé considèrent qu’il est si important pour les enfants de « passer » dans un monde entendant qu’ils n’offrent pas l’accès aux langues des signes de peur que cela n’interfère avec l’acquisition éventuelle par l’enfant de la langue parlée. En raison de cette croyance que la langue vocale est meilleure que la langue des signes, connue sous le nom d’oralisme, de nombreux enfants sourds ne sont pas exposés à la langue avant de recevoir un implant et, après l’implantation, n’ont accès qu’aux signaux électriques atypiques produits par l’appareil. Cette privation de langage entraîne des déficiences à long terme dans les fonctions sociales et cognitives et, ironiquement, des notes plus faibles aux essais de compréhension du langage vocal (M. L. Hall et coll., 2019; W. C. Hall, 2017; Humphries et coll., 2016; Lillo-Martin et Henner, 2021). En revanche, lorsque les enfants sourds de parents entendants ont accès à la langue ASL dès l’âge de six mois, leur vocabulaire s’élabore à un rythme comparable à celui des enfants sourds de parents sourds utilisant l’ASL (Caselli et coll., 2021).

Ce témoignage d’enfants sourds nous montre à quel point l’environnement langagier est vital et combien il est important que les enfants aient accès à une langue ambiante le plus tôt possible. Les connexions neuronales qui constituent la grammaire mentale ne peuvent se former qu’en réponse à un apport langagier provenant de l’environnement. Sans cet apport au cours de la première année de vie, il est beaucoup plus difficile pour le cerveau de construire une grammaire mentale.

Une remarque sur la notation. ;Lorsqu’il s’agit de très jeunes enfants, leur âge en mois est souvent plus pertinent que leur âge en années. La convention dans cette littérature est d’utiliser un point-virgule entre les années et les mois de l’âge de l’enfant. Ainsi, un enfant âgé de 1;6 a un an et six mois, soit un an et demi.

 

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Références

Caselli, N., Pyers, J., & Lieberman, A. M. (2021). Deaf Children of Hearing Parents Have Age-Level Vocabulary Growth When Exposed to American Sign Language by 6 Months of Age. The Journal of Pediatrics, 232, 229–236.

Hall, M. L., Hall, W. C., & Caselli, N. K. (2019). Deaf children need language, not (just) speech. First Language, 39(4), 367–395.

Hall, W. C. (2017). What You Don’t Know Can Hurt You: The Risk of Language Deprivation by Impairing Sign Language Development in Deaf Children. Maternal and Child Health Journal, 21(5), 961–965.

Humphries, T., Kushalnagar, P., Mathur, G., Napoli, D. J., Padden, C., Rathmann, C., & Smith, S. (2016). Avoiding Linguistic Neglect of Deaf Children. Social Service Review, 90(4), 589–619.

Lillo-Martin, D., & Henner, J. (2021). Acquisition of Sign Languages. Annual Review of Linguistics, 7(1), 395–419.

Mauldin, L. (2019). Don’t look at it as a miracle cure: Contested notions of success and failure in family narratives of pediatric cochlear implantation. Social Science & Medicine, 228, 117–125.

Mitchell, R. E., & Karchmer, M. A. (2004). Chasing the Mythical Ten Percent: Parental Hearing Status of Deaf and Hard of Hearing Students in the United States. Sign Language Studies, 4(2), 138–163.

NIH NIDCD. (2021). Cochlear Implants. National Institute on Deafness and Other Communication Disorders.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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