Chapitre 1 : Langage humain et sciences du langage

1.3 L’étude scientifique du langage

 

Un ou plusieurs éléments interactifs ont été exclus de cette version du texte. Vous pouvez les consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais : https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=342#oembed-1


Nous avons mentionné que la linguistique est la science du langage humain. Lorsque nous disons que la linguistique est une science, cela ne signifie pas qu’il faille une blouse de laboratoire et un microscope pour faire de la linguistique. Cela signifie plutôt que la façon dont nous posons des questions pour apprendre à connaître le langage utilise une approche scientifique.

La réflexion scientifique sur le langage passe par des observations systématiques et empiriques. Le terme « empirique » ;signifie que nous observons des données pour trouver les preuves de nos théories. Tous les scientifiques font des observations empiriques. Les entomologistes observent les cycles de vie et les habitats des insectes. Les chimistes observent comment les substances interagissent. Les linguistes observent comment les gens utilisent le langage. Tout comme les entomologistes et les chimistes, les linguistes cherchent à décrire avec précision le phénomène qu’ils étudient. Et comme les autres scientifiques, les linguistes s’efforcent de faire des observations qui ne sont pas des jugements de valeur. Si une entomologiste observe qu’une certaine espèce de coléoptères mange des feuilles, elle ne va pas juger que les coléoptères mangent mal et leur dire qu’ils réussiraient mieux dans la vie s’ils mangeaient la même chose que les fourmis. Idéalement, il en irait de même pour les linguistes : nous n’irions pas dire aux gens comment ils doivent ou ne doivent pas utiliser le langage. Bien entendu, comme tous les scientifiques et comme tous les humains, les linguistes ont des préjugés qui les empêchent souvent d’atteindre cet idéal; nous y reviendrons plus loin dans ce manuel. Cependant, l’objectif des sciences du langage est d’adopter une approche descriptive ;du langage et non une approche ;prescriptive, afin de décrire comment les gens utilisent le langage, et non pas de prescrire comment ils devraient ou ne devraient pas le faire.

Par exemple, nous pourrions décrire les pluriels anglais de la manière suivante :

L’ajout de -s à un nom lui permet de désigner plusieurs choses, comme apples, books ou shoes.

Ou encore, vous pouvez émettre des recommandations quant à la façon dont vous estimez que les gens devraient former les pluriels :

Le mot virus étant dérivé du latin, sa forme plurielle en anglais est viri et non viruses.[1]

Ainsi, lorsque nous faisons de la linguistique, notre objectif est de faire des observations descriptives et empiriques du langage. Cependant, l’un des défis auxquels sont confrontés les scientifiques du langage est que bon nombre des phénomènes étudiés sont difficiles à observer. Contrairement à nos amis entomologistes, il ne suffit pas d’aller dans le jardin pour trouver une grammaire rampant sur une plante. Nous devons trouver comment faire des observations sur l’esprit. Dans ce manuel, vous découvrirez les différents outils des sciences du langage qui nous permettent de faire des observations systématiques sur la manière dont les êtres humains utilisent le langage.

Adopter une approche métalinguistique : observer ce qui est possible dans une langue

Comme je ne cesse de le répéter, une grande partie des connaissances linguistiques que nous possédons est inconsciente. L’un des outils que nous pouvons utiliser pour accéder à notre grammaire mentale consiste à essayer d’accéder à la conscience métalinguistique, c’est-à-dire la connaissance consciente que nous avons de notre grammaire, et non la connaissance grammaticale en elle-même. Si vous avez étudié une langue à l’école, vous avez probablement une certaine conscience métalinguistique de cette langue parce qu’on vous l’a enseignée de manière explicite. Mais pour votre langue première, celle que vous avez parlée en grandissant, il peut être un peu plus difficile d’accéder à vos connaissances métalinguistiques parce qu’elles sont en grande partie implicites. C’est une compétence que nous mettrons en pratique tout au long de ce livre.

Voici un exemple d’accès à la conscience métalinguistique : imaginons que vous souhaitiez créer un nouveau mot anglais pour un personnage dans un jeu. Allez-vous appeler votre jolie petite créature blifter ou lbitfer? Aucune de ces formes n’existe en anglais, mais elles utilisent toutes deux des sons qui font partie de la phonétique anglaise. Vous avez probablement l’impression que blifter est un bon nom pour votre nouvelle créature, alors que lbitfer est un nom assez terrible. Notez que votre perception selon laquelle le nom lbitfer est incorrect ne relève pas d’une approche prescriptive – ce n’est pas parce que cela semble grossier ou que vous risquez d’avoir des ennuis en combinant ces sons de cette manière. C’est juste que… ça ne peut pas se produire. Vous avez fait une observation descriptive selon laquelle lbifter n’est pas un mot possible en anglais. De cette observation, nous pouvons conclure que lbitfer est agrammatical en anglais.

Comme la linguistique utilise le mot grammaire d’une manière particulière, les mots grammatical et agrammatical ont également une signification précise. Les mots, les syntagmes et les phrases agrammaticaux sont des éléments qui ne peuvent tout simplement pas exister dans une langue donnée : la grammaire mentale de cette langue ne les génère pas. Notez que la grammaticalité ne concerne pas ce qui existe réellement dans une langue; elle concerne la possibilité d’existence d’une forme. Dans cet exemple, blifter et lbitfer contiennent tous deux les mêmes sons, mais blifter pourrait être un mot anglais et lbifter ne le pourrait pas. En d’autres termes, blifter est grammatical en anglais, tandis qu’lbifter est agrammatical en anglais.

Il est souvent utile de comparer des mots, des syntagmes ou des phrases similaires pour essayer d’accéder à notre conscience métalinguistique. Prenons un autre exemple pour observer ce qui est possible. Voici deux phrases similaires, toutes deux possibles (ou acceptables) en anglais :

  1. Sam compared the forged painting with the original.
  2. Sam compared the forged painting and the original.

Essayons de poser des questions à partir de ces phrases :

  1. Did Sam compare the forged painting with the original?
  2. Did Sam compare the forged painting and the original?

En observant les questions en (c) et en (d), nous constatons que toutes deux sont acceptables en anglais. Essayons maintenant un autre type de question :

  1. What did Sam compare the forged painting with?
  2. *What did Sam compare the forged painting and?

La comparaison de ces deux phrases nous donne un résultat très clair : (e) est possible, mais (f) ne l’est pas. Nous utilisons un astérisque, ou une étoile, au début de la phrase (f) pour indiquer que cela ne peut pas se produire. Ces jugements d’acceptabilité (aussi parfois appelés jugements de grammaticalité) sont nos observations empiriques : ces deux phrases similaires sont toutes deux possibles en tant qu’énoncés déclaratifs (a-b) et en tant que questions par oui ou non (c-d), mais lorsque nous essayons d’en faire une question de contenu (WH-questions en anglais), le résultat est acceptable pour la première (e), mais pas pour la seconde (f). Une fois cette observation faite, notre tâche consiste à comprendre ce qui se passe dans la grammaire mentale qui peut expliquer cette observation. Pourquoi la question en (e) est-elle grammaticale alors que celle en (f) ne l’est pas?

Plus d’outils pour les sciences du langage

Chandail à capuchon gris avec fermeture éclair sur fond blanc.

Figure 1.4. Chandail à capuchon.

Comme il peut être difficile d’accéder aux connaissances métalinguistiques, vous ne voudrez peut-être pas vous fier aux jugements d’acceptabilité d’un seul utilisateur de la langue. Vous pourriez plutôt utiliser un sondage pour recueillir des données quantitatives sur l’acceptabilité auprès d’un grand nombre d’utilisateurs. Il est également possible d’utiliser des sondages pour obtenir ;les mots que les gens utilisent pour désigner des éléments particuliers. D’après les données d’un sondage, nous savons que certaines personnes appellent cette chose « sweat-shirt », d’autres « hoodie », et que les habitants de la Saskatchewan l’appellent « bunny hug ». Les sondages sont particulièrement utiles pour en savoir plus sur les variations régionales, un aspect que vous pourrez approfondir au ;chapitre 10. Si vous étudiez les variations régionales et sociales, vous pouvez également recueillir des données à l’aide d’entretiens, en posant des questions comme celle-ci : « Le “u” dans student se prononce-t-il comme “oo” dans too ou comme “u” dans use? ».

Un corpus ;est un autre outil qui permet de faire des observations linguistiques. Un corpus est une grande base de données qui rassemble des exemples de la langue telle qu’elle est utilisée dans le monde, à partir de livres, de journaux, de babillards électroniques, de vidéos. Certains corpus ne contiennent que du texte écrit, tandis que d’autres comprennent des vidéos de langue des signes ou des fichiers audio avec transcription phonétique. ;Ce qui est intéressant avec des outils tels que les jugements d’acceptabilité, les sondages et les corpus, c’est qu’ils sont relativement faciles à utiliser : il n’est pas nécessaire d’avoir une formation approfondie ni beaucoup d’argent pour demander aux gens quel mot ils utilisent pour désigner les chaussures de sport, ou pour voir comment un mot ou une phrase est utilisé dans un corpus. Nous utiliserons certains de ces outils accessibles tout au long de ce livre.

Il existe également des outils plus spécialisés pour les sciences du langage. ;Les phonéticiens utilisent une variété de logiciels pour analyser les enregistrements audio et vidéo de locuteurs et de signeurs. Praat (Boersma et Weenink, 2022) est un populaire éditeur de forme d’onde pour l’analyse des enregistrements audio. Bien que Praat soit principalement conçu pour les linguistes, il présente certaines similitudes avec les programmes d’édition audio pour la baladodiffusion. ELAN (ELAN | The Language Archive, 2021) est un outil puissant qui permet à un utilisateur d’annoter des enregistrements vidéo, et le programme SLP-Annotator (Lo et Hall, 2019) permet également des annotations phonétiques des langues des signes enregistrées sur vidéo. Certains phonéticiens effectuent également des mesures anatomiques des articulateurs, en utilisant des ultrasons ou la palatographie pour la parole ou la capture de mouvement pour la langue des signes.

Nous pouvons nous appuyer sur les techniques de la psychologie du comportement pour faire des observations sur l’utilisation du langage en temps réel à l’aide d’expériences. Vous pouvez mesurer les temps de réaction et de lecture des mots et des phrases, ou demander aux participants d’écouter des mots associés à du bruit blanc. Certaines expériences utilisent l’oculométrie pour mesurer les mouvements oculaires des personnes qui lisent un texte, regardent un signeur ou écoutent un locuteur. Il est même possible d’utiliser des techniques d’imagerie neuronale telles que l’électroencéphalographie (EEG) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) pour observer l’activité cérébrale pendant le traitement du langage. Pour en savoir plus sur l’interprétation des données de ces expériences, reportez-vous au chapitre 13.

Au moment d’entreprendre des études en linguistique, il est souvent très intéressant d’utiliser la méthode scientifique pour réfléchir à la grammaire. Cela permet de réaliser que la grammaire n’est pas seulement un ensemble de règles arbitraires à mémoriser pour s’exprimer de façon « convenable ». Même si nous ne regardons pas dans un microscope en portant une blouse de laboratoire, les outils des sciences du langage nous permettent de faire des observations systématiques sur la façon dont les humains utilisent le langage. Nous pouvons interpréter ces observations pour en tirer des conclusions sur l’esprit humain.


 

Un élément interactif H5P a été exclu de cette version du texte. Vous pouvez le consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais :
https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=342#h5p-50


Références

Boersma, P. & Weenink, D. (2022). Praat: Doing Phonetics by Computer. https://www.fon.hum.uva.nl/praat/

ELAN | The Language Archive (6.2). (2021). [Computer software]. Max Planck Institute for Psycholinguistics, The Language Archive. https://archive.mpi.nl/tla/elan

Lo, R. Y.-H. & Hall, K. C. (2019). SLP-AA: Tools for Sign Language Phonetic and Phonological Research. Proceedings of Interspeech 2019, 3679–3680.

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  1. Cette affirmation prescriptive, ou normative, ne reflète pas ce qui se passe réellement en anglais, puisque la plupart des anglophones utilisent viruses au lieu de viri. En fait, elle ne reflète même pas ce qui se passe en latin puisque le mot latin virus n’avait pas de pluriel!

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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