Chapitre 11 : Développement du langage chez l’enfant

11.2 Quand l’apprentissage linguistique commence-t-il?

 

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Nous avons vu précédemment que l’exposition précoce aux langues est extrêmement importante, car l’esprit commence à construire une grammaire mentale dès le plus jeune âge. À quel âge commence l’apprentissage linguistique? Pour les bébés entendants, cela peut commencer avant même la naissance! Si nous mesurons le rythme cardiaque d’un fœtus dans l’utérus, nous constatons que le rythme cardiaque augmente en réponse aux bruits extérieurs vers le septième mois de la grossesse, nous savons donc qu’un fœtus peut entendre des bruits extérieurs même lorsqu’il est encore dans l’utérus. Non seulement les fœtus peuvent entendre, mais ils se souviennent également de ce qu’ils entendent : à huit mois de grossesse, le rythme cardiaque d’un fœtus augmente davantage en réponse à la voix de son parent enceint qu’à celle d’un étranger (Kisilevsky et coll., 2003). Cela signifie qu’ils ont mémorisé le son de la voix de leur parent.

En observant le rythme cardiaque du fœtus, on peut donc conclure que les bébés entendants ont déjà emmagasiné des souvenirs auditifs au moment de leur naissance. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils ont une grammaire mentale, n’est-ce pas? Comment savoir ce que les nouveau-nés savent de leur langue? Après la naissance, il y a tellement de stimuli plus intéressants dans leur monde que la mesure de la fréquence cardiaque n’est pas aussi orientée, mais ils ne peuvent certainement pas nous dire ce qu’ils savent. Que pouvons-nous observer qui nous renseignerait sur les grammaires mentales?

Comment devenir linguiste : Observation de la succion de haute amplitude

Une suce bleue sur fond gris.

Figure 11.1. Une suce.

Les bébés ne savent pas faire grand-chose, mais s’il y a une chose qu’ils savent très bien faire, c’est téter. À l’aide d’un instrument appelé capteur de pression, qui est relié à une sucette, nous pouvons mesurer la puissance de la succion. Lorsqu’un bébé manifeste un intérêt pour quelque chose, comme un son qu’il entend, il commence à téter plus fort. Si vous jouez toujours le même son, il finira par se lasser et sa force de succion diminuera. Lorsque sa force de succion diminue, on dit que le bébé s’est habitué au son. Mais si vous jouez un nouveau son, le bébé est à nouveau attentif et recommence à téter intensément. Nous pouvons donc observer si un bébé perçoit la différence entre deux sons en observant si sa force de succion augmente lorsque vous passez d’un son à l’autre.

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En utilisant cette méthode d’habituation à la succion de haute amplitude, les chercheurs ont constaté que les nouveau-nés dont les parents parlent français remarquent la différence entre les phrases françaises et russes prononcées par la même personne (Mehler et coll., 1988). Le fait que ces nouveau-nés soient sensibles à cette différence nous indique qu’ils doivent avoir une certaine mémoire des schémas du français, pour pouvoir le distinguer du russe. Qu’est-ce que ces bébés de parents français ont pu apprendre sur le français avant leur naissance? Une grande partie des informations sonores qu’ils reçoivent dans l’utérus est assez étouffée, mais ce à quoi ils ont accès, c’est la prosodie. Le schéma rythmique du français repose sur des syllabes de longueur similaire, tandis que celui du russe dépend de l’accentuation des syllabes. Ce rythme prosodique est audible par le fœtus dans l’utérus, de sorte qu’à la naissance, les bébés peuvent faire la différence entre le rythme qu’ils ont entendu auparavant et un rythme inconnu.

En fait, si le parent enceint parle plus d’une langue, le nouveau-né peut même faire la différence entre ces deux langues! Dans une étude sur la succion de haute amplitude menée en Colombie-Britannique, les bébés nés de parents bilingues parlant le thaï et l’anglais ont remarqué le passage de la langue parlée de l’anglais au thaï (Byers-Heinlein et coll., 2010). Cela suggère que leur esprit commence déjà à mettre en place deux grammaires mentales différentes pour les deux langues qu’ils vont acquérir!

Ainsi, même lorsqu’ils viennent de naître, les bébés entendants ont non seulement appris à quoi ressemble la voix de leur parent, mais ils ont également déjà appris une partie de la prosodie de la langue (ou des langues!) parlée(s) dans leur environnement.

Mais je veux aussi que nous nous rappelions que le développement du langage n’est pas une course. Dans certaines cultures, les parents aiment croire que leur enfant est « avancé » d’une certaine manière : plus intelligent ou plus fort que les autres bébés. Même si ce chapitre traite des modèles généraux d’acquisition, n’oubliez pas qu’il existe d’énormes variations d’un enfant à l’autre et qu’apprendre quelque chose plus tôt n’est pas nécessairement un avantage. La raison pour laquelle je mentionne cela ici est que rien ne prouve qu’un fœtus qui n’a pas accès aux sons conversationnels in utero, parce qu’il est sourd ou parce que son parent utilise la langue des signes, est désavantagé de quelque manière que ce soit. Dès qu’il est exposé à la langue dans une modalité à laquelle il peut accéder, il commence à construire sa grammaire mentale.

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Références

Byers-Heinlein, K., Burns, T. C., & Werker, J. F. (2010). The Roots of Bilingualism in Newborns. Psychological Science, 21(3), 343–348.

Kisilevsky, B. S., Hains, S. M. J., Lee, K., Xie, X., Huang, H., Ye, H. H., Zhang, K., & Wang, Z. (2003). Effects of Experience on Fetal Voice Recognition. Psychological Science, 14(3), 220–224.

Mehler, J., Jusczyk, P., Lambertz, G., Halsted, N., Bertoncini, J., & Amiel-Tison, C. (1988). A precursor of language acquisition in young infants. Cognition, 29, 143–178.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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