Chapitre 9 : Récupération des langues autochtones
Mary Ann Corbiere
9.11 Ressources pour l’enseignement et l’apprentissage du nishnaabemwin
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Euh, ce qui me semble problématique, lorsque nous parlons de culture, qu’est-ce que la culture dans un sens général? C’est comme… ça peut signifier beaucoup de choses. Vous pensez à, disons, la culture générale, la culture européenne et quand vous entendez culture, vous ne pensez pas aux chevaliers, au Roi Arthur et à la chevalerie. Vous pensez à des choses comme les arts, le cinéma, le théâtre, le ballet, l’opéra, c’est très riche. Mais lorsque le terme culture est appliqué aux peuples autochtones, il s’agit d’une notion statique d’authenticité et l’authenticité est envisagée en termes de mode de vie autochtone, de vision du monde autochtone, et ainsi de suite, à l’époque que les gens considèrent comme « traditionnelle », avant l’arrivée des Blancs. C’est donc ce qui détermine les sujets abordés en classe. ;C’est donc comme si les gens se consacraient à la fabrication des mocassins, au perlage , et ainsi de suite, ce qui est bien sûr un aspect de la culture matérielle. Et il y a des gens qui font ces activités-là, mais ce n’est certainement pas quelque chose que tout le monde fait automatiquement.
Le hockey est aujourd’hui un élément majeur de la vie de notre communauté. Même s’il n’est pas considéré comme une culture, un aspect culturel en soi, c’est un sport, ; mais c’est une partie importante de la vie de la communauté. Nous avons aussi le baseball. La langue parlée ne parlait donc pas de… nous parlions de perlage, si c’était ce que nous faisions, nous parlions de fabrication de mocassins, si c’était ce que nous faisions. Mais si vous ne faisiez pas ces choses… j’ai grandi avec une bonne dose de terminologie agricole parce que mon père était agriculteur, d’autres, que ce soient ses parents ou son grand-père faisaient beaucoup de chasse, beaucoup de pêche. Oui. Ces deux activités-là, oui, correspondaient en quelque sorte à l’idée que les gens se faisaient de la culture autochtone, des modes de vie autochtones, mais il y avait aussi des Nishnaabeg qui travaillaient dans les mines. Nous avons un terme pour l’exploitation minière. Nous avons un terme pour la grève.
Euh, cela fait partie de l’exploitation minière! Existe-t-il des termes ojibwés pour le hockey et le baseball, pour désigner l’équipement, les règles du jeu, etc.?
Oui, certains termes, pour certains d’entre eux, mais pas pour tous, vous savez, c’est comme quand vous marquez un but, nous avons un verbe pour cela, être touché, aussi. Mais vous pouvez en parler. C’est comme, qui a gagné? Oui. « Oh, ils ont été battus. Oh, ils se sont fait avoir. » Les deux types de verbes sont présents dans le vocabulaire. J’ai créé un manuel et… c’est pourquoi quand j’enseignais, je disais, je ne vais pas vous dire d’apprendre ces 10 ou 15 ou 20 verbes d’ici la fin de ce cours. Vous utilisez les verbes qui sont importants pour vous. Je vais simplement vous montrer les structures pour vous permettre, pour vous aider à parler de tout ce qui est plus pertinent pour vous, de vos préférences. Si vous me laissez définir les verbes à apprendre, vous allez apprendre un tas de choses sur le patinage artistique ;, parce que c’est ce que je préfère regarder!
Mais d’après ce que je vois dans les documents que j’ai pu voir pour la maternelle à la 12e année, le contenu est axé sur… Il n’inclut généralement pas ces autres aspects de la vie. C’est le terme pour désigner l’ours, le bouleau, l’écorce de bouleau, les bouleaux, etc. Encore une fois, et c’est là que les étudiants qui ont fait des remarques sur la base de la liste de mots, c’est là que cela entre en jeu, ils peuvent dire « Oh oui, je connais ce terme et je connais ce terme », mais pouvez-vous communiquer quelque chose à ce sujet? Ma notion d’apprentissage linguistique consiste à aider les apprenants à donner un sens à la langue, à communiquer, à l’utiliser dans la communication réelle de tous les jours.
Oui, oui. Pour qu’une langue soit, pour…
…pour la revitaliser, se la reconquérir ou…
En effet, pour qu’elle soit vivante, il faut pouvoir l’utiliser!
Oui, vous pouvez consulter le dictionnaire et mémoriser tous les termes et la langue, mais pouvez-vous en faire quelque chose en termes de communication?
Tout à fait. Et pouvez-vous l’adapter à votre situation quotidienne? Vous ne travaillez pas nécessairement avec de l’écorce de bouleau, mais vous avez peut-être besoin d’une rame de papier pour imprimante.
Oui. Oui. Et l’assemblage courtepointe est une activité qui intéresse certaines femmes de Wiki. Ce sont surtout des femmes, au cas où quelqu’un penserait que je suis sexiste, non, c’était une activité pratiquée surtout par des femmes. Euh, oui. Ma mère pratiquait l’assemblage courtepointe. J’espère m’y mettre maintenant que je suis à la retraite et nous avons un verbe pour ça, badakiiga`ige. Nous pouvons parler d’une couverture qui est si belle, nous pouvons dire qu’une personne est un si bon courtepointier ou une bonne courtepointière, si cela vous intéresse, vous connaissez les structures et vous pouvez parler d’assemblage courtepointe, si vous voulez.
Euh, oui. C’est pourquoi je trouve problématique la façon dont le lien linguistique et culturel est souvent interprété dans le cadre de l’élaboration des programmes d’études, pour l’enseignement de la maternelle à la 12e année.
Bien sûr, du point de vue des étudiants, si un étudiant suit le cours, ce n’est pas seulement pour se sentir plus enraciné dans son identité individuelle. Et quand ont-ils voulu s’enraciner davantage dans leur identité autochtone? Bien entendu, une partie intégrante de ces racines est la question de savoir d’où nous venons historiquement en tant que peuple, qui étions-nous avant l’arrivée des Blancs, avant le colonialisme. Il est tout à fait logique que ce type d’approche soit attrayant. Elle répond à leurs besoins d’apprentissage plus généraux. Je ne suis pas sure que d’apprendre seulement la langue est logique. L’apprentissage fait partie de leur projet individuel et il va les aider à se relier à qui ils sont.
Aujourd’hui, l’internet propose quelque chose d’intéressant. ; Nous pouvons former des communautés des internautes. Surtout aujourd’hui avec Zoom, qui est une autre sorte de nouveau domaine à explorer. C’est possible! Parce que, surtout maintenant, comme je l’ai mentionné, ces apprenants vraiment passionnés qui m’envoient parfois des courriels pour me poser des questions à propos de la langue et qui me les envoient dans la langue, bien sûr ils font des erreurs parce qu’ils ne maîtrisent pas la grammaire à 100 %. Lorsque nous apprenons la grammaire, nous apprenons en quelque sorte les structures de base qui semblent déterminer la structure correcte d’une phrase. Quelle que soit l’autorité qui décide la justesse de la structure de la phrase. Sur le plan conversationnel, qui s’en soucie? Tout ce qui vous préoccupe, c’est de savoir si vous vous faites comprendre par la personne à qui vous parlez. Oui. De petites erreurs grammaticales, ;qui ne sont pas conformes aux exemples présentés dans un livre de grammaire et qui apparaissent un peu partout, mais vous les laissez faire. Même avec ces erreurs, ce que vous dites est toujours logique. Donc nous échangeons par courriel. Oui.
Vous avez fait un appel Zoom et leur avez simplement parlé des questions?
Oui, exactement. Oui. Et les gens pourraient former une communauté en communiquant uniquement par Zoom. Comme autrefois, lorsque nous vivions tous dans la communauté, vous alliez frapper à la porte de quelqu’un lorsque vous n’aviez pas grand-chose à faire dans l’après-midi et vous passiez le voir, pendant deux ou trois heures.
C’est l’autre aspect de la question : qu’est-ce qu’une communauté? Lorsque j’étais petite, il y avait la famille, il y avait les voisins et le fait d’appartenir à une Première Nation, je l’ai appris plus tard, beaucoup de nos voisins étaient des parents… cet homme était le cousin au deuxième degré de la génération de mon père. C’est pour ça qu’ils passaient autant de temps ensemble. Ils n’étaient pas seulement amis, vous savez.
Ces apprenants viennent de différentes communautés. Ils n’ont pas grandi ensemble. Leurs familles ne vivaient pas ensemble, dans la même communauté. Ils doivent donc créer une nouvelle sorte de communauté. Il ne s’agit pas tant d’un lien de sang. Oui. Donc c’est très intéressant d’extrapoler. D’accord. À quoi ressemblera l’expression verbale de la communauté nishnaabemwin dans quinze ans et comment sera-t-elle composée?
Parce que les locuteurs qui pourraient être des ressources pour les apprenants de langues, premièrement dans de nombreuses communautés, il n’y en a plus, dans certaines communautés, il n’y en a qu’une poignée, peut-être quatre ou cinq, donc comme vous l’avez mentionné plus tôt, si certains étudiants ont l’occasion d’entendre la langue en dehors de la salle de classe… ;pour de nombreux apprenants, de nombreux apprenants nishnaabe, ce n’est pas le cas. ;Ils ne vivent tout simplement pas dans un foyer ou s’ils vivent à Toronto et que leur grand-mère vit à North Bay ou ailleurs, ils ne sont pas régulièrement en contact avec elle.
J’ai donc l’impression que la langue peut survivre. Je veux dire que, idéalement, nous voulons qu’elle survive en tant que langue parlée, mais une langue peut aussi survivre en tant que langue écrite. Vous savez, par exemple, nous pouvons lire Shakespeare. Ce n’est peut-être pas notre idéal de l’anglais, mais pour certaines personnes, ce sera peut-être leur seul lien, dans 10, 15 ou 20 ans, avec la langue de leur peuple. Si c’était le cas, si nous l’écrivions de plus en plus.
Donc, nous avons heureusement un système d’écriture ; qui a été conçu par un linguiste, par Fiero. C’est son système qui a été adopté lorsqu’ils ont créé le programme d’instructeurs en langues autochtones, je crois que c’était à l’University of Western Ontario, mais très tôt, à l’époque. Mais à un moment donné, relativement tôt, le programme a été transféré à l’Université Lakehead. Et c’est là qu’il est depuis que je suis arrivée à l’Université de Sudbury et j’entendais parler de gens qui partaient en formation pour enseigner la langue. C’est donc ce que les étudiants en pédagogie apprennent et c’est assez simple.
Il marque les voyelles longues, et je pense que le consensus linguistique est que c’est vraiment utile pour une langue comme l’ojibwé, en raison de sa nature polysynthétique, qui peut avoir des mots tellement longs, qu’il faut savoir quelles syllabes reçoivent l’accent. Aussi, les voyelles longues sont toujours accentuées, avec l’accent primaire. Les voyelles brèves, d’après l’analyse de Piggott, sont non accentuées lorsque nous ajoutons certains morphèmes. Et le sh-, la syllabe à voyelle brève, se retrouve à un endroit particulier dans les mots. Il a brillamment découvert qu’il y a une empreinte métrique et que les voyelles brèves sont disposées par paires. Et encore une fois, la magie à propos d’une langue c’est que ces rythmes évoluent de manière organique. ; J’essaie de trouver un exemple en nishnaabemwin. Ce n’est pas grave, si je pense à un exemple, je le mentionnerai. ;Mais c’est comme lorsque la forme du mot a changé, oui. Oh, avec les paires de voyelles brèves, c’est la deuxième paire qui a tendance à prendre l’accent. C’est le deuxième de la paire, si je me souviens bien, mais quoi qu’il en soit, il y a une logique phonologique à cela.
Et cela se reflète dans le système d’écriture?
Oui et non. Cela dépend de la communauté et de l’idée que l’auteur se fait de ce qu’il entend, et puis l’autre chose, c’est dû à la façon dont nous formons les phrases, pas avec des pronoms séparés, des marqueurs de temps séparés, comme des verbes auxiliaires, et puis le verbe c’est comme, c’est comme s’il n’y avait qu’un seul mot.
Ce qui ne s’est pas produit, c’est qu’en raison des contraintes de temps auxquelles sont soumis les enseignants de la maternelle à la 12e année, nous sommes très dispersés en Ontario et nous n’avons jamais eu l’occasion de nous réunir pour une série de séances intensives afin de déterminer comment nous allons appliquer le système exactement à des discours plus longs. Il est relativement facile de l’appliquer à des listes de mots isolés, même pour un mot court comme mko, les apprenants, en fonction de leur professeur ou du petit livret qu’ils utilisent de l’Ojibwe Cultural Foundation ou d’un autre organisme.
Vous verrez le mot pour bear,mko (ours) écrit de trois manières différentes. M K O comme je l’écrirais, mko, et M A K W A comme je l’ai aussi vu, makwa, et puis peut-être M A K O selon une autre source. Il est donc très difficile pour les étudiants de savoir quelle est l’orthographe correcte. Et je leur disais que j’étais désolée, mais que toutes ces formes étaient correctes.
Cette orthographe est la manière dont je prononce le mot personnellement, c’est-à-dire de la manière dont il sortait de la bouche de ceux avec qui j’ai grandi. Le défi serait donc, lorsque nous disons que nous avons besoin de plus de ressources, que tout le monde décide de la manière dont nous allons l’aborder. Mais comment prendre une décision quand la manière varie au sein de la communauté et la dernière chose que chacun d’entre nous, je pense, veut faire c’est de se proclamer comme « je suis l’équivalent de l’Académie française ».
« C’est moi qui décide de ce qui est correct! »
Aucun d’entre nous ne veut faire cela. Les gens diront alors que les Ainés sont notre autorité, nos experts. Mais parmi les Aînés, encore une fois, beaucoup d’entre eux n’écrivent pas beaucoup. Et il y a aussi un autre aspect, c’est la résistance à l’écriture, la notion que nous ne devrions pas écrire nos langues. Certaines personnes vont… par le passé, j’ai entendu certaines personnes attribuer une sorte de dimension spirituelle à ça. C’est comme si nos langues et notre Créateur n’avaient pas voulu que notre langue soit écrite. Elle a toujours été orale, elle doit donc le rester. Encore une fois, cela fonctionnait bien lorsque c’était tout ce que nous entendions. Mais l’anglais s’est immiscé et ainsi de suite.
> Donc, si vous voulez préserver la langue…
Nous avons trouvé, du moins j’ai trouvé, certains d’entre nous ont trouvé l’écriture très utile. Voilà où nous en sommes. Et les enseignants en tout cas, connaissent la double écriture, le système de double voyelle. Ils n’ont aucun problème à l’utiliser, mais pour certains Aînés, c’est du charabia.
Encore une fois, de la maternelle à la 12e année, leurs possibilités d’écrire la langue sont très limitées parce qu’ils écrivent pour des apprenants d’un niveau rudimentaire. J’écris de façon plus large parce que je lis pour des apprenants dont j’anticipe que les préférences sont très variées. Je dois donc écrire sur différents sujets. Bien que j’écrive un peu sur le patinage artistique, j’écris également des exemples de dialogues sur le hockey, parce que le hockey est un sujet très important. Est-ce que vous avez entendu parler de la Little Native Hockey League (« petite LNH »)?
Non, je n’en ai pas entendu parler!
C’est un grand événement! Il y a toujours un exode des communautés nishnaabe, pas seulement les Nishnaabeg, mais aussi les Cris, les Mohawks et les Haudenoshonee. L’édition de cette année est organisée à Brampton. Mais l’hôte change à chaque fois, il y a un roulement. Euh, oui. Le hockey pour mineurs est une activité importante. Toutes ces Premières Nations envoient des équipes pour participer à la petite LNH! Ça fait donc naturellement partie de nos discussions. C’est comme, oh, est-ce que votre petit-fils participe à la compétition de la petite LNH… est-ce que son équipe a gagné… est-ce qu’ils ont gagné, etc.? J’essaie aussi de couvrir d’autres sujets que le sport, comme le cinéma, qui ne regarde pas de films de nos jours?
Le fait de devoir faire ça, de créer ce genre de textes, m’a permis de m’entraîner à appliquer ce système de double voyelle et ma décision est de faire savoir aux élèves que j’épelle ces mots de la manière dont je les entends selon la façon dont ils ont été prononcés par les personnes auprès de qui j’ai grandi.
C’est donc l’autre défi à relever. Si je pars du principe que ;la langue va survivre en grande partie en tant que langue écrite. Je ne sais pas si beaucoup d’autres personnes envisagent la revitalisation de la langue de cette manière, je pense que beaucoup, la plupart semblent encore attachées à l’idéal de « la langue va continuer à être parlée comme nous l’avons toujours parlée ». Comme moi je pense, d’accord. Oui, ce serait formidable. Mais pour certaines personnes, certaines personnes sont douées pour la lecture, et la littérature complète ce que nous entendons à la télévision et dans les films, la littérature est un aspect d’une culture. Donc, si nous voulons préserver la langue, préservons-la également de cette manière, sans nous concentrer uniquement sur l’oral.
Oui, c’est vrai. Il s’agit donc de l’aspect alphabétisation. S’ils doivent disposer de ressources écrites qui seront utiles aux apprenants d’une deuxième langue, il serait bon qu’ils puissent tous les utiliser de manière systématique. Voilà les points sur lesquels, idéalement, nous aurions dû nous accorder nous les enseignants, si nous avions eu le temps depuis 1972, de nous concerter, d’avoir l’occasion d’échanger assez longuement, assez souvent, avant d’entrer dans une salle de classe. Bien sûr, comme les théories de l’enseignement des langues évoluent, il aurait fallu ajuster ce que nous faisions, mais au moins, nous aurions eu une bonne et solide base de départ, plutôt que de simplement jeter les locuteurs dans leurs salles de classe individuelles partout en Ontario. Voilà, vous allez enseigner une langue.
Et, oui, le ministère a élaboré un programme qui a été révisé il y a plusieurs années. J’ai participé à l’atelier de révision et j’ai été consternée parce qu’il n’y avait pas grand-chose à voir avec l’utilisation réelle de la communication. Il était très structuré sur le plan grammatical, ce qui montre son origine : à l’époque, la méthode de grammaire et traduction était une façon courante d’enseigner une langue et au fil des années, ils se sont dit, d’accord, ;ce n’était pas la meilleure façon de procéder. Il y a d’autres moyens que nous devrions essayer et expérimenter. Et ils ont trouvé plusieurs autres moyens.
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