Chapitre 9 : Récupération des langues autochtones

Mary Ann Corbiere

9.9 Grandir en parlant le nishnaabemwin

Mary Ann Corbiere

Mary Ann Corbiere a grandi dans le territoire non cédé de Wiikwemkoong, sur l’île Manitoulin. En 2021, elle a pris sa retraite après une longue carrière d’enseignante de nishnaabemwin à l’Université de Sudbury. Dans ce module, la Dre Corbiere parle de son enfance à Wiki et de ce qui l’a menée à devenir professeure de langues.

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Je m’appelle Mary Ann Corbiere. Je suis originaire du territoire non cédé de Wiikwemkoong, à l’extrémité est de l’île Manitoulin. C’est l’une des plus grandes communautés nishnaabe de l’Ontario, euh, peut-être, euh, de l’Ontario et des États-Unis. Dans les années 1960, au moment où j’ai commencé l’école, j’étais en première année en 1961, notre communauté existait encore, oui, chaque foyer parlait la langue. C’était notre langue première. J’ai donc eu beaucoup de chance de grandir à cette époque.

Euh, j’ai appris l’anglais par immersion avant même que nous ne parlions du terme immersion, parce que nous apprenions en anglais. Euh, oui. Wiikwemkoong est donc, comme je l’ai dit, la plus grande ou du moins l’une des plus grandes communautés nishnaabe. À l’époque, la population de la collectivité devait s’élever à quelques milliers d’habitants, peut-être 2 500, je ne fais qu’une estimation approximative. Nous avions donc nos propres écoles jusqu’à la huitième année. J’ai donc fréquenté l’école pendant les huit premières années dans ma communauté d’origine. Nous n’avons appris l’anglais que dans la salle de classe, nous ne l’avons utilisé qu’avec les professeurs. Sinon, à la récréation dans la cour de l’école et après l’école, en jouant avec des amis, nous parlions tous la même langue.

C’est donc pour cela qu’elle a survécu si longtemps. Bien que nos parents et nos grands-parents aient fréquenté le pensionnat dans la ville de Spanish. Nous entendons beaucoup parler du rôle majeur que les pensionnats ont joué dans la destruction des langues, de beaucoup de langues. Dans les territoires de Wiikwemkoong et aussi de M’Chigeeng, une autre communauté plus importante sur Manitoulin qui est, du point de vue de la population, un peu plus petite que Wiikwemkoong,

la langue a survécu dans les foyers. C’est peut-être juste une notion de masse critique, n’est-ce pas? Bien que les élèves qui étudiaient à Spanish y étaient de septembre à juin, il semble que les deux mois passés à la maison aient suffi pour que les enfants retrouvent leur langue et la conservent, car ma mère et la femme qui est devenue ma belle-mère, qui sont toutes deux allées à Spanish, ne parlaient que leur langue maternelle dans nos deux foyers. C’était notre première langue.

Puis-je clarifier une chose, quand vous dites « Spanish », c’est le nom de l’endroit où se trouvait l’école, c’est bien ça?

C’est la communauté où se trouvait le pensionnat. J’ai vu le nom de l’école dans les écrits qui lui sont consacrés. Je ne l’avais plus en tête.

Et les enfants parlaient… ou plutôt les écoles étaient gérées en anglais.

Oui. C’est là que ma mère a appris l’anglais, comme ma belle-mère, et tous les enfants qui sont allés là-bas. Oui. Nous avons donc eu beaucoup de chance à cet égard. Oui. Oui. J’ai fini par enseigner la langue en 1989, un peu par hasard. C’est la dernière chose que je m’attendais à faire dans ma vie parce que, en septième année, j’ai découvert que j’aimais vraiment les sciences.

Je me souviens d’une petite expérience scientifique que notre professeur nous avait fait faire et que j’avais trouvée très intrigante. Après, j’ai grandi dans une ferme, donc j’étais toujours à l’extérieur, ce qui a peut-être expliqué mon intérêt pour les choses naturelles. Je me suis donc spécialisé en sciences à l’université, en sciences de la terre et de l’environnement, puis j’ai trouvé un emploi dans ma communauté, totalement différent, pendant quatre ans, mais je n’étais pas très douée. Je me suis donc dit, d’accord. Je pense qu’une formation en gestion d’entreprise pourrait être utile. J’ai donc posé ma candidature pour entrer dans un programme de MBA et j’ai été admise au deuxième essai. Ils ne m’ont pas laissée entrer la première fois. Je me suis dit, eh bien, j’ai vraiment besoin de faire, d’apprendre, d’acquérir des compétences utiles. Et je ne suis plus dans les sciences, je ne travaille plus dans les sciences.

Bref. Après avoir terminé ma maîtrise en administration des affaires (MBA), j’ai rencontré un vieil ami de ma huitième année d’école à Wiki (Wiki, c’est comme ça que nous appelons Wiikwemkoong). Et cet autre poste s’est présenté, un emploi contractuel, et par coïncidence, les intervieweurs étaient, c’était pour un programme en service social pour les peuples autochtones de l’Université Laurentienne, créé conjointement par le département de l’enseignement autochtone, comme nous l’appelions à l’époque, et l’école de service social.

Le comité des entrevues comprenait donc des membres des deux programmes. L’un d’entre eux m’a demandé ; de parler de ma langue et je lui ai répondu que j’adorais cette langue. C’est la raison pour laquelle je suis revenue au pays après toutes ces années loin de chez moi pendant mes années d’école secondaire et d’université. Ça me manquait de l’entendre tous les jours et il s’avère qu’ils m’évaluaient aussi parce qu’ils avaient besoin d’un professeur de langue à temps partiel pour donner au moins un cours le soir.

Après avoir reçu l’offre d’un contrat de travail pour l’étude de faisabilité pour le service social, je me suis fait demander si je pouvais aussi enseigner la langue. Oh, je n’en sais rien. Je ne m’étais jamais imaginé enseigner à l’université. C’était vraiment comme, wow, il faut être un génie pour enseigner à l’université. Il est utile d’avoir un peu d’intelligence, mais il n’est pas nécessaire d’être un génie, comme Einstein. Quoi qu’il en soit, j’ai dit, d’accord, et ils ont dit, vous parlez la langue. Vous vous débrouillerez. Et j’ai dit, oh, d’accord. Je vais essayer. Et j’en suis tombée amoureuse. J’ai trouvé ça amusant.

C’était peut-être l’avantage de ne pas avoir suivi de cours de linguistique. Je ne savais pas où en était la linguistique à l’époque en termes de recherche sur les langues autochtones, ou sur l’ojibwé, ma propre langue. Nous étions en 1989. J’ai vu que Richard Rhodes avait publié un dictionnaire en 1985 et Rand Valentine m’a renseigné sur certains des linguistes qui ont travaillé sur notre langue.

J’ai découvert que l’un d’entre eux était venu à Wiki alors que j’étais peut-être en huitième ou en neuvième année. En huitième année, j’étais encore à Wiki, en neuvième année, j’étais à North Bay pour l’école secondaire. Et Piggott, je pense que c’est le linguiste. Apparemment, il avait interviewé un agriculteur ou travaillé avec ce dernier qui habitait à trois ou quatre kilomètres de notre ferme, Sam Zelmick.

C’est grâce à ce travail que Piggott a compris des changements comme lorsque nous disons « he’s eating » (il mange), wiisini qui devient niwiisin pour « I’m eating » (je mange). Piggott en a trouvé la base phonologique, je suppose, grâce à sa discussion avec Sam Zelmick apparemment. Donc, je ne savais pas que je ne savais pas ce qu’était la linguistique dans les revues ou ailleurs.

J’ai donc essayé de comprendre, d’organiser la langue par moi-même, pour pouvoir l’enseigner. D’accord. Par où dois-je commencer? Il s’agit d’un cours de base que je donne. Par où commencer? Oui. Oui. C’est ce qui a rendu le projet si amusant, vous savez, la résolution de problèmes. Comment faire? Oui, plutôt que de parler aux élèves pour leur dire, d’accord, répétez après moi.

Et, tout comme, euh, leur donner une sorte de baratin, des bribes à mémoriser, comme « mon nom est untel », « je viens de tel endroit », « j’aime faire ci ou ça », vous savez, j’ai des choses comme ça. C’est comme si je pouvais, j’ai décidé, d’accord. J’ai compris, comme par essai et erreur. D’accord. Je vais le faire. Je vais essayer d’enseigner de cette manière.

Leur donner des structures et être scientifique avec une approche plus scientifique, je suppose, c’est peut-être pour ça que je gravite vers ce genre d’approche qui ressemble plus à une formule, comme des formules de mots, c’est ça. Vous connaissez cette structure, il vous suffit de changer le verbe pour dire « I want to go skating tomorrow » (Je veux aller faire du patin demain),

« I want to go skiing tomorrow » (Je veux aller skier demain), « I want to go for a walk » (Je veux aller me promener). Voilà ce qui ne change pas, mais qu’est-ce que vous allez changer? L’action! Nous allons donc trouver le verbe ; et j’ai trouvé un moyen d’expliquer, OK, ces verbes, rien, si la terminaison du verbe ne change pas, vous savez, mais ces mots, la terminaison du verbe disparaît, et cela se produit avec des terminaisons longues, la chose disparaît avec des terminaisons de voyelles brèves, lorsque la fin du verbe est une voyelle brève. Il ne disparaît pas s’il s’agit d’une voyelle longue! J’ai donc compris cela toute seule, après avoir examiné un tas d’exemples qui se présentaient, je ne savais pas pourquoi cela se produisait, mais au moins je pouvais voir qu’il y avait une sorte de structure cohérente qui rendait les choses plus ou moins prévisibles pour les apprenants.

C’est donc ce qui a rendu la chose vraiment amusante. Et je pense que c’est en partie pour cette raison que je suis tombée amoureuse du fait d’essayer de l’enseigner.

L’année suivante, après avoir enseigné à temps partiel, euh, en même temps, l’université, le programme de travail social, le programme de travail social autochtone, ils se sont engagés à le rendre accessible à distance pour et surtout pour les Premières Nations, parce que beaucoup ne pouvaient pas déménager facilement pour aller à l’université.

Ils ont dit que tout travailleur social autochtone devrait idéalement connaître la langue de la communauté. C’était un programme professionnel. Il y a tellement d’autres choses à apprendre en tant que travailleur social que nous ne pouvons pas raisonnablement nous attendre à ce que les travailleurs acquièrent au moins des compétences avancées au cours de leurs quatre années de formation en travail social.

Ils se sont donc dit qu’ils devraient au moins s’assurer qu’ils suivent un cours de cri ou d’ojibwé. Puisqu’ils s’étaient engagés à l’époque à l’offrir à distance. C’était avant toutes ces fabuleuses technologies, bien sûr. C’était par correspondance.

Ils envoyaient les cassettes par la poste?

Oui. Alors, ils m’ont demandé de rédiger le cours d’ojibwé par correspondance ;. J’ai donc travaillé avec un concepteur pédagogique, ce qui était une autre bonne chose à apprendre pour moi, parce que j’ai fait la chose habituelle, j’ai dit, d’accord, la première leçon, voici le texte. Il m’a dit, d’accord, revenons en arrière. Nous pouvons commencer. D’accord. Voici la leçon. Demandons aux élèves de commencer par ces structures. Quoi qu’il en soit, cela m’a été très utile.

Oui. Alors oui, après ça, vous savez, c’était juste pour ce cours. Mais la personne que je remplaçais, pour laquelle j’enseignais à temps partiel, a décidé de ne pas revenir à l’université. Ils avaient donc besoin d’un enseignant à temps plein et ont décidé qu’un enseignant à temps plein devait également être capable d’enseigner la langue. Mais c’est ainsi que j’ai eu la chance d’occuper ce poste. Et à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de locuteurs de notre langue maternelle qui possédaient également un diplôme d’études supérieures, j’avais déjà une MBA. Cela n’a donc rien à voir avec les langues, mais au moins c’était une maîtrise. C’est ainsi que j’ai obtenu ce poste. Il a donc été très utile d’avoir le temps de réfléchir et d’élaborer un programme d’études approfondi. Je me suis dit OK. À l’époque, il n’y avait que deux cours dans notre programme. Il y avait un cours d’introduction à l’ojibwé, puis un cours avancé d’ojibwé.

J’avais aussi suivi quelques cours de français en parallèle de ma MBA, parce que je m’intéresse aux langues et en français vous ne pouvez évidemment pas passer d’un niveau débutant à un niveau avancé. Il devrait y avoir un cours intermédiaire, d’accord, créons un cours intermédiaire. Et puisque nous proposions des cours à distance pour le cours d’introduction, nous pouvions aussi permettre à ceux qui voulaient vraiment apprendre la langue de suivre un cours intermédiaire et un cours avancé ; à distance. C’était donc mes projets pour les dix ou quinze premières années de ma carrière d’enseignante.

D’accord, donc je suis en train de penser… Vous avez grandi en parlant la langue, vous aviez tout cela, vous aviez votre grammaire mentale. Cette connaissance inconsciente de la langue.

Oui, j’avais acquis les structures.

C’est ça. Ensuite, pour pouvoir l’enseigner, il fallait en quelque sorte que vous trouviez vous-même comment faire l’analyse phonologique et morphologique pour l’enseigner à vos étudiants. Oui. Donc il vous a fallu apprendre à faire de la linguistique sans jamais avoir suivi de cours de linguistique.

Je pense que c’était une linguistique très rudimentaire. Certains d’entre eux, comme je l’ai dit, comme Piggott, m’ont expliqué certaines choses.

Oui, c’est vrai. Très bien. Mais vous pouviez ensuite l’utiliser pour enseigner à vos élèves.

Exactement. Oui, exactement. Oui.

La plupart de ces étudiants étaient donc à la recherche d’un diplôme professionnel et voulaient être en mesure de communiquer avec leurs clients.

Oui, enfin, c’était les communautés qui avaient décidé ça et elles attendaient des étudiants qu’ils apprennent la langue. Ils devaient connaître les bases de la langue, peu importe ce qu’elles entendaient par « bases » …

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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