Chapitre 9 : Récupération des langues autochtones
Rae Anne Claxton
9.8 La reconquête de la langue hul’q’umi’num’
;
Un ou plusieurs éléments interactifs ont été exclus de cette version du texte. Vous pouvez les consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais : https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=3019#oembed-1
Margaret Grant : Bienvenue dans ce module de l’Essentials of Linguistics. Je m’appelle Margaret Grant et je suis chargée de cours à l’Université Simon-Fraser, au département de linguistique et pour le programme de sciences cognitives. Aujourd’hui, nous sommes très heureux de vous présenter un entretien avec Rae Anne Claxton, que je vais laisser se présenter.
Rae Anne Claxton : Huy ch q’u Margaret. ‘Een’thu Rae Anne Claxton [partie à traduire]. Je m’appelle Rae Anne Claxton, je suis originaire de Tsawout et de Cowichan, et je vis à Cowichan.
Margaret Grant : Rae Anne, merci beaucoup d’être ici. Tout d’abord, j’aimerais que vous nous parliez un peu de vous, de votre pays et de votre langue ou de vos langues.
Rae Anne Claxton : Je suis née à Quw’utsun, que nous appelons Duncan, en Colombie-Britannique sur l’île de Vancouver, et j’ai grandi entre cette ville et mon autre communauté d’origine, la Tsawout First Nation. Enfant, je vivais avec ma grand-mère qui parlait la langue hul’q’umi’num’, mais aussi avec ma mère qui vivait à Tsawout et travaillait à la ȽÁU, WELṈEW̱ Tribal School. J’ai donc appris un peu de SENĆOŦEN quand j’étais à Saanich, mais j’ai passé beaucoup de temps ici à Quw’utsun, où mes deux grands-parents avaient la langue hul’q’umi’num’ comme langue maternelle. Ainsi, bien que je n’aie pas pu apprendre la langue directement auprès d’eux, je les ai entendu parler et je me suis fait parler dans cette langue, mais je n’ai jamais été encouragée à répondre dans la langue. Je me suis principalement concentrée sur la langue hul’q’umi’num’, un dialecte de Halkomelem. Le dialecte que nous parlons ici est appelé Island Halkomelem, mais il existe également deux dialectes dans le Lower Mainland.
Margaret Grant : ;Quel est votre rôle dans le processus de reconquête de la langue hul’q’umi’num’? Et en quoi consiste votre travail dans le cadre de ce rôle?
Rae Anne Claxton : ;Au cours des quatre dernières années, j’ai travaillé à la reconquête de la langue au sein de ma famille et cela m’a été inspiré par la perte de ma grand-mère qui était la dernière personne de ma famille proche à parler couramment. Depuis, je suis retournée à l’Université Simon-Fraser, où j’ai obtenu un certificat d’aptitude linguistique en hul’q’umi’num’. À l’époque, j’avais également commencé à travailler au sein de la communauté, nous avions proposé des programmes tels que la Language House (« Maison des langues ») et j’ai participé à la création d’un Language Nest (« Nid linguistique ») ici à Cowichan. Qu’avons-nous fait d’autre? Il y a tant de choses que nous avons faites au fil des ans. Je fais également partie du programme de mentorat et d’apprentissage du First Peoples Cultural Council. J’en suis à ma troisième année du programme d’apprentissage avec ma si’lu, ma grand-mère, Sarah Modeste. J’ai travaillé au sein de la communauté en offrant des occasions d’apprentissage linguistique aux enfants placés dans des institutions, par l’intermédiaire des tribus Cowichan, Lalum’utul’ Smun’eem, et leurs services à l’enfance et à la famille. J’ai également travaillé à l’élaboration de ressources pour les apprenants de la langue sous la forme de livres, de chansons et de poèmes. En gros, tout ce que je pouvais faire pour aider les apprenants de la langue. Voilà ce sur quoi j’ai travaillé. Actuellement, je prépare un doctorat en linguistique à l’Université d’Alberta, et c’est en quelque sorte ce qui m’a pris le plus de temps au cours des deux dernières années. Mais j’ai poursuivi mon parcours personnel d’apprentissage des langues tout au long de cette période et j’ai également enseigné la langue dans ma propre famille.
Margaret Grant : ;Vous avez commencé à mentionner que vous étiez vous-même un apprenant adulte de la langue. Qu’est-ce que cela représente pour les adultes de votre communauté d’être des apprenants de la langue hul’q’umi’num’?
Rae Anne Claxton : ;En tant qu’adulte apprenant la langue hul’q’umi’num’, ce travail est très émouvant. Je trouve ce travail très émouvant. C’est un travail très difficile. C’est un travail très difficile et il faut vraiment prendre tout son courage et toute sa force pour continuer à aller de l’avant. À une époque où nous perdons nos locuteurs de langue première, il faut beaucoup de discipline personnelle pour s’encourager à aller de l’avant, alors que nous voudrions peut-être reculer. Il faut beaucoup de force et de conviction, et beaucoup de temps. J’ai consacré une grande partie de ces quatre dernières années, loin de ma famille, à apprendre la langue au mieux de mes capacités et à offrir les services dont je suis capable à notre communauté. Il faut beaucoup de temps pour nouer des relations, au sein de la communauté et avec les Aînés qui sont encore présents, pour continuer à apprendre auprès d’eux. Je pense que le principal défi auquel vous ne pensez peut-être pas lorsque vous envisagez d’apprendre une langue est en fait la charge émotionnelle. Il se peut que vous établissiez des liens avec des Aînés qui disparaîtront et que, tout en essayant de continuer à travailler au sein de la communauté, vous deviez passer par le processus de deuil. Il y a également peu d’espaces pour converser, dans notre langue, en particulier pendant la pandémie, nous avons perdu les espaces qui étaient censés nous permettre de nous rencontrer. Et la peur que nous avons de voir nos Aînés mourir a été aggravée par les circonstances actuelles. C’est donc la réalité de l’apprentissage d’une langue autochtone à l’âge adulte, à cette époque, et je pense que c’est vraiment, c’est, c’est une lourde tâche. Cela nécessite une grande participation de la communauté et vous aurez besoin d’un grand soutien moral, peu importe où vous le trouvez.
Margaret Grant : Oh, merci d’avoir partagé cela.
Rae Anne Claxton : ;En tant qu’adulte apprenant une langue, il a été difficile de surmonter la peur de parler. Et je pense que c’est quelque chose qui se transmet dans notre mémoire sanguine, à cause des expériences traumatisantes que nous avons vécues. C’est quelque chose que nous surmonterons tous à notre manière si nous persévérons. C’est quelque chose que j’ai dû surmonter, ne pas avoir peur d’ouvrir la bouche et d’essayer de parler. Près de quatre ans plus tard, je m’efforce toujours de ne pas avoir peur d’ouvrir la bouche, de parler et de faire des erreurs. Et ma grand-mère me dit toujours que nous ne pouvons pas, que nous ne pouvons pas faire quelque chose sans faire d’erreurs. C’est en faisant des erreurs que nous apprenons. Je pense qu’au sein de nos communautés, la langue s’est perdue pendant des générations, donc il y a des générations d’insécurité. Je pense qu’il est très utile d’aborder l’apprentissage des langues de toutes les manières possibles. C’est ainsi que l’apprentissage de la linguistique m’a été utile. Ma grand-mère ne pouvait pas m’expliquer pourquoi elle appelait ma fille aînée sts’a’muqw, alors qu’elle appelait ma fille cadette [transcription en cours]. Et c’est après son décès que j’ai appris qu’il s’agissait d’un diminutif. Lorsque vous savez comment le dire, expliquer ce qui se passe, expliquer le phénomène, expliquer le langage, il est beaucoup plus facile de le retenir et de le partager.
Margaret Grant : ;Vous avez mentionné avant que nous commencions l’enregistrement que vous aviez travaillé dans le cadre du programme de linguistique et des langues autochtones à l’Université Simon-Fraser (SFU). Mais je me demande si vous pouvez nous parler de la manière dont votre communauté a accueilli les linguistes et le domaine de la linguistique en général.
Rae Anne Claxton : ;Quelle a été l’expérience de ma communauté? Je peux parler de ma propre expérience au sein de ma famille. Je sais qu’il existe une langue documentée à laquelle j’aimerais avoir accès. Je dirais que les relations n’ont pas toujours été faciles. C’est une chose à laquelle je travaille, en tant qu’étudiante en linguistique, et que j’essaie toujours de me rappeler, ainsi qu’à ma famille et à ma communauté, que nous n’avons pas toujours eu de bonnes relations avec les institutions éducatives. Et ce sont des choses que nous avons surmontées, avec lesquelles nous avons collaboré, au sujet desquelles nous avons exprimé nos propres besoins. Et c’est quelque chose que je m’efforce de faire dans le domaine de la linguistique, c’est d’être la voix de mon peuple et de ce dont nous avons besoin à l’échelle de la communauté. Et ce dont nous avons vraiment besoin à l’échelle communautaire, c’est d’accéder à la documentation qui a été compilée par les linguistes précédents à une époque où il était peut-être illégal pour notre peuple de pratiquer notre langue. Ainsi, à une époque où les enfants étaient emmenés dans des pensionnats, des enfants comme mes parents, la langue était documentée dans nos communautés. Il est très important que cette langue revienne dans nos communautés et que tout obstacle à cette langue soit éliminé.
Margaret Grant : ;Oui, absolument.
Rae Anne Claxton : ;En particulier lorsque nous perdons nos Aînés, nous avons besoin de documents accessibles sur les Aînés qui nous ont quittés.
Margaret Grant : ;Oui, j’entends donc qu’il y a un manque de confiance.
Rae Anne Claxton : ;Oui, il y a un manque de confiance. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussée à m’intéresser à la langue. Savoir que j’ai un grand-père, par exemple, dont la mère a beaucoup travaillé sur la documentation de la langue. Et il est évident que lui et sa famille aimeraient beaucoup bénéficier de cette richesse de connaissances. Nous disons toujours dans nos communautés que lorsque nous perdons un Aîné, nous perdons une bibliothèque. Issue d’une tradition orale, nous n’avons peut-être pas de documentation écrite, et par le passé, nous n’avions peut-être pas accès à la technologie ou aux compétences pour faire ce que nous pouvons faire aujourd’hui, mais il y a une chose que ma grand-mère avait l’habitude de me dire tout le temps. Elle me disait toujours que je vivais à une autre époque différente, que je pouvais accéder à des choses auxquelles notre peuple n’aurait peut-être jamais eu accès, que je n’étais peut-être pas plus intelligente que mes ancêtres, mais que j’avais des capacités qui leur avaient été refusées. Aujourd’hui, j’ai accès à ce qui leur était autrefois refusé et j’ai des occasions qui n’existaient pas. Elle m’a toujours encouragée à faire de mon mieux et à me rappeler que tous les pas que j’ai faits sont des pas que nous n’étions pas autorisés à faire auparavant. Et je trouve cela très inspirant. Ma grand-mère parlait couramment. Il y a beaucoup, beaucoup d’histoires qu’elle aurait voulu me raconter, mais elle n’avait pas les compétences ni l’anglais pour le faire. Et je n’avais pas les compétences dans la langue hul’q’umi’num’ pour les écouter. Surtout maintenant que j’étudie la langue, j’aurais aimé enregistrer ma grand-mère. Mais je ne savais pas que je serais un jour capable de lire, d’écouter, de traduire et de transcrire les histoires que ma grand-mère allait partager avec moi. C’est donc à ça que je pense personnellement. Et je pense que c’est ce à quoi de nombreux autochtones pensent lorsqu’ils évoquent le domaine de la linguistique, que des histoires sont documentées, que l’histoire est documentée. L’un de mes mentors actuels, ma grand-mère Sarah Modeste, me dit toujours : « Tu es un pont, tu dois agir comme un pont » et unir les personnes et les éléments. Donc j’aime bien voir les choses de cette façon.
Margaret Grant : ;Et trouver tous les documents qui pourraient être rapportés à la communauté.
Rae Anne Claxton : ;Oui, et pas seulement cela, mais aussi les rendre accessibles. Parce que de nombreuses choses sont accessibles au public, mais il s’agit de les diffuser d’une manière qui soit adaptée à l’étape où nous en sommes dans la revitalisation de notre langue. Je voulais juste dire aussi que mon expérience personnelle avec les linguistes a été… Je suis très reconnaissante des occasions que j’ai eues. Et des personnes qui m’ont aidée tout au long de mon parcours dans la linguistique. Je voulais juste ajouter cela.
Margaret Grant : ;Y a-t-il autre chose que vous aimeriez que les étudiants en linguistique, et les étudiants en initiation à la linguistique sachent à propos de votre travail et de votre langue?
Rae Anne Claxton : ;Je veux que les étudiants en linguistique sachent que je crois que notre peuple avait une culture de la compréhension de la linguistique, et que nous avions un grand respect pour la linguistique. Je veux que les étudiants en linguistique autochtone sachent que beaucoup de nos concitoyens parlaient couramment plusieurs langues et que nous nous parlions dans la langue avec laquelle nous étions à l’aise. Nous n’avons jamais forcé les autres à se conformer à d’autres langues. J’ai souvent entendu dire que deux personnes de deux régions différentes pouvaient se marier et qu’il était assez courant que l’un des partenaires parle dans une langue et que l’autre réponde dans une autre langue. J’espère donc que notre peuple retrouvera une meilleure compréhension et acceptation de la diversité linguistique. Et ce que j’aimerais que les étudiants en linguistique sachent à propos de notre langue, c’est qu’elle est vivante. Et que tant que nous serons là, elle restera vivante. Il peut être intimidant de se lancer dans l’apprentissage de sa langue autochtone ou de la linguistique de sa langue autochtone. Mais je trouve que la linguistique aide vraiment à compartimenter les choses en unités plus faciles à assimiler. Et tout comme j’avais fait le parallèle avec l’éducation, je fais le parallèle avec la médecine. La compartimentation en différents domaines est assez similaire.
Margaret Grant : ;Il s’agit donc d’examiner les différents systèmes au sein de la langue.
Rae Anne Claxton : ;Euh oui.
Margaret Grant : ;D’accord. Merci beaucoup pour votre participation aujourd’hui. Et pour toutes les merveilleuses informations que vous nous avez données sur votre parcours personnel et sur celui de vos communautés. Je ne saurais trop vous remercier d’avoir participé à ce projet.
Rae Anne Claxton : ;Merci. Je vous remercie de m’avoir accueillie.
;