Chapitre 8 : Pragmatique

8.11 Qu’est-ce qu’un contexte?

Dans la section précédente, nous avons décrit informellement comment les opérateurs tels que ASSERT et INTERR agissent dans un énoncé. Pour avoir une image plus concrète de ce que font les opérateurs de force illocutoire avec une proposition, il convient de réfléchir à la raison fondamentale pour laquelle nous avons des conversations. La « grande » question à laquelle nous essayons toujours de répondre au cours d’une conversation est la suivante : « Que se passe-t-il dans notre monde? » Dans une conversation, vous participez à un jeu de collaboration avec les autres participants, en essayant de déterminer quelles propositions sont vraies et lesquelles sont fausses.

Nous pouvons considérer dans ce jeu que chaque « joueur » (participant au discours) actualise le contexte chaque fois qu’il fait un énoncé. Qu’est-ce qu’un contexte? Vous avez peut-être déjà une vague idée de ce qu’est un contexte. En fait, nous avons déjà abordé cette notion lorsque nous avons parlé des implicatures plus tôt dans ce chapitre. De manière informelle, le contexte d’un énoncé est l’état des choses dans le discours au moment où l’énoncé est produit : le sujet, les participants à la conversation, les choses déjà dites, etc. Plus formellement, nous pouvons caractériser le contexte comme un groupe d’ensembles qui renferment les informations contenues dans la conversation. Cette idée est illustrée à la figure 8.5 ci-dessous.

;

Illustration du contexte avec Aya et Bo comme interlocuteurs. L’illustration montre les ensembles d’engagements discursifs d’Aya et de Bo, la connaissance commune et la pile de QED.

Figure 8.5. Contexte composé de la connaissance commune, de la pile de questions en discussion et de l’ensemble des engagements discursifs.

;

L’un de ces ensembles est appelé « connaissance commune » (CC). La connaissance commune est l’ensemble des propositions que tous les participants à la conversation acceptent comme étant vraies. Nous pouvons considérer que l’objectif du discours est d’accroître la connaissance commune, c’est-à-dire d’ajouter autant de propositions que possible à cet ensemble afin de disposer d’autant de faits que possible sur notre monde.

Étant donné que le discours est un jeu collaboratif, il n’est pas possible de simplement ajouter des propositions à la connaissance commune de manière unilatérale. Autrement dit, vous ne pouvez pas ajouter une proposition à la connaissance commune simplement parce que vous pensez qu’elle est vraie; vous devez d’abord obtenir l’accord des autres participants à la conversation. Cela veut donc dire qu’il existe un autre endroit (ensemble) dans le contexte, distinct de la connaissance commune, où cette négociation a lieu. Cet endroit est désigné comme l’ensemble des questions en discussion (QED). Comme son nom l’indique, l’ensemble de QED contient les questions (ou sujets) qui font l’objet de discussion dans la conversation. L’ensemble de QED est un type particulier d’ensemble qui « s’empile ». En général, un ensemble n’est qu’un groupe de choses : il n’y a pas d’ordre entre les éléments de l’ensemble. Or, une pile est un type particulier d’ensemble, dont la structure interne est plus importante que celle d’un ensemble ordinaire. Expliquons-la d’abord de manière métaphorique. Imaginez la pile de QED comme une pile de feuilles de papier portant une question chacune. Chaque fois que vous posez une question au cours d’une conversation, une « feuille » (une question, un problème à résoudre) est ajoutée sur le dessus de la pile.

Lorsque nous utilisons le terme ;problème dans ce contexte, nous ne lui attribuons aucune connotation négative. Le terme ;problème signifie simplement le sujet de discussion. Lorsque quelque chose est désigné comme ;problématique, cela signifie qu’il s’agit du sujet de discussion. ;Vous vous souvenez peut-être de ce terme que nous avons vu à la section 8.1.

La question principale de la pile est celle qui est en cours de discussion. Parfois, la question principale est appelée la QED, bien qu’il faille noter que la pile de QED elle-même est aussi souvent appelée « la QED ». Pour plus de clarté, nous désignerons cette pile comme « la pile de QED » dans ce manuel. Lorsque la question principale est résolue (c’est-à-dire qu’un des interlocuteurs a répondu à la question), ce problème est retiré de la pile. Évidemment, cela ne veut pas dire que vous avez une pile de feuilles pendant vos conversations! Il s’agit simplement d’une métaphore pour vous aider à comprendre cette théorie du discours et à mieux visualiser comment le sens illocutoire « interagit » avec une proposition.

Parfois, nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord au cours d’une conversation et la connaissance commune n’augmente pas. Peut-être que la QED est « Le café est-il meilleur que le thé? » et que les participants à la conversation ne parviennent pas à s’entendre à ce sujet. Cela signifie que ni l’énoncé « le café est meilleur que le thé » ni l’énoncé « le thé est meilleur que le café » n’est ajouté à la connaissance commune. Évidemment, chaque participant a le droit d’avoir ses propres croyances. Une telle situation suggère qu’il existe un autre type d’ensemble qui est propre aux croyances de chaque participant à la conversation. Nous pouvons utiliser le terme ensemble des engagements discursifs (ED) pour décrire ce type d’ensemble de chaque participant à la conversation (parfois également appelé ensemble des croyances publiques). Supposons que deux personnes soient en train de discuter : Aya et Bo. L’ensemble des engagements discursifs d’Aya est l’ensemble des propositions qu’Aya s’est publiquement engagée à considérer comme vraies. L’ensemble des engagements discursifs de Bo est l’ensemble des propositions que Bo s’est publiquement engagé à considérer comme vraies. Il y a autant d’ensembles d’engagements discursifs qu’il y a de participants à la conversation. Si chaque ensemble d’engagements discursifs est l’ensemble des choses que chaque participant à la conversation considère comme vraies, alors la connaissance commune peut être considérée comme l’intersection de tous les ensembles d’engagements discursifs dans le contexte (la théorie des ensembles encore une fois!). Par exemple, dans la conversation entre Aya et Bo, il y a des choses qu’Aya croit vraies et d’autres que Bo croit vraies : appelons ces ensembles EDA ;et EDB ;, respectivement. Prenons l’intersection de EDA ;et de EDB  : nous y trouvons ce que les deux croient être vrai, soit la connaissance commune.

En résumé, le contexte est le regroupement de tous les ensembles que nous venons de mentionner : la connaissance commune, la pile de QED et l’ensemble des engagements discursifs de chaque participant au discours.

Nous disposons désormais d’un ensemble d’outils pour parler du sens illocutoire et de ce que nous entendons par « faire » quelque chose lorsque nous produisons un énoncé. Le sens illocutoire consiste à prendre une proposition et à la placer quelque part dans un ou plusieurs de ces ensembles présents dans le contexte : la connaissance commune, la pile de questions en discussion ou un ensemble d’engagements discursifs. La question pertinente est donc de savoir où le morphème ASSERT place une proposition dans le contexte par rapport à l’endroit où le morphème INTERR la place dans le contexte. Cette question sera abordée dans les deux sections suivantes.

;


Vérifiez votre compréhension

Exercices à venir!


Références

Farkas, D. F., & Bruce, K. B. (2010). On reacting to assertions and polar questions. ;Journal of semantics, ;27(1), 81-118.

Ginzburg, J. (1996). Dynamics and the semantics of dialogue. ;Seligman, Jerry, & Westerst ahl, Dag (eds), Logic, language and computation, ;1.

Groenendijk, J., & Stokhof, M. (1991). Dynamic predicate logic. ;Linguistics and philosophy, 39-100.

Gunlogson, C. (2004). ;True to form: Rising and falling declaratives as questions in English. Routledge.

Hamblin, C. L. (1971). Mathematical models of dialogue. Theoria, ;37(2), 130-155.

Hamblin, C. L. (1973). Questions in Montague English. Foundations of Language, 10(1). 41–53.

Heim, I. (1982). The semantics of definite and indefinite noun phrases. University of Massachusetts, Amherst dissertation.

Heim, I. (2002). File change semantics and the familiarity theory of definiteness. ;Formal Semantics: The Essential Readings, 223-248.

Kamp, H. (1981). A theory of truth and semantic representation. Truth, Interpretation and Information, 1–41.

Kamp, H., Genabith, J. V., & Reyle, U. (2011). Discourse Representation Theory. In Handbook of Philosophical Logic ;(pp. 125-394). Springer, Dordrecht.

Roberts, C. (2012). Information structure: Towards an integrated formal theory of pragmatics. ;Semantics and Pragmatics, ;5, 6-1.

Stalnaker, R. C. (1978). Assertion. In ;Pragmatics ;(pp. 315-332). Brill.

Taniguchi, A. (2017). ;The formal pragmatics of non-at-issue intensification in English and Japanese. Michigan State University dissertation.

;

;

License

Icon for the Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License

Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

Share This Book