Chapitre 7 : Sémantique

7.6 Événements et rôles thématiques

 

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Jusqu’à présent, dans ce chapitre, nous avons discuté des divers types de sens et des différentes théories sur la manière dont le sens lexical s’articule dans notre esprit. Dans cette section, nous nous pencherons sur des phénomènes linguistiques qui mettent de l’avant notre compétence sémantique en tant qu’utilisateurs de la langue. Pour aborder le sens d’une perspective linguistique, il faut rechercher des modèles sémantiques. Voici quelques questions auxquelles nous répondrons en analysant la signification linguistique :

  1. Pourquoi cette combinaison de morphèmes est-elle formée adéquatement et pourquoi cette combinaison de morphèmes est-elle formée inadéquatement? Qu’est-ce que cela m’apprend sur la sémantique lexicale de ce mot? Quels sont les autres mots qui se comportent de cette façon? Par exemple, I drank the water (J’ai bu l’eau) semble correct, contrairement à I drank the ice (J’ai bu la glace); cela nous indique que le verbe drink exige que son argument objet soit liquide.
  2. Quelles sont les catégories sémantiques de la langue? Quelles sont les classes sémantiques des verbes? Quelles sont les classes sémantiques des noms? Quelles sont les classes sémantiques d’adjectifs?
  3. À quels types d’informations la signification linguistique est-elle généralement sensible?
  4. De quelles manières les paramètres sémantiques varient-ils d’une langue à l’autre?

Pour faciliter le suivi de la question 2, les sections suivantes sont organisées par catégories syntaxiques. La présente section (7.6) porte sur les verbes, la section 7.7 sur les noms et les sections 7.8 et 7.9 sur les adjectifs.

Comment devenir linguiste : Sens et inacceptabilité

Nous avons déjà vu que le symbole de l’astérisque * indique qu’une expression linguistique est mal formée sur le plan descriptif (agrammaticale). Par exemple, la phrase suivante est agrammaticale en anglais :

;

(1) *Karen made scarf the.

;

L’agrammaticalité de (1) est manifestement due à l’ordre des mots dans le SDét ;the scarf : l’anglais étant une langue à tête en position initiale, le déterminant doit précéder le syntagme nominal. Cette règle syntaxique est violée dans la phrase (1), laquelle est donc inacceptable sur le plan descriptif.

Lorsqu’une description erronée concerne le sens (plutôt que la syntaxe comme dans la phrase [1]), les linguistes utilisent parfois le dièse ou symbole #, comme dans la phrase (2).

;

(2) (Contexte : Mako danced a tango [a kind of dance].)

#Mako recited a tango.

(Sens de l’expression : « Mako performed a tango »)

;

(3) (Contexte : Tamara put her hands together quietly to meditate.)

#Tamara clapped.

(Sens de l’expression : « Tamara put her hands together »)

Les phrases (2) et (3) sont toutes deux syntaxiquement bien formées, mais elles sont inadéquates dans le contexte donné (c’est-à-dire que la phrase est syntaxiquement correcte, mais qu’il ne s’agit pas de quelque chose que l’on dirait dans ce contexte particulier). Le # indique ce type particulier d’anomalie linguistique. Notons toutefois que certains linguistes utilisent l’astérisque (*) de façon plus générale pour tous les types de violations descriptives qu’elles soient d’ordre syntaxique, sémantique, pragmatique ou phonologique. On utilise aussi le point d’interrogation (?) lorsque le jugement d’acceptabilité n’est pas tranché (par exemple, « pas trop mauvais, mais pas parfait non plus »).

Les phrases comme (2) et (3) sont utiles si vous essayez de comprendre le sens d’un mot. Pour déterminer le sens d’un mot, on commence par formuler une hypothèse sur la base d’observations. Supposons que vous observiez en anglais parlé que vous pouvez dire des choses comme Tamara clapped si Tamara est en train d’applaudir. À partir de là, nous émettons l’hypothèse que clap signifie « joindre les mains ». Voici le processus de réflexion : Ainsi, SI cette hypothèse est correcte, ALORS dans tout contexte où les mains se joignent simplement, comme dans l’exemple (3), vous devriez pouvoir utiliser le verbe clap. Mettons donc à l’essai cette hypothèse : dans un contexte comme celui du verbe ;clap, peut-on dire ;Tamara clapped? Je pense que beaucoup d’anglophones diraient non : c’est inadéquat dans ce contexte (d’où le signe dièse). Cette petite expérience suggère que notre hypothèse était erronée, et que clap ;a un sens plus large que le simple fait de joindre les mains. Quelle est, selon vous, la condition supplémentaire requise pour que l’on considère qu’une action correspond à ;clapping? (Voir « Vérifiez votre compréhension » à la fin de la présente section pour un exemple de réponse.)

La formulation et la mise à l’essai d’une hypothèse à l’aide de données, voilà en quoi consiste la réflexion d’un linguiste! Essayez de formuler une hypothèse sur le sens d’un mot, puis déterminez s’il existe des contre-exemples pour réfuter votre affirmation. Modifiez votre hypothèse pour tenir compte des contre-exemples. La répétition de ce processus vous permettra de mieux comprendre la sémantique lexicale de ce mot!

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;


Retour sur la syntaxe : Arguments et rôles thématiques

Dans le chapitre Syntaxe (chapitre 6), nous avons appris que certains verbes sont intransitifs, certains transitifs et d’autres bitransitifs. Il est question ici du nombre d’arguments que prend le verbe. Les phrases (4), (5) et (6) montrent respectivement un exemple de verbe intransitif, de verbe transitif et de verbe bitransitif. Le prédicat est en gras et les arguments sont soulignés.

(4) Dan ;blinked.
(5) Ida imitated Raj.
(6) Cristina gave Alan a lab report.

Révision de la syntaxe!

Prédicat : ;l’état, l’événement ou l’activité que la phrase attribue à son sujet. Peut être utilisé de deux manières : (i) pour référer à tout ce qui se trouve dans la phrase, à l’exception du sujet, ou (ii) pour référer uniquement au verbe, à l’adjectif ou au nom de tête dans le « prédicat » décrit au point (i).

Argument : les participants à l’événement ou à l’état décrit par le prédicat.

;

Nous avons tendance à penser aux verbes lorsque nous évoquons les prédicats, mais comme nous l’avons rappelé au point 7.2, les noms et les adjectifs peuvent également être utilisés de manière prédicative. En anglais, les noms et les adjectifs utilisés de manière prédicative sont suivis de la copule ;be.

(7) The artist is happy.
(8) Abhi is a student

De nombreux prédicats renvoient à un type d’événement. Les événements sont dynamiques : quelque chose est en train de se produire. Les phrases (9) et (11) décrivent des événements.

(9) Kat built a table.
(10) Nana ran.
(11) Ivan put the paper in the envelope.

Certains prédicats n’indiquent pas que quelque chose « se produit » : ;ce qui se passe est en fait beaucoup plus statif (non dynamique). Les phrases (12) et (14) décrivent des états.

(12) Leila knew the student.
(13) The poster hung on the wall.
(14) The interviewer had purple hair.

On peut distinguer les événements des états du fait qu’un événement peut être une réponse à la question « Que s’est-il passé? », ce qui n’est généralement pas le cas pour les états. Les phrases (15) et (16) illustrent ce principe.

(15) A : Que s’est-il passé? B : { Kat built a table. / Nana ran. / Ivan put the paper in the envelope. }
(16) A : Que s’est-il passé? B : { #Leila knew the student / #The poster hung on the wall. / #The interviewer had purple hair. }

On utilise le terme générique éventualité pour désigner à la fois les événements et les états. Les verbes semblent coder les types d’éventualités impliquées dans leur sens.

Rappelons également que les participants aux éventualités jouent différents rôles en fonction de la nature du prédicat. Cela signifie que les informations lexicales des verbes ne spécifient pas seulement le nombre d’arguments auxquels ils sont liés, mais aussi le rôle de ces arguments. Il s’agit de rôles thématiques. Voici une liste des rôles thématiques présentés dans le chapitre Syntaxe :

  • Agent : les agents sont des acteurs animés qui font des choses volontairement.
  • Cause : généralement inanimés (non vivants), elles provoquent des événements, mais sans agir intentionnellement.
  • Thème : le participant touché par l’événement peut être modifié par l’événement.
  • Instrument : la chose qu’un agent utilise pour accomplir une action. (Souvent, mais pas nécessairement, avec un SP.)
  • Lieu : le lieu où se déroule l’événement.
  • Ressenteur : un participant animé qui fait l’expérience d’un état mental, y compris de perceptions (voir, entendre, etc.).
  • Objectif : le lieu ou l’endroit qui reçoit le thème.

Le mythe de la langue!

On vous a peut-être appris que « le sujet fait l’action et que l’objet subit l’action » avant de suivre des cours de linguistique. C’est faux! Souvenez-vous du chapitre Syntaxe, le sujet et l’objet sont des notions structurelles : le sujet est la position du spécificateur du ST, et l’objet du verbe est le complément du verbe. Rappelez-vous que dans les constructions ;passives comme « The document was written by Hong-Yan », le sujet est le document, et pas du tout « l’auteur de l’action »!

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Éventualités, implications et conjonctions

Que nous apprennent les rôles thématiques sur le sens des verbes? Examinons la phrase suivante :

(17) The chef lifted the egg with the spatula.

Cette phrase ;implique plusieurs choses :

  1. Il y a eu un événement de « lifting »;
  2. La construction était le thème de cet événement;
  3. La spatule était l’instrument de cet événement;
  4. Le chef était l’agent de cet événement.

Ce modèle d’implication est semblable aux implications des phrases coordonnées par la conjonction and :

(18) The big cat stole a treat and the small cat meowed

(18) implique ce qui suit :

  1. The big cat stole a treat;
  2. The small cat meowed.

Sur la base de cette similitude, nous pouvons aussi analyser la sémantique lexicale de ;lift comme impliquant également « and » (conjonction). ; En rassemblant toutes ces observations, nous pouvons proposer que la sémantique lexicale de lift spécifie les participants dont cet élément a besoin dans l’événement, et que cela s’exprime de manière conjonctive. En utilisant des variables (rappelons la section 7.3), nous pouvons exprimer le sens de lift de cette manière (on appelle parfois ce type de représentation sémantique qui fait référence à des événements la sémantique événementielle) :

(19) Il y a un événement ;« e » &
« e » est un événement de « LIFTING » &
x est le THÈME de « e » &
y est l’INSTRUMENT de « e » &
z est l’AGENT de « e ».
En sémantique et logique
,

« & » est un symbole logique qui exprime la conjonction : il signifie « et ». Vous connaissez peut-être ce symbole, car on l’utilise souvent dans la vie quotidienne en dehors des mathématiques, de la logique et de la linguistique. Vous pouvez également voir les symboles ∧ ou – pour la conjonction logique; ils ont le même sens que &.

;

N’oubliez pas que les variables sont des substituts. L’idée est que chaque argument de la phrase (13) remplit, ou ; sature, ces positions d’argument représentées par les variables. Supposons que les positions d’argument soient saturées dans l’ordre où elles apparaissent dans la phrase (15) : x est donc rempli en premier, puis y, et enfin z. À titre de rappel, la structure syntaxique de cette phrase ressemble à la structure de celle de la figure 7.12. Voyons ce qui se passe lorsque le sens de lift se combine avec le sens des arguments dans cette phrase. Supposons que ;the egg renvoie à un œuf particulier auquel nous faisons référence dans le discours, que ;the spatula est également une spatule particulière et que ;the chef est un chef particulier qui a été mentionné dans le discours.

[. ST [. SDét {the chef}] [. T’ T\\+passé [. SV [. V’ [.V’ V\\lifted [.SDét the egg ] ] [.SP with the spatula ] ] ] ] ]

Figure 7.12. La structure de la phrase ;The chef lifted the egg with the spatula.

Dans un premier temps, le verbe se combine avec son objet. Lorsque le verbe fusionne avec son objet the egg, le sens de ;the egg va dans le x. Cela donne le syntagme verbal ;lifted the egg, dont le sens est le suivant :

(20) Il y a un événement ;« e » ; &
« e » est un événement de « LIFTING » &
l’œuf ;est le THÈME de « e » &
y est l’INSTRUMENT de « e » &
z est l’AGENT de « e ».

Ce syntagme verbal fusionne ensuite avec le syntagme prépositionnel ;with the spatula, et le sens de ;the spatula ;va dans y :

(21) Il y a un événement ;« e » ; &
« e » est un événement de « LIFTING » &
l’œuf ;est le THÈME de « e » &
la spatule ;est l’INSTRUMENT de « e » &
z est l’AGENT de « e ».

Enfin, le syntagme verbal ;lift the egg with the spatula se confond avec le SDét sujet ;the chef (nous ne tiendrons pas compte du temps pour garder les choses simples). Le sens de ;the chef va dans z :

(22) Il y a un événement ;« e » ; &
« e » est un événement de « LIFTING » &
l’œuf ;est le THÈME de « e » &
la spatule ;est l’INSTRUMENT de « e » &
the chef ;est l’AGENT de « e ».

Cela nous donne le sens complet de ;The chef lifted the egg with the spatula, et nous fournit le modèle d’implication que nous avons vu à la phrase (17), en raison de la conjonction qui fait partie du sens lexical de lift.

En résumé, pour analyser ce qui se passe avec les rôles thématiques des arguments dans les phrases, nous pouvons notamment avancer que les rôles thématiques sont spécifiés dans le sens de base des verbes.

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Vérifiez votre compréhension

 

Un élément interactif H5P a été exclu de cette version du texte. Vous pouvez le consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais :
https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=819#h5p-73


Références

Kearns, K. (2011). ;Semantics. Basingstoke: Palgrave Macmillan.

Davidson, D. (1967). The logical form of action sentences. Dans N. Rescher, ed. ;The Logic of Decision and Action. Pittsburgh, PA; University of Pittsburgh Press. 81-120.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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