Chapitre 7 : Sémantique

7.4 Le lexique mental

 

Un ou plusieurs éléments interactifs ont été exclus de cette version du texte. Vous pouvez les consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais : https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=806#oembed-1


Dans les chapitres précédents, nous avons examiné certaines des régularités qui s’opèrent dans la langue, soit des schémas prévisibles basés sur des règles. Par exemple, en anglais, le pluriel -s /z/ se transforme en [ɨz] à la suite des consonnes sifflantes (= à haute fréquence, produisant un son sifflant). ;Il s’agit d’un schéma régulier, car si un nom dénombrable se termine par une consonne sifflante, nous pouvons prédire que le pluralisateur sera ;[ɨz]. Nous pouvons associer la régularité à la prévisibilité : si quelque chose est prévisible, il s’agit d’une règle régulière. Imaginez qu’une nouvelle boisson appelée Loquesh [lowkwɛʃ] a été inventée au Canada. Même si vous n’avez probablement jamais entendu ce mot de votre vie, vous pouvez prédire que si nous le pluralisions en utilisant la morphologie plurielle anglaise régulière, il se prononcerait [lowkwɛʃɨz] et non *[lowkwɛʃz] ou *[lowkwɛʃs]. Les règles régulières que vous avez en mémoire font partie de la grammaire de l’utilisateur de la langue (ou grammaire mentale; voir le chapitre 1). ;

Cependant, certains éléments de la langue ne sont pas prévisibles de cette manière. Il existe des éléments irréguliers. Prenons l’exemple du morphème goose en anglais. Le fait que le flux de sons [ɡuws] (goose) fasse référence à un grand oiseau aquatique au long cou n’est pas un schéma prévisible en anglais. Comme nous l’avons vu au chapitre 1, ce lien entre la prononciation et le sens est arbitraire. Ce n’est pas que le son [ɡ] signifie « long cou », [uw] signifie « eau », [s] signifie « bec », etc. : nous utilisons simplement cette combinaison de sons pour désigner cet animal en anglais. Si le lien entre le son et le sens était significatif, nous nous attendrions à ce qu’une même séquence de sons soit utilisée dans toutes les langues pour désigner « goose », ce qui n’est évidemment pas le cas. Par exemple, en ojibwé, on utilise nika [nika], et en français, oie [wa]. Les correspondances entre signe et sens des morphèmes sont des irrégularités dans la langue, car vous devez simplement mémoriser le fait que dans votre communauté linguistique, certaines séquences de sons ou de signes ont des significations particulières. Ces irrégularités – les éléments qui ne peuvent être prédits par des règles – sont emmagasinées dans votre lexique, lequel fait partie de votre grammaire mentale ou de votre compétence linguistique.

Petit rappel en matière de morphologie

Un morphème libre est un morphème qui peut exister indépendamment en tant que mot. Un ;morphème lié est un morphème qui ne peut pas exister indépendamment en tant que mot.

Le lexique (parfois appelé lexique mental dans ce contexte) correspond au stockage mental des informations linguistiques d’un utilisateur de la langue qui ne peuvent pas être saisies par des règles. Cela signifie donc que l’utilisateur stocke dans son lexique des unités linguistiques dont le sens ne peut être prédit à partir de leurs parties constitutives. Le sens qui ne peut être prédit à partir de ses parties constitutives est un sens non compositionnel. Par exemple, les morphèmes libres comme goose, luck et go en anglais ont un sens non compositionnel; vous ne pouvez pas décomposer leur sens en parties plus petites. Ils sont donc stockés dans le lexique. Les affixes ont également un sens non compositionnel, de sorte que les morphèmes comme -s, -ly, un-, -er, etc. sont également stockés dans le lexique.

Les idiomes sont également stockés dans le lexique. Over the moon est un exemple d’expression idiomatique : il s’agit d’une séquence de mots qui a un sens précis, mais dont le sens n’est pas compositionnel. Lorsqu’une personne dit qu’elle est over the moon, celle-ci ne se trouve probablement pas littéralement au-dessus de la lune; en anglais nord-américain, cela signifie que cette personne est extrêmement heureuse. Comme cette signification idiomatique de over the moon ne se décompose pas selon les sens distincts de over, de the et de moon, le sens de cette expression idiomatique n’est pas compositionnel. Il est important de se rappeler que différentes communautés linguistiques ont des syntagmes idiomatiques différents. En anglais nord-américain, ;piece of cake est une expression idiomatique qui signifie « facile ». Cependant, si vous dites en japonais ke:ki hito-kire ; (littéralement « piece of cake » en anglais) avec l’intention de ; dire que quelque chose est facile, vous n’aurez pas de succès. Un Japonais pourra toutefois utiliser l’expression asameshi-mae (littéralement « before breakfast » en anglais) pour exprimer que quelque chose est facile. En langue des signes américaine, TRAIN GONE SORRY (comme nous pouvons le voir ci-dessous) est une expression idiomatique qui signifie à peu près « you missed what was said, and I’m not going to repeat it » (vous avez manqué ce qui a été dit, et je ne vais pas le répéter). En français, l’expression les carottes sont cuites ; signifie « c’est trop tard, il n’y a plus rien à faire ». Dans chaque communauté linguistique, il existe différents idiomes. ;

;

;

Le contenu suivant est en anglais.

Figure 7.4. TRAIN GONE SORRY (langue des signes américaine)

;

En suivant le même raisonnement que pour les expressions idiomatiques, il est possible d’affirmer que les composés non compositionnels, tels que hotdog (non compositionnel parce que hotdog ne signifie pas « a dog that is hot » [un chien qui est chaud]), sont également stockés dans le lexique. Les composés compositionnels comme dog leash ne sont probablement pas stockés dans le lexique : dog aurait sa propre entrée et leash aurait une entrée distincte.

Des mots tels que skater, unluckily, reclassify et d’autres mots multimorphiques ne sont pas non plus stockés dans le lexique. Ces mots ont un sens compositionnel, car leur sens est prévisible à partir de leurs parties constitutives : skate et ;-er pour skater; un-, luck, -y, et -ly pour ;unluckily, et ;re-, class, ; et -ify pour ;reclassify. ; L’idée est que vous n’avez pas besoin de « mémoriser » ce que signifie ;unluckily ;. Vous mémorisez ce que signifie un-, ce que signifie luck, ce que signifie -y et ce que signifie -ly séparément, puis les règles morphosyntaxiques de la grammaire les combinent pour former unluckily (malheureusement). De même, les syntagmes et les phrases ayant un sens compositionnel ne sont pas stockés dans le lexique. Par exemple, un syntagme comme ;over the candle ; (comme dans ; I placed a jar over the candle [J’ai placé un pot au-dessus de la bougie]) n’est pas stocké dans le lexique, à moins qu’il ne s’agisse d’une expression idiomatique dans cette communauté linguistique. ;

Nous utiliserons le terme listème (« listeme » en anglais) pour désigner tout ce qui a une entrée lexicale dans le lexique. Il s’agit d’un terme générique qui englobe les morphèmes, les expressions idiomatiques et certains composés. Nous les appelons listèmes parce qu’ils sont listés dans le lexique. Chaque listème du lexique possède une entrée lexicale qui contient les informations phonologiques, syntaxiques et sémantiques de l’expression linguistique. Ainsi, dans l’entrée lexicale de goose, nous trouvons la prononciation (/guws/), la catégorie syntaxique (nom) et, bien sûr, la signification, ou le sens de ce listème. ;

Notez que le lexique mental n’est pas comme un dictionnaire au sens propre, de sorte que certains éléments que vous trouvez dans une entrée de dictionnaire ne se trouvent pas nécessairement dans une entrée lexicale. Par exemple, si une langue possède un système d’écriture, certains utilisateurs de cette langue peuvent savoir comment les mots sont orthographiés. Cependant, vous n’avez pas à connaître l’orthographe pour être un utilisateur de la langue. Avez-vous déjà parlé à un enfant de cinq ans? Les enfants sont eux aussi des utilisateurs de la langue! Il est tout à fait possible qu’un enfant utilise des mots avec précision dans une conversation sans en connaître l’orthographe. C’est pourquoi nous n’aborderons pas l’orthographe en tant que partie de la connaissance lexicale dans ce chapitre. De même, vous ne connaissez pas nécessairement l’étymologie du listème même si vous « connaissez » le listème. Si vous êtes un passionné de l’histoire des mots, vous savez peut-être que goose vient du vieil anglais gōs, mais un enfant de cinq ans ne le saurait certainement pas (beaucoup d’adultes non plus d’ailleurs!). Contrairement à la phonologie, à la syntaxe et à la sémantique, l’étymologie n’est pas quelque chose que vous assimilez naturellement lorsque vous apprenez un nouveau mot. Pour cette raison, nous exclurons également l’étymologie lors de notre examen de la connaissance lexicale dans ce chapitre.

Certains linguistes affirment que les formes fléchies irrégulières des mots sont également stockées dans le lexique. Par exemple, le passé du verbe go (aller) n’est pas *goed, mais plutôt went. Le pluriel de goose est geese, et non *gooses. Puisque des expressions comme went et geese correspondent à des schémas irréguliers qui doivent être mémorisés, nous pouvons supposer qu’elles ont également leur propre entrée lexicale dans le lexique.

En résumé, le lexique est le stockage des irrégularités d’une langue. Chaque entrée lexicale est accompagnée des informations phonologiques, syntaxiques et sémantiques d’un listème. Cela nous amène à poser la question fondamentale de ce chapitre : qu’est-ce qui constitue la sémantique d’une entrée lexicale? Quelle est la nature même du sens d’un mot? Nous entamerons l’examen de cette question dans la section suivante.

;

Comment devenir linguiste : Le lexique de qui?

Il est important de se rappeler que, même au sein d’une communauté linguistique, le lexique d’un utilisateur pourrait différer de celui d’un autre utilisateur. Par exemple, mon frère et moi parlons tous les deux japonais, mais il connaît certains mots que je ne connais pas, et vice versa. Cependant, lorsque je compare mon lexique japonais à celui de mon frère, il y a suffisamment de recoupements pour que nous puissions communiquer l’un avec l’autre. En tant que personne d’origine japonaise-américaine ayant grandi en parlant à la fois le japonais et l’anglais américain, je remarque parfois que certains mots dans mon lexique anglais américain ont une signification différente de celle des autres locuteurs de l’anglais américain. Il m’est arrivé que des gens me regardent avec étonnement parce que je parlais de feux bleus pour désigner les feux de circulation verts au Canada. ;Ao ;en japonais se traduit généralement par « bleu » et, dans la plupart des cas, il désigne la même teinte que le mot anglais ;blue. Toutefois, ;ao est également utilisé pour décrire des objets « verts », comme les feux de circulation, les pommes vertes et les légumes. C’est pourquoi j’ai eu le réflexe d’utiliser blue en anglais pour parler des feux de circulation. Il est tout à fait possible que ma représentation lexicale du mot anglais blue ; ne soit pas la même que celle de nombreux Américains. Il est également possible que toutes les personnes qui savent parler le japonais et l’anglais n’aient pas la même représentation que moi! Cela signifie-t-il que j’ai stocké dans ma mémoire le « mauvais » sens de blue? Je ne pense pas que ce soit le cas. En fait, ;blue ; a un certain sens dans mon ;idiolecte. Dans le présent chapitre, nous utilisons des données linguistiques communément admises pour faire des inférences sur le sens lexical à un niveau général. Ainsi, dans ce manuel, vous ne trouverez pas d’analyse concernant le fait que blue en anglais peut aussi signifier « green » en anglais ;. Cependant, nous jugeons important de reconnaître explicitement qu’il existe des variations sémantiques, tout comme il existe des variations phonologiques, syntaxiques et morphologiques. Par exemple, dans ce chapitre, je pourrais dire que l’énoncé « she is very alive » ;est bien formé sur le plan descriptif en anglais canadien, mais il est tout à fait possible que certaines personnes le trouvent mal formé dans leur dialecte ou idiolecte. Lorsque des variations sémantiques sont particulièrement répandues, des remarques viendront le préciser. Cependant, en général, il est important de comprendre que vos jugements peuvent différer et que votre idiolecte est tout à fait valable. Lorsque vous serez en présence d’une variation sémantique, nous espérons que vous mettrez vos compétences linguistiques en pratique et que vous poserez des questions comme « En quoi mon idiolecte ou dialecte diffère-t-il de celui présenté ici sur le plan descriptif? », « Dans quelle mesure le sens peut-il varier d’une langue à l’autre? » et « Que cela peut-il nous apprendre sur la manière dont le sens peut évoluer au fil du temps? ». L’objectif de ce chapitre est de mettre en lumière des schémas sémantiques intéressants au sein des langues et entre elles plutôt que de décrire le lexique d’une personne en particulier ou le sens d’un mot donné.

;

;


Vérifiez votre compréhension

 

Un élément interactif H5P a été exclu de cette version du texte. Vous pouvez le consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais :
https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=806#h5p-66


Références

Harley, H. (2017). ; English words: A linguistic introduction. John Wiley & Sons.

Murphy, M. L. (2010). ;Lexical Meaning. Cambridge University Press.

License

Icon for the Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License

Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

Share This Book