Chapitre 7 : Sémantique

7.2 Compositionnalité : pourquoi ne pas se limiter à la syntaxe?

 

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Examinons la phrase suivante :

(1) « The raccoon clothing store was doing a photo contest so I submitted a picture of a Toronto raccoon wearing a bright pink bandana with lime green polka dots on it. » (La boutique de vêtements pour ratons laveurs organisait un concours photo, alors j’ai soumis une image d’un raton laveur de Toronto portant un bandana rose vif avec des pois vert lime.)

Vous n’avez probablement jamais entendu une telle phrase de votre vie, mais vous êtes capable de la comprendre et d’en saisir le sens. Vous la comprenez parce que vous connaissez la signification de chaque morphème qu’elle contient et que vous parvenez à en dégager le sens dans son ensemble en combinant ces significations. C’est ce qu’on appelle le principe de la compositionnalité : la signification d’une unité linguistique complexe résulte des significations individuelles de ses sous-parties et de la manière dont ces sous-parties ont été combinées. Cela signifie que le sens d’une phrase est déterminé par le sens des mots qu’elle contient et par la façon dont ces mots ont été assemblés. Cela signifie également que le sens d’un mot multimorphémique est déterminé par la signification des morphèmes qu’il contient et par la manière dont ils ont été assemblés. Par exemple, le sens du mot unhelpfulness est la combinaison de la signification de un-, help, -ful et -ness, regroupés en tant que [ un- [ help -ful ] ] -ness ].

[. ST [. SDét [. Dét’ Dét\\that [.SN [. N’ [. SAdj [. Adj' Adj.\\fluffy ] ] [. N’ N\\cat ] ]]]] [. T’ T\\will [.SV [.V’ V\\chase [.SDét [.Dét’ Dét\\the [.SN [. N’ N\\raccoon ]]]]]]] ]

Figure 7.3. Structure syntaxique pour That fluffy cat will chase the raccoon.

La compositionnalité ne repose pas seulement sur les éléments linguistiques que l’on assemble : elle repose également sur la manière dont on les assemble. Cela est pertinent pour la notion de constituance ou de cohésion, étudiée au chapitre 6 (Syntaxe). Par exemple, selon le principe de compositionnalité, le sens de la phrase That fluffy cat will chase the raccoon est la combinaison du sens des mots that, fluffy, cat, will, chase, the et raccoon. Nous avons appris au chapitre 6 qu’il ne suffit pas d’enfiler ces mots comme les perles d’un collier pour former une phrase : la composition d’une phrase se fait de manière plus systématique, avec de plus petites sous-structures à l’intérieur. Par exemple, that fluffy cat et the raccoon sont des unités syntaxiques, ou constituants dans cette phrase. That fluffy cat will ;n’est pas un constituant de cette phrase, mais chase the raccoon en est un. Selon cette syntaxe (voir la figure 7.3), nous pouvons analyser que les sens des mots se combinent également de la même manière structurée. Le sens de the et raccoon se combinera d’abord, puis le sens de the raccoon se combinera avec le sens de chase et ainsi de suite. Gardez cela à l’esprit en lisant ce chapitre. Si vous avez besoin de vous rafraîchir la mémoire à propos de la syntaxe, vous pouvez relire le chapitre 6 (Syntaxe) avant d’aborder le reste du présent chapitre. Ce chapitre tient pour acquis que vous avez déjà étudié le chapitre 6 (Syntaxe).

Nous venons d’expliquer que la compositionnalité concerne la manière dont les éléments linguistiques sont assemblés. Comme nous avons abordé cette notion en détail au chapitre 6 (Syntaxe), vous vous demandez peut-être en quoi ce chapitre sur la sémantique est différent. Dans une large mesure, la syntaxe et la sémantique vont de pair. Si deux mots forment une unité syntaxique, nous pouvons supposer qu’ils forment également une unité sémantique, et vice versa. Par exemple, dans notre phrase That fluffy cat will chase the raccoon, fluffy et cat forment une unité syntaxique : il s’agit d’un syntagme nominal. Fluffy cat est également une unité sémantique : le sens du mot fluffy nous fournit de l’information sur le type de chat dont il est question. Dans ce cas, pourquoi devons-nous parler de composition sémantique alors que nous avons déjà parlé de composition syntaxique? En d’autres mots, nous savons qu’un adjectif et un nom forment une unité (SN), qu’un déterminant et un syntagme nominal forment une unité (SDét), qu’un verbe et un syntagme déterminatif peuvent former une unité (SV) et ainsi de suite, alors que reste-t-il à dire sur la compositionnalité? Si nous connaissons la syntaxe, la sémantique ne s’ensuit-elle pas naturellement?

La réponse est « non, pas nécessairement ». Il y a des cas dans la langue où la catégorisation syntaxique d’une expression linguistique ne prédit pas tout sur la sémantique de celle-ci. Penchons-nous maintenant sur les syntagmes déterminatifs (SDét), par exemple, a scientist en (2) et (3) :

(2) Vera greeted a scientist.
(3) Vera became a scientist.

D’un point de vue syntaxique, a scientist est un SDét en (2) et en (3). Cependant, ce n’est pas parce que les deux exemples ont la même forme syntaxique que leur sémantique est la même : a scientist en (2) n’a pas le même sens que a scientist en (3). Le sens de a scientist en (2) est d’ordre référentiel : il fait référence à une scientifique existante. Si cette scientifique s’appelle Gladys, le sens en (2) équivaut à Vera greeted Gladys (Vera a salué Gladys). A scientist en (3) n’est pas référentiel; dans ce cas, il ne désigne pas une scientifique existante. A scientist en (3) est d’ordre prédicatif : il exprime une propriété à l’égard du sujet qui, dans ce cas, est Vera. Les adjectifs sont souvent prédicatifs et sont également parfois utilisés dans une construction comme celle en (3), par exemple « Vera became cheerful » (Vera est devenue enjouée). En anglais, les phrases contenant un SDét référentiel peuvent être transformées à la forme passive comme en (4), ce qui n’est pas le cas pour les phrases contenant un SDét prédicatif, comme en (5) (Williams 1980, 1983).

(4) A scientist was greeted by Vera.
(5) * A scientist was become by Vera.

L’intérêt de ces exemples tient du fait que nous pourrions nous attendre à ce que la phrase en (5) soit grammaticale étant donné la syntaxe de a scientist : après tout, il s’agit toujours d’un SDét. Cependant, en réalité, la phrase en (5) est agrammaticale. De toute évidence, cette agrammaticalité n’est pas attribuable à la syntaxe de a scientist : nous savons que certains SDét peuvent être le sujet d’une construction passive, comme le montre l’exemple en (4). C’est plutôt le sens du SDét qui est à l’origine de l’agrammaticalité en (5) : Les SDét dont le sens est prédicatif ne peuvent pas être transformés à la forme passive. Cet exemple montre l’importance du sens d’une expression linguistique dans la langue, au-delà de la syntaxe.

Il existe également des cas dans la langue où l’inverse est vrai : nous pourrions nous attendre à ce qu’une construction soit grammaticale en raison de la sémantique de l’expression, mais elle se révèle être agrammaticale en raison de la syntaxe. Examinons maintenant les prépositions before et during dans les phrases (6) et (7), respectivement.

(6) Alan sneezed before { the meeting with his student / the race / the party / the event }.
(7) Alan sneezed during { the meeting with his student / the race / the party / the event }.

Sur la base de ces données, les prépositions before et during semblent compatibles sur le plan sémantique avec des expressions qui font référence à un événement quelconque. Pour ce qui est de before, le type syntaxique de l’événement ne semble pas avoir d’importance. Par exemple, il pourrait y avoir une proposition complète (ST/SC) comme objet :

(8) Alan sneezed before { he met with his student / he raced / he partied / he attended the event }.

La préposition during est plus complexe sur le plan syntaxique. Elle n’admet pas de complément propositionnel :

(9) * Alan sneezed during { he met with his student / he raced / he partied / he attended the event }.

Le SDét the meeting with his student et la phrase he met with his student renvoient tous deux sémantiquement à l’événement « Alan meeting with his student », mais il s’agit d’unités syntaxiques différentes. La phrase en (9) représente une instance linguistique où la sémantique ne suffit pas pour expliquer les schémas descriptifs; la syntaxe a manifestement son importance.

En résumé, la syntaxe est certes importante lorsqu’il s’agit de déterminer la manière dont les phrases sont composées, mais il est également important d’examiner la sémantique séparément.


Vérifiez votre compréhension

 

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Références

Williams, E. (1980). Predication. ; Linguistic Inquiry, ; 11(1), 203-238.

Williams, E. (1983). Semantic vs. syntactic categories. ;Linguistics and Philosophy, 423-446.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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