Chapitre 6 : Syntaxe
6.15 Arbres : phrases en tant que syntagmes temporels
Jusqu’à présent, nous avons appliqué la théorie X-barre à différents types de syntagmes. Cependant, en ce qui concerne les phrases, nous avons simplement utilisé l’étiquette « P » jusqu’à maintenant, comme dans la figure 6.10.
Si un « syntagme » est une chaîne de mots qui forment un constituant, les phrases sont aussi des syntagmes – et la théorie X-barre exige que tous les syntagmes aient des têtes. Voilà une hypothèse que nous ne voulons pas abandonner à moins d’avoir la preuve qu’elle est incorrecte.
Quelle serait la tête de la phrase?
Rappelons que nous avions une règle syntagmatique pour les phrases comme la suivante :
- P → SN (Aux) SV
Cette règle permet aux phrases d’inclure un auxiliaire entre le SN sujet et le SV prédicat, comme dans la figure 6.11 :
Cet arbre pose deux problèmes du point de vue de la théorie X-barre : non seulement la phrase (P) n’a pas de tête, mais l’auxiliaire est une tête sans syntagme! Nous pourrions simplement placer l’auxiliaire dans un syntagme auxiliaire, comme nous l’avons fait pour les déterminants, les adverbes de degré, etc. Cependant, une autre option s’offre à nous : nous pouvons résoudre à la fois l’absence de syntagme pour l’auxiliaire et l’absence de tête pour la phrase en analysant l’auxiliaire lui-même comme la tête du syntagme.
Qu’en serait-il s’il n’y avait pas d’auxiliaire? Toutes les phrases sont-elles des SAux? Non. En réalité, les auxiliaires en anglais sont toujours conjugués en fonction du temps. Même en l’absence d’un auxiliaire, nous observons la présence de la marque de temps sur le verbe principal, et dans les propositions non finies, le marqueur non fini to prend la place d’un auxiliaire.
Sur cette base, la théorie X-barre veut que les phrases ne soient pas des syntagmes auxiliaires, mais plutôt des syntagmes temporels (ST). Le temps représente la finitude; les phrases, lorsqu’elles sont indépendantes, sont toujours finies, ce qui signifie qu’elles ont un temps verbal.
Cet exemple dont les détails techniques de la théorie X-barre sont plus poussés nous incite à examiner les phrases et à nous demander si elles sont des projections d’une certaine catégorie, comme le sont tous les autres syntagmes. En fait, un ST est un syntagme parfaitement adéquat du point de vue de la théorie X-barre, car il contient toujours un spécificateur (le sujet) et un complément (le prédicat).
Quels éléments la catégorie T comprend-elle?
- Les auxiliaires modaux (will, would, can, could, may, might, shall, should, must)
- Les auxiliaires non modaux (be, have, do)
- Le marqueur non fini to
- Les caractéristiques des temps abstraits ([+PASSÉ] pour le passé, [– PASSÉ] pour le présent)
Ainsi, la version finale de l’arbre pour The robot will repair the spaceship est celle de la figure 6.13, et la version finale de l’arbre pour The robot repaired the spaceship (sans auxiliaire) est celle de la figure 6.14.
Qu’en est-il des langues sans temps de verbe?
Il existe différentes options! Nous pourrions affirmer que les langues qui ne requièrent pas de temps – par exemple, le mandarin ou le cantonais – n’ont pas de phrases qui
sont des ST, mais qui relèvent plutôt d’une autre catégorie. (Quelles sont les options plausibles?)
L’autre option consiste à supposer que même si nous n’exprimons pas le temps dans toutes les langues, il existe néanmoins un élément abstrait qui fait qu’une phrase est une phrase – un élément qui rend l’idée de « finitude ». Ainsi, même si cela n’a pas la même signification que le temps en anglais, il y a un élément qui accomplit le même travail grammatical en ancrant une proposition et en liant le sujet et le prédicat ensemble.
Cette deuxième option est largement admise pour le type de théorie syntaxique que nous étudions dans ce cours (descendante de la théorie X-barre). L’étiquette « syntagme de flexion » (SF) est parfois utilisée. Cependant, l’étiquette « ST » est également utilisée de manière courante même si l’on suppose que le contenu sémantique de ce syntagme fonctionnel peut varier.
Théorie X-barre et variation linguistique : position de la tête
Nous avons vu à la section 6.3 que les langues peuvent varier systématiquement en ce qui concerne l’ordre des mots de base et avons caractérisé certaines différences sur le plan de l’ordre relatif des têtes et de leurs compléments.
Nous pouvons très facilement encoder cette analyse dans la théorie X-barre en apportant un simple changement au modèle X-barre des langues des deux types.
Rappelons la forme de base des syntagmes de plusieurs catégories en anglais qui est illustrée dans les arbres de la figure 6.15.
(1) | a) | I [SV ate V [SN ; an apple ]. |
b) | [SP to P [SN ;Toronto ] | |
c) | [SN picture N [SP ; of a robot ] |
Contrairement à l’anglais, le japonais utilise strictement l’ordre « sujet-objet-verbe ». En japonais, les têtes suivent toujours leurs compléments, à l’inverse de l’ordre que nous trouvons en anglais.
La théorie X-barre nous permet d’affirmer que les syntagmes en japonais ont la
même structure que les syntagmes en anglais, mais dans un ordre différent.
Plus précisément, en japonais, les compléments sont toujours les frères ou sœurs de leurs têtes, mais ils précèdent la tête au lieu de la suivre, comme l’illustrent les exemples en (2) dans la figure 6.16.
(2) | a) | Watasi-wa | [SV | ringo-o | tabe-ta. | ] |
I-SUJET | apple-ACC | eat-PASSÉ | ||||
« I ate (an) apple. » | ||||||
b) | [SP | Tokyo | e | ] | ||
Tokyo | to | |||||
« to Tokyo » | ||||||
c) | [SN | robotto | no | shasin | ] | |
robot | of | picture | ||||
« picture of (a) robot » |
Si nous dessinons un arbre pour le japonais, nous étendrons ce modèle au ST, ainsi qu’à tous les autres syntagmes que nous avons étudiés, comme le montre la figure 6.17.
Lorsque vous dessinez un arbre pour une autre langue, il est important que les mots soient placés dans le bon ordre si vous les lisez à partir du bas de l’arbre. Si vous analysez une langue inconnue et que vous devez déterminer l’ordre des mots, il faut d’abord vous demander s’il s’agit d’une tête en position initiale ou finale.
Contrairement aux compléments, les spécificateurs ne présentent pas la même variation. Ils précèdent toujours leurs compléments, dans toutes les langues connues.
En analysant une nouvelle langue, l’hypothèse de départ est que toutes les relations structurelles sont les mêmes, mais que l’ordre linéaire et la distribution des têtes fonctionnelles silencieuses peuvent être différents. À partir de la section 6.19, nous aborderons également la possibilité pour les langues d’avoir différents types de déplacements.