Chapitre 6 : Syntaxe

6.8 Questions de contenu en proposition principale

Jusqu’à présent, nous avons uniquement abordé les questions auxquelles nous pouvons répondre par oui ou non dans une langue comme l’anglais.

(1) Is it snowing? (Question par oui ou non dans la proposition principale)
(2) They asked if it’s snowing. (Question par oui ou non enchâssée)

;

Les langues n’ont pas toutes des mots qui correspondent à « oui » et à « non »! Dans de nombreuses langues, la façon de répondre à une question par oui ou non consiste à répéter le verbe avec ou sans négation. Pour répondre à la question « Is it raining? », par exemple, nous pourrions dire Is ou Isn’t. C’est notamment le cas en mandarin et en irlandais.

Les questions par oui ou non demandent simplement si une chose est ou n’est pas le cas. Toutefois, nous pouvons poser des questions plus complexes, en demandant des informations précises sur une partie de la phrase. Par exemple :

(3) When was it snowing? (question sur le temps)
(4) Where is it snowing? (question sur le lieu)

Il s’agit de questions de contenu; en anglais, elles sont souvent appelées WH-questions parce qu’elles comprennent des mots interrogatifs qui commencent par les lettres « wh » (who, what, where, when, why, which et how, qui ne commence pas par « wh », mais qui contient ces deux lettres). Ces mots sont traditionnellement appelés pronoms interrogatifs; dans ce chapitre, nous les appellerons simplement mots interrogatifs de contenu. En linguistique, l’étiquette « WH-questions » est souvent utilisée de manière générale pour d’autres langues. Cependant, dans ce manuel, nous préférons utiliser l’expression « questions de contenu », car les mots concernés ne commencent pas tous par « WH » dans d’autres langues.

Dans de nombreuses langues, les mots interrogatifs de contenu ont tendance à commencer par des sons semblables. En français par exemple, beaucoup de ces mots (mais pas tous) commencent par « qu- » (prononcé [kw]) :

  • qui (who)
  • quoi (what)
  • quand (when)
  • quel (which)

En anishinaabemowin, de nombreux mots interrogatifs de contenu commencent par [a] ou [aa], bien que dans certaines variétés la voyelle brève [a] ne soit plus prononcée dans ces mots.

  • awenen (qui)
  • awegonen (quoi)
  • aanapii (quand)
  • aaniin (comment, pourquoi, de quelle manière)
  • aandi (où)

Qu’elles disposent ou non d’un groupe de mots interrogatifs commençant par le même son, toutes les langues ont des façons de poser des questions de contenu, tout comme elles ont des façons de poser des questions par oui ou non.

Contrairement aux questions par oui ou non, la réponse à une question de contenu est un mot ou un groupe de mots correspondant au mot interrogatif qui a été utilisé. Si quelqu’un demande :

(5) Who were you talking to?

Répondre par yes ou par no n’aurait aucun sens. Il faudrait plutôt répondre par un syntagme nominal comme « my friend» ou « the person over there » ou « U’ilani », ou par une phrase complète (« I was talking to my friend / the person over there / U’ilani »).

Tout comme les questions par oui ou non, les questions de contenu en anglais nécessitent un changement dans l’ordre des mots par rapport à ce que l’on trouve dans les phrases déclaratives correspondantes.

Examinez le très court dialogue suivant :

(6) A : That squirrel has hidden something.
B : What has the squirrel hidden?

En posant la question avec what, la personne B demande plus d’informations sur la chose mentionnée par la personne A. En revanche, même si cette question porte sur le complément d’objet du verbe « hide », le mot interrogatif what est placé tout au début de la proposition.

Nous constatons la même chose avec toutes les questions de contenu en anglais : peu importe la position du syntagme faisant l’objet de la question dans une phrase déclarative, le mot interrogatif doit toujours se trouver au début de la phrase interrogative :

(7) Where is it snowing?
a) It’s snowing in Ottawa.
b) *It’s snowing where?
(8) When was it snowing?
a) It was snowing yesterday.
b) *It was snowing when?
(9) How do squirrels hide nuts.
a) Squirrels hide nuts by burying them.
b) *Squirrels hide nuts how?

Toutes les questions de contenu grammaticalement correctes en proposition principale que nous avons vues ici impliquent également une inversion sujet-auxiliaire, tout comme les questions par oui ou non. Nous pouvons le constater, car le verbe est placé avant le sujet dans toutes les questions de contenu grammaticalement correctes.

Toutefois, l’inversion sujet-auxiliaire n’est pas le seul changement dans l’ordre des mots; nous devons également formuler une généralisation sur la position du mot interrogatif lui-même. Nous étudierons cette généralisation de manière plus détaillée à la section 6.19 en examinant le déplacement au sein des structures d’arbres syntaxiques, mais pour l’instant, nous pouvons énoncer la généralisation suivante :

Mot interrogatif en début de proposition
Un mot interrogatif de contenu (par exemple, who, what, where, when, why, how), ou un syntagme introduit par un mot interrogatif de contenu doit être placé au début de la proposition.

Variation entre les langues : les questions

En fonction des autres langues que vous connaissez, vous avez peut-être déjà réfléchi au fait que toutes les langues n’ont pas d’inversion sujet-auxiliaire dans les questions. Il existe une grande variété de stratégies pour marquer des questions dans différentes langues, et cette section passe en revue les plus courantes.

De nombreuses langues utilisent un mot interrogatif fixe pour marquer les questions par oui ou non, parfois appelé particule interrogative. Par exemple, l’une des façons les plus courantes de former une question par oui ou non en français est d’ajouter « est-ce que » au début de la phrase :

(10) Nous avons trouvé les fantômes.
we have found the ghosts.
« We have found the ghosts. »
(11) Est-ce que vous avez trouvé les fantômes.
+Q you.PL have found the ghosts.
« Have y’all found the ghosts? »

La particule est-ce que ressemble à plusieurs mots, et elle dérive historiquement en effet d’un groupe de mots signifiant quelque chose comme « is it that ». Cependant, elle se comporte comme un seul mot en français contemporain, que nous pourrions hypothétiquement considérer comme s’écrivant « eska ».

Le français fait appel à une autre méthode pour formuler des questions qui nécessite l’inversion sujet-auxiliaire. Outre les exemples ci-dessus, il est également possible de dire :

(12) Avez-vous trouvé les fantômes.
have-you.PL found the ghosts.
« Have y’all found the ghosts? »

Cette façon de formuler les questions semble quelque peu démodée pour de nombreux francophones, surtout à l’oral. La stratégie la plus courante aujourd’hui consiste à utiliser une particule interrogative comme est-ce que ou à simplement utiliser l’intonation interrogative.

Nous pouvons considérer est-ce que comme un complémenteur [+Q] qui apparaît dans les propositions principales, exactement comme si nous marquions les questions en anglais en ajoutant simplement whether ou if au début de la phrase.

Le japonais formule également des questions en ajoutant une particule interrogative, mais en raison de sa structure à tête finale, la particule apparaît à la fin de la phrase :

(13) Gakusei-wa yuurei-o mitsuke-ta.
Student-SUJET ghost-ACC find-PASSÉ
« The student found the ghost. »
(14) Gakusei-wa yuurei-o mitsuke-ta ka
Student-SUJET ghost-ACC find-PASSÉ +Q
« Did the student find the ghost? »

De même, en mandarin, les questions sont formulées avec la particule ma (exemples en mandarin tirés de Liing 2014) :

(15) wàimiàn zài xià
outside PROG fall rain
« It’s raining outside. »
(16) wàimiàn zài xià ma
outside PROG fall rain +Q
« Is it raining outside? »

L’analyse du mandarin est cependant un peu plus compliquée. Tout d’abord, la particule apparaît en fin de phrase, comme en japonais, même si le mandarin est par ailleurs à tête initiale, comme l’anglais et le français. Ensuite, il existe plusieurs autres façons de poser des questions en mandarin, qui sont tout aussi (voire plus) courantes que l’ajout de la particule ma.

Dans l’ensemble, il est très courant que les langues forment des questions en ajoutant une particule au début ou à la fin d’une phrase, mais il est également très courant de former des questions par le déplacement de la tête comme nous le voyons en anglais.

Il est tentant d’imaginer que les particules interrogatives sont comme l’auxiliaire anglais do, mais il faut garder à l’esprit que do apparaît uniquement en anglais lorsqu’il n’y a pas d’autre auxiliaire. Dans une langue comme le français, le japonais ou le mandarin, la particule interrogative ressemble davantage aux complémenteurs anglais if ou whether, à ceci près qu’elle est utilisée dans les propositions principales plutôt qu’uniquement dans les propositions enchâssées.

De même que toutes les langues ne présentent pas d’inversion sujet-auxiliaire dans les questions, toutes les langues ne présentent pas de mots interrogatifs en début de phrase. Ces langues laissent toujours les mots interrogatifs de contenu in situ.

Le japonais, par exemple, est une langue possédant des questions de contenu in situ. Les mots interrogatifs tels que nani (« what » en anglais) sont prononcés à la même position que les arguments correspondants dans les phrases non interrogatives.

(17) Usagi-wa nani-o tabe-ru ka
rabbit-SUJET what-ACC eat-PRÉSENT +Q
« What do rabbits eat? »
(18) Usagi-wa yasai-o tabe-ru
rabbit-SUJET what-ACC eat-PRÉSENT
« Rabbits eat vegetables. »

Le point essentiel à noter dans ces généralisations est que l’ordre des mots en (17) et en (18) est le même, malgré le fait que (17) est une question de contenu et que (18) est la déclaration correspondante. L’ordre des mots est différent de celui de la traduction en anglais, d’une part parce que le japonais est une langue à tête finale (donc le verbe vient à la fin) et d’autre part parce que le mot nani-o reste in situ.

La particule interrogative ka apparaît également dans cette question de contenu, tout comme dans les questions par oui ou non en japonais, comme nous l’avons vu précédemment.


Références

Liing, Woan-Jen. 2014. How to ask questions in Mandarin Chinese. Doctoral Dissertation, CUNY.

License

Icon for the Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License

Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

Share This Book