Chapitre 5 : Morphologie

5.11 Résoudre les problèmes de morphologie

Une compétence importante en matière de morphologie est la capacité à segmenter les mots d’une autre langue en leurs morphèmes individuels, c’est-à-dire à identifier les racines et les affixes des mots complexes.

Rappelons qu’un morphème est un appariement cohérent d’une forme (son ou signe) avec un sens ou une fonction. Pour trouver des morphèmes, il faut comparer des mots dont on connaît le sens, afin de voir si les parties communes de leur sens correspondent à des parties communes de leur forme.

Prenons quelques exemples de noms au singulier, au duel et au pluriel que nous avons vus plus tôt dans le chapitre sur l’inuktitut :

(1) mot singulier duel (2) pluriel (3+)
« porte » matu matuuk matuit
« nuage » nuvuja nuvujaak nuvujait

Comment pouvons-nous trouver le morphème au pluriel dans ces exemples? Si nous partons d’un seul mot au pluriel, comme matuit « portes (trois ou plus) », il n’y a aucun moyen de savoir comment le diviser (ou même de savoir s’il peut être divisé). En revanche, si nous comparons des mots qui partagent un seul aspect de leur fonction/sens grammatical, nous pouvons commencer à diviser les mots :

matuit ~ nuvujait
porte.PL nuage.PL

Les mots matuit et nuvujait sont tous deux au pluriel. Leurs sons ne se chevauchent pas beaucoup, mais ils partagent la finale -it. Il s’agit d’un appariement cohérent de forme et de sens, ce qui nous permet d’émettre l’hypothèse que -it est le suffixe signifiant PLURIEL.

Nous pouvons ensuite comparer matuit avec un autre mot ayant le sens de « porte ».

matuit ~ matu
PORTE.PL PORTE.SG

Les mots matuit et matu ont tous les deux le mot « porte » dans leur sens; ils contiennent également tous deux la séquence matu. Il s’agit d’un appariement cohérent de forme et de sens, ce qui nous permet d’identifier matu comme la racine signifiant « porte ». (Cela signifie que matu ne contient pas de suffixe pour indiquer le singulier, ce qui est courant pour les noms au singulier dans toutes les langues; notez toutefois que vous trouverez parfois un suffixe singulier. Nous pourrions aussi dire qu’il y a un suffixe de singulier -∅, mais ce n’est pas nécessaire.)

Nous pouvons également revenir à nuvujait et constater qu’une fois le suffixe -it identifié, nous nous retrouvons avec la chaîne nuvuja qui, par hypothèse, serait la racine signifiant « nuage »; en effet, nuvuja apparaît dans nos données avec ce sens!

Jusqu’à présent, nous avons trois morphèmes :

  • matu : « porte », racine
  • nuvuja : « nuage », racine
  • -it : PLURIEL, suffixe

Qu’en est-il du duel? Nous avons deux noms au duel dans l’ensemble de données ci-dessus.

  • matuuk porte (deux)
  • nuvujaak nuages (deux)

Nous pouvons séparer les racines que nous avons déjà identifiées :

  • matu-uk porte (deux)
  • nuvuja-ak nuages (deux)

Il nous reste donc deux suffixes légèrement différents :-uk et-ak. Comme nous avons déjà identifié les racines, nous pouvons avoir confiance que ces suffixes expriment tous deux le sens du DUEL. Il s’agirait d’allomorphes :

  • -uk/-ak : DUEL, suffixe

Si nous disposions de plus de données, notre prochaine étape serait d’essayer de déterminer si le choix de -uk vs -ak est prévisible en inuktitut. À partir de ces deux mots, nous pourrions émettre l’hypothèse que -uk se produit après [u] et -ak après [a] (un exemple d’allomorphe déterminé par la phonologie), mais il nous faudrait vérifier plus de mots pour voir si cette prédiction s’avère juste.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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