Chapitre 5 : Morphologie
5.2 Racines, bases et affixes
Affixes vs racines
Dans cette section, nous examinons les formes que peuvent prendre les morphèmes eux-mêmes. Certains morphèmes sont des affixes : ils doivent être reliés à quelque chose. Les morphèmes -s, inter- et -al sont tous des affixes. On ne peut pas les dire indépendamment, ils doivent se lier à un autre élément. Nous écrivons les affixes avec un trait d’un côté ou de l’autre pour indiquer ce besoin de liaison.
L’élément auquel se lie un affixe est appelé une base. Certaines bases sont morphologiquement simples, tandis que d’autres sont morphologiquement complexes.
Prenons, par exemple, le mot anglais librarian. Ce mot est formé en reliant l’affixe -ian à la base library.
Librarian peut alors être la base d’un autre affixe : par exemple, le mot librarianship, l’état ou le rôle d’un bibliothécaire, est formé en reliant l’affixe -ship à la base librarian.
Il existe un nom particulier pour les bases simples : la racine. Une racine est la plus petite base possible qui ne peut être divisée, ce que nous pourrions considérer comme le noyau d’un mot. Les racines anglaises que nous avons vues jusqu’à présent dans ce chapitre comprennent cat, library et nation.
Revenons aux affixes. Un affixe est un morphème qui doit être relié à une base. Nous utilisons le terme « affixe » pour désigner l’ensemble de ces éléments, mais nous précisons généralement le type d’affixe dont il est question lorsque c’est possible.
Types d’affixes
- Préfixe
- Un affixe que l’on place avant sa base, comme inter- dans international.
- Suffixe
- Un affixe qui suit sa base, comme -s dans cats.
- Circonfixe
- Un affixe qui se fixe autour de sa base (avant et après).
- Infixe
- Un affixe qui s’insère à l’intérieur de sa base.
- Affixe simultané
- Un affixe qui se lie à sa base en même temps.
Circonfixe
On trouve un exemple de circonfixe dans le marquage des possessifs pluriels de nombreuses langues algonquiennes. Les exemples suivants sont tirés du meskwaki, langue parlée dans certaines parties du Midwest des États-Unis et dans le nord du Mexique; la source de ces exemples est Oxford (2020), qui les a adaptés à partir d’une grammaire en préparation d’Amy Dahlstrom (A grammar of Meskwaki, an Algonquian language). Ces exemples sont présentés en orthographe meskwaki; « a- » indique une voyelle longue.
(2) | a) | ne-ta·nes-aki |
1-daughter-AN.PL | ||
« my daughters » | ||
(2) | b) | ne-ta·nes-ena·n-aki |
1-daughter-1PL-AN.PL | ||
« our daughters » |
On voit ici que le possesseur singulier de « my daughters » n’est marqué que par un préfixe, mais que le possesseur pluriel de « our daughters » est marqué par la combinaison du préfixe ni- et du suffixe -ena·n ou, autrement dit, par un circonfixe.
Ces exemples comportent des gloses morphème par morphème, ce qui signifie que l’analyse morphologique a été effectuée pour vous. Dans la section 5.X, nous verrons comment déterminer les frontières entre les morphèmes dans une langue qui ne nous est pas encore familière. Les gloses morphème par morphème font appel à des abréviations conventionnelles :
- 1 signifie « première personne » (I, me, my / we, us, our).
- PL signifie « pluriel » (1PL signifie donc « we, us, our »).
- AN signifie « animé ». Les langues algonquiennes distinguent tous les noms comme « animés » ou « inanimés », ce qui se reflète dans leur morphologie.
Infixe
Les infixes sont des affixes qui apparaissent au centre d’un autre morphème. En tagalog par exemple (une langue qui compte environ 24 millions de locuteurs, dont la plupart vivent aux Philippines), l’infixe -um- apparaît immédiatement après la première consonne de la racine à laquelle il est relié, pour exprimer l’aspect perfectif d’un verbe (utilisé pour indiquer une action terminée, généralement traduite au passé simple en anglais (simple past) :
(3) | a) | [takbuh] | run | [tumakbuh] | ran |
b) | [lakad] | walk | [lumakad] | walked | |
c) | [bili] | buy | [bumili] | bought | |
d) | [kain] | eat | [kumain] | ate |
Affixe simultané
Les affixes simultanés sont courants dans les langues des signes et dans les langues tonales. En signant, il est possible de faire appel à plusieurs articulateurs (une deuxième main ou son visage), ou d’ajouter un mouvement à un signe, d’une manière qui n’est pas possible avec les articulations orales dans les langues parlées.
En ASL par exemple, il existe un morphème qui se lie aux verbes pour exprimer l’aspect duratif (le fait que quelque chose se passe pendant un certain temps ou pendant une longue période). Ce morphème consiste à ajouter un mouvement circulaire particulier au signe de base du verbe; ce mouvement circulaire ne se produit pas avant ou après le verbe, mais en même temps que lui.
(4) | [VIDÉO : Verbe en ASL, verbe+duratif] |
Une fois que nous avons vu ces exemples dans les langues des signes, nous pouvons penser à la morphologie de certaines langues parlées qui ont un profil similaire. Par exemple, les langues tonales ont parfois des morphèmes tonaux, qui se superposent aux consonnes et aux voyelles d’un mot.
L’anglais n’est pas une langue tonale, mais elle comporte quelques paires de mots qui impliquent clairement la même racine, mais où l’accent s’est déplacé. Il s’agit de paires nom-verbe où le nom est accentué sur la première syllabe, mais où le verbe est accentué sur la deuxième syllabe.
(5) | a) | They used to use récords to recórd music. |
b) | I have a pérmit that permíts me to drive. | |
c) | I receive mail at my home áddress, at least when it’s addréssed properly. |
Tous les anglophones ne réalisent pas le déplacement de l’accent dans les mêmes paires de mots. Par exemple, de nombreuses personnes prononcent « address » en mettant l’accent sur la deuxième syllabe, que ce soit pour le nom ou le verbe.
Morphèmes libres ou liés
Une autre façon de diviser les morphèmes est de déterminer s’ils sont libres ou liés. Un morphème libre est un morphème qui peut se présenter comme un mot à part entière. Un morphème lié, en revanche, ne peut apparaître dans un mot que s’il est accompagné d’un ou de plusieurs autres morphèmes.
Par définition, les affixes doivent être liés à une base; c’est pourquoi seules les racines peuvent être libres. En effet, la plupart des racines en anglais sont libres, mais quelques racines ne peuvent pas être utilisées seules. Par exemple, la racine -whelmed, qui apparaît dans overwhelm et underwhelmed, ne peut pas être utilisée seule comme dans *whelmed.
Cependant, dans de nombreuses autres langues, toutes les racines (ou la plupart d’entre elles) sont liées, car elles doivent toujours être utilisées avec un ou des éléments de la morphologie flexionnelle. C’est le cas des verbes en français et dans les autres langues romanes, par exemple. C’était aussi le cas pour le latin; c’est pourquoi les racines nat- et libr- étaient indiquées avec des traits au-dessus.
Dans notre notation, nous montrons que les morphèmes sont liés en plaçant des traits avant ou après eux (du côté où ils se lient à d’autres morphèmes).
Références
Oxford, William R. 2020. Algonquian. In Routledge handbook of North American languages, ed. Daniel Siddiqi , Michael Barrie, Carrie Gillon, and Éric Mathieu. Routledge.