Chapitre 4 : Phonologie
4.4 Distribution complémentaire
Phones sans distribution contrastive
Deux phones peuvent au contraire avoir une distribution complémentaire, avec des environnements qui ne se chevauchent jamais. Cela signifie qu’il y a un ensemble d’environnements pour un phone et un ensemble d’environnements complètement différent pour l’autre.
Par exemple, les phones [h] et [ŋ] sont en distribution complémentaire en anglophone pour de nombreux anglophones. Pour ces locuteurs, [h] ne peut apparaître qu’en début de mot, comme dans [həˈræs] harass (harceler), ou au début d’une syllabe accentuée, comme dans [ˌkɒmprəˈhɛnd] comprehend (comprendre) et [ˈt͡ʃaɪldˌhʊd] childhood (enfance). Nous pouvons même voir [h] apparaître et disparaître dans des mots apparentés qui ont des schémas d’accentuation différents : il y a un [h] dans la syllabe accentuée de [vəˈhɪkjulr̩] vehicular (véhiculaire), mais il n’y a pas de [h] dans la syllabe inaccentuée correspondante dans [ˈviəkl̩] vehicle (véhicule).
Inversement, pour les mêmes locuteurs, [ŋ] ne peut jamais apparaître dans ces positions. Il ne peut apparaître exactement là où [h] ne le peut pas, notamment dans une coda, comme dans [lɒŋ] long et [fɪŋ. ɡr̩] finger (doigt), ou au début d’une syllabe inaccentuée, comme dans [ˈsɪ. ŋr̩] singer (chanteur).
De plus, si nous essayons de remplacer [h] ou [ŋ] l’un par l’autre dans n’importe quel mot, les mots de substitution qui en résulteraient seraient jugés agrammaticaux : *[ŋəræs], *[kɒmprəŋɛnd], *[lɒh], *[fɪhɡr̩], etc. Ainsi, nous ne pouvons jamais trouver ou créer de paires minimales pour [h] et [ŋ], de sorte qu’elles semblent ne pas contraster l’un avec l’autre.
Et pourtant, [h] et [ŋ] semblent toujours fonctionner comme des consonnes fondamentalement différentes en anglais, parce qu’elles semblent appartenir à des phonèmes différents, malgré une distribution complémentaire. Personne ne confondrait l’un pour l’autre, et dans une transcription assez générale, on les noterait avec des symboles différents. Ainsi, si la distribution contrastive est suffisante pour déterminer que deux phones sont des allophones de phonèmes distincts, elle n’est pas obligatoire.
Considérons maintenant les voyelles anglaises dans la plupart des prononciations nord-américaines de l’anglais [bid] bead (perle) et [bit] beat (battu). Dans une transcription assez générale, nous utiliserions normalement le même symbole [i] pour les deux voyelles, mais dans une transcription plus étroite, nous pourrions vouloir indiquer que la voyelle de bead est plus longue, avec [biːd] versus [bit]. Le [iː] long et le [i] court sont des phones différents en anglais, le [iː] étant systématiquement 1,2 à 1,5 fois plus long que le [i], et si nous les intervertissons, en prononçant bead comme [bid] et beat comme [biːt], cela sonne très étrange.
Comme [h] et [ŋ], [iː] et [i] sont en distribution complémentaire. Les [iː] longs doivent être suivis d’une coda ne comportant que des consonnes voisées, comme dans [biːd] bead, [fliːz] fleas (puces) et [biːrd] beard (barbe). Comparez ces mots à ceux où une ou plusieurs des consonnes de la coda suivante sont non voisées, où l’on trouve à la place un [i] court : [bit] beat, [flis] fleece (toison) et [pirs] pierce (percer).
Nous avons donc deux paires de phone, [h] et [ŋ] contre [iː] et [i]. Dans chaque paire, les deux phones ont une distribution complémentaire, mais les paires se comportent différemment. Malgré la distribution complémentaire, nous concevons [h] et [ŋ] comme des consonnes en quelque sorte complètement différentes, qui doivent être représentées différemment même dans la transcription assez générale, tout comme n’importe quelle paire de phones contrastés : [p] et [b] [i] et [ɪ], etc. Cependant, [iː] et [i] semblent être des variantes du même phonème vocalique fondamental.
En d’autres termes, nous voulons considérer [h] comme appartenant à un phonème distinct de [ŋ], tout en traitant [iː] et [i] comme deux allophones du même phonème. Ainsi, le phonème correspondant à [h] serait noté comme /h/, le phonème correspondant à [ŋ] serait noté comme /ŋ/, et le phonème unique correspondant à la fois à [iː] et à [i] serait noté comme /i/.
Similarité phonétique des allophones
Pourquoi devrions-nous traiter ces deux paires différemment? Nous prenons souvent la décision en fonction de la similarité phonétique, c’est-à-dire sur la base des points communs entre les différents phones en termes d’articulation. Les phones [h] et [ŋ] sont tous deux des consonnes, mais leur similarité phonétique s’arrête là : ils diffèrent au niveau de la phonation, du lieu d’articulation et du mode d’articulation, qui sont les principales propriétés phonétiques d’une consonne. Cette absence de similarité phonétique est une bonne raison de penser que [h] et [ŋ] appartiennent à des phonèmes différents, malgré une distribution complémentaire.
En comparaison, [iː] et [i] présentent de nombreuses similarités phonétiques : ils ont le même timbre vocalique sur les quatre plans (hauteur, postériorité, arrondi et tension) et ne diffèrent que par la longueur de la voyelle. La distribution complémentaire et la similarité phonétique constituent ensemble une preuve solide que [iː] et [i] sont des allophones du même phonème.
Bien sûr, il faut être prudent lorsqu’on s’intéresse à la similarité phonétique. Les deux allophones [ɾ] et [tʰ] du phonème /t/ examinés à la section 4.1 sont tous deux des consonnes alvéolaires, mais ils sont par ailleurs très différents en termes de phonation et de mode d’articulation.
Un résultat clé de la phonologie est que si deux phones sont en distribution contrastive, alors ce sont des allophones de phonèmes différents. Mais comme nous le voyons ici, si deux phones sont en distribution complémentaire, ils peuvent être des allophones de phonèmes différents, comme pour [h] et [ŋ], ou du même phonème, comme pour [iː] et [i]. Savoir décider lequel est lequel est une autre compétence fondamentale en phonologie.
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