Chapitre 3 : Phonétique
3.12 Tonalité et intonation
Hauteur tonale
Pendant le voisement, le taux de vibration des cordes vocales peut être manipulé. Cette propriété est normalement appelée fréquence fondamentale (généralement abrégée FF) lorsqu’il s’agit du taux de vibration physique réel et hauteur tonale lorsqu’il s’agit de la perception auditive de cette vibration. Dans le cadre de cette discussion, nous utiliserons la hauteur tonale, car nous nous préoccupons généralement davantage de la catégorisation cognitive, plus abstraite, que de la mise en œuvre physique réelle, qui peut varier considérablement d’un locuteur à l’autre.
La hauteur tonale est souvent liée à la durée et à l’intensité dans les systèmes d’accentuation, mais elle peut également être manipulée séparément, en tant qu’élément d’un système propre. En gros, si la hauteur tonale est manipulée au niveau du mot ou de la syllabe pour créer des significations complètement différentes, on parle de ton, tandis que si elle est manipulée au-dessus du niveau du mot (syntagmes et phrases) pour créer différents types de phrases (déclarations ou questions, par exemple), on parle d’intonation. Certains cas problématiques ne sont pas faciles à classer de cette manière, mais il s’agit d’une distinction de base utile.
Notation du ton
De nombreuses langues ne distinguent que deux tons, normalement désignés comme un ton haut (H) et un ton bas (B). L’API dispose de deux systèmes différents pour noter le ton : des diacritiques tonals placés sur le phone concerné et des barres de ton distinctes placées après la syllabe entière.
Pour les langues dotées de systèmes de tons simples, les diacritiques tonals sont normalement utilisés, l’aigu [ˊ] représentant un ton haut et le grave [ˋ] un ton bas. Les barres de ton représentent la hauteur du ton par une ligne horizontale reliée à une base verticale [˥] représentant un ton haut et [˩] un ton bas.
En outre, des chiffres en exposant additionnels à l’API sur une échelle de 1 à 5 sont parfois utilisés à la place, le chiffre le plus élevé [⁵] représentant un ton haut et le chiffre le plus bas [¹] un ton bas.
Ces trois systèmes de notation sont présentés dans le tableau 3.2 pour les mots [lúk] « vomir » et [lùk] « tisser » du bemba, une langue bantoïde méridionale de la famille nigéro-congolaise, parlée en Zambie et dans les régions voisines (Hamann et Kula 2015).
ton | exemple avec des diacritiques tonals de l’API | exemple avec des lettres tonales de l’API | exemple avec des numéros tonals additionnels à l’API | mot |
---|---|---|---|---|
H | [lúk] | [luk˥] | [luk⁵] | « vomir » |
L | [lùk] | [luk˩] | [luk¹] | « tisser » |
Le choix de la notation dépend d’une combinaison de facteurs, notamment la lisibilité, la complexité du système tonal de la langue, l’objectif de la transcription et la tradition historique. Souvenez-vous de ce qu’on a vu à la section 3.11, soit que [ˊ] et [ˋ] sont aussi parfois utilisés pour représenter l’accent principal et l’accent secondaire, et qu’il est donc important de savoir exactement ce que l’on veut faire lorsqu’on utilise ces signes diacritiques.
Les numéros de ton peuvent également poser problème, car il existe de nombreux systèmes traditionnels de numérotation par ton qui diffèrent du système présenté ici. Par exemple, le ton haut du mandarin est traditionnellement appelé « ton 1 », et cette numérotation est utilisée dans certaines romanisations du chinois, comme le système Wade-Giles, dans lequel 媽/妈 [ma⁵] (mère) s’écrit ma¹ ou ma1.
Les diacritiques peuvent également poser problème pour des raisons similaires, puisque [má] « mère » s’écrit mā en pinyin, avec un diacritique différent.
Les barres de ton sont souvent plus fiables en termes de signification, puisqu’elles ne sont normalement pas utilisées avec une autre signification, mais elles présentent leurs propres problèmes, tels que l’absence d’une prise en charge généralisée des polices de caractères.
Le ton comme propriété phonémique
Dans de nombreuses langues à tons, chaque syllabe peut en principe avoir son propre ton indépendant, comme dans les différents modèles de tons observés dans les mots bemba du tableau 3.3.
schéma de ton | exemple avec des diacritiques tonals de l’API | exemple avec des lettres tonales de l’API | exemple avec des numéros tonals additionnels à l’API | mot |
---|---|---|---|---|
LH | [kùːlá] | [kuː˩la˥] | [kuː¹la⁵] | construire |
HH | [βúːlá] | [βuː˥la˥] | [βuː⁵la⁵] | prendre |
HL | [péːlà] | [peː˥la˩] | [peː⁵la¹] | donner |
LHL | [ùkúwà] | [u˩ku˥wa˩] | [u1ku⁵wa¹] | tomber |
LLH | [ìnùmá] | [i˩nu˩ma˥] | [i¹nu¹ma⁵] | arrière |
HLH | [íŋòmá] | [i˥ŋo˩ma˥] | [i⁵ŋo¹ma⁵] | tambour |
HHL | [íːnt͡ʃítò] | [iː˥nt͡ ʃi˥to˩] | [iː⁵nt͡ʃi⁵to¹] | travail |
Ici, nous voyons que la première syllabe d’un mot peut avoir soit un ton haut, comme dans [βúːlá] (prendre), soit un ton bas, comme dans [ùkúwà] (tomber). Ensuite, quel que soit le ton de la première syllabe, la deuxième syllabe peut également avoir un ton haut, comme dans [βúːlá] (prendre) et [ùkúwà] (tomber), ou un ton bas, comme dans [péːlà] (donner) et [ìnùmá] (arrière), et ainsi de suite. Bien que toutes les langues à ton ne se comportent pas de cette manière, elles permettent en général un large éventail de combinaisons de tons possibles.
Plus de tons
L’une des raisons pour lesquelles les tons sont plus complexes que d’autres propriétés phonétiques est qu’ils ne se résument souvent pas à une opposition binaire entre l’aigu et le grave. De nombreuses langues ont un ton moyen intermédiaire (M) entre le haut et le bas, comme l’igala, une langue yoruboïde de la famille nigéro-congolaise, parlée au Nigeria, qui a des triplets minimaux comme ceux du tableau 3.4, qui ont tous un ton bas sur la première syllabe, puis l’un des trois tons différents sur la deuxième (Welmers 1973). Les tons moyens sont représentés par le macron diacritique de l’API [ˉ], la barre de ton de l’API [˧] ou un numéro intermédiaire en exposant (généralement [³]).
schéma de ton | exemple avec des diacritiques tonals de l’API | exemple avec des lettres tonales de l’API | exemple avec des numéros tonals additionnels à l’API | mot |
---|---|---|---|---|
LH | [àwó] | [a˩wo˥] | [a¹wo⁵] | gifle |
LM | [àwō] | [a˩wo˧] | [a¹wo³] | peigne |
LL | [àwò] | [a˩wo˩] | [a¹wo¹] | étoile |
D’autres tons intermédiaires sont également possibles, notamment lorsqu’il s’agit de décrire plus finement le fonctionnement du système tonal d’une langue donnée.
Contour de ton
Jusqu’à présent, nous n’avons examiné que les tons de niveau (haut, moyen, bas), qui sont relativement stables du début à la fin. Cependant, de nombreuses langues ont également des tons de contour, dont la hauteur varie au cours de la syllabe. Par exemple, l’awa (une langue kainantu-goroka de la famille Trans-Nouvelle Guinée, parlée en Papouasie–Nouvelle-Guinée) a deux tons de niveau (H et L) et deux tons de contour, un ton descendant (F) qui commence haut et finit bas, et un ton montant (R) qui commence bas et finit haut (Loving 1966), comme le montrent les données du tableau 3.5.
Les tons descendants sont représentés par le caret diacritique de l’API [ˆ], une séquence d’une lettre à ton haut de l’API suivie d’une lettre à ton bas (généralement [˥˩]), ou une séquence de chiffres en exposant en ordre décroissant (généralement [⁵¹]). ;De même, les tons ascendants sont représentés par le haček diacritique de l’API [ˇ], une séquence d’une lettre à ton bas de l’API suivie d’une lettre à ton haut (généralement [˩˥]), ou une séquence de chiffres en exposant en ordre croissant (généralement [¹⁵]). Il est possible d’obtenir des tons plus complexes, notamment en utilisant plus de tons moyens et plus de deux composantes de tons dans un contour, mais cela dépasse la portée de ce manuel.
schéma de ton | exemple avec des diacritiques tonals de l’API | exemple avec des lettres tonales de l’API | exemple avec des numéros tonals additionnels à l’API | mot |
---|---|---|---|---|
H | [ná] | [na˥] | [na⁵] | poitrine |
L | [nà] | [na˩] | [na¹] | maison |
F | [nâ] | [na˥˩] | [na⁵¹] | taro |
R | [pǎ] | [pa˩˥] | [pa¹⁵] | poisson |
Les barres de ton des tons de contour sont parfois affichées sous la forme d’un seul caractère combiné plutôt que sous la forme d’une séquence de barres de ton distinctes, comme le montre la figure 3.39. Toutefois, pour cela, il faut disposer d’une police dont les caractères combinés sont correctement encodés, ce qui n’est pas toujours possible.
Intonation
Enfin, nous pouvons également observer des changements de hauteur dans des phrases entières en tant qu’intonation, dans le but de transmettre des informations syntaxiques ou pragmatiques plutôt que des informations morphologiques. Par exemple, la phrase anglaise this is vegetarian chili (c’est un chili végétarien) a une intonation différente selon qu’il s’agit d’une déclaration ou d’une question, et selon que l’accent est mis sur un mot particulier, comme dans les exemples suivants :
- (What are you eating?) This is vegetarian chili.
- THIS is vegetarian chili (and THAT is shrimp étouffée).
- This is VEGETARIAN chili (not BEEF chili).
- This is vegetarian CHILI (not vegetarian STEW).
- This is vegetarian chili? (I didn’t hear exactly what you said.)
- THIS is vegetarian chili? (It tastes like shrimp étouffée!)
- This is VEGETARIAN chili? (I’m sure I tasted meat in it!)
- This is vegetarian CHILI? (It seems more like a stew.)
L’intonation est très complexe, car elle dépend de la structure syntaxique de l’énoncé, ainsi que de son rôle dans le discours. Elle peut également interagir avec l’accent ou le ton au niveau du mot de manière complexe et intéressante. L’intonation se situe à l’intersection de nombreux aspects du langage, et une analyse correcte nécessite une solide compréhension de la phonétique, de la phonologie, de la syntaxe et de la sémantique.
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Références
Hamann, Silke and Nancy C. Kula. 2015. Bemba. Journal of the International Phonetic Association 45(1): 61–68.
Loving, Rochard E. 1966. Awa phonemes, tonemes, and tonally differentiated allomorphs. Papers in New Guinea Linguistics A-7: 23–32.
Welmers, William E. 1973. African language structures. Berkeley and Los Angeles: University of California Press.