Chapitre 3 : Phonétique
3.11 Accent
La phonétique des syllabes accentuées
En tant qu’unité d’organisation, les syllabes jouent un rôle dans le rythme et le flux généraux de la langue, notamment en faisant en sorte que certaines syllabes soient accentuées, ce qui leur donne plus d’importance dans le signal linguistique. Dans les langues parlées, les syllabes accentuées sont souvent articulées avec une intensité sonore accrue, une durée plus longue et/ou un haussement du ton de la voix. Dans la mesure où les langues des signes comportent des syllabes, elles semblent également comporter des syllabes accentuées, qui sont généralement articulées avec une plus grande tension musculaire, des mouvements plus rapides et/ou des pauses plus longues (Supalla et Newport 1978, Klima et Bellugi 1979). Cependant, les langues peuvent varier considérablement en ce qui a trait aux propriétés phonétiques utilisées pour les syllabes accentuées.
Degrés d’accentuation
L’accent dans les langues des signes fait encore l’objet de peu de recherches, mais comme les signes ne comportent généralement qu’une ou deux syllabes, il n’y a pas beaucoup de place pour des schémas d’accentuation complexes dans les langues des signes. Cependant, dans les langues parlées, les mots peuvent facilement compter plusieurs syllabes, comme le mot anglais internationalization, qui en compte huit, ou le mot allemand Kraftfahrzeughaftpflichtversicherung (assurance automobile indemnitaire), qui en compte neuf. Même avec seulement trois ou quatre syllabes, il est possible de créer plusieurs degrés d’accentuation dans un même mot. Dans la plupart des langues parlées, une seule syllabe par mot présente le degré d’accentuation le plus élevé, appelé accent primaire et codé dans l’alphabet phonétique international (API) par l’apostrophe supérieure [ˈ].
Toutes les autres syllabes accentuées peuvent être considérées comme ayant un accent secondaire, qui est codé dans l’API par une apostrophe inférieure [ˌ] (à distinguer du diacritique syllabique [ˌ] qui se place toujours sous un symbole, alors que la marque de l’accent secondaire [ˌ] se place avant un symbole). Les autres syllabes ne sont pas accentuées, ce qui n’a pas de symbole dédié dans l’API.
Nous pouvons voir les trois niveaux d’accentuation dans le mot [ˈbʌ. niˌhʌɡ] bunny hug, qui est employé en Saskatchewan pour désigner un chandail à capuche. Notez que les symboles de l’accent tonique sont utilisés aux frontières syllabiques, donc aucun [.] n’est nécessaire pour marquer une frontière de syllabe dans une position où [ˈ] ou [ˌ] sont utilisés.
L’accent est généralement marqué par des diacritiques ne faisant pas partie de l’API, avec des marques d’accent sur le noyau (ou sur σ lorsque l’on discute des schémas d’accentuation sur les syllabes en général) : aigu [ˊ] pour l’accent primaire et grave [ˋ] pour l’accent secondaire, et parfois aussi bref [̆] pour le non accentué, s’il doit être explicitement marqué. En utilisant ce système, bunny hug pourrait être transcrit comme [bʌ́nihʌɡ] ou [bʌ́nĭhʌɡ]. Cependant, comme ces diacritiques ont d’autres usages dans l’API (voir section 3.12), ils doivent être utilisés avec précaution pour éviter toute ambiguïté.
Accent lexical (ou libre) et accent prévisible (ou fixe)
De nombreuses langues parlées ont un accent lexical, ce qui signifie que le placement de l’accent est généralement imprévisible et doit être mémorisé pour chaque mot. Cela peut créer des paires minimales, comme [ˈtɑɾu] (coureur rapide) par rapport à [tɑˈɾu] (batteur) et [ˈbɛɫu] (panier) par rapport à [bɛˈɫu] (flûte) en khowar, une langue dardique de la famille indo-européenne, parlée au Pakistan (Liljegren et Khan 2017).
Dans d’autres langues parlées, l’accent est entièrement prévisible en fonction de la structure des syllabes d’un mot, de sorte que deux mots ayant la même structure syllabique, mais des phones différents auront également le même schéma d’accentuation. Dans ces langues, les règles régissant l’usage des accents peuvent être assez compliquées, et une analyse complète dépasse le cadre de ce manuel. Cependant, il existe quelques grands modèles de langues parlées dont l’accent est prévisible.
Premièrement, bien que la plupart des mots aient généralement un seul accent primaire, les mots-outils courts tels que les prépositions ou les conjonctions peuvent normalement n’être que non accentués, tandis que les mots composés peuvent avoir plusieurs syllabes avec une accentuation à peu près équivalente.
Deuxièmement, l’accent primaire est presque toujours placé sur l’une des deux premières ou des deux dernières syllabes d’un mot. L’accent sur la première syllabe est appelé accent initial, l’accent sur la deuxième syllabe est appelé accent secondaire, l’accent sur la dernière syllabe est appelé accent final et l’accent sur la deuxième syllabe à partir de la fin est appelé accent pénultième. Dans certaines langues, l’accent primaire peut même être antépénultième, sur la troisième syllabe avant la fin du mot, mais il est intéressant de noter que nous ne trouvons pas l’équivalent d’un troisième accent à partir du début du mot, ce qui suggère qu’il y a quelque chose de particulier dans le comportement de la fin du mot par rapport au début en ce qui concerne le rôle joué par l’accent.
Enfin, dans les mots plus longs, l’accent secondaire se présente souvent à un rythme régulier, sautant une syllabe sur deux, de sorte que les syllabes accentuées et non accentuées alternent généralement les unes avec les autres. Cependant, la façon dont l’accent secondaire est attribué est très complexe dans les langues parlées du monde entier.
Mais malgré toute cette complexité, il existe encore quelques généralités cohérentes. Il ne semble pas y avoir de langues parlées où l’accent principal est placé, par exemple, sur la syllabe du milieu ou la cinquième syllabe du mot, ni de langues qui alternent systématiquement deux syllabes accentuées et deux syllabes non accentuées tout au long du mot. Cela suggère qu’il existe des principes sous-jacents plus rigoureux qui régissent la façon dont l’accent est attribué, peut-être en rapport avec l’objectif de ce dernier.
Par exemple, l’accent peut contribuer au traitement du signal linguistique, il doit donc être relativement régulier (pour être plus facilement reconnaissable) et ancré aux frontières des mots (qui sont par ailleurs difficiles à déterminer dans une conversation courante). En d’autres termes, tous les schémas d’accentuation imaginables sur le plan technique ne sont pas possibles. Au lieu de cela, il semble qu’il y ait un petit ensemble de restrictions très précises sur la façon dont l’accent fonctionne.
Vérifiez votre compréhension
À venir!
Références
Klima, Edward S. and Ursula Bellugi. 1979. The signs of language. Cambridge, MA: Harvard University Press.
Liljegren, Henrik and Afsar Ali Khan. 2017. Khowar. Journal of the International Phonetic Association 47(2): 219–229.
Supalla, Ted, and Elissa Newport. 1978. How many seats in a chair? The derivation of nouns and verbs in American Sign Language. In Understanding language through sign language research. Perspectives in Neurolinguistics and Psycholinguistics. Edited by Patricia Siple. New York: Academic Press. 91–133.