Chapitre 11 : Développement du langage chez l’enfant
11.7. La syntaxe dans les premiers énoncés
Entre un an et demi et deux ans, la plupart des enfants commencent à combiner des mots pour former des phrases de deux, voire trois mots. À ce stade précoce, leurs énoncés sont généralement télégraphiques[1] contenant principalement des mots de contenu tels que des noms et des verbes, ainsi que quelques mots de fonction et peu de morphèmes flexionnels. Il peut être difficile de déterminer si ces courts énoncés ont une structure syntaxique. Voici quelques exemples.
Catégories syntaxiques
Même les premières phrases courtes des enfants nous montrent que leur grammaire mentale a déjà regroupé les mots en catégories syntaxiques. Dans quelques grandes études de corpus portant sur des énoncés prononcés par des enfants (Cazden, 1968; Maratsos, 1982), des chercheurs ;ont tâché de répertorier des exemples où des enfants avaient employé un mot d’une manière qui violait sa catégorie syntaxique, par exemple, un nom comme à la manière d’un verbe. Sur plus de 200 heures d’enregistrement, les chercheurs n’ont trouvé pratiquement aucun exemple d’enfants produisant des erreurs de catégorie syntaxique. En voici quelques exemples :
- Mummy trousers me.
- I’m crackering my soup.
- I want to comfortable you.
Nous supposons que ces phrases sont techniquement des « erreurs ». Le mot ; « cracker » (craquelin) est un nom en anglais, mais l’enfant de cet exemple l’a utilisé comme un verbe. Toutefois, la grammaire anglaise permet souvent aux verbes d’être dérivés des noms. Par exemple, « salt » (sel) est un nom, mais il existe également une forme verbale « to salt » (saler), qui signifie saupoudrer du sel sur quelque chose. Ainsi, l’enfant qui utilise ;le même processus pour dériver le verbe « crackering » (« craqueliner ») du nom ;« cracker » ;ne commet peut-être pas vraiment une erreur, mais ;utilise en fait sa grammaire de façon générative.
Les résultats de ces études et d’autres études de corpus de grande envergure démontrent donc que les catégories syntaxiques sont assez robustes dans les grammaires des enfants qui apprennent l’anglais, même dans leurs premiers énoncés. Ils utilisent rarement des mots à des positions qui seraient agrammaticales en anglais parlé par les adultes, et leurs rares productions qui ne ressemblent pas à celles des adultes témoignent d’une certaine capacité à utiliser leur grammaire de façon générative.
Poser des questions
Les données du corpus (StromswoId, 1995) montrent que les enfants qui apprennent l’anglais commencent à poser des questions peu de temps après avoir commencé à combiner des mots dans leurs énoncés. Des questions simples comme « Where kitty? » et « Who crying? » sont courantes dans le langage des enfants, le mot interrogatif étant déplacé au début de la phrase, comme dans l’anglais parlé par les adultes. Les questions qui cherchent à savoir pourquoi apparaissent un peu plus tard, mais comme tout parent d’un enfant d’âge préscolaire vous le dira, l’étape du pourquoi semble durer éternellement!
Ce type de question est un peu plus difficile à observer dans les productions des enfants qui apprennent une langue des signes, car il existe plusieurs façons grammaticales de les formuler. Toutefois, une analyse minutieuse a révélé que les enfants produisaient des phrases interrogatives dès l’âge de 19 mois en langue des signes américaines et en langue des signes brésilienne (Lillo-Martin et de Quadros, 2006).
En ce qui concerne les structures simples qui sont fréquentes dans le langage des enfants, les corpus sont précieux, car ils fournissent un grand volume de données. Mais qu’en est-il des structures plus complexes telles que les propositions enchâssées et les questions? On pourrait enregistrer des enfants parler durant des heures sans jamais recueillir un exemple de question avec une proposition enchâssée, mais cela ne signifie pas nécessairement que ces structures n’existent pas dans la grammaire mentale des enfants.
Comment devenir linguiste : Élicitation
Les chercheurs utilisent parfois des marionnettes et des jouets pour éliciter de la part des enfants des phrases qui intéressent ceux-ci, c’est-à-dire pour les encourager à produire un type de phrase en particulier. Il s’agit souvent de demander à l’enfant de poser une question à la marionnette. Par exemple, lors d’une expérience sur les questions de contenu en proposition enchâssée, Rosalind Thornton a fait porter un bandeau sur les yeux d’une marionnette en forme d’ours. Alors que l’ours avait les yeux bandés, Thornton a demandé à l’enfant de choisir des petits jouets à cacher à l’intérieur d’une série de petites boîtes. Une fois que chaque boîte contenait un jouet, elle a retiré le bandeau de l’ours et a demandé à l’enfant de demander à l’ours de deviner ce qui se trouvait dans chaque boîte. Les enfants peuvent formuler cette question de différentes manières, mais ce contexte d’élicitation rend au moins plus probable le fait qu’ils utilisent une phrase interrogative qui les intéresse, alors que dans une situation où les enfants sont laissés à eux-mêmes, il est relativement peu probable qu’ils posent ce type de questions complexes.
;
Crain et Thornton (1991) ont cherché à savoir si la grammaire des enfants incluait des questions où le mot interrogatif provenait d’une proposition enchâssée, comme celles-ci :
- Who do you think ___ will win the election?
- What did Lexi say she wanted ___ ;for lunch?
Dans ces phrases, on remarque que le mot interrogatif au début de la phrase provient logiquement d’une position à l’intérieur de la proposition enchâssée. Cela devient évident si l’on compare les versions déclaratives des phrases :
- You think someone ;will win the election.
- Lexi said she wanted something for lunch.
(Si vous avez besoin de vous rafraîchir la mémoire sur la façon dont les phrases interrogatives sont formées, consultez le ;chapitre intitulé « Syntaxe »!)
Crain et Thornton ont eu recours à l’élicitation pour tenter d’amener des enfants d’âge préscolaire âgés de trois à cinq ans à poser des questions complexes comme celles-ci. Les enfants ont rarement produit des exemples de questions semblables à celles des adultes, mais leurs questions ont tout de même révélé quelque chose d’intéressant sur leur grammaire mentale. Certains des enfants participant à cette étude ont posé à la marionnette de l’ours des questions comme celles-ci :
- Who do you think who wants to hug Grover?
- What do you think what’s in that box?
Bien que ces enfants d’âge préscolaire n’aient pas vraiment maîtrisé cette structure complexe, leurs énoncés suggèrent que leur grammaire mentale contient une structure qui est similaire à celle de la grammaire des adultes. Ils ont déplacé le mot interrogatif au début de la question, comme le font les adultes, et ils prononcent également ce mot interrogatif dans sa position initiale dans une proposition enchâssée.
;
Un élément interactif H5P a été exclu de cette version du texte. Vous pouvez le consulter en ligne ici, mais notez que le contenu est en anglais :
https://ecampusontario.pressbooks.pub/essentialsoflinguistics2/?p=527#h5p-91
Références
Cazden, C. B. (1968). The acquisition of noun and verb inflections. Child Development, 39(2), 433 – 448.
Crain, S., & Thornton, R. (1991). Recharting the Course of Language Acquisition : Studies in Elicited Production. In N. A. Krasnegor, D. M. Rumbaugh, R. L. Schiefelbusch, & M. Studdert-Kennedy (Eds.), Biological and behavioral determinants of language development (pp. 321 – 337). Psychology Press.
Lillo-Martin, D., & de Quadros, R. M. (2006). The Position of Early WH-Elements in American Sign Language and Brazilian Sign Language. In K. U. Deen, J. Nomura, B. Schulz, & B. Schwartz (Eds.), The Proceedings of the Inaugural Conference on Generative Approaches to Language Acquisition (pp. 195 – 203).
Maratsos, M. (1982). The child’s construction of grammatical categories. In E. Wanner & L. R. Gleitman (Eds.), Language Acquisition : The state of the art (pp. 240 – 266). Cambridge University Press.
StromswoId, K. (1995). The Acquisition of Subject and Object Wh-Questions. Language Acquisition, 4 (1 & 2), 5 – 48.
- Avant l’ère du courrier électronique, des textos et des appels interurbains, si vous deviez envoyer un message urgent sur une longue distance, vous pouviez envoyer un télégramme. Vous deviez alors payer pour chaque mot contenu dans le message et donc utiliser le moins de mots possible. ↵