Chapitre 11 : Développement du langage chez l’enfant

11.6 Comprendre les combinaisons de mots

 

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Nous avons constaté que les bébés commencent à apprendre la phonologie de leur langue première très tôt, dès leur naissance et peut-être même avant! Et ils commencent à apprendre un peu de sémantique lexicale ;avant leur premier anniversaire. Qu’en est-il de la syntaxe? Que savent les bébés et les jeunes enfants des composantes syntaxiques de leur grammaire? Comment pouvons-nous le savoir? Nous savons que les enfants commencent à prononcer ou à signer leur premier mot vers l’âge de douze mois, et qu’ils commencent à combiner deux mots ou plus vers l’âge de dix-huit à vingt-quatre mois. Mais si vous avez déjà passé du temps avec de jeunes enfants, vous savez qu’ils peuvent comprendre beaucoup plus de choses qu’ils ne peuvent en dire! Leur compréhension est souvent beaucoup plus avancée que leur capacité à produire des mots parlés ou signés. Mais la compréhension est beaucoup plus difficile à observer. Comment savoir ce que les bébés et les jeunes enfants comprennent du langage?

Comment devenir linguiste : observer le regard préférentiel

Une technique simple est celle du regard préférentiel. Dans ce type d’expérience, les chercheurs utilisent un grand écran ou une télévision. Le bébé ou le tout-petit est assis dans un siège rehausseur, face à l’écran. L’écran est divisé de manière à ce que deux images différentes apparaissent, une de chaque côté de l’écran. Pendant que les images s’affichent à l’écran, une voix enregistrée prononce une phrase, par exemple : « Regarde! Arrives-tu à trouver l’ours? » L’idée est que si le bébé comprend le mot ours, il regardera l’image de l’ours et non celle de l’autobus. Les chercheurs suivent la direction du mouvement de la tête du bébé ou utilisent l’oculométrie pour mesurer les mouvements des yeux du bébé. Ce type d’expérience a montré que les bébés regardent de manière assez fiable l’objet nommé vers l’âge de dix mois. Dès l’âge de six mois, ils regardent l’objet nommé plus souvent que le hasard ne le prévoirait. Ainsi, à l’âge de six mois, les bébés commencent déjà à faire le lien entre les mots et leur signification.

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Dessin au trait. Un écran de télévision avec une ligne verticale au centre. À gauche, un ours en peluche rose. À droite, un autobus scolaire orange. Un bébé est attaché dans un siège auto, face à l’écran.

Figure 11.6 : Regard préférentiel.

Nous pouvons utiliser cette technique pour déterminer ce que les enfants connaissent de la syntaxe en utilisant l’écran partagé pour afficher deux scènes similaires au lieu d’images de deux éléments distincts. Je n’ai mis ici qu’une simple image, mais les chercheurs utilisent souvent de courtes vidéos. Les deux scènes présentent les mêmes personnages, mais dans des configurations différentes. Dans les images ci-contre, celle de gauche montre l’adulte qui poursuit l’enfant, tandis que celle de droite montre l’enfant qui poursuit l’adulte. La phrase enregistrée qui dit « Regarde! L’enfant poursuit la femme » ne correspond qu’à une seule des deux scènes. Ainsi, si les enfants regardent la scène correspondante, cela signifie-t-il qu’ils comprennent la syntaxe? Ou font-ils simplement attention au sens des mots?

Dessin au trait. Un écran de télévision avec une ligne verticale au centre. À gauche, un adulte poursuit un jeune enfant. À droite, un jeune enfant poursuit un adulte.

Figure 11.7 : Regard préférentiel.

Vous souvenez-vous de l’idée de compositionnalité? Elle traduit le fait que la syntaxe est importante pour le sens de la phrase : le sens d’une phrase ne provient pas seulement de l’addition de tous les sens des mots, mais aussi de la manière dont ces mots sont combinés, c’est-à-dire de la syntaxe. En tant qu’adultes, nous savons que la phrase « l’enfant poursuit la femme » ne peut désigner que celle-ci, celle de droite. Mais si les enfants comprenaient la phrase en faisant simplement attention au sens des mots, les deux scènes seraient plausibles : après tout, les deux scènes montrent un enfant, les deux scènes montrent une poursuite et les deux scènes montrent une femme. Pourtant, il s’avère que les enfants de 15 mois, soit d’un peu plus d’un an, regardent plus souvent la bonne image ou vidéo (Hirsh-Pasek & Golinkoff, 1996). Cela suggère qu’ils ne se contentent pas d’additionner tous les sens des mots de la phrase, mais qu’ils sont également sensibles à la manière dont ces mots sont agencés, à la syntaxe, car c’est ce qui distingue l’enfant qui poursuit la femme de la femme qui poursuit l’enfant. Les enfants qui ont à peine plus de douze mois sont donc déjà sensibles à la structure des éléments syntaxiques et à leur rôle dans le sens de la phrase.

Quelles sont les autres connaissances des jeunes enfants en matière de syntaxe? Certaines expériences menées avec de jeunes enfants ne font pas appel à des écrans, mais à de véritables jouets. Dans cette expérience (Booth & Waxman, 2003), les chercheurs ont présenté à des enfants de 14 mois des mots nouveaux, inventés, que les enfants ne connaissaient pas déjà. L’expérimentateur a présenté de petits jouets à l’enfant et lui a dit : « Ce sont des blickets. Celui-ci est un blicket et celui-là est un blicket. » L’enfant avait donc quelques exemples de ce qu’était un blicket. L’expérimentateur a présenté ensuite deux nouveaux jouets, dont l’un appartenait à la même catégorie que les précédents – dans ce cas, la catégorie des animaux – mais dans une couleur différente, et l’autre était de la même couleur, mais appartenait à une catégorie différente.

Icônes d’un cheval rose et d’un cochon rose.

Figure 11.8a. Blickets.

Icônes d’un agneau vert et d’une voiture rose.

Figure 11.8b. Plus de blickets.

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Lorsque l’expérimentateur disait : « Peux-tu me donner le blicket? », si l’enfant tendait la main vers le nouveau jouet de la même catégorie, cela signifiait qu’il avait compris que blicket signifiait animal. En revanche, s’il dirigeait sa main vers le jouet de la même couleur, cela montrait qu’il interprétait le mot blicket comme un objet rose. Lors de cette expérimentation, les enfants de 14 mois attrapaient plus souvent le nouvel animal de couleur différente que le jouet de même couleur. Mais le schéma était inversé pour les enfants qui avaient entendu un cadre syntaxique différent. Si les jouets étaient présentés avec le nouveau mot en position d’adjectif, « Ces jouets sont blickish. Celui-ci est blickish et celui-là est blickish », alors, lorsque l’expérimentateur demandait « Peux-tu me donner celui qui est blickish? », les enfants étaient beaucoup plus enclins à choisir celui dont la couleur était la même. Ces résultats indiquent que lorsque les enfants d’un an entendent un nouveau mot en position de nom, ils en concluent qu’il a un sens similaire à celui d’un nom et qu’il se réfère à une chose ou à une catégorie de choses. Mais s’il est en position d’adjectif, sa signification est probablement plus proche de celle d’un attribut ou d’une propriété. En résumé, les enfants d’un an semblent être sensibles aux différences entre les catégories syntaxiques.

Au cours de leur deuxième année de vie, les enfants apprennent énormément. Ils apprennent de nouveaux mots très rapidement et découvrent la structure morphologique et syntaxique des mots. En fait, dès l’âge de deux ans, les enfants sont sensibles aux actants et aux sous-catégories ;également! Dans une autre expérience utilisant un écran divisé en deux parties (Arunachalam & Waxman, 2010), lorsque les expérimentateurs présentaient le nouveau verbe inventé mooper dans un cadre transitif, comme « La dame moope mon frère », les enfants de deux ans regardaient plus souvent la scène où un personnage faisait quelque chose à l’autre, comme le pousser. Mais lorsque le nouveau verbe apparaissait dans un cadre intransitif, comme « La dame et mon frère moopent », les enfants se tournaient plus souvent vers la scène où les deux personnages faisaient la même action, comme saluer de la main.

Dessin au trait. Un écran de télévision avec une ligne verticale au centre. À gauche, une femme pousse un homme en fauteuil roulant. À droite, une femme et un homme saluent de la main, et font face à l’avant.

Figure 11.9 : Différents sens de « mooper »

Cela suggère qu’à l’âge de deux ans, les enfants sont sensibles non seulement aux catégories syntaxiques, mais aussi aux sous-catégories! Pour revenir à la question de départ : « Quelles sont les autres connaissances des jeunes enfants en matière de syntaxe? ». Il s’avère qu’avant même que les enfants ne commencent à combiner des mots pour former des phrases lorsqu’ils parlent ou signent, ils en savent déjà beaucoup sur la façon dont les mots se combinent d’un point de vue grammatical.

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Références

Arunachalam, S., & Waxman, S. R. (2010). Meaning from syntax: Evidence from 2-year-olds. Cognition, 114(3), 442–446.

Booth, A. E., & Waxman, S. R. (2003). Mapping Words to the World in Infancy: Infants’ Expectations for Count Nouns and Adjectives. Journal of Cognition and Development, 4(3), 357–381.

Hirsh-Pasek, K., & Golinkoff, R. M. (1996). The origins of grammar: Evidence from early language comprehension. MIT Press.

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Les bases de la linguistique, 2e edition Copyright © 2022 by Catherine Anderson; Bronwyn Bjorkman; Derek Denis; Julianne Doner; Margaret Grant; Nathan Sanders; Ai Taniguchi; and eCampusOntario is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License, except where otherwise noted.

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