9 Activité économique et formation des classes sociales à Wendake, 1800-1950

Brian Gettler

Traduit de l’anglais par Catherine Ego[1]

Aux XIXe et XXe siècles, les voyageurs en visite à Jeune-Lorette s’étonnaient souvent de ne pas y rencontrer d’Autochtones « typiques. » En fait, soulignaient-ils, les caractéristiques physiques et les habitudes de vie de leurs hôtes ne les distinguaient guère de leurs voisins allochtones[2]. En 1871, par exemple, un récit de voyage canadien constate ce qui suit :

Bien des habitants de Lorette ont des ancêtres blancs […], et toute trace de l’ancienne vie sauvage a disparu. Ils vivent dans de belles maisons à charpente de bonne facture, chacune avec son jardin ou un lopin cultivé. Nombre d’entre eux sont des fermiers prospères; d’autres gagnent bien leur vie dans la fabrication de raquettes, canots, paniers et autres curiosités indiennes. Tous parlent le français. Nous avons assisté au service liturgique dans la chapelle; les prières étaient dites dans l’ancienne langue huronne, mais pas un fidèle, m’a-t-on assuré, n’en comprenait un mot[3].

De toute évidence, l’auteur de ce récit est déçu de ne pas avoir rencontré à Lorette la population exotique qu’il y cherchait. Certes, son espoir d’y trouver une culture bien différente reposait en grande partie sur des clichés alors largement répandus; néanmoins, certains villageois eux-mêmes nourrissaient délibérément de telles attentes. À l’époque, en effet, des membres de la communauté, pour donner plus de poids à leurs revendications politiques et promouvoir la vente des produits fabriqués dans le village, s’affichaient comme résolument distincts de leurs voisins non wendats[4]. En dépit de l’aura « traditionnelle » dont les entrepreneurs de Lorette nimbaient les mocassins, raquettes et « curiosités » qu’ils vendaient aux Allochtones, ce secteur d’activité, à l’instar de la société dans laquelle il se déployait, a connu en réalité aux XIXe et XXe siècles une évolution similaire à celle de l’économie nord-américaine dans son ensemble. Notre propos n’est pas ici de mettre en question l’« authenticité » des produits fabriqués par les Wendats, mais de montrer que ce secteur manufacturier a délibérément opté pour une stratégie de mise en marché fondée sur l’attrait de la tradition et de la singularité, de décrire la manière dont il s’est développé, et d’étudier les changements fondamentaux que son expansion a induits dans la structure sociale de la réserve. Nous situons l’essor de ce secteur par rapport à d’autres activités économiques plus anciennes, par exemple la chasse et l’agriculture, et analysons les mécanismes par lesquels un nombre relativement restreint de Wendats ont pu tirer parti de la production de raquettes et de mocassins à grande échelle pour assurer une instruction de haut niveau à leurs enfants, dont plusieurs ont exercé en définitive des professions libérales.

Cependant, la production ne constituait pas l’unique pilier de l’économie de Lorette[5]. Depuis quelques années, de plus en plus de chercheurs considèrent aussi la consommation comme un moteur économique de premier plan, ainsi qu’un révélateur des mouvements politiques et des normes culturelles et sociales[6]. Incontestablement, leurs constats s’appliquent aux transformations observées à Lorette aux XIXe et XXe siècles, car la consommation, en plus d’engendrer des revenus importants, s’y est alors imposée comme un haut lieu d’affrontements politiques et de différenciation socio-économique. Tout en rappelant rapidement certaines dimensions politiques importantes de la consommation chez les Wendats, nous nous intéressons surtout ici aux incidences de l’essor industriel du village sur l’ensemble de ses consommateurs, quel que soit leur profil socio-économique[7]. Nous montrons ainsi la nécessité d’analyser cette activité en parallèle de la production pour bien comprendre l’évolution de l’économie wendate aux XIXe et XXe siècles.

À partir des résultats préliminaires d’une étude bien plus poussée du marché du crédit dans le village et ses environs, ce texte montre aussi les liens étroits entre finance, production et consommation. Les familles devenues prospères, grâce à la fabrication manufacturière et la distribution de mocassins et de raquettes ainsi qu’à la vente au détail, ont pu ensuite accroître leurs revenus de ces activités par le recours aux marchés financiers, en prêtant de l’argent aux Wendats autant qu’à leurs voisins canadiens-français. La richesse accumulée par l’élite socio-économique du village sur la période étudiée provenait ainsi, à parts égales ou presque, de la manufacture et des investissements. Or, les stratégies qui ont permis aux familles aisées de dégager d’importants profits du prêt d’argent se déployaient dans un système distinct : la structure juridique et financière du Québec, dans laquelle les notaires jouaient un rôle de tout premier plan. Si ce système favorise l’élite socio-économique dès le début du XIXe siècle, son incidence sur les relations sociales s’est beaucoup accentuée avec l’adoption de la Loi sur les Indiens et la restructuration de la propriété qu’elle a induite dans les réserves du Canada. À partir de la fin du XIXe siècle, le marché du crédit a ainsi conféré aux élites wendates fortunées un pouvoir considérable sur les autres membres de la communauté. Le capitalisme industriel jouant un rôle décisif dans le réaménagement de ses dynamiques internes, Lorette a connu les mêmes pressions économiques et sociales que les autres sociétés du monde.

Les rapports gouvernementaux, récits de voyages, documents notariés (par exemple, contrats de prêt et actes de cession foncière), journaux, analyses de chercheurs en sciences sociales de l’époque ainsi que les écrits de divers membres de la communauté wendate nous éclairent aujourd’hui sur les rouages de la production, de la consommation et de la finance. En raison de l’hétérogénéité de ces sources, nous proposerons ici un portrait qualitatif plutôt que quantitatif de l’activité économique à Lorette. Dans toute la mesure du possible, cependant, des chiffres compilés à partir des sources documentaires illustrent cette description et précisent la place de Lorette dans l’économie nord-américaine.

De la même façon, puisque le présent texte explique la formation de classes sociales par l’évolution des activités économiques dans la communauté, il importe de souligner que les élites elles-mêmes ont largement contribué à la constitution de la majeure partie des sources d’information dont nous disposons actuellement, quand elles ne les ont pas elles-mêmes produites. La présente étude s’applique néanmoins au village tout entier, car la plupart de ces activités touchent aussi les membres moins fortunés de la communauté. En outre, parce que ce texte décrit un processus d’instauration de relations sociales, la notion de « classe », centrale dans l’analyse qui suit, ne doit pas être entendue ici comme renvoyant à une catégorie rigide[8]. Par ailleurs, ce processus témoigne de la singularité du contexte local, mais aussi des similitudes entre Lorette et d’autres sociétés de l’époque. En ce sens, le présent texte s’inscrit en faux contre la tendance historiographique qui tient le parcours historique des Premières Nations pour absolument distinct de tous les autres et conduit au passage les historiens à réduire ces peuples à l’altérité en acceptant tacitement de les reléguer à un rôle marginal voire insignifiant, ainsi que le font les courants plus dominants de la recherche[9]. Globalement, l’histoire économique des Wendats s’apparente de près à celle des sociétés de l’Europe et des sociétés qui ont émergé de la colonisation européenne en Amérique du Nord.

La production

La fabrication manufacturière à grande échelle de produits « traditionnels » constituait l’activité économique la plus visible de Lorette aux XIXe et XXe siècles, et conserve d’ailleurs à l’heure actuelle une importance capitale pour le village. Néanmoins, les Wendats s’investissaient aussi dans d’autres sphères de production économique, par exemple la chasse, le piégeage et l’agriculture. L’évolution de ces différentes activités productives entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XXe mena à une domination croissante de la fabrication manufacturière de mocassins et de raquettes sur la vie économique de Lorette, et l’essor de ce secteur s’accompagna d’une métamorphose des relations sociales dans la communauté. L’économie du Québec prenait à l’époque le virage d’une industrialisation marquée par une concentration grandissante du capital entre les mains d’un nombre restreint de personnes et de familles, et les Wendats vivaient une évolution similaire. En se détournant d’activités économiques relativement autonomes telles que la chasse ou l’agriculture pour assurer leur subsistance, les membres de la communauté privilégiaient de plus en plus le travail salarié.

Le lent déclin de la chasse et de l’agriculture

Dans leur territoire d’origine, Wendake Ehen, que l’on appelait autrefois la Huronie, les Wendats pratiquaient déjà l’agriculture, la chasse, la pêche et la cueillette pour leur propre subsistance et pour le commerce[10]. Si ces activités ont conservé une importance significative pendant une bonne partie du XIXe siècle, leur contexte ainsi que leurs modes de production s’étaient déjà transformés de manière substantielle dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Plus le village perdait de sa spécificité et plus il ressemblait aux communautés allochtones voisines, plus les Wendats s’investissaient dans les activités commerciales, sans pour autant renoncer à leurs pratiques économiques traditionnelles telles que la chasse et l’agriculture[11]. Il convient de rappeler ici que ces échanges commerciaux inscrits dans une dynamique de marché étaient bien différents des formes de commerce pratiquées antérieurement par les Wendats. À l’époque de Wendake Ehen, les échanges reposaient sur la réciprocité; à Lorette, ils visaient de plus en plus le profit[12]. Bien qu’il reste difficile de mesurer leur poids économique réel à l’époque, la chasse et l’agriculture constituaient au début du XIXe siècle des preuves majeures à l’appui des revendications de la communauté à l’égard de la seigneurie de Sillery[13]. Ces activités semblent cependant avoir été parfois décrites de manière volontairement inexacte pour donner plus de poids aux arguments des Wendats, en particulier quand ils affirmaient ne plus pouvoir chasser à cause des empiétements territoriaux – même si, de fait, les pressions démographiques modifiaient nécessairement les pratiques de chasse. Par des pétitions et témoignages soumis à la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, en tout premier lieu par Sawatanen, les chefs du village soutenaient que la confirmation du statut de Sillery comme propriété des Wendats leur permettrait d’assurer la subsistance de la communauté malgré l’effondrement de leurs activités de chasse et de pêche causé par l’empiétement territorial des Allochtones. Dans une pétition soumise en 1819 au Parlement du Bas-Canada, les Wendats déclaraient ainsi que la perte de Sillery les avait « réduits à la plus extrême pauvreté. » De plus, ajoutaient les signataires de la pétition, « dans un Pays dont leurs Aïeux furent autrefois les Maîtres, ils ont perdu jusqu’au droit de Chasse, n’osent plus rentrer dans les Forêts dont ils sont journellement chassés avec violence par des propriétaires qui les considèrent et les traitent comme des Malfaiteurs[14]. » Témoignant devant le comité cinq ans plus tard, Nicolas Vincent Tsawenhohi répète que la chasse est de plus en plus difficile : « jusqu’aux habitants se mêlent de chasser et de pêcher et détruisent tout. Ils tendent des rets pour les tourtes, et sont prêts de nous tuer lorsque nous passons sur le bout de leurs terres dans les bois : ils disent pour leur raison qu’ils ont ces terres en concession et qu’ils sont maîtres chez eux. Puisque messieurs les Canadiens ont des terres à cultiver, qu’ils les cultivent, et qu’ils nous laissent nos droits de chasse et de pêche[15]. » Dans une pétition adressée en 1829 au secrétaire d’État aux colonies, les chefs se font l’écho des affirmations de Tsawenhohi[16].

Il est fort possible que ces revendications aient été exagérées quelque peu. Ainsi, quand les chefs se présentent devant la Chambre d’assemblée en février 1819, l’un d’eux, Gabriel Vincent Wawondrohnin, n’assiste pas aux discussions, car il est « à la chasse[17]. » Les recensements tenaient rarement compte de telles absences, qui étaient fréquentes alors et le resteraient jusque dans les années 1830 au moins, amenant les chefs à tenir leurs réunions en dehors de la saison de la chasse[18]. Cette pratique a même probablement persisté bien plus tardivement, puisque presque tous les hommes de la communauté participaient encore à au moins l’une des deux saisons de chasse – automne et printemps – jusque bien après le milieu du siècle[19].

En dépit de cette participation, massive au début du XIXe siècle, le nombre des Wendats tirant l’essentiel de leurs revenus de la chasse ou du piégeage avait déjà considérablement baissé dès la fin du siècle. Entre 1871 et 1891, le pourcentage des hommes déclarant la chasse comme activité principale est ainsi passé de 37,5 % à 14 %, une diminution qui s’explique en grande partie par l’effondrement du prix des fourrures[20]. Après plusieurs années difficiles, ce marché a certes repris de la vigueur en 1889 pour garder un bon niveau jusqu’au milieu des années 1890. Néanmoins, la chasse et le piégeage avaient alors définitivement perdu leur rôle prépondérant dans l’économie wendate[21]. Du reste, même pendant ces années d’abondance relative et de prises enviables, l’agent des Indiens du village, officiellement constitué en réserve dans les années 1850, rapportait que les membres de la communauté ne pouvaient pas, « à ce métier, pourvoir aux besoins de leurs familles[22]. »

En marge de l’essor des autres activités économiques, la création du parc provincial des Laurentides ainsi que l’implantation de nombreux clubs de chasse et de pêche disposant de droits exclusifs dans la région semblent avoir également contribué à ce déclin. En 1896, l’agent des Indiens indique ainsi à ses supérieurs d’Ottawa que « le gouvernement provincial a concédé par patente presque tous les lacs où ils avaient l’habitude de pêcher librement. L’établissement du parc national leur a enlevé la liberté de chasser là où il leur plaît, et si quelqu’un s’avisait d’enfreindre la loi, il s’exposerait à être sévèrement puni et à perdre ses munitions et son matériel de chasse[23]. » En 1900, plusieurs Wendats comparaissent devant la justice en raison de leurs activités de chasse et de piégeage dans le parc des Laurentides ou sur des terres réservées aux clubs de chasse et de pêche. Les tribunaux s’abstiennent, dans un premier temps, d’imposer aux contrevenants les amendes et les peines de prison dont ils sont passibles, mais uniquement à la condition que les Wendats « n’y retournent plus [24] ». Certains continuent néanmoins d’y chasser, même après que les tribunaux ont commencé de les astreindre à des amendes[25].

Le plus souvent, les Wendats complétaient alors leurs pratiques personnelles, et relativement modestes, de chasse et de piégeage par un emploi rémunéré de guide pour touristes chasseurs et pêcheurs au nord de la ville de Québec[26]. Combinant diverses activités, à la fois autochtones et allochtones, ils s’inscrivent dans une économie « moditionnelle » (associant activités modernes et traditionnelles)[27]. À la fin des années 1880, l’agent des Indiens souligne que les membres de la communauté qui travaillent comme guides bénéficient ainsi d’un niveau de vie plus élevé que ceux qui continuent à vivre essentiellement de la chasse[28]. En 1896, l’agent Bastien indique que la majorité des hommes wendats travaillent désormais comme guides et retirent de cet emploi un excellent salaire : « À certaines époques de l’année, particulièrement en hiver, il n’est pas extraordinaire de voir les trois quarts de nos hommes partir avec des touristes. Ils gagnent alors $1,25 par jour, tous frais acquittés[29]. » Ce secteur économique continue d’ailleurs de procurer du travail à certains membres de la communauté jusqu’au milieu des années 1930. Les guides wendats gagnent alors trois dollars par jour, qu’ils soient employés dans les clubs ou qu’ils travaillent comme guides autonomes pour chasseurs et pêcheurs de passage[30]. En général, ils quittent le village à destination des clubs au printemps ou au début de l’été pour installer les campements dans lesquels ils vivront tout l’automne. Ils rentrent ensuite à Lorette, où les attend un marché de l’emploi restreint, à tout le moins dans la période particulièrement difficile du début des années 1930[31].

Comme celle de la chasse, la part de l’agriculture dans les revenus des Wendats a graduellement décliné. Au début du XXe siècle, son rôle économique est réduit à néant ou presque. En matière agricole aussi, les chefs ont souvent forcé la note dans l’information qu’ils soumettaient aux législateurs du Bas-Canada pour étayer leurs revendications à l’égard de la seigneurie de Sillery. En 1824, devant un comité de la Chambre d’assemblée, le grand chef Nicolas Vincent Tsawenhohi affirme ainsi que la rareté des terres limite l’activité agricole à quelques membres seulement de la communauté : « Ceux des sauvages qui ont de la terre plantent du [blé] d’Inde, sèment des patates et un peu de grain; mais le nombre en est bien petit. Les autres vivent du produit de la chasse et de la pêche, parce qu’ils n’ont pas de terres. » Tsawenhohi ajoute que la plupart des jeunes familles de la réserve ne peuvent pas s’orienter vers l’agriculture parce qu’elles n’ont pas d’argent pour acquérir des terres[32]. Toujours dans le contexte des revendications relatives à Sillery, les chefs de Wendake affirment six ans plus tard qu’ils n’ont « ni la connaissance ni la pratique » de l’agriculture, contredisant sur ce point à la fois Tsawenhohi et les observateurs externes qui décrivent la communauté depuis la Conquête. Les chefs expliquent par ailleurs à la Chambre d’assemblée que, si la communauté possédait des terres défrichées aux abords du village, « [leurs] enfants au moins pourraient s’élever avec quelques connaissances d’agriculture[33]. »

S’il est faux d’affirmer que les membres de la communauté ignorent tout de l’agriculture à cette époque, d’autres sources confirment qu’elle ne joue effectivement qu’un rôle très secondaire dans son économie. Dès 1836, un représentant des Affaires indiennes indique que certains Wendats tirent de cette activité une partie de leurs revenus, mais « aucun d’entre eux n’y puise toute sa subsistance[34]. » Cette situation s’expliquerait par la superficie restreinte de Lorette ainsi que la pauvreté relative de ses sols[35]. Or, cette activité restait secondaire aussi dans la réserve des Quarante-Arpents de cette même communauté, un territoire pourtant beaucoup plus vaste, plus fertile et peu peuplé. Au milieu du XIXe siècle, l’agriculture occupait dans cette autre réserve une place plus négligeable encore qu’une autre activité économique pourtant bien modeste : la collecte de bois[36]. À bien des égards, l’approche des Affaires indiennes en matière de développement agricole des communautés autochtones – leur méthode de prédilection pour « civiliser » les Premières Nations – a en réalité entravé l’essor de cette activité dans la réserve des Quarante-Arpents[37]. Si le Ministère a parfois consenti aux Wendats des subsides pour l’achat de semences et d’outils agricoles, la Loi sur les Indiens adoptée en 1876 interdisait en théorie aux membres des communautés d’hypothéquer les terres qu’ils occupaient pour les amender[38]. À la fin du XIXe siècle, l’agent des Indiens se plaignait régulièrement de cette difficulté auprès de ses supérieurs. En 1895, il écrivait ainsi : « Sur la réserve des Quarante-Arpents, il n’y a, cette année, qu’environ une centaine d’acres en culture, et cette culture a été faite par six familles huronnes. Ces familles sont dans une position difficile. Bien que le sol soit propre à la culture, les sauvages n’étant pas en état de faire les améliorations que requiert une exploitation agricole soigneuse et ne pouvant pas, d’un autre côté, emprunter ou hypothéquer leur fonds, ne retirent pas grand-chose de leur terre; ils sont obligés d’avoir recours aux expédients et travailler à la journée pour faire vivre leurs familles[39]. »

Les Affaires indiennes se serviront ensuite de ces arguments pour justifier la reprise et la vente des Quarante-Arpents et de Rocmont, une réserve située un peu plus loin de Lorette. Même si plusieurs Sioui vivaient aux Quarante-Arpents à l’époque, les dirigeants wendats, en désaccord permanent avec cette famille, ont affirmé qu’ils n’habitaient pas ces terres ni ne les exploitaient[40]. En août 1904, le gouvernement fédéral vend finalement ces terres aux enchères[41] et place le produit de cette transaction dans un fonds en fiducie géré par les Affaires indiennes pour le compte des Wendats. Cette vente mettra un terme aux modestes activités agricoles déployées par des membres de la communauté au fil du siècle précédent. Si l’agriculture disparaît ainsi, le jardinage reste par contre relativement florissant[42]. Au milieu du XXe siècle, un mémoire de licence en sociologie souligne que, sur les 76 Wendats et 75 Allochtones qui travaillent dans la réserve, aucun n’est employé dans l’agriculture[43].

Les conséquences socio-économiques de l’évolution du secteur manufacturier traditionnel

Le déclin des revenus de la chasse et de l’agriculture à Lorette stimule naturellement l’essor de son secteur manufacturier commercial régi par les lois du marché. Comme la chasse et l’agriculture, la production manufacturière propulse les pratiques et les savoir-faire traditionnels wendats dans l’économie capitaliste. Cependant, comme il l’a fait avec ces autres activités, le marché métamorphose les dynamiques manufacturières, particulièrement la fabrication de mocassins et de raquettes. Il restructure aussi en profondeur la société villageoise : quelques familles déjà implantées dans la production manufacturière consolident leur emprise sur ce secteur; d’autres abandonnent leur production relativement autonome ou leur travail à la pièce au profit d’un emploi salarié. Cette réorientation de l’économie ainsi que les transformations d’un secteur manufacturier en plein essor expliquent, en partie du moins, l’évolution socio-économique plus globale du village au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe. Nous appuyant sur une analyse du parcours économique du village et de ses répercussions sociales, nous montrerons ici que la production manufacturière commerciale a enclenché un processus de formation de classes sociales similaire à ceux qui ont pu être observés dans la majeure partie de l’Amérique du Nord et de l’Europe.

Bien avant leur arrivée sur la rive nord du Saint-Laurent, les Wendats fabriquaient déjà des produits utilitaires pour leur propre usage et pour leurs échanges commerciaux avec les nations voisines[44]. Certains membres de la communauté fabriquaient dès les années 1740 des produits qu’ils vendaient aux militaires français[45]. Après la conquête de la Nouvelle-France, la demande externe ayant stimulé son intégration à l’économie de marché de Québec, alors en pleine croissance, cette pratique s’est toutefois profondément transformée. Un traité historique des années 1880 signale que les Wendats de Lorette fabriquent et vendent beaucoup de « raquettes, mocassins de caribou et mitaines aux régiments anglais installés dans la citadelle de Québec. » Leur succès commercial repose sur les compétences manufacturières traditionnelles des membres de la communauté et sur leur maîtrise de la chasse, une double expertise qui séduit « les officiers prospères qui [parcourent] chaque hiver les Laurentides, au nord de la ville, pour y trouver chevreuils et caribous en compagnie d’un guide chevronné, Gros-Louis, Siouï, Vincent et autres célèbres Nimrod hurons[46]. » Affirmant aux autorités politiques du Bas-Canada que les Wendats fabriquent une grande diversité de biens décoratifs et utilitaires, y compris des mocassins, raquettes, écharpes, paniers, traînes sauvages, chapeaux de fourrure et mitaines, colliers de piquants de porc-épic, sacs, réticules, arcs, flèches, rames, petits canots et poupées indiennes, Nicolas Vincent Tsawenhohi ajoute néanmoins qu’ils ne vendent ces articles que de manière occasionnelle, et seulement à la moitié de leur prix antérieur[47]. Ce témoignage doit, lui aussi, être considéré avec prudence. Comme pour la chasse et l’agriculture, Tsawenhohi semble faire état de difficultés économiques, au milieu des années 1820, dans le but de favoriser les revendications foncières des Wendats. Quoi qu’il en soit, le commissaire général indique au gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique en 1836 que les Wendats travaillent essentiellement « dans la fabrication de mocassins, raquettes et autres produits destinés au marché de Québec, et dans la chasse et la pêche[48]. »

Aux premiers stades de la commercialisation à grande échelle, le secteur manufacturier semble s’être organisé dans les foyers : chaque famille fabriquait et vendait alors ses produits de manière individuelle. Dans les années 1840, peut-être même avant cela, Marguerite Vincent La8inonkié et son mari Paul Picard Honda8onhont ainsi que leur neveu Philippe Vincent Téonouathasta et leur fils François-Xavier Picard Tahourenché, dit Paul, administrent cependant une manufacture d’importance, la première de la communauté. L’entreprise pratique le travail à façon : ses travailleurs wendats produisent les marchandises à domicile, chacun dans sa propre maison[49]. Dans les années 1840, les Picard entretiennent ainsi des relations d’affaires très fructueuses avec les militaires britanniques autant qu’avec les civils[50]. Ils comptent parmi leur clientèle plusieurs membres de l’élite dirigeante de la colonie, notamment Lady et Lord Elgin[51]; Robert Bruce, frère du gouverneur et secrétaire militaire; et le général Charles Stephen Gore, commandant de l’armée britannique pour l’Est du Canada[52]. Plusieurs conditions concourent alors au maintien de relations commerciales avec d’aussi illustres clients, en particulier la proximité de Lorette par rapport à Québec, le statut social élevé des Picard, et leur capacité à recevoir leurs distingués acheteurs avec tous les égards dus à leur rang[53]. Dans les années 1850, les Picard présentent leurs marchandises et les vendent avec grand profit dans des foires commerciales de Québec et de Montréal ainsi qu’à l’Exposition universelle de Paris[54]. Au milieu du siècle, un observateur en visite à Lorette souligne que Philippe Vincent et Paul Picard mènent « une existence confortable – ou plutôt, luxueuse[55]. » Au début des années 1870, alors que le fils de Philippe Vincent, également prénommé Philippe, a déjà pris en main l’exploitation de l’entreprise, la famille expédie 1700 paires de mocassins à un seul et même acheteur[56]. Si de telles ventes ne représentent pas des sommes astronomiques (en l’occurrence, la paire de mocassins se vendait à l’époque 10 cents pour les modèles féminins, 13 pour les modèles masculins), le volume de cette transaction ainsi que les documents établissant le caractère durable de cette relation commerciale permettent de conclure que les opérations de cette ampleur n’étaient pas rares[57].

Dans la foulée des Picard et des Vincent, les Bastien s’implantent dans la production manufacturière de mocassins, raquettes et autres articles amérindiens « traditionnels ». L’entreprise, qui serait bien connue dans les années 1920 sous le nom de Bastien Frères (ou Bastien Brothers), amorce sa production à Lorette en 1876 sous la direction de Maurice Bastien[58]. À l’époque, il assure seul la production des raquettes. Ayant visité le village wendat dans les années 1890, le sociologue Léon Gérin indique que Maurice Bastien Ahgnionlen « deuxième du nom », fils de Maurice Bastien, a repris les rênes de cette entreprise prospère. En plus de produire des raquettes, les Bastien tannent les peaux et fabriquent des mocassins[59]. Si l’entreprise familiale s’adresse ultérieurement à des grossistes internationaux pour distribuer ses produits, c’est Caroline Bastien elle-même, fille de Maurice Bastien Ahgnionlen, qui, dans les années 1880, parcourt les États-Unis pour accroître la clientèle hors frontières[60]. L’augmentation fulgurante de la capitalisation nette estimée de l’activité manufacturière des Bastien entre 1880 et 1930 constitue sans doute le témoignage le plus éloquent de son formidable essor : elle se situait entre 500 $ et 1000 $ en 1882; entre 5000 $ et 10 000 $ en 1900; entre 10 000 $ et 20 000 $ en 1930[61]. Il convient de souligner ici que cet accroissement coïncide avec une réorientation décisive de l’activité des Bastien au profit des mocassins et au détriment des raquettes, reléguées au rang de production relativement mineure.

Au milieu des années 1880, François Gros-Louis Sassenio rejoint les Bastien et les Picard (famille alors dirigée par Philippe Vincent) dans la fabrication manufacturière de mocassins et de raquettes[62]. À l’époque, le missionnaire des Wendats constate : « Le commerce des [mocassins] et des raquettes s’est fait sur une grande échelle, ce qui a contribué à la prospérité du village[63]. » Toutefois, vers la fin de cette décennie, la concurrence des Canadiens français sur le terrain des « industries indiennes » commence à nuire aux manufactures de Wendake[64]. Au milieu des années 1890, l’agent des Indiens, par ailleurs frère de Maurice Bastien fils, souligne les difficultés économiques de la communauté en expliquant qu’elles résultent d’un effondrement des prix de moitié, lui-même causé par « la stagnation des affaires » et la féroce concurrence. Ces difficultés, ajoute l’agent, contraignent certaines familles à tenter l’aventure états-unienne. « Mais heureusement que les demandes de l’Ontario et de l’Ouest ont donné un peu de hausse aux affaires; le village était menacé d’une émigration en règle. Ce désastre a été prévenu grâce aux efforts d’hommes courageux de la tribu, particulièrement M. Maurice Bastien, fils, qui, au détriment de ses propres affaires et dans le seul but d’aider à ses compatriotes, a continué à donner du travail aux familles du village, les empêchant ainsi de quitter le pays[65]. »

L’agent des Indiens juge par ailleurs médiocres les perspectives d’un regain durable du secteur manufacturier : « [La] moitié du commerce est maintenant [passée] entre les mains de spéculateurs qui font au rabais le commerce de ces articles qui, toutefois, ne perdent rien de leur qualité ou de leur valeur réelle[66]. » Les tanneries hors réserve qui, avec Bastien, dominent le marché des approvisionnements en matières nécessaires à la production de mocassins et de raquettes, constituent alors les principales menaces pour les manufactures wendates. Au début du XXe siècle, Cloutier, un Canadien français ayant épousé une veuve de la famille Sioui, et Henry Ross, un marchand d’origine écossaise ayant récemment acquis l’entreprise de Philippe Vincent, sont ainsi les plus grands concurrents des Wendats dans le tannage et la fabrication de mocassins et de raquettes. À Lorette, toutefois, c’est Bastien qui possède la plus grande entreprise de ce type, et de loin[67].

Ce secteur d’activité connaît pourtant à la toute fin des années 1890 un extraordinaire revirement, une explosion de la demande en mocassins et raquettes attribuable à la ruée vers l’or du Klondike. En 1898, l’agent des Indiens à Lorette écrit : « Il se manufacture dans le village des Hurons pas moins de 7,000 paires de raquettes et au moins 12,000 douzaines de paires de mocassins, représentant un chiffre d’affaires de $70,000 à $75,000[68]. » Léon Gérin confirme ces observations, estimant que les Wendats transforment chaque année entre 10 000 et 15 000 peaux pour produire environ 140 000 paires de mocassins et 7 000 paires de raquettes[69]. À titre de comparaison, l’entreprise montréalaise Ames, Holden & Co., l’un des fabricants de chaussures les plus importants de la province, a produit deux millions de paires de chaussures en 1921[70]. Par conséquent, si Lorette manufacture bien 150 000 paires de mocassins dans les grandes années du Klondike, ainsi que l’affirme l’agent des Indiens, la production wendate, quoique bien inférieure à celle des plus grands fabricants de la province au XIXe siècle, n’en est pas pour autant négligeable. Bastien s’impose alors comme le plus grand producteur de raquettes et de mocassins (selon l’agent des Indiens, il représente plus de la moitié du chiffre d’affaires de ce secteur); l’entreprise de Philippe Vincent (l’ancien établissement Picard, qui sera acheté par Henry Ross après la mort de Vincent, en décembre 1897) en fabriquait également de bonnes quantités.

Mais alors que les entrepreneurs wendats tirent, selon toute apparence, d’abondants profits de leur production, leurs concitoyens employés dans l’industrie en obtiennent un revenu bien moins généreux. À la moitié du XIXe siècle, le secteur manufacturier constitue l’activité économique principale pour environ quarante-cinq familles[71]. Un visiteur connaissant bien Lorette affirme toutefois que les tanneurs wendats employés par un Canadien français de la région ne touchent en contrepartie de leur labeur qu’une maigre rémunération[72]. Dans les années 1890, les femmes qui brodent, plissent ou cousent des mocassins pour les entreprises de Lorette touchent entre 0,25 $ et 0,30 $ par douzaines de paires. Par conséquent, affirme Gérin, elles gagnent entre 0,30 $ et 0,50 $ par jour si elles travaillent entièrement à la main, mais deux fois plus avec une machine à coudre. Face à cet écart de revenus, nombreuses sont les femmes wendates qui ont déjà investi dans cette technologie au début du XXe siècle[73]. Bien qu’il souligne que l’accroissement soudain de la production de mocassins et de raquettes suscité par la ruée du Klondike a permis de créer ou préserver de nombreux emplois, en plus d’assurer le maintien de « l’industrie mère de notre village de Lorette », l’agent des Indiens note que cet essor n’a guère bonifié les salaires des travailleurs ni les profits des propriétaires d’entreprises[74]. Néanmoins, les salariés de Lorette gagnent mieux leur vie que leurs voisins canadiens-français. Les rémunérations offertes par les entreprises du village sont même suffisamment alléchantes pour convaincre des Canadiens français de la région de se joindre aux Wendats dans la production de mocassins; seulement deux d’entre eux possèdent cependant les compétences nécessaires pour fabriquer des raquettes. Au tournant du XXe siècle, Gérin constate qu’un nouveau système de production a remplacé l’ancien modèle du travail à façon dans la fabrication des produits « artisanaux » wendats, et transforme de manière significative les conditions de travail dans le village[75]. Une nouvelle hiérarchie, fondée sur les classes sociales, supplante l’ancien système de production, plus informel.

En plus des mocassins et des raquettes, les Wendats fabriquent alors des « ouvrages de fantaisie ». Les produits de ce secteur d’activité certes bien plus modeste et d’une incidence économique moindre sont vendus dans le village, à des grossistes des centres urbains ainsi qu’aux touristes dans le nord-est des États-Unis et dans les lieux de villégiature du bas Saint-Laurent – La Malbaie, Cacouna, Rivière-du-Loup[76]. L’industrie du souvenir connaît aussi un regain à la fin du XIXe siècle – moins vigoureux, cependant, que celui des mocassins et des raquettes. Alors que la production plus industrielle bénéficie considérablement du Klondike, l’agent des Indiens signale que la fabrication manufacturière de souvenirs n’a pas été cette année-là « très rémunératrice, les sauvagesses n’ayant pas eu le temps pendant l’hiver de confectionner autant d’ouvrages en bois de frêne et en foin d’odeur que par le passé ». Elles avaient donc peu de marchandises à proposer aux touristes qu’elles sont allées rencontrer dans leurs lieux de villégiature, ajoute-t-il; en outre, les ventes de la fin de la saison laissent présager une nouvelle baisse des ventes pour l’année en cours. En plus du contexte économique maussade, la révocation de l’exemption des droits de douane accordée jusque-là aux Autochtones du Canada par les États-Unis grève leurs prix de « droits exorbitants sur ces articles[77] ». Les emplois wendats supprimés par l’effondrement de la production de raquettes et de mocassins après la flambée yukonaise du Klondike contribuent néanmoins au triplement, l’année suivante, des revenus de la vente des « ouvrages de fantaisie ». L’agent des Indiens souligne que cette heureuse coïncidence, ainsi que le lancement d’une production de canots de toile, permettent en définitive à l’économie de Wendake d’éviter l’affaissement de ses revenus : « Sans l’introduction dans le village d’une nouvelle industrie, la fabrication des canots en toile, plusieurs familles auraient été dans un grand besoin[78] ». Les revenus de ce secteur d’activité restent néanmoins, sur toute la période considérée, très inférieurs à ceux de la production de mocassins et de raquettes.

Si la fabrication manufacturière d’articles « traditionnels » procure un revenu à la plupart des habitants de Lorette durant le XIXe siècle, tous les membres de la communauté ne profitent pas également de son essor. Cette activité participe ainsi à l’accentuation de la stratification socio-économique : alors que les recettes de la manufacture permettent aux Bastien et aux Picard/Vincent d’accéder à des parcours éducatifs prestigieux, puis à des carrières du secteur tertiaire, et d’affermir de cette façon leur statut social, les familles moins privilégiées peinent, du moins dans un premier temps, à leur emboîter le pas. Prosper Vincent Sawatanen, par exemple, l’un des fils de Philippe Vincent Téonouathasta, devient prêtre catholique en 1870 et sera vicaire au tournant du XXe siècle[79]. En 1876, le ministère provincial de la Colonisation et des Mines engage Paul Picard, fils de François-Xavier Picard Tahourenché, comme dessinateur et arpenteur, un poste qu’il occupe au moins jusqu’en 1888[80]. Avant cela, Picard avait été clerc de notaire à partir de 1865, puis notaire cinq ans plus tard[81]. Les deux fils de Picard ont fait des études similaires et atteint un statut comparable. Pierre-Albert Picard Tsichiek8an, alors grand chef et agent des Indiens, a travaillé pour le service du cadastre du ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries du Québec de 1921 à 1942[82]. Son frère, Louis Philippe Ormond Picard Arôsen, a tout à la fois mené une prestigieuse carrière militaire et occupé un emploi dans le secteur tertiaire. S’étant enrôlé dans la Milice canadienne en 1897, il servira brièvement sous les drapeaux en Afrique du Sud, juste après la fin de la guerre des Boers. En septembre 1914, Picard, « explorateur et dessinateur », se réengage dans l’armée au rang de lieutenant, un grade qu’il a obtenu en 1898. Déployé pendant la guerre en France avec le 12e Bataillon, il est promu capitaine[83] et devient ainsi l’un des rares Autochtones titulaires d’une commission d’officier à avoir servi dans les rangs du Corps expéditionnaire canadien[84].

Tandis que les familles Vincent et Picard dominent dans les études et le statut, la famille Bastien s’impose dans l’ascension sociale wendate à partir de la fin du XIXe siècle. Député conservateur de l’Assemblée législative pour le comté de Québec de 1924 à 1927, Ludger Bastien se démarque particulièrement, mais d’autres membres de la famille Bastien connaissent aussi des parcours remarquables, quoique moins publics. Joseph Bastien, le frère de Ludger, occupe ainsi le prestigieux poste de directeur du département de la fourrure du grand magasin Holt & Renfrew de Québec. Ernest, un autre de ses frères, dirige avec Ludger lui-même plusieurs entreprises familiales très prospères[85].

La position socio-économique de la famille s’explique par la domination qu’elle exerce sur le secteur manufacturier de Lorette de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe, mais aussi par l’usage judicieux qu’elle fait des profits de ces activités et de fonds provenant d’autres sources. En 1923, une décision judiciaire majeure permet ainsi une injection considérable de capitaux dans les activités de la famille Bastien – la plus importante de son histoire. En 1909, Ludger et son frère Ernest Bastien ont établi sur la rivière Saint-Charles, à Lorette, une tannerie alimentée à l’énergie hydraulique et administrée par leur entreprise, Bastien Frères. Depuis 1895, le lac Saint-Charles, un peu en amont de la réserve, assure une bonne partie des approvisionnements en eau potable de la ville de Québec. Cependant, la ville n’a jamais dédommagé les propriétaires fonciers dont l’accès à l’eau a été restreint par cet aménagement. En 1914, Québec ayant installé de plus grosses canalisations pour acheminer de plus grandes quantités d’eau, Ludger et Ernest Bastien poursuivent la ville en l’accusant d’empêcher leur tannerie de fonctionner au maximum de sa capacité à cause de la baisse du débit à certaines périodes de l’année. En 1923, le Conseil privé leur octroie 175 000 $ en dommages ainsi que la gratuité de l’eau à perpétuité pour le lavage et le trempage des peaux[86]. Cet apport massif de fonds procure à l’entreprise de solides réserves financières et assure aux Bastien de coquets bénéfices personnels. Ils investissent ces sommes dans divers projets commerciaux, dont au moins quatre entreprises familiales – Alexandre Bastien, Limitée; Bastien Silver Fox Breeders; Bastien Frères; et Bastien, Gagnon et Cloutier)[87].

Si ces familles dominent l’élite lorettoise jusqu’au milieu du XXe siècle, quelques autres Wendats étaient déjà employés dans le secteur tertiaire dans les années 1930. Paul Launière, par exemple, travaille pour le gouvernement provincial, et l’une des sœurs Gros-Louis, pour la Metropolitan Life Insurance Company de Québec[88]. Des membres de professions libérales émergent aussi de Lorette à cette époque. Léon Gros-Louis est sans doute l’incarnation la plus étincelante de l’ascension professionnelle wendate puisque, ayant étudié à l’université Laval, il devient en 1952 le premier médecin de Lorette[89]. En dépit de ces cas isolés, les familles Picard, Vincent et Bastien maintiennent leur domination dans les emplois qualifiés, le secteur tertiaire et les postes commerciaux sur toute la période étudiée et s’imposent ainsi comme les moteurs des transformations profondes observées dans la société de Lorette à cette époque. Au XXe siècle, même s’il continue de procurer de l’emploi à de nombreux Wendats et d’assurer la prospérité d’un nombre beaucoup plus restreint d’entre eux, le secteur manufacturier de Lorette témoigne de l’évolution en marche des conditions économiques bien au-delà des frontières du village. Après le repli de la première décennie du siècle, la fabrication manufacturière connaît un regain relatif juste avant la Première Guerre mondiale[90]. Un observateur constate à Lorette que Maurice Bastien « dirige une grande manufacture de raquettes qui sont vendues dans toute l’Amérique du Nord. Il a deux fils qui vivent au village, dont l’un administre une importante fabrique de mocassins et l’autre, une tannerie d’envergure, très moderne, qui traite des milliers de peaux de grand cerf et d’orignal canadien à tous les stades du tannage. Ces trois usines emploient pratiquement toute la population du village, hommes, femmes et enfants, qui travaillent à la pièce et semblent bien gagner leur vie, car la plupart d’entre eux habitent de confortables maisons à charpente[91]. »

Cependant, les concurrents allochtones empiètent de plus en plus sur ce secteur d’activité, le plus représentatif de Lorette. Bastien explique ainsi au visiteur que « d’autres, ayant acquis leur industrie des Indiens, ont mis sur pied des fabriques similaires ». De plus, ajoute-t-il, « cette concurrence fait tant baisser les prix qu’il est désormais presque impossible, pour les Indiens de gagner leur vie et que les profits de cette manufacture sont en baisse constante[92]. » Après la guerre, l’essor de la production manufacturière du village se poursuit. En 1920, une journaliste signale que les chaussures wendates se vendent bien dans tout le Canada et même aux États-Unis, précisant qu’à Lorette, on évoque sans sourciller une production d’un demi-million de paires de mocassins[93]. Un autre visiteur, l’anthropologue C. Marius Barbeau, observe également ce regain de l’industrie manufacturière après la guerre : « Concernant les industries locales, Lorette est plus avancée que la plupart des villages canadiens, et la demande en articles manufacturés (mocassins, raquettes, gants, jouets et curiosités, produits de cuir, paniers, etc.) est plus forte que l’offre[94]. »

Cette prospérité prend brutalement fin avec la crise des années 1930. Tandis que la position monopolistique de leur magasin dans la distribution de l’aide en nature remise par l’État aux habitants de la réserve permet aux Bastien de maintenir de juteux profits tout au long des années 1930[95], les travailleurs de leurs manufactures, eux, bénéficient peu de cette bonne fortune. Bastien Frères réduit au contraire considérablement sa main-d’œuvre pendant la crise, ce qui induit une augmentation importante du soutien étatique dans le village et amène le gouvernement fédéral à constater que Lorette n’offre aucune perspective d’emploi[96]. Un habitant de la réserve explique qu’une femme travaillant régulièrement dans la fabrication de chaussures à Lorette au milieu des années 1930 ne pourrait guère espérer gagner que quelques dollars par semaine, et serait souvent sans travail[97]. Dans les années 1930, les lignes de démarcation entre les classes sont ainsi clairement tracées : tandis que les familles riches, par exemple les Bastien, consolident leur statut, les membres moins fortunés de la communauté peinent à subsister – et la débâcle économique accentue l’écart.

Si la crise des années 1930 nuit considérablement à la fabrication manufacturière de mocassins, ce secteur d’activité reprend beaucoup de sa vigueur dès le milieu des années 1940, même s’il emploie alors une proportion bien moins importante de la population de la réserve. En 1945, Gaston Blanchet observe que la production de raquettes a presque disparu et que la seule activité qui subsiste, la production de chaussures et « pantoufles », ne fournit plus qu’un nombre très restreint d’emplois aux membres de la communauté[98]. En dépit de la main-d’œuvre autochtone relativement modeste que ce secteur représente désormais, Maurice Bastien tire parti de son rôle d’agent des Indiens pour stimuler la production avec l’aide du service de l’artisanat des Affaires indiennes, qui lui procure des matériaux devenus rares pendant la Deuxième Guerre mondiale – des perles importées d’Italie ou de Tchécoslovaquie[99]. Ottawa estime que cette stratégie fonctionne, puisque les artisans « indiens » peuvent vendre cher leurs marchandises, qui séduisent une vaste clientèle[100]. L’entreprise Bastien Frères, qui appartient encore, alors, à des membres de la famille Bastien, reste le principal fabricant de mocassins, chaussures, pantoufles et autres souvenirs pour touristes jusqu’au milieu du siècle[101].

La consommation

Si les activités de production ont réorienté en profondeur les dynamiques socio-économiques de Lorette, la consommation, un secteur auquel participent nécessairement tous les membres de la collectivité, y a aussi grandement contribué. En dépit de leur rareté, les sources documentaires relatives à la consommation permettent, avec les éléments d’information sur la production analysés précédemment, d’affirmer que ces deux activités économiques étaient alors étroitement reliées. Le secteur de la vente au détail et, d’une manière plus générale, la consommation, ont en effet contribué à renforcer les divisions sociales alors émergentes dans la communauté.

Les Wendats ont toujours pratiqué le commerce[102]. À Wendake Ehen, ils fournissaient déjà à leurs voisins algonquins du maïs, des filets de pêche, des perles de wampum et autres articles en échange du poisson et des peaux dont ils avaient besoin. Puis, l’arrivée des Français leur a permis d’acquérir des biens manufacturés européens tels que perles de verre, couteaux, couvertures et bouilloires, qu’ils se procuraient en contrepartie de tabac[103]. Après s’être installés dans la vallée du Saint-Laurent, les Wendats ont bénéficié d’un accroissement de leurs échanges commerciaux et, notamment, d’un accès croissant à des outils, articles ménagers et produits périssables. À la fin du XVIIIe siècle, leur culture matérielle ressemble déjà beaucoup à celle de leurs voisins canadiens-français, les habitants de Lorette achètent, dans les marchés de Québec ou à des marchands ambulants de passage dans la communauté, l’ensemble des biens qu’ils consomment, mais ne produisent pas[104].

S’il reste difficile d’évaluer l’ampleur du commerce de détail dans la réserve à l’époque et d’en discerner exactement les rouages, il est établi qu’au milieu du XIXe siècle, le vaste et florissant village français de Lorette (aujourd’hui, Loretteville), situé en face du village wendat, de l’autre côté de la rivière Saint-Charles, comptait de nombreuses entreprises spécialisées dans le papier, la farine, le bois de construction et autres marchandises, dont 41 petits commerçants proposant des aliments et autres produits de consommation, pour une population totale de 2200 habitants[105]. En particulier, un magasin général accueille sa clientèle « près du village huron, mais du côté canadien-français de la rivière. » Un visiteur régulier de la réserve précise qu’il vend « de ces cotons imprimés de couleurs vives indispensables à la belle sauvagesse […] et ces couvertures bleues et blanches si prisées pour l’habillement des femmes comme des hommes. » Le magasin offre aussi « un assortiment de perles et de soies ainsi que de la laine peignée utilisée pour la broderie des mocassins, des épaulettes », mais aussi du cognac, des lithographies décoratives et « toutes choses que la sauvagesse ou le sauvage le plus exigeant pourrait souhaiter se procurer, depuis les grelots de traîneau jusqu’aux loupes cerclées de rouge[106] ». Les habitants du village wendat pouvaient donc se procurer une immense diversité de biens de consommation au milieu du siècle, à condition évidemment d’en avoir les moyens.

Sur toute la période considérée, les Wendats commerçaient dans la réserve et dans ses environs. Nous ignorons malheureusement à peu près tout de la teneur précise de leurs activités[107]. Dans un premier temps à tout le moins, les marchands ne se consacraient pas entièrement au commerce de détail, mais complétaient leurs recettes par des revenus provenant d’autres sources. Charles Picard, par exemple, en plus d’être commerçant, travaillait à l’occasion dans l’entretien des routes avoisinant la réserve[108]. Malgré cette concurrence initiale, le commerce de détail, comme la fabrication manufacturière, tombe graduellement sous la coupe d’une seule famille, celle des Bastien.

Au début du XXe siècle, Antoine Oscar Bastien, agent des Indiens de Lorette et membre de la communauté, est propriétaire et gérant d’une épicerie qui, établie dans la réserve, distribue les secours en nature fournis par l’État; il accorde aussi des crédits à la consommation à de nombreux habitants de la réserve. Cette pratique du prêt a provoqué un endettement considérable chez certains membres de la communauté, particulièrement dans les années les plus difficiles pour le secteur manufacturier du village[109]. Les Affaires indiennes finissent par ordonner la fermeture du magasin en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens interdisant les échanges commerciaux entre Autochtones et agents des Indiens. Néanmoins, le neveu d’Antoine Bastien, Maurice E. Bastien, nommé agent des Indiens en 1931, a aussi administré un magasin dans la réserve en association avec son frère, Ludger, ancien député conservateur de l’Assemblée législative du Québec. La production manufacturière représentant la seule possibilité de revenu pour la plupart des habitants de la réserve au plus fort de la crise des années 1930, ce magasin assure à ses riches propriétaires le quasi-monopole de la distribution des marchandises échangeables contre les coupons remis par l’État[110]. Si cette mainmise relègue les deux magasins de Gustave Gros-Louis et Paul Sioui, respectivement, en périphérie de l’économie du village pendant les années 1930, la communauté compte dans les années 1940 plusieurs commerçants wendats n’appartenant pas à la famille Bastien, par exemple Georges Picard[111].

En même temps que l’emprise des Bastien sur le commerce de détail se desserre, un nationalisme économique émerge à Lorette. En 1946, face aux concurrents fréquentant le village, le conseil de bande adopte une résolution interdisant l’accès à la réserve à tous les voyageurs de commerce, hormis ceux de Loretteville[112]. Cette décision semble s’inspirer, au moins en partie, des revendications de Jules Sioui, militant politique wendat et « épicier-barbier » qui, en plus de travailler à la mobilisation des peuples autochtones du Canada, refusa pendant un certain temps de servir les Canadiens français dans son établissement[113]. S’il reste difficile de mesurer avec exactitude les répercussions de cette politique, bien éphémère par ailleurs, de Sioui dans la communauté, il ne fait aucun doute que certains Wendats attribuaient alors un rôle politique à la consommation et la considéraient comme un levier pour la prospérité économique du village[114].

En plus de renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté, la consommation réaffirme les lignes de démarcation dans le village. Tandis que les habitants moins fortunés de Lorettte s’endettent pour subvenir aux besoins de leurs familles, certains membres mieux nantis de la communauté consacrent de coquettes sommes aux biens de luxe. Au milieu des années 1850, un voyageur indique que « Paul Picard a déboursé 275 $ pour un piano destiné à sa fille ». Quand il rend visite à Philippe Vincent, ajoute-t-il, « ce Huron des plus imposants m’invite à m’asseoir dans un petit salon meublé d’un sofa et d’un tapis, me propose du brandy dans une carafe en verre taillé ainsi qu’une pâtisserie sur une assiette de bonne porcelaine, et s’exprime en français avec entrain, se montrant même intarissable au sujet du commerce[115]. »

Cet étalage de richesses prend aussi la forme de collections d’objets culturels ou historiques. Dans les années 1880, Paul Picard, par exemple, possède un dictionnaire manuscrit français-huron, une médaille d’argent frappée en 1840 à l’effigie de la reine Victoria, une autre à l’effigie de George III, trois médailles estampillées respectivement « Dublin (1565 ou 1865) », « New York 1853 » et « Prince Albert 1851 » ainsi que deux colliers de wampum[116]. En plus de jouir des privilèges habituels de la prospérité économique, Maurice Bastien collectionnait à la veille de la Première Guerre mondiale divers objets patrimoniaux wendats. Un voyageur affirme ainsi que « le chef Bastien possède une vaste demeure ainsi qu’une fascinante collection de colliers de wampum et reliques d’autrefois, particulièrement des pièces, dont il est très fier, que le roi d’Angleterre a offertes à une délégation huronne en 1825, à l’occasion d’une visite officielle dans la mère patrie. Il possède aussi une coiffe de guerre ancienne d’une valeur inestimable et quelques bracelets et pièces d’argenterie ayant appartenu à ses ancêtres[117]. » Compte tenu du pouvoir financier de la famille et du fait qu’aucun Bastien ne figurait parmi les chefs qui se sont rendus en Angleterre en 1825, il semble plus probable que Maurice Bastien, à l’instar de sa famille accroissant ses possessions immobilières dans la réserve, ait en réalité acheté ces objets à des membres de la communauté moins fortunés, et contraints de s’en départir pour se procurer quelque argent.

La finance

Comme le Québec dans son ensemble, la région de Lorette offre peu de possibilités de placement au XIXe siècle. Les banques et autres institutions financières, par exemple caisses populaires ou coopératives de crédit, n’ont pas encore ouvert de succursales dans les régions rurales; en ville, leurs services s’adressent essentiellement aux entreprises[118]. Par conséquent, les particuliers qui souhaitent investir accordent des prêts à titre privé par l’intermédiaire de notaires, et engrangent au passage des frais d’intérêt sur des capitaux qui seraient probablement restés improductifs sans cela[119]. À la fin du XIXe siècle, les marchés boursiers n’en étant encore qu’à leurs balbutiements, les terres et les hypothèques constituent les seules véritables possibilités de crédit d’envergure pour la plupart des gens, mais comptent aussi parmi les principaux véhicules d’investissement dans tout le Canada[120]. Tirant parti de leur présence sur le marché immobilier hors réserve à la fin du XVIIIe siècle[121], les Wendats s’engagent alors sur les marchés financiers fonciers, comme prêteurs et emprunteurs. Les familles wendates qui s’étaient enrichies par la production ou la consommation peuvent ainsi consolider et pérenniser leur prospérité par le crédit immobilier.

Les familles Picard et Vincent donnent le ton de la participation wendate au marché local du crédit à partir du milieu du XIXe siècle. Les Bastien empruntent aussi cette voie, quoique de manière un peu différente, jusqu’à la moitié du XXe siècle. Philippe Vincent Téonuathasta et son épouse (puis veuve) Henriette Romain ainsi que François-Xavier Picard Tahourenché s’imposent comme les principaux acteurs du développement des pratiques financières à Lorette, prêtant aux habitants de Wendake comme à l’extérieur de la communauté. Une relation prêteur/emprunteur à long terme avec un voisin allochtone nous permettra ici d’illustrer le fonctionnement et la rentabilité de ce marché financier en émergence. En décembre 1859, le maire de la municipalité de Saint-Ambroise, Joseph Savard, emprunte à Philippe Vincent 100 £ Hfx (400 $) remboursables dans les quatre ans, à un taux d’intérêt annuel de 6 %[122]. Vincent semble avoir consenti cette somme après seulement que Savard lui eut remboursé deux prêts totalisant 50 £. En 1848 et 1850, Savard avait emprunté à Vincent 50 £ à 6 % par an[123]. N’ayant pas été en mesure de rembourser ces prêts dans les délais impartis, il a dû verser des intérêts de 6 % à son créancier sur une dizaine d’années, ce qui semble avoir convaincu Vincent de réinvestir auprès de lui en lui accordant un nouveau crédit. C’est en 1859 que Savard finit de rembourser le capital emprunté en 1848 et en 1850, grossi des intérêts courus, laissant au passage à Vincent un profit de 63 £, soit 126 % des fonds initialement investis[124]. Par ailleurs, même si ce phénomène n’a pas encore été étudié dans le contexte du Québec, des pratiques observées ailleurs dans le monde montrent que les notaires avaient tout intérêt à ne conclure que des contrats de prêt assez sûrs, pour éviter que les prêteurs leur reprochent de les avoir incités à consentir du crédit à l’autre partie en cas de défaut de paiement[125]. Corroborés par d’autres exemples, ces éléments d’information laissent à penser que la plupart des emprunteurs remboursaient leurs prêts[126]. Au total, en leur offrant de bonnes chances de réaliser des gains juteux pour un risque minime que l’emprunteur leur fasse faux bond, le prêt représentait une activité des plus lucratives pour les familles prospères de Lorette.

Dès la fin du siècle, le marché du crédit ainsi que les prêts contractés à Lorette ont changé du tout au tout. Désormais, les prêts sont généralement destinés à des membres de la communauté, mais répondent aussi à des modalités nouvelles. Au lieu d’ententes stipulant le montant du capital et des intérêts ainsi que la date d’échéance du remboursement et la désignation de garanties pouvant être saisies par procédure judiciaire en cas de défaut de paiement, les prêts maintenant accordés par les riches Wendats à d’autres membres de la communauté prennent de plus en plus la forme de ventes avec droit de rachat, dites « ventes à faculté de réméré ». Cette formule contractuelle permet au vendeur de racheter le bien vendu dans un délai déterminé. Les modalités de ces ententes peuvent différer de l’une à l’autre, mais se codifient de plus en plus avec le temps, notamment en ce qui concerne l’obligation imposée au vendeur d’avoir payé à la fois le capital et les intérêts à une date précise pour pouvoir racheter sa propriété. Fondamentalement, ce type d’entente s’apparente grandement à un contrat de prêt ordinaire, sauf en ceci que le prêteur n’est pas tenu de s’adresser au système judiciaire pour saisir la propriété considérée en cas de défaut de paiement, puisqu’il est déjà légalement propriétaire de ce bien qui, dans un autre type d’entente, aurait constitué une simple garantie. À Lorette, ces contrats semblent s’être largement répandus dans les années 1880, quand les familles wendates prospères ont commencé d’y recourir pour consentir des prêts à des membres moins fortunés de la communauté. Si les prêts entre Wendats existaient bien avant cette époque, les ententes offraient jusque-là une meilleure protection aux emprunteurs en défaut de paiement[127]. À la fin du XIXe siècle, les mécanismes du crédit étaient ainsi devenus encore plus favorables aux riches qu’ils ne l’étaient dans les décennies antérieures.

Les Bastien ont conclu plus de contrats de prêt avec droit de rachat que toute autre famille. Au début, ils accordent explicitement ce type de crédit dans le contexte de leur activité manufacturière. En 1884, Hermine Bastien et son fils, Wilfrid Picard, signent avec Maurice Bastien fils un contrat de vente avec faculté de réméré couvrant un « emplacement » et une maison à Wendake, pour 38,50 $. Ainsi que l’indique le contrat de vente, ils pourront racheter leur résidence en fournissant pendant six mois l’équivalent de 1,50 $ de travail hebdomadaire dans la fabrication de mocassins et de raquettes. Pendant cette période, Bastien convient de ne pas leur réclamer de loyer pour la maison, dans laquelle ils continueront de vivre. Cet accord prévoit par conséquent que les vendeurs paieront en réalité 46,50 $ pour racheter leur résidence – le capital accru d’intérêts de 8 $ (un montant représentant un taux annuel de presque 42 %)[128]. Si l’issue de ce contrat ne nous est pas connue, il illustre néanmoins l’utilisation que les Bastien ont faite de leur droit de rachat pour consolider leur position socio-économique dans la communauté.

Les Wendats semblent avoir recouru au droit de rachat afin de contourner la législation restreignant la mise en garantie des propriétés situées dans les réserves pour obtenir du crédit. De 1876 à 1930, la Loi sur les Indiens stipule en effet : « Nul ne prendra de garantie ni n’obtiendra autrement aucun privilège ou droit, soit par hypothèque, jugement ou autrement, sur des biens mobiliers ou immobiliers d’un Sauvage ou d’un Sauvage sans traités en Canada, excepté sur les biens mobiliers ou immobiliers pouvant être taxés […] ». Cette clause s’appliquant à tous et toutes, elle interdisait aussi aux Autochtones de prévoir des clauses de privilège dans les contrats qu’ils concluaient entre eux[129]. S’il nous est difficile aujourd’hui de déterminer dans quelle mesure exacte le gouvernement faisait respecter ces dispositions de la Loi sur les Indiens à l’époque[130], il est établi que les Affaires indiennes s’opposaient aux ventes « conditionnelles » prévoyant un remboursement à long terme et privilégiaient au contraire les achats payés en une seule fois[131]. En 1930, le Parlement modifie la formulation de cet article pour permettre aux membres des Premières Nations d’inscrire des clauses de privilège dans les ententes qu’ils signent entre eux[132].

Bien qu’il soit ardu d’affirmer avec certitude l’existence d’un lien de cause à effet entre la Loi sur les Indiens et la multiplication de ce type de contrats, les amendements législatifs avaient de toute évidence transformé le marché immobilier de Lorette dès les années 1910[133]. Ayant visité la réserve en 1911-1912, puis en 1914 et 1919, l’anthropologue C. Marius Barbeau explique : « De nombreuses sources soulignent que l’immobilier dans la réserve ne représente qu’un tiers, voire moins, de sa valeur normale, comparativement aux propriétés des abords immédiats. Puisque, dans la réserve, un propriétaire ne peut vendre qu’à un autre membre de la bande et que la demande de propriétés est très faible, les prix d’achat sont très bas. » Barbeau souligne néanmoins que cette sous-évaluation des prix n’empêche pas les ventes immobilières dans la réserve et il attribue l’essentiel de ces transactions aux pratiques locales en matière de propriété et d’échanges. « Le détenteur d’un terrain ou d’une maison dans la réserve se considère à juste titre comme son propriétaire à part entière, au sens où l’Européen entend ce terme, à ceci près qu’il ne peut pas aliéner son bien au profit d’une personne de l’extérieur. Il peut néanmoins le vendre à un autre membre de la bande. Ces transferts de propriété internes sont d’ailleurs fréquents[134]. »

Néanmoins, ces achats et ventes sont étroitement liés aux statuts économiques des uns et des autres. Ainsi que Barbeau l’observe : « La famille bien lotie de (Maurice) Bastien a de cette façon acheté et revendu plusieurs terrains ayant appartenu à d’autres[135]. » Ludger Bastien explique à Barbeau que sa famille se trouve contrainte d’accorder des prêts à certains membres de la collectivité parce que les banques de la région les leur refusent; néanmoins, lui-même ainsi que l’anthropologue omettent de relever l’incidence structurelle de ces ventes sur le marché du crédit dans la réserve[136]. En fait, loin de procéder à de simples ventes et achats immobiliers, les Bastien se procurent, grâce au droit de rachat, des propriétés à bon prix en contrepartie d’un prêt, puis les revendent moyennant profit.

Si les preuves de l’existence d’une telle pratique à l’époque à laquelle Barbeau visite le village sont rares, les sources documentaires relatives aux activités des Bastien à la fin des années 1920-1930 l’attestent amplement. En 1928, par exemple, Moïse Gros-Louis hypothèque sa maison auprès de Ludger Bastien pour 550 $ en concluant avec lui un contrat avec droit de rachat. Cette entente exige de Gros-Louis qu’il rachète sa maison au bout de cinq ans en remettant intégralement les 550 $ au moyen de remboursements ne pouvant pas être inférieurs à 100 $ par an et moyennant des intérêts de 6 % versables deux fois l’an sur toute la durée du prêt. En d’autres termes, Gros-Louis accepte de verser à Bastien 133 $ lors de la première année (100 $ en capital et 33 $ en intérêts, en deux versements égaux de 16,50 $ chacun). Le contrat stipule par ailleurs que Gros-Louis doit faire assurer sa maison contre l’incendie, que cette police doit équivaloir à la valeur de l’emprunt hypothécaire contracté (550 $) et qu’elle doit être établie au nom de Ludger Bastien. Il prévoit aussi que Gros-Louis continue d’habiter la maison jusqu’à la fin du contrat[137]. Le revenu moyen des ménages de Lorette s’étant effondré ces années-là (il est passé de presque 500 $ en 1929 à environ 150 $ en 1933, pour remonter légèrement à 200 $ en 1934), Gros-Louis semble bien avoir en définitive perdu son chez-soi[138]. Il est possible que Bastien ait revendu cette maison à Elzéar Sioui au début des années 1930, car Sioui lui a acheté une résidence dans la réserve en 1930 ou 1931. Si le montant de cette transaction nous est inconnu, Sioui s’est apparemment heurté à son tour à des difficultés économiques, car il n’a jamais pu effectuer les paiements convenus; à la fin de la décennie, un journal de Québec affirmait que les maigres sommes versées ne représentaient même pas les intérêts prévus au contrat[139]. La maison se trouvant dans la réserve, l’affaire a été portée devant les Affaires indiennes qui, bien qu’elles soient plus lentes en ces matières que la Cour supérieure (l’instance juridique habituelle pour la saisie de propriétés), ont autorisé Bastien à récupérer la maison en 1938[140]. Ici encore, la famille Bastien a donc réussi à tirer parti du contexte économique défavorable de la crise des années 1930 pour s’enrichir.

Conclusion

L’économie de Lorette s’est profondément transformée entre le début du XIXe siècle et l’après-Deuxième Guerre mondiale. D’abord fondée sur la chasse, l’agriculture et, dans une moindre mesure, la vente d’articles wendats « traditionnels », elle accorde graduellement plus de place, puis une importance prépondérante, à l’industrie manufacturière et aux réseaux locaux de crédit. À cette même époque, l’État intensifie sa présence dans la communauté et intervient plus activement dans ses dynamiques internes, alors que la population de Lorette dépend de plus en plus du marché pour gagner sa vie. Au total, la consommation joue un rôle économique encore plus marqué. Cette métamorphose fait écho aux changements observés à l’époque dans la majeure partie du monde : induite par les effets conjugués de l’industrialisation et du capitalisme, cette « grande transformation » bouleverse l’équilibre des relations économiques et sociales en consacrant le marché autorégulé comme principal moteur organisationnel des sociétés[141]. À Lorette comme partout ailleurs, loin de se limiter à la sphère économique, cette métamorphose a eu des incidences déterminantes sur la structure sociale de la communauté.

De nombreux ouvrages et articles se penchent sur les répercussions des luttes politiques internes, causées par l’imposition de formes extrinsèques de gouvernance, dans les Premières Nations. Cependant, les historiens commencent à peine à s’intéresser aux similitudes entre ces collectivités et d’autres sociétés du point de vue des conséquences de leur réorganisation économique sur leurs dynamiques sociales[142]. Les personnes et les familles ont parfois des intérêts politiques divergents qui, selon le cas, peuvent être mieux servis par le maintien en poste des chefs traditionnels ou par l’élection d’autres dirigeants. De la même façon, nous avons montré ici que les membres d’une même communauté ont souvent des intérêts économiques opposés. À Lorette, l’émergence d’une nouvelle structuration du village en classes sociales illustre bien cette disparité des intérêts. Entre le début et le milieu du XIXe siècle, quelques familles wendates (les Picard et les Vincent) avaient déjà commencé de se distinguer du reste de la communauté en tirant des revenus relativement importants de leurs activités manufacturières et en les réinvestissant sous forme de prêts à leurs voisins, dans la réserve comme à l’extérieur. À la fin du XIXe siècle, toutefois, ces familles réorientaient déjà leur action économique vers les professions libérales et les emplois du secteur tertiaire et laissent le commerce à la famille Bastien qui, en plus de reprendre à son compte les activités industrielles et financières de ses prédécesseurs, tirait des revenus considérables de la consommation locale. La production manufacturière, le commerce de détail et le marché du crédit, particulièrement dans les années immédiatement postérieures à la Première Guerre mondiale, ont ainsi permis aux Bastien d’accroître leur pouvoir politique, et contribué à l’accélération de la différenciation socio-économique dans le village.

Ce deuxième processus semble avoir précipité, vers la fin de la période considérée, l’émergence d’une petite classe moyenne dans la réserve à la faveur d’une décision de la famille Bastien, qui avait réduit sa main-d’œuvre manufacturière dans les années 1930 et 1940. Les emplois se faisant plus rares dans le tannage des peaux et la fabrication des mocassins, les membres de la communauté durent trouver d’autres moyens de gagner leur vie. Si Lorette était à bien des égards une communauté singulière, la formation des classes sociales et l’évolution économique observées dans le village appellent à la mise en œuvre d’analyses similaires dans d’autres Premières Nations. Ces recherches pourraient nous inviter à repenser le XIXe et le XXe siècles pour les considérer désormais, non plus comme une « ère de marginalité », mais bien comme un moment charnière de l’histoire des Premières Nations et de leur rapport à des phénomènes sociaux plus vastes[143] .


  1. Traduction de « Economic Activity and Class Formation in Wendake, 1800-1950 », dans Magee Labelle et Thomas Peace (dir.), From Huronia to Wendakes: Adversity, Migrations, and Resilience, 1650-1900, Norman: University of Oklahoma Press, 2016, p. 144-81.
  2. Véronique Rozon analyse l’identité de la communauté et ses représentations externes à Lorette au XIXe siècle dans « Un dialogue identitaire : les Hurons de Lorette et les autres au XIXe siècle », mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2005. Linda Sioui propose une étude comparative de l’identité des Wendats du Québec et des Wyandots de l’Oklahoma au début du XXIe siècle dans « La réaffirmation de l’identité wendate/wyandotte à l’heure de la mondialisation », mémoire de maîtrise, Université Laval, Québec, 2011.
  3. Charles Marshall, The Canadian Dominion, Londres, Longmans, Green, 1871, p. 18.
  4. En 1819 et 1824, le grand chef Nicolas Vincent Tsawenhohi est intervenu en langue wendate devant la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, ses propos étant traduits en français par un autre membre de la communauté, Louis Vincent Sawatanen en 1819 et Michel Sioui Tehatsiendahé en 1824. Stéphanie Boutevin, « La place et les usages de l’écriture chez les Hurons et les Abénakis, 1780-1880 », thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, 2011, p. 99-101. En 1834, Vincent et les autres chefs se sont de nouveau adressés à la Chambre d’assemblée par l’intermédiaire d’un interprète, Vincent Ferrier Sasinioyon. Canada, Appendice du XLIIIme volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, 7 janvier-18 mars 1834, Québec, Fréchette & Cie, 1834, n. p., Témoignage, 27 janvier 1834.
  5. L’analyse la plus exhaustive de l’économie de Lorette à cette époque est celle de Denys Delâge : « La tradition de commerce chez les Hurons de Lorette-Wendake », Recherches amérindiennes au Québec (ci-après RAQ), vol. 30, n° 3, 2000, p. 35-51. Cet article très éclairant par ailleurs s’intéresse toutefois exclusivement à la production.
  6. Ces deux études incontournables se penchent sur l’histoire de la consommation : Lizabeth Cohen, A Consumers’ Republic: The Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Knopf, 2003; et T. H. Breen, The Marketplace of Revolution: How Consumer Politics Shaped American Independence, New York, Oxford University Press, 2004. On trouvera par ailleurs ici deux analyses historiographiques récentes : David Steigerwald, « All Hail the Republic of Choice: Consumer History as Contemporary Thought », Journal of American History, vol. 93, n° 2, septembre 2006, p. 385-403; et Meg Jacobs, « State of the Field: The Politics of Consumption », Reviews in American History, vol. 39, n° 3, septembre 2011, p. 561-573.
  7. Cet article propose une analyse plus approfondie des aspects politiques de la consommation à Lorette : Brian Gettler, « La consommation sous réserve: les agents indiens, la politique locale et les épiceries à Wendake aux XIXe et XXe siècles », Bulletin d’histoire politique, vol. 20, n° 3, printemps 2012, p. 170-185.
  8. Cette notion de classe en tant que processus provient de l’étude historique canonique de la formation des classes en Angleterre proposée par E. P. Thompson dans The Making of the English Working Class, Toronto, Penguin, 1963. Si la notion de classe est vivement critiquée depuis quelques années, principalement par des historiens adeptes de l’analyse postmoderne (surtout foucaldienne), le présent texte y recourt en considérant qu’elle ne doit pas être ici formulée de manière rigide ni entachée par son rôle dans les débats actuels opposant analyses discursives et matérialistes. Geoff Eley et Keith Nield présentent cette position en détail dans The Future of Class in History: What’s Left of the Social?, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2007.
  9. Nicolas G. Rosenthal, « Beyond the New Indian History: Recent Trends in the Historiography on the Native Peoples of North America », History Compass, vol. 4, n° 5, septembre 2006, p. 962-974.
  10. Kathryn Magee Labelle, « "Like Wolves from the Woods": Gahoendoe Island and Early Wendat Dispersal Strategies », dans Thomas Peace et Kathryn Magee Labelle (dir.), From Huronia to Wendakes. Adversity, Migration, and Resilience, 1650–1900, chapitre 1, Norman, University of Oklahoma Press, 2016).
  11. Thomas Peace, « Maintaining Connections: Lorette during the Eighteenth Century », dans Ibid., chapitre 3.
  12. À propos des relations commerciales entre Wendats avant leur départ des Grands Lacs vers l’est et des répercussions de l’arrivée des Français et des Hollandais sur ce système, voir Denys Delâge, Le pays renversé: Amérindiens et Européens en Amérique du Nord-Est, 1600-1664, Montréal, Boréal, 1991, p. 65-69 et 90-172.
  13. Les Wendats revendiquent alors de longue date la seigneurie de Sillery, des terres adjacentes à la ville de Québec et soumises jusqu’au milieu du XIXe siècle à un système foncier quasi féodal implanté par la France dans la vallée du Saint-Laurent au XVIIe siècle. À propos de l’histoire de ces revendications, voir Michel Lavoie, C’est ma seigneurie que je réclame. La lutte des Hurons de Lorette pour la seigneurie de Sillery, 1650-1900, Montréal, Boréal, 2010.
  14. Pétition de Nicolas Vincent Tsawanhonhi et al. adressée aux honorables Chevaliers, Citoyens et Bourgeois de la Province du Bas-Canada assemblés en Parlement provincial, 26 janvier 1819, Canada, Journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, 12 janvier-24 avril 1819, Québec, John Neilson, p. 24. Il est à noter que les autorités gouvernementales chargées des relations avec les Wendats exprimaient alors des points de vue similaires sur les difficultés économiques de la communauté. En 1819, le surintendant des Affaires indiennes à Québec, signalant le caractère pacifique et travailleur des Wendats, ajoutait qu’ils étaient toutefois très pauvres et ne subsistaient qu’à force de labeur. En raison de leur grande pauvreté, ajoutait-il, ils n’avaient plus les moyens de faire réparer l’église et le presbytère de Lorette (Canada, Eighth Report of the Committee of the House of Assembly on [...] the Settlement of the Crown Lands, Québec, Neilson and Cowan, 1824, p. 17-18).
  15. Pétition de Nicolas Vincent Tsawanhonhi, Canada, Appendice du XXXIIIe volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, Québec, Imprimeur du Roi, 1824, Appendice R.
  16. Ils affirment que « la chasse et la pêche rapportent à peine assez pour la nourriture des chasseurs et des pêcheurs, parce que leurs lieux de pêche et de chasse sont actuellement établis jusqu’à une grande distance. Ils regrettent vivement la perte qu’ils ont faite et redemandent ces terres comme l’unique moyen de faire subsister leurs familles. » Seconde incluse dans No. 4, pétition de Nicolas Vincent et al. adressée à George Murray, 2 novembre 1829, Canada, Continuation de l’Appendice du XLIIe. volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, session 1832-1833, Québec, Imprimeur du Roi, 1833, Appendice O.O.
  17. Canada, Appendice du XXVIIIe. volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, Québec, Imprimeur du Roi, 1819, Appendice R.
  18. En juillet 1830, par exemple, les chefs de Wendake écrivent au Secrétaire militaire : « [nous] nous sommes assemblés en Conseil aussitôt que nous avons pu nous réunir après la grande chasse, pour délibérer sur votre lettre du 9 du mois d’Avril dernier », Incluse dans le No. 6, Nicolas Vincent et al. à J. B. Glegg, 9 juillet 1830, Canada, Continuation de l’Appendice du XLIIe. volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, Session 1832-1833, Québec, Imprimeur du Roi, 1833, Appendice O.O; Thomas Peace, « Maintaining Connections: Lorette during the Eighteenth Century », op. cit.
  19. Jocelyn Tehatarongnantase Paul, « Le territoire de chasse des Hurons de Lorette », RAQ, vol. 30, n° 3, 2000, p. 8.
  20. Ibid. Ce pourcentage a en fait augmenté entre 1871 et 1881, date à laquelle il s’établissait à 42 %. Cependant, le prix des fourrures a considérablement baissé dans les années 1880.
  21. Antoine O. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 26 août 1889, Rapport annuel des Affaires indiennes (ci-après RAAI) 1889, partie 1, p. 36; Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 29 août 1891, RAAI 1891, partie 1, p. 33-34; Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 24 août 1892, RAAI 1892, p. 31-32; Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 6 septembre 1893, RAAI 1893, p. 35; et Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 31 août 1894, RAAI 1894, p. 30.
  22. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 15 août 1895, RAAI 1895, p. 32.
  23. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 16 juillet 1896, RAAI 1896, p. 43.
  24. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 10 août 1900, RAAI 1900, p. 49. Voir également Jocelyn Tehatarongnantase Paul, « Le territoire de chasse », p. 9.
  25. En mai 1917, par exemple, Daniel Groslouis a été arrêté avec son fils Théophile par un garde-chasse de la Sportsman Protective Association près du club Petit Batiscan. Le tribunal de Québec l’ayant accusé d’avoir chassé hors saison, il a sollicité l’appui du conseil de bande huron-wendat. Bien qu’il fût accompagné du grand chef, il n’a pas obtenu gain de cause et a écopé d’une amende de 16,30 $. 18 et 21 juin 1917, Pierre Albert Picard Tsichiek8an, Journal personnel, 1916-1920 (ci-après Journal de Picard), p. 52-53, Archives du Conseil de la Nation huronne-wendat (ci-après ACNHW), F-1-79.
  26. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 26 août 1888, RAAI 1888, p. 28.
  27. En qualifiant les économies autochtones de « moditionnelles », Lutz entend souligner que, dans le contexte du colonialisme, les peuples autochtones ne se contentaient pas d’activités économiques strictement capitalistes ou strictement traditionnelles. Ils ont au contraire constamment adapté leur économie traditionnelle à leurs propres nécessités culturelles tout en s’efforçant de tirer parti du marché capitaliste colonial. Toutefois, son analyse s’intéresse uniquement aux activités « productives » telles que le travail salarié, la chasse et la pêche, et fait ainsi l’impasse sur deux sphères économiques majeures, la finance la consommation. John Sutton Lutz, Makúk: A New History of Aboriginal-White Relations, Vancouver, University of British Columbia Press, 2008. Pour une autre application du concept de « moditionnel » à l’histoire des Wendats, voir Thomas Peace, « Maintaining Connections: Lorette during the Eighteenth Century », op. cit.
  28. « Quelques-uns de nos meilleurs chasseurs ont été engagés comme guides par des amateurs de chasse américains, ce qui a matériellement amélioré leur condition. » Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 26 août 1889, RAAI 1889, partie 1, p. 36.
  29. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 16 juillet 1896, RAAI 1896, p. 42. En 1901, Gérin indiquait que les guides wendats, en particulier Daniel et Xavier Groslouis, gagnaient effectivement 1,25 $ par jour, en plus des provisions de bouche, du tabac et du whisky. Léon Gérin, « Le Huron de Lorette. À quels égards il est resté sauvage », La Science sociale suivant la méthode d’observation, 1901, dans Denis Vaugeois (dir.), Les Hurons de Lorette, Québec, Septentrion, 1996, p. 31
  30. Dans son mémoire de maîtrise, Georges Boiteau relève qu’Emery Sioui était employé par le Club Laurentides vers 1925 et que Harry Groslouis a travaillé au Triton Club de 1926 à 1935. Georges Boiteau, « Les chasseurs hurons de Lorette », mémoire de maîtrise, Université Laval, Québec, 1954, p. 167. Pour information additionnelle sur les revenus du travail, voir « Quebec Indian Sells his Wares to U.S. Tourists », Omnibuster, vol. 2, n° 5, juillet 1934, n. p., ACNHW, P2-S3-B2, dossier B-2-19.
  31. En juin 1919, Pierre-Albert Picard écrivait : « Télesphore Picard, sous-Chef, part pour les clubs bâtir des camps. » 16 juin 1919, Journal de Picard, p. 119. L’agent Picard souligne que Moïse Gros-Louis, un membre de la communauté ayant sollicité un appui ministériel, est un garde-chasse, qu’il a passé tout l’été dernier à son travail jusqu’à la fin de l’automne, et qu’il retournera au début du printemps. [Pierre-Albert Picard] au secrétaire, ministère des Affaires indiennes, 3 janvier 1931, Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Québec (ci-après BAnQ-Q), P883, S5, dossier 13.
  32. Pétition de Nicolas Vincent Tsawanhonhi, Canada, Appendice du XXXIIIe volume des Journaux de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada, Québec, Imprimeur du Roi, 1824, Appendice R.
  33. Vincent et al. à J. B. Glegg, 9 juillet 1830 (n. 15).
  34. D. C. Napier, « Return of Indians under the Protection of the Indian Department of Lower Canada », 12 décembre 1836, dans Copies or Extracts of Correspondence since 1st April 1835 between the Secretary of State for the Colonies and the Governors of the British North American provinces: Respecting the Indians in those Provinces, Londres, House of Commons, 1839, p. 54.
  35. Thomas Peace, « Maintaining Connections: Lorette during the Eighteenth Century », op. cit. Malheureusement, rien ne prouve à ce jour que les Wendats disposaient encore à l’époque des terres hors réserve relativement vastes qu’ils possédaient à la fin du XVIIIe siècle. De plus, les analyses soulignant le rôle périphérique de l’agriculture wendate laissent à penser que la plupart de ces terres ont en réalité été liquidées à la fin du XIXe siècle, peut-être même avant. Au début du XXe siècle, une étude de la vie quotidienne à Lorette décrit les ressources naturelles de la communauté sous un jour bien sombre : « Mais son sol, assez profond du reste, est généralement maigre, sablonneux. Il a été défriché en partie, mais la culture n’y a guère prospéré. Lorsqu’on remonte le cours de la rivière Saint-Charles en arrière de Lorette, on ne voit pas de fermes, mais seulement des massifs de sapins de petite taille et les maisons de plaisance de quelques bourgeois de Québec. » Léon Gérin, « Le Huron de Lorette. À quels égards il est resté sauvage », La Science sociale suivant la méthode d’observation, 1901, dans Denis Vaugeois (dir.), Les Hurons de Lorette, Québec, Septentrion, 1996, p. 22.
  36. Un ancien employé des Affaires indiennes explique la faiblesse de l’agriculture chez les Wendats par l’importance que la communauté accorde à la préservation de ses ressources ligneuses : « Comme le bois de chauffage est une considération première pour les Sauvages, les Hurons désirent conserver le peu qu’ils possèdent pour leurs descendan[t]s, en conséquence ils défrichent peu de terre. » Appendice No. 14 : Extraits des témoignages de M. Robert McNab, ci-devant du Département des Sauvages, relativement aux Tribus du Canada Est », dans « Rapport sur les affaires des Sauvages en Canada », Appendice No. 1 du sixième volume des Journaux de l’Assemblée législative de la province du Canada, Montréal, L. Perrault, 1847, Appendice T. Pour en savoir plus sur la collecte du bois dans la réserve des Quarante-Arpents, voir Brian Gettler, Colonialism’s Currency: Money, State, and First Nations in Canada, 1820-1950, Montréal et Kingston, McGill-Queens University Press, 2020, p. 144-151.
  37. Les politiques des Affaires indiennes ont en fait entravé l’essor agricole des communautés autochtones dans tout le Canada à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, particulièrement dans les provinces des Prairies. À ce sujet, voir Sarah Carter, Lost Harvests : Prairie Indian Reserve Farmers and Government Policy, Montréal et Kingston, McGill-Queens University Press, 1993.
  38. En 1872, par exemple, le gouvernement fédéral a procuré 75 $ aux Wendats au titre d’une telle aide. Liste des dépenses du Lower Canada Indian Fund, n. d. [1872], Bibliothèque et Archives Canada (ci-après BAC), RG10, vol. 1861, dossier 201, bobine C-11103.
  39. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 15 août 1895, RAAI 1895, p. 33. L’agent reprend en substance les mêmes propos dans ses rapports des années ultérieures : Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 16 juillet 1896, RAAI 1896, p. 43; Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 28 juillet 1897, RAAI 1897, p. 44; et Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 22 juillet 1898, RAAI 1898, p. 44.
  40. Gérin indique cependant que des membres de la communauté « en tirent, toutefois, un revenu, car les recettes provenant des droits payés annuellement par les entrepreneurs de coupes de bois sur cette réserve sont généralement appliquées par l’administration en subventions de diverses natures pour le bénéfice de ces Hurons. » Gérin, « Le Huron de Lorette », p. 39. Au sujet du conflit entre la famille Sioui et les autres Wendats, voir Brian Gettler, « Colonialism’s Currency: A Political History of First Nations Money-Use in Quebec and Ontario, 1820-1950 », thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, 2011 , p. 209-212.
  41. Voir description de cette vente dans RAAI 1905 (Indian Affairs Annual Report, 1905, xxxiv).
  42. Dans les années 1910, un observateur externe constatait : « Il n’y a pas d’agriculture dans cette réserve, mais la plupart des familles possèdent de petits jardins, et certaines élèvent même des vaches et des poulets. » Frederick H. Abbott, The Administration of Indian Affairs in Canada: Report of an Investigation Made in 1914 under the Direction of the Board of Indian Commissioners, Washington, D. C., autopublication, 1915, p. 72.
  43. Gaston Blanchet, « Étude de la communauté de Lorette », thèse de licence, Université Laval, Québec, 1945, p. 64.
  44. Les Wendats fabriquaient par exemple des raquettes et des mocassins pour leur propre usage quotidien. Elisabeth Tooker, Ethnographie des Hurons, 1615-1649, traduit de l’américain par Berthe Fouchier-Axelsen, Montréal, Recherches amérindiennes au Québec, 1987, p. 26-27. Dès avant l’arrivée des Européens, ils produisaient et vendaient par ailleurs aux communautés voisines divers produits manufacturés tels que de la farine de maïs, des cordes et des filets. Delâge, Le pays renversé, p. 65-69.
  45. Thomas Peace, « Maintaining Connections: Lorette during the Eighteenth Century », op. cit.
  46. Désignant un chasseur habile, le terme « Nimrod » est d’origine biblique : c’est le nom de l’arrière-petit-fils de Noé, renommé pour ses prouesses à la chasse. J. M. LeMoine, Historical Notes on the Environs of Quebec, Montréal, Burland Lithographic, 1880, p. 19.
  47. Petition from Nicolas Vincent Tsawanhonhi, Canada, Eighth Report of the Committee of the House of Assembly on... the Settlement of the Crown Lands, Québec, Neilson and Cowan, p. 22.
  48. R. J. Routh to the Earl of Gosford, 28 avril 1836, Copies or Extracts of Correspondence, p. 39. La même année, l’agent des Affaires indiennes à Québec constatait également que les gens de Lorette tiraient l’essentiel de leur subsistance de la fabrication de chaussures, mitaines et autres articles rehaussés de broderies en poils d’animaux ou piquants de porc-épic, de la production de raquettes et d’un peu de chasse, maraîchage et culture de modestes lopins. Louis Juchereau Duchesnay, Answers to Queries, 19 novembre 1836, BAC, RG10, vol. 92, 37645-51, bobine C-11468.
  49. Delâge, « La tradition de commerce », p. 46.
  50. Les Picard vendaient à l’armée des raquettes fabriquées par leurs employés : « payer pour les raquettes du Gouvernement le 28 avril 1842 par le Commissaire Millikin. » François-Xavier Picard Tahourenché, dit Paul, Journal (1837-1875), 28 avril 1842, ACNHW. Une entrée ultérieure du même journal fait référence à « Mr. Millikin Commissaire Général ». 17 juillet 1845 dans Ibid. On trouvera des exemples de ventes réalisées par François-Xavier Picard, dans François-Xavier Picard, Ventes de l’été 1846, 1er novembre 1846[?], BAnQ-Q, P883, S2, dossier 7.
  51. Annette de Stecher, « Les arts wendats au service de la diplomatie et de la traite », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 44, n° 2-3, p. 65-77, 2014.
  52. [Paul Picard?], Liste des créances de Paul Picard et Philippe Vincent, 29 mars 1849[?], BAnQ-Q, P883, S1, dossier 1.
  53. François-Xavier Picard était renommé pour son hospitalité auprès de l’élite de Québec et recevait donc souvent chez lui des habitants bien en vue de cette ville : « Reçu la visite du Lord, et Lady Elgin, Colonel Bruce, sa dame, Capt Hamilton, un autre Monsieur, Lord & Lady Warncliff, Lady Hamilton, et Lady Bruce, en ma demeure, le 24 Juin 1852, jour de la St. Jean Baptiste. » Tahourenché, Journal, 24 juin 1852.
  54. Ces foires commerciales de Québec et Montréal se sont tenues en 1850; l’exposition universelle de Paris a eu lieu en 1855. Ibid., n. d. [septembre 1851]; Thomas Sterry Hunt, Le Canada et l’Exposition universelle de 1855, Toronto, 1856, p. 204-206.
  55. L’auteur désigne erronément Paul Picard sous le nom de « Paul Vincent, cousin du Philippe ci-dessus mentionné. » « A Nook of the North », Atlantic Monthly, mars 1861, n. p., http://www.gutenberg.org/cache/epub/11134/pg11134.html (consulté le 2 mars 2021).
  56. Philippe Vincent Téonouathasta est mort en 1870. Delâge, « La tradition de commerce », p. 46.
  57. La continuité de cette relation est démontrée par le fait qu’un autre produit des Picard (un manteau pour hommes) était vendu au même prix que l’année précédente. François-Xavier Picard à [?], 15 février 1872, BAnQ-Q, P883, S2, dossier 7.
  58. Cette brochure affirme erronément que Maurice Bastien était le seul fabricant de la Lorette indienne en 1826. Il faudrait lire « 1926 », l’année d’impression du document. Bastien Brothers, brochure, « The Call of Indian Lorette », n. d. [1926], ACNHW, E-4-66.
  59. Gérin, « Le Huron de Lorette », p. 34-35.
  60. Maurice Bastien à L. W. Vankoughnet, 11 juillet 1880, BAC, RG10, vol. 2116, dossier 22 010, bobine C-11161. Cette formule permettait en outre aux Bastien d’éviter, jusqu’à la toute fin du XIXe siècle, le paiement des droits d’importation en vertu du statut d’Indienne de Caroline.
  61. Julie-Rachel Savard, « L’apport des Hurons-Wendat au développement de l’industrie du cuir dans le secteur de Loretteville aux XIXe et XXe siècles », Globe: Revue internationale d’études québécoises, vol. 8, n° 1, 2005, p. 75. Ces chiffres proviennent de recueils de cotation des entreprises régulièrement publiés entre 1878 et 1930. L’évolution de la capitalisation de l’entreprise après 1930 nous est, hélas, inconnue.
  62. Guillaume Giroux, Rapport annuel sur l’agence de Lorette, 6 octobre 1884, RAAI 1884, p. 36-37.
  63. Guillaume Giroux, Rapport annuel sur l’agence de Lorette, 20 août 1883, RAAI 1883, p. 29.
  64. Dans son rapport annuel de 1888, l’agent des Indiens écrit : « [le commerce] est aujourd’hui considérablement diminué et il en résulte que les Sauvages ne sont pas aussi à l’aise. La concurrence que les blancs font aux Sauvages dans leurs propres industries est, jusqu’à un certain point, la cause de cet état de choses. » Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 26 août 1888, RAAI 1888, p. 28. Thomas Sioui, éternel adversaire politique de Bastien, est pourtant d’accord avec lui sur ce point : « depuis quelques annés [sic] les blancs se sont adonnés à la fabrication de tous ces articles et enlevé complètement cette industrie aux Sauvages qui ont perdu ainsi ce moyen de gagner leur vie. » Pétition de Thomas Tsioui et al. adressée à Lord Stanley de Preston, gouverneur général du Canada, 26 août 1889, BAC, RG10, vol. 6825, dossier 495-1-8, partie 1, bobine C-8545.
  65. On ne saurait évidemment exclure que l’agent des Indiens puisse ici se montrer élogieux à l’excès envers Maurice Bastien Ahgnionlen, puisqu’il était son frère. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 15 août 1895, RAAI 1895, p. 33-34.
  66. Ibid. Voir également Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 16 juillet 1896, RAAI 1896, p. 42.
  67. Dans les années 1890, Lorette et ses environs immédiats comptaient trois tanneries, dont deux appartenant à des Canadiens d’origine européenne (Ross et Cloutier) et une à Maurice Bastien Ahgnionlen. Gérin, « Le Huron de Lorette », p. 33-35.
  68. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 22 juillet 1898, RAAI 1898, p. 45.
  69. Gérin, « Le Huron de Lorette », p. 36-37.
  70. John Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec (4e édition), traduit de l’anglais par Hélène Filion, Montréal, Septentrion, 2003, p. 248.
  71. The Canada Directory for 1857–58, Montréal, John Lovell, 1857, p. 289.
  72. Cet observateur signale en outre une grande disproportion entre la rémunération des travailleurs et les coquettes sommes déboursées par les étrangers pour acquérir les articles fabriqués par eux. « A Nook of the North ».
  73. Gérin, « Le Huron de Lorette », p. 34.
  74. Bastien explique le phénomène par « l’augmentation considérable dans la valeur du cuir et des peaux crues; par exemple, les peaux vertes qui valaient autrefois  ou  par 100 livres se vendent aujourd’hui et . » Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 22 juillet 1898, RAAI 1898, p. 45.
  75. « À l’ancien petit atelier familial s’est substitué l’atelier collectif sous la direction de patrons étrangers à la famille ouvrière. » Gérin, « Le Huron de Lorette », p. 37.
  76. Ibid., p. 32.
  77. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 22 juillet 1898, RAAI 1898, p. 45; et Report on the Jeune-Lorette Agency, July 22 1898, Indian Affairs Annual Report, 1898, p. 45.
  78. Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 15 juillet 1899, RAAI 1899, p. 50.
  79. Gérin, « Le Huron de Lorette », p. 55.
  80. La demande d’assurance-vie de Picard indique qu’il travaille pour le Québec comme « dessinateur employé du gouvernement » depuis 1876. Paul Picard, Application for a Policy, Union Mutual Life Insurance Company, 26 avril 1888, BAnQ-Q, P883, S3, dossier 7.
  81. Brevet de Paul Picard à Philippe Huot, 8 novembre 1865, notaire Louis Panet, BAnQ-Q, CN301, S208, n° 14 856; Titre clérical de Prosper Vincent, 20 mai 1870, notaire Paul Picard, BAnQ-Q, CN301, S368, n° 1.
  82. Pierre-Albert Picard à J. E. Perrault, Ministre de la Colonisation, des Mines & des Pêcheries, 23 mars 1921, ACNHW, P2-S3-A13, dossier B-2-16.
  83. « Officers’ Declaration Paper, Canadian Overseas Expeditionary Force: Captain Picard, Louis Phil. Ormond », 31 octobre 1918, BAC, RG150, versement 1992-93/166, boîte 7809-33. Picard amorce sa carrière militaire comme simple soldat dans le 87e bataillon de la Milice canadienne en 1897 et devient lieutenant l’année suivante. Il s’enrôle de nouveau en avril 1902 et est déployé un court temps en Afrique du Sud avant d’être renvoyé à la vie civile avec honneur au mois de juillet de la même année. « Canadian Mounted Rifles, Attestation Paper, No. 383 », 16 avril 1902; et W. E. L. Coleman, « Record of Service: Private Picard, Ormond », 28 octobre 1940, BAC, RG38, A-1-a, vol. 84, bobine T-2082.
  84. Les Affaires indiennes indiquaient en 1916 que huit Autochtones servant sous les drapeaux étaient alors des « officiers brevetés » (titulaires d’une commission d’officier). RAAI 1916, p. xxxviii.
  85. Joseph Bastien, « Éleveurs, lisez-moi ça », La revue des éleveurs de renards, vol. 1, n° 3, décembre 1934, p. 29-30, ACNHW, dossier E-2-17.
  86. Au sujet de cette procédure judiciaire, voir « La cité et les Bastien font la paix après des années de lutte », L’action catholique, 30 juin 1923, n. p.; et « L’Œil au Conseil de Ville : L’affaire Bastien », L’Œil aux affaires de Québec, 6 juillet 1923, p. 1, ACNHW, P2-S3-B2, dossier B-2-19.
  87. Raphaël Ouimet, « Ludger Bastien », Biographies canadiennes-françaises, Montréal, 1926, p. 98, ACNHW, C-4-36. Bien que l’on sache peu de choses de l’évolution à long terme de ces entreprises, il est établi qu’Ernest Bastien, ayant remis sur pied Bastien Silver Fox Breeders après la crise des années 1930, a su faire considérablement prospérer ces activités d’élevage d’animaux à fourrure dans le village voisin de Château-d’Eau. [?] Potvin, « Une après-midi à Château-d’Eau », Les pelleteries du Québec, mars 1947, p. 8-9, ACNHW, G-1-99.
  88. Le titre de poste de Launière ne nous est pas connu. M. E. Bastien to the Secretary, Department of Indian Affairs, 18 juin 1938, BAC, RG10, vol. 7552, dossier 41 014-1, bobine C-14817. L’une des filles d’Ovila Gros-Louis, Marguerite ou Pauline, travaillait pour la compagnie d’assurances. W. J. F. Pratt to Mr. Sharpe, 17 avril 1937, ACNHW, Fonds Marguerite Vincent, 8551-01.
  89. Avant d’être à l’emploi du gouvernement du Québec, Pierre-Albert Picard Tsichiek8an avait été ingénieur dans plusieurs grands projets de construction. Entre l’été et l’automne 1917, par exemple, il travaillait pour l’entreprise Quinlan & Robertson de Limoilou. 3 septembre et 4 novembre 1917, Journal de Picard. Allocution de J. Arthur Vincent pour Léon Gros-Louis, 15 juin 1952 et Souscription en faveur de M. Léon Gros-Louis, n. d. [15 juin 1952], ACNHW, Fonds Marguerite Vincent, 8542-02.
  90. En 1909, Antoine-Oscar Bastien, agent des Indiens, rappelait qu’il avait souligné, dans son rapport précédent, que la fabrication de raquettes et de mocassins, l’activité principale des « Indiens », était alors loin d’être aussi florissante qu’autrefois. Il déplorait, ajoutait-il, qu’au lieu de retrouver de sa vigueur, cette production eût au contraire encore reculé cette année-là. Par conséquent, affirmait-il, les chefs de famille de la réserve étaient contraints, pour subvenir aux besoins les leurs, de s’éloigner pour aller travailler dans les villes voisines. Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 14 juin 1909, RAAI 1909 (IAAR 1909, p. 47).
  91. Abbott, Administration of Indian Affairs in Canada, p. 71.
  92. Ibid. Dans son étude du secteur du cuir dans la région intitulée « L’apport des Hurons-Wendat au développement de l’industrie du cuir », Julie-Rachel Savard montre bien les répercussions de cette concurrence sur le secteur manufacturier de Lorette.
  93. Victoria Hayward, « Indian Lorette », Quebec Daily Telegraph, 13 avril 1920, n. p.
  94. C. M. Barbeau, « The Indian Reserve of Lorette (Quebec): A Report Concerning its Proposed Disestablishment », s. d. [1920], Musée canadien de l’histoire (ci-après MCH), collection Marius Barbeau, B91, F3, p. 15.
  95. Au sujet du rôle de l’État dans les profits réalisés par les Bastien dans la vente au détail après la crise des années 1930, voir Brian Gettler, « La consommation sous réserve ».
  96. Les Affaires indiennes n’ont procuré aucune aide à Lorette en 1929, probablement en raison de la prospérité manufacturière du village. En 1938, par contre, le gouvernement fédéral déboursait à ce titre 11 110,73 $, soit 23,24 $ par habitant de la réserve. Bien qu’il représente une augmentation marquée, ce chiffre est en réalité bien inférieur au sommet atteint en 1935, qui s’établissait à 13 742,82 $ au total, soit 28,75 $ per capita. RAAI, 1929 à 1938. En 1937, les Affaires indiennes rejetaient la demande d’aide d’Ovila Gros-Louis, qui voulait quitter Québec, où il résidait avec ses deux filles majeures, dont l’une avait un emploi stable et relativement bien payé, pour rentrer vivre à Lorette, là « où il n’existe aucune chance d’être employé ». W. J. F. Pratt to Mr. Sharpe, 17 avril 1937, ACNHW, Fonds Marguerite Vincent, 8551-01.
  97. Gaspard Picard to T. G. Murphy, 1er septembre 1934, ACNHW, Fonds Marguerite Vincent, 8551-01.
  98. « […] l’unique manufacture de la réserve, qui emploie une centaine de personnes dont très peu d’Indiens, fabrique des souliers, des pantoufles. » Blanchet, « Étude de la communauté de Lorette », p. 6-7.
  99. M. E. Bastien à la Division des Affaires indiennes, 25 mars 1944; et Kathleen Moodie à M. E. Bastien, 17 avril 1944, LAC, RG10, vol. 7552, dossier 41 014-1, bobine C-14817. Les Affaires indiennes ont mis sur pied le programme d’artisanat pour abaisser les déboursés en soutien social. En dépit de la maturité du secteur manufacturier de Wendake, certains habitants du village ont reçu l’appui de l’État alors qu’ils travaillaient dans ce domaine pendant la guerre. Entre le 1er et le 30 avril 1940, la division des Affaires indiennes a ainsi investi 450,29 $ à Wendake et vendu la production de la communauté à perte (pour 439,83 $). Hélas, les documents d’archives n’indiquent pas si Bastien ou d’autres Wendats ont bénéficié de ces fonds. Statement of Handicraft Trust Account #470, 1er avril-30 novembre 1940, n. d. [11 décembre 1940], BAC, RG10, vol. 7551, dossier 41 001-1, bobine C-14817.
  100. RAAI 1947 (IAAR 1947, p. 212).
  101. [?] Potvin, « Une après-midi à Château-d’Eau ».
  102. Voir les chapitres 1 à 4 de From Huronia to Wendakes. Adversity, Migration, and Resilience, 1650–1900.
  103. Tooker, Ethnographie des Hurons, p. 27-28.
  104. À la fin du XVIIIe siècle, un observateur affirmait que les hommes wendats s’épilaient entièrement le visage à l’aide de pinces qu’ils se fabriquaient avec du fil de cuivre. En raison de cette pratique, universelle parmi la population masculine du village, ajoutait-il, « tous les trafiquants emportent avec eux cet objet de commerce exprès pour le leur fournir. » John Long, Voyages chez différentes nations sauvages de l’Amérique septentrionale, traduit de l’anglais par J. B. L. J. Billecocq, Paris, Prault l’aîné, imprimeur, & Fuchs, libraire [1792?], p. 278.
  105. Par exemple, des bouchers, propriétaires de magasin général, épiciers, boulangers, charrons, ébénistes, bottiers, selliers ou forgerons. Canada Directory for 1857–58, p. 289.
  106. « A Nook of the North. »
  107. Les traces les plus anciennes de l’activité marchande wendate se limitent aux professions des parties prenantes indiquées dans les contrats. Au milieu du XIXe siècle, par exemple, Charles Picard est désigné comme commerçant du village de Saint-Ambroise (Loretteville). Quittance par Edouard Dubeau à Pierre Noël et Charles Picard, 18 novembre 1858, notaire Louis Panet, BAnQ-Q, CN301, S208, n° 14 090. Adolphe Picard était aussi commerçant, mais à Lorette. Vente de meubles, Adolphe Picard à Fr. Groslouis, 30 juin 1875, notaire Paul Picard, BAnQ-Q, CN301, S368, n° 210.
  108. En l’occurrence, Picard a gagné 1.18.0 £ Hfx après dépenses pour douze jours et demi de travail de voirie. Reçu de Charles Picard, à Félix Fortier, écuyer, pour travail qu’il a effectué au chemin qui conduit de la rivière aux Pins à la rivière Sainte-Anne, 30 juin 1855, BAnQ-Q, E21, S64, SS5, SSS3, D903.
  109. Ainsi, quatre ans après avoir ouvert son magasin, Bastien écrit aux Affaires indiennes : « L’argent circule plus que d’habitude, mais le manque d’ouvrage dans ces dernières années a plongé un grand nombre de sauvages dans la misère et les a forcés de s’endetter pour vivre; d’un autre côté, j’ai remarqué que l’on pratiquait une stricte économie afin d’être en mesure de réparer les malheurs du passé et de faire face aux vicissitudes de l’avenir. » Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 22 juillet 1898, RAAI 1898, p. 46. L’année suivante, cependant, Bastien signale que la résurgence des difficultés empêche certains membres de la communauté de se libérer de leurs dettes : « L’enthousiasme de l’année dernière, qui a fait croire à ces sauvages que la prospérité continuerait, a trompé leur prévoyance, et cette année la fabrication des raquettes et des mocassins a été presque nulle, comparée à l’année dernière. » Bastien, Rapport sur l’agence de Jeune-Lorette, 15 juillet 1899, RAAI 1899, p. 48.
  110. On trouvera une analyse de l’influence de la famille Bastien sur le commerce de détail dans la réserve : Brian Gettler, « La consommation sous réserve ».
  111. Le document Minutes du conseil, 9 mai 1941, Bastien, Livre de conseils tenus au village des Hurons, 1919-1949, p. 102, ACNHW, évoque ainsi les activités commerciales de Picard.
  112. Minutes du conseil, 27 novembre 1946, ibid.
  113. Dans l’étude sociologique de Lorette qu’il propose en 1945, Gaston Blanchet écrit à propos de Jules Sioui, qu’il surnomme « Ti-Jules » : « dans son ardeur, [il] refusa pendant un certain temps de vendre aux Canadiens-français, sous prétexte qu’il ne vendait pas aux blancs. (Il a le mérite d’avoir établi la "vente chez nous"). » Sioui a néanmoins fini par abandonner cette politique pour des raisons économiques, « puisqu’il fait son profit avec les blancs. » Blanchet, « Étude de la communauté de Lorette », p. 31. Sioui était alors un militant bien connu dans tout le Canada. Pour en savoir plus sur son activité politique, voir Hugh Shewell, « Jules Sioui and Indian Political Radicalism in Canada, 1943-1944 », Journal of Canadian Studies, vol. 34, n° 3, automne 1999, p. 211-242.
  114. L’ouvrage de Dana Frank sur l’histoire du nationalisme économique aux États-Unis apporte un éclairage intéressant sur la place de l’activité politico-économique wendate dans le contexte nord-américain : Buy American: The Untold Story of Economic Nationalism, Boston, Beacon Press, 1999.
  115. « A Nook of the North. »
  116. Copie d’une convention de vente à réméré de Paul Picard à Cyrille Tessier, 6 juin 1888, BAnQ-Q, P882, S2, dossier 3.
  117. Abbott, Administration of Indian Affairs in Canada, p. 71.
  118. Pour mieux connaître l’histoire du secteur bancaire canadien, voir E. P. Neufeld, The Financial System of Canada: Its Growth and Development, Toronto, Macmillan, 1972; et R. T. Naylor, The History of Canadian Business, 1867–1914: The Banks and Finance Capital, vol. 1, Toronto, James Lorimer & Company, 1975.
  119. Cette pratique était également en vigueur dans des pays dont les systèmes juridiques accordaient aussi une place importante aux notaires, par exemple la France et le Mexique. Plusieurs analyses s’intéressent à ces questions dans d’autres contextes nationaux, notamment Philip T. Hoffman, Gilles Postel-Vinay et Jean-Laurent Rosenthal, Des marchés sans prix : une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2001; et Juliette Levy, « Notaries and Credit Markets in Nineteenth-Century Mexico », Business History Review, vol. 84, n° 3, 2010, p. 459-478.
  120. À ce sujet, voir Peter Baskerville, A Silent Revolution? Gender and Wealth in English Canada, 1860–1930, en particulier le chapitre 5, « Stretching the Liberal State: Legal Regimes, Gender, and Mortgage Markets in Victoria and Hamilton, 1881–1921. »
  121. Thomas Peace, « Maintaining Connections: Lorette during the Eighteenth Century », op. cit.
  122. Obligation par Joseph Savard à Philippe Vincent, 2 juin 1860, notaire Louis Panet, BAnQ-Q, CN301, S208, n° 14 284.
  123. Quittance par Philippe Vincent à Joseph Savard, 2 juin 1860, notaire Louis Panet, BAnQ-Q, CN301, S208, n° 14 285.
  124. Les prêts de 1848 et 1850 ont été contractés en décembre et probablement remboursés en décembre 1859, soit une durée totale de 21 ans. À 6 % d’intérêt, 50 £ auraient rapporté au prêteur 1.10.0 £ par an pour un total de 63 £. La formulation de la quittance signée devant notaire ne permet pas de déterminer la date à laquelle les prêts ont été remboursés. Il semble toutefois assez probable que les prêts antérieurs ont été remboursés en même temps que le nouveau prêt était contracté, car tous les documents se rapportant à ces transactions ont été signés le même jour, le 2 juin 1860.
  125. On trouvera une analyse de ce phénomène dans le contexte français dans Hoffman et al., Des marchés sans prix.
  126. Un autre cas confirme cette interprétation. En 1860, Jacques Alain, fermier de Saint-Ambroise, emprunte 600 $ à Paul Picard Honda8onhont; remboursable dans les trois ans, le prêt est assorti d’un taux d’intérêt de 8 % par an. Cependant, Alain ayant pris cinq ans et quatre mois pour rembourser sa dette, Picard engrange 256 $ en frais d’intérêt, contre les 144 $ prévus si les termes du contrat avaient été respectés. Transport par Joseph Gauvin à Paul Picard, 24 novembre 1860, notaire Philippe Huot, BAnQ-Q, CN301, S350, n° 2 992 et Quittance par François-Xavier Picard à Jacques Alain, 27 mars [1866], notaire Philippe Huot, BAnQ-Q, CN301, S350, n° 5451.
  127. On trouvera ici des exemples de prêts antérieurs sans droit de rachat : Obligation par Magdelaine Geneste et al. à Paul Picard, 2 juin 1849, notaire Louis Panet, BAnQ-Q, CN301, S208, n° 11 472; Obligation par Maurice Bastien à Philippe Vincent, 25 avril 1857, notaire Philippe Huot, BAnQ-Q, CN301, S350, n° 1 543; Obligation par Louis Picard à François-Xavier Picard, 1er septembre 1866, notaire Philippe Huot, BAnQ-Q, CN301, S350, n° 5 586.
  128. Vente à réméré par Hermine Bastien et Wilfrid Picard à Maurice Bastien fils, 15 mai 1884, notaire Paul Picard, BAnQ-Q, CN301, S368, n° 501.
  129. Canada, Statuts, « Acte pour amender et refondre les lois concernant les Sauvages », 12 avril 1876, 39 Victoria, ch. 18, art. 66.
  130. Pour en savoir plus sur l’écart entre la théorie juridique énoncée par la Loi sur les Indiens et son application sur le terrain, voir Brian Gettler, « La consommation sous réserve. »
  131. En 1894, Duncan Campbell Scott, sous-surintendant général intérimaire ainsi que premier commis et comptable des Affaires indiennes, explique à Antoine O. Bastien, agent des Indiens à Lorette, qu’il devrait empêcher la conclusion d’ententes de cette nature parce qu’elles sont conditionnelles. Précisant ensuite la position du Ministère, Scott souligne que rien n’interdit les échanges de terres entre Indiens s’ils sont payés en entier. D. C. Scott to A. O. Bastien, 20 octobre 1894, BAC, RG10, vol. 2773, dossier 154 998, bobine C-11276.
  132. Canada, Statuts, « Loi modifiant la Loi des Indiens », S.C. 1930, c. 25, art. 10.
  133. Bien qu’elle diffère dans ses modalités, puisqu’elle n’exige pas le paiement d’intérêts, la première vente avec droit de rachat a été conclue en 1866, dix ans avant l’adoption de la Loi sur les Indiens. Vente à réméré par Charles Groslouis à Scholastique Groslouis, 20 février 1866, notaire Louis Panet, BAnQ-Q, CN301, S208, n° 14 875.
  134. Barbeau, « The Indian Reserve of Lorette », p. 9 et 3.
  135. Ibid., p. 3.
  136. Ludger explique à Barbeau que, « La banque ne veut pas s’occuper d’eux autres. Il faut qu’ils obtiennent ces argents là, parmi les leurs. Nous sommes obligé Herman[,] Ludger et le père ici qui sont obligés d’aider à ces gens là pour partir pour qu’on leur laisse un cent piastres, 500 piastres ». Barbeau, notes tapuscrites de terrain pour « The Indian Reserve of Lorette (Quebec): A Report Concerning its Proposed Disestablishment », 7 et 21 août 1919, MCH, Collection Marius Barbeau, B91, F3, p. 30. Au sujet des observations de Barbeau sur les acquisitions immobilières des Bastien, voir C. M. Barbeau, « The Indian Reserve of Lorette (Quebec) », p. 10.
  137. Adélard L’Heureux, Contrat de vente [à] réméré de Moïse Gros Louis à Ludger Bastien, 27 octobre 1928, ACNHW, Fonds Marguerite Vincent, 8551-12.
  138. S’il faut accueillir avec scepticisme les chiffres indiqués par l’agent des Indiens, il semble avéré que les revenus ont beaucoup baissé à cette époque, puisque le soutien étatique a considérablement augmenté à Lorette à ce moment-là. Les revenus des ménages sont calculés d’après les résultats des recensements de 1929 et 1934, qui décomptent, respectivement, 270 et 235 hommes et femmes wendats âgés de 21 à 65 ans. Par hypothèse, chaque ménage se compose d’un homme et d’une femme exerçant une activité rémunérée. Pour les chiffres des recensements, voir les rapports des Affaires indiennes suivants : Indian Affairs Annual Report (IAAR) 1929, p. 64, et IAAR 1934, p. 48. Au sujet de l’estimation des revenus dans la réserve avancée par l’agent des Indiens, voir IAAR 1929, p. 90; IAAR 1930, p. 74; IAAR 1931, p. 46; IAAR 1932, p. 44; IAAR 1933, p. 41; IAAR 1934, p. 64.
  139. Sioui peinait manifestement à rester solvable pendant la crise des années 1930. En 1939, par exemple, il s’est reconnu coupable d’avoir abandonné deux enfants à La Crèche, un orphelinat de Québec – le premier en 1936 et le deuxième, en 1938 : «Abandoned 2 Infants: Huron Reserve Indian Admits Separate Offences », Montreal Gazette, 16 mars 1939, p. 21.
  140. « Fin d’un long litige à la réserve huronne », L’Événement, 21 avril 1938, n. p., ACNHW, P2-S3-B2, dossier B-2-19. Les Affaires indiennes ont sollicité l’aide de la Gendarmerie royale du Canada pour permettre à Bastien de récupérer sa propriété. Il importe de noter qu’il ne s’agissait pas ici d’une saisie, sur ordre d’un tribunal, d’un bien déposé en garantie pour le remboursement d’une dette. Bastien ayant acquis la propriété par droit de rachat, il s’agissait en fait d’une éviction de locataire.
  141. Karl Polanyi, La grande transformation, traduit de l’anglais (États-Unis) par Maurice Angeno et Catherine Malamoud, Paris, Gallimard, 1983.
  142. On trouvera ici une analyse importante, parmi d’autres, de la réorganisation politique en contexte canadien : Gerald F. Reid, Kahnawà:ke: Factionalism, Traditionalism, and Nationalism in a Mohawk Community, Lincoln, University of Nebraska Press, 2004. En dépit de la publication d’une première étude majeure, bien connue, de Rolf Knight, sur le travail des Autochtones dans le contexte plus large des évolutions économiques et sociales, ce type d’analyse est resté marginal en regard de l’immense historiographie portant sur les Autochtones au Canada et aux États-Unis. Certains ouvrages s’avèrent néanmoins incontournables dans le domaine : Rolf Knight, Indians at Work: An Informal History of Native Indian Labour In British Columbia, 1858–1930, Vancouver, New Star Books, [1978], 1996; Alice Littlefield et Martha C. Knack (dir.), Native Americans and Wage Labor: Ethnohistorical Perspectives, Norman, University of Oklahoma Press, 1996; Brian Hosmer et Colleen O’Neill (dir.), Native Pathways: American Indian Culture and Economic Development in the Twentieth Century, Boulder, University Press of Colorado, 2004; Lutz, Makúk; Daniel H. Usner, Jr., Indian Work: Language and Livelihood in Native American History, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2009; et Mary Jane Logan McCallum, Indigenous Women, Work and History, 1940–1980, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2014.
  143. L’expression « ère de marginalité » (era of irrelevance) renvoie ici à une formule empruntée à l’un des ouvrages les plus lus sur l’histoire des Autochtones au Canada : J. R. Miller, Skyscrapers Hide the Heavens: A History of Indian-White Relations, Toronto, University of Toronto Press, 1989. Steven High propose ensuite, à partir de cette formule, une analyse historiographique du travail chez les Autochtones aux XIXe et XXe siècles : « Native Wage Labour and Independent Production During the ‘Era of Irrelevance’ », Labour/Le Travail, vol. 37, printemps 1996, p. 243-264. En dépit des nombreuses recherches publiées sur le sujet avant et après la parution de l’article de High, l’intégration des réalités vécues à cette époque par les Autochtones aux récits historiques nationaux et transnationaux de plus grande envergure a remarquablement peu progressé. Alexandra Harmon, Colleen O’Neill et Paul C. Rosier, « Interwoven Economic Histories: American Indians in a Capitalist America », Journal of American History, vol. 98, n° 3, décembre 2011, p. 698-722.

Licence