10 La démocratie dans la musique : l’International Band de Louis Metcalf et l’histoire du jazz à Montréal

Sean Mills

Traduit de l’anglais par Catherine Ego[1]

Début avril 1949, par un dimanche après-midi plutôt frais, Louis Metcalf et son International Band sourient au milieu de leurs admirateurs massés au Café St-Michel, le « club » où ils se sont graduellement hissés parmi les musiciens les plus renommés de Montréal. La scène culturelle montréalaise bruisse encore de l’exaltation et de la controverse suscitées par diverses expressions artistiques nouvelles ces dernières années. Grand ambassadeur du be-bop, un nouveau langage musical galvanisant, enivrant, l’orchestre de Metcalf s’inscrit pleinement dans cette effervescence culturelle. Au fil de ses rythmes complexes et de ses vertigineuses syncopes, le be-bop entend révolutionner le jazz, l’élever au statut d’art à part entière et ouvrir aux musiciens de nouveaux espaces d’expression. À Montréal, même les amateurs de jazz ignorent encore tout ou presque du be-bop. Jusqu’ici, les jazzmen ont toujours joué dans les soirées de danse ou en arrière-plan des spectacles. Si Metcalf reste fidèle à ces deux rôles, il propulse aussi ses musiciens virtuoses sous les feux de la rampe, où ils délaissent leur fonction de faire-valoir pour s’imposer comme le véritable clou du spectacle. Le style musical novateur proposé par l’ensemble de Metcalf fait sensation, comme la diversité des musiciens qui le composent. Alors que la ségrégation se maintient dans les orchestres, l’International Band regroupe des musiciens de sept origines raciales et ethniques, et considère d’ailleurs cette diversité comme l’un des piliers de sa conception de la démocratie.

En cet après-midi d’avril, une petite troupe de musiciens français et canadiens-français s’est assemblée à l’intersection des rues Saint-Antoine et de la Montagne, un secteur surnommé simplement « The Corner » (« le coin »). Charles Aznavour et Pierre Roche, deux chanteurs français à l’aube d’une immense carrière, et Raymond Lévesque, qui sera bientôt considéré comme l’un des fers de lance de la tradition québécoise des chansonniers, comptent parmi les artistes qui se dirigent vers le Café St-Michel pour improviser avec l’orchestre de Metcalf. Dans la salle bondée, les amateurs de be-bop se mêlent aux musiciens français et canadiens-français. « Des artistes se levaient de tous les coins de la salle pour aller faire un bout de numéro », relate un journaliste. « Une atmosphère de chaude sympathie flottait entre les tables. […] D’interminables discussions sur le “be-bop” suivirent cette mémorable conciliation. » L’article précise : « La rencontre du moderne français et du moderne canadien venait de se faire[2] ». Ce n’est évidemment pas la première fois que des interprètes d’horizons musicaux différents jouent ensemble. Néanmoins, cette convergence des plus grands jazzmen de la ville et de chanteurs célèbres du Québec et de la France de l’après-guerre ne pouvait se produire qu’à Montréal, carrefour solidement établi de multiples courants culturels. De toute évidence, l’International Band de Metcalf jouit déjà d’une renommée enviable dans les milieux culturels montréalais et c’est pourquoi, en ce dimanche après-midi, des artistes de plusieurs traditions musicales accourent au St-Michel pour jouer ensemble et pour discuter de la nature et de la portée du be-bop. Ainsi que l’a écrit un journaliste ayant assisté à la rencontre, l’International Band était devenu « l’enseigne de la démocratie dans la musique[3] ».

L’histoire du jazz montréalais a souvent été célébrée et scrutée à la loupe. Nombre d’articles et de livres se sont intéressés aux prouesses musicales des jazzmen les plus illustres de la ville, notamment Oscar Peterson et Oliver Jones[4]. Plusieurs universitaires ont minutieusement retracé le parcours des musiciens et l’évolution des clubs, et disséqué les histoires sociales inextricablement enchevêtrées de la scène jazzistique montréalaise[5]. Toutes ces recherches reposent sur une même pierre d’assise : les travaux et archives inestimables de John Gilmore[6]. Comme tous les historiens du jazz à Montréal, je dois beaucoup à Gilmore, j’ai considérablement appris des documents qu’il nous a laissés et j’espère en approfondir ou préciser certains aspects. En l’occurrence, je m’intéresse ici aux dimensions politiques et culturelles de l’œuvre de Metcalf et de sa vision transnationale et, plus particulièrement, à leur insertion dans l’actualité internationale de l’époque et dans l’évolution de la ville dans laquelle Metcalf s’est établi[7]. Je tenterai notamment d’établir que Metcalf croyait fermement en l’internationalisme et en la justice raciale comme conditions sine qua non de la démocratie et que cette conviction s’exprimait non seulement par la diversité des origines de ses musiciens, mais aussi par le langage musical nouveau que représentait alors le be-bop, musique de prédilection de ce groupe.

Metcalf quitte New York en 1946 pour s’établir à Montréal. Aux États-Unis, il a vu le gouvernement entrer en guerre au nom de la démocratie et de la lutte contre le fascisme tout en maintenant un système de castes raciales dans son propre pays. Or, Metcalf dénonce le racisme et défend les droits des musiciens depuis de longues années. En arrivant à Montréal, il y trouve toutefois une ville en pleine transformation dont l’ébullition culturelle l’oblige à repenser ses certitudes. Depuis le début des années 1940, Montréal s’est graduellement imposée comme un haut lieu du modernisme en peinture, en danse et en littérature, et c’est à la lumière de ce contexte culturel et de la réorganisation politique globale enclenchée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale qu’il faut envisager le projet de Metcalf. Le choc suscité par son orchestre montre avec éloquence que les paramètres du be-bop n’ont pas été fixés à New York pour être ensuite exportés à l’identique. Au contraire, les musiciens, le public, les journalistes et les critiques redéfinissent constamment son sens et sa portée au gré de la situation locale et internationale. En dépit de ses limites et de sa vie relativement brève, l’International Band de Metcalf a ébranlé le statu quo et s’est inscrit dans une longue lignée d’artistes de tous horizons désireux d’inventer un avenir plus juste.

En m’intéressant aux initiatives déployées par les musiciens de Metcalf pour préciser le but de leur musique et participer aux débats d’après-guerre sur la démocratie, j’espère contribuer à mieux ancrer le parcours du jazz montréalais dans l’histoire culturelle et intellectuelle du Québec[8]. Certes, Metcalf n’a jamais explicité ce qu’était véritablement pour lui la « démocratie dans la musique », un concept évanescent de portée plutôt restreinte. En laissant dans l’ombre l’égalité des genres, le projet de Metcalf ne pouvait évidemment pas prétendre s’élever au rang des grands argumentaires pro-démocraties et d’autant moins qu’il n’a duré que quelques années. Durant sa courte existence, néanmoins, le groupe a inlassablement contesté un ordre esthétique et politique qui confinait les jazzmen au divertissement, les empêchant au passage de s’exprimer en tant qu’artistes, intellectuels et militants. Il a par ailleurs articulé une vision d’avenir accordant une large place à la justice raciale, inspirée de la vie à Montréal, mais jetant aussi des ponts par-delà cette ville afin de réinventer les conditions d’émergence d’une démocratie mondiale.

Pour prendre la pleine mesure de la contestation de l’ordre établi que représentait l’orchestre de Metcalf dans les sphères culturelles et politiques de l’époque, il convient tout d’abord de se rappeler le carcan des idées préconçues qui pesait sur le jazz au Québec dans la première moitié du 20e siècle ainsi que l’ampleur de la ségrégation, qui déterminait alors entièrement les conditions de vie et de travail des jazzmen.

Le jazz, un symbole

Le jazz débarque à Montréal en même temps que dans la plupart des autres grandes villes nord-américaines. Cependant, parce que Montréal n’est pas états-unienne et qu’elle présente une configuration linguistique particulière, la musique y a toujours eu une portée singulière. Si l’iconographie et les modalités migratoires de Montréal témoignent alors, incontestablement, de sa position dans l’Empire britannique, la majeure partie de sa population est d’ascendance canadienne-française et sa vie culturelle reste imprégnée d’échos du passé colonial français. Dans les années 1920, alors que la prohibition cadenasse toutes les autres grandes villes d’Amérique du Nord, Montréal devient une destination prisée des visiteurs en provenance des États-Unis et du reste du Canada, attirés par sa réputation de ville libertine – alcool, prostitution, spectacles. En particulier, la ville résonne à toute heure des sons et rythmes syncopés des nouvelles formes musicales.

Le jazz fédère de plus en plus d’adeptes et incarne l’effervescence de l’entre-deux-guerres. Il symbolise le bouillonnement artistique de l’époque[9], mais surtout, à tout le moins pour les élites, toutes les tares qui affligent le monde moderne. Dès que l’Église catholique et les intellectuels conservateurs souhaitent dénoncer « l’américanisation » de la vie urbaine, le jazz s’attire leurs foudres. Les penseurs canadiens-français le tiennent pour la manifestation par excellence de la déliquescence morale, s’inscrivant en cela dans la droite ligne de l’élite états-unienne[10]. À l’instar de leurs homologues de la France et du Canada anglais, ils lui reprochent en outre d’exercer une influence étrangère corrosive sur la culture et les goûts des populations locales[11]. Dans Le Nationaliste, Pierre Dalbec écrit : « Par nos origines françaises, nous avons l’instinct du beau. Mais notre contact avec une race pratique, une ambiance de mercantilisme, notre milieu antiesthétique, tout cela constitue un bain de laideur quotidien, perpétuel. » Et parmi toutes les emprises anglo-américaines qui sévissent alors, les « “jazz bands” [qui] hurlent de la musique américaine » portent en grande partie l’odieux de cette déchéance[12]. Dans La Canadienne, Jean Saucier ajoute : « […] jamais le jazz [ne] pourra élever l’âme, […] présider aux services religieux [ou] inspirer une œuvre de génie[13]. » Une multitude d’articles répètent ainsi que cette musique menace la persistance même de la culture canadienne-française. La réputation du jazz reste par ailleurs indissociable de son symbolisme racial et sexuel. Étroitement lié à la culture afro-américaine, il est considéré comme primitif et dangereux, comme un piège redoutable pour les femmes blanches et une preuve incontestable de la nature barbare des personnes racisées.

Alors que les critiques dénoncent le péril que le jazz représente à leurs yeux, les restaurants et les clubs de Montréal, pour séduire une lucrative clientèle, s’attachent au contraire à le parer d’atours exotiques, à l’inscrire dans un flamboiement d’images alléchantes de paradis tropicaux et de plaisirs racisés, antidotes imparables aux dures réalités de l’hiver. Ce faisant, ils transposent localement les discours impériaux qui, à l’international, font l’impasse sur les histoires riches, diverses et complexes des colonies et les résument au seul cliché des plaisirs sensuels[14]. Les noms des établissements s’inspirent de l’exotisme projeté sur les pays lointains – Tropical Room, Connie’s Inn, Chinese Paradise, El Morocco… Leur décoration renvoie au tropical, au « créole », à l’« exotique »[15]. À l’inauguration du Club Belmar, ses publicités affirment qu’au terme d’un an de voyages dans les Antilles, à Porto Rico, dans les îles Vierges, en Haïti, en Jamaïque, à Cuba et à La Nouvelle-Orléans, la direction est en mesure de faire vivre à sa clientèle une atmosphère des plus authentiques[16]. Sous la plume d’Al Palmer, la troupe de danse afro-cubaine du Savoy Café « fait régner dans le club une chaleur torride[17] ». Imprimées en anglais et en français, les affiches publicitaires déploient une iconographie non seulement racisée, mais aussi très sexualisée. En tablant sur la sensualité des Caraïbes, les boîtes de nuit bénéficient de l’imagerie impériale en vigueur et attirent une clientèle assoiffée de représentations idéalisées et sexualisées de l’univers colonial[18]. Les affiches de spectacles exhibent des femmes hautement sexualisées et les publicités dans les journaux évoquent à satiété les « splendides danseuses créoles » ainsi que les « troupes entièrement composées d’époustouflantes beautés créoles », arborant à l’appui de leurs affirmations des images de danseuses très légèrement vêtues[19].

Aux États-Unis, nombreux sont les analystes et observateurs qui plaquent l’imagerie impériale sur Harlem, décrivant ce quartier telle une colonie de l’intérieur et contribuant au passage à en faire une « destination voyage de choix pour qui recherche le divertissement, le sexe et l’alcool[20] ». Né aux États-Unis, l’exotisme accolé à Harlem, réputé offrir une ambiance nonchalante et sensuelle, a rapidement migré vers d’autres villes étrangères, notamment Montréal, où l’intersection des rues de la Montagne et Saint-Antoine est surnommée « le Harlem montréalais ». Les clubs qui programment des artistes noirs promettent à leur public « l’esprit insouciant et joyeux du quartier chaud de Harlem[21] ». L’exotisme et le divertissement venus de l’étranger occupent une place si prépondérante dans leurs stratégies de promotion que certains spectateurs croient sincèrement que tous les musiciens et danseurs qu’ils présentent arrivent de l’extérieur de la province alors qu’en réalité, nombreux sont ceux qui ont toujours vécu à Montréal. Au Montmartre, le propriétaire a refusé d’engager Olga Spencer Foderingham : à son accent canadien, il en avait conclu qu’elle était montréalaise, et donc blanche, alors qu’il embauchait uniquement des « filles de couleur[22] ». La symbolique de l’empire et l’iconographie exotique en provenance des États-Unis, des Antilles et autres lieux lointains établissent alors le cadre d’interprétation du jazz à Montréal. Ce cadre établit entre la scène et la salle une proximité qui permet au public d’observer les danseurs et musiciens noirs, et de se délecter de leurs prestations, mais il trace aussi une ligne de démarcation bien nette entre les non-Blancs et la société dominante.

Quand Louis Metcalf arrive à Montréal, tout de suite après la Deuxième Guerre mondiale, il s’intègre par conséquent à une structure symbolique dans laquelle le jazz porte un esprit de rébellion et suscite une vive exaltation, mais incarne aussi l’étranger et l’exotique.

Les tensions politiques entourant le jazz mijotent déjà.

Les conditions de travail des jazzmen de Montréal

Au fil des ans, l’accroissement du nombre des jazzmen noirs à Montréal a renforcé la ségrégation raciale sur la scène musicale. Une estimation indique que la ville comptait environ vingt-cinq musiciens noirs dans la première moitié des années 1920, qui jouaient régulièrement dans les mêmes formations que les musiciens blancs. Dans les années 1930, toutefois, comme ils étaient plus nombreux à s’installer dans la ville et que les conditions économiques se détérioraient, la ségrégation s’est durcie. Les musiciens noirs ont été exclus de la section locale de l’American Federation of Musicians (fédération des musiciens des États-Unis) et évincés du processus de création de son homologue et rivale canadienne. Ils ont alors mis sur pied leur propre association, le Clef Club, qui sera par la suite intégrée au syndicat canadien en tant que « section noire ». Elle ne deviendra cependant jamais assez puissante pour éradiquer la ségrégation ou améliorer significativement les conditions de travail de ses membres, au total, les prestations les plus lucratives restent la chasse gardée des Blancs[23]. Metcalf ayant passé environ un an à Montréal au début des années 1930, avant de retourner aux États-Unis, il a pu se familiariser dès lors avec la dynamique proprement montréalaise des relations de race et de pouvoir.

Le racisme était à l’époque bien vivace à Montréal et la ségrégation raciale se manifestait de multiples façons dans le domaine de la musique. La discrimination compliquait la tâche des musiciens noirs qui voulaient vivre de leur art, mais elle restreignait aussi leurs déplacements, leur interdisant de jouer ou même d’aller écouter de la musique dans certains secteurs de la ville. Déboutant un homme noir qu’une taverne montréalaise avait refusé de servir en 1936, la Cour suprême du Canada a même confirmé le droit des établissements commerciaux à traiter leurs clients de manière discriminatoire au nom de la « liberté du commerce[24]. » Seuls les clubs, toutefois relativement nombreux, établis dans le quartier Saint-Antoine, au sud des voies ferrées, s’ouvraient réellement aux musiciens non-blancs, notamment les célèbres Café St-Michel et Rockhead’s Paradise. Lors de son premier séjour à Montréal, au début des années 1930, Metcalf a travaillé au Terminal, un « club noir » tout proche de la gare Windsor. Il a alors probablement eu un premier aperçu des codes raciaux et de la ségrégation spatiale informelle, mais inflexible, en vigueur dans la ville[25]. Dans le quartier Saint-Antoine vivait à l’époque une population mixte et, plus particulièrement, la majeure partie de la communauté noire de la ville. Les principales institutions montréalaises noires y étaient d’ailleurs établies, par exemple le Negro Community Centre (Centre communautaire noir), la Universal Negro Improvement Association (UNIA, Association universelle pour l’avancement des Noirs) et la Union United Church (église Union United). La musique jouait un rôle majeur dans le quotidien des Noirs du quartier Saint-Antoine. C’est là que la plupart des grands jazzmen de Montréal sont nés et ont amorcé leur carrière musicale[26].

Les musiciens noirs se produisaient donc dans le Corner parce que ce secteur constituait le cœur battant de la scène musicale montréalaise, mais aussi parce qu’une discrimination tenace les empêchait de jouer ailleurs. À son arrivée à Montréal, au milieu des années 1930, le saxophoniste Herb Johnson s’est vite heurté aux codes raciaux régissant le milieu de la musique. « Pas de musiciens de couleur au nord de la rue Saint-Antoine », lui a-t-on expliqué. Cette « règle non écrite » n’avait probablement rien à voir avec la musique proprement dite, avance-t-il; elle exprimait plutôt la crainte de la mixité raciale[27]. Les musiciens noirs n’avaient pas droit de cité dans les boîtes de nuit de la rue Sainte-Catherine à l’ouest du boulevard Saint-Laurent. D’une manière générale, ils ne pouvaient pas non plus intégrer les grands orchestres, ce qui les excluait nécessairement des lucratives prestations dans les salles de danse où les Montréalais affluaient pour s’abandonner au swing. Les hôtels leur étaient interdits. Dans les clubs « de l’est », établis principalement autour de l’intersection de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent, musiciens et danseurs noirs montaient sur scène, mais le public noir ne pouvait pas aller les applaudir. Comble de l’insulte, les vedettes noires en tournée à Montréal donnaient leurs spectacles dans des clubs dont les Montréalais noirs ne pouvaient franchir les portes; ces artistes, toutefois, finissaient souvent la soirée dans le Corner pour y improviser avec d’autres musiciens[28].

Ainsi, non seulement la ségrégation perdurait-elle sur les scènes musicales montréalaises à la veille du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, mais elle y sévissait encore plus qu’une dizaine d’années plus tôt.

La Deuxième Guerre mondiale et l’après-guerre

Au retour de Louis Metcalf à Montréal, en décembre 1946, la ségrégation raciale est encore solidement ancrée dans la ville. Les soldats noirs de retour d’Europe – et parmi eux, plusieurs musiciens – se heurtent à la discrimination dans l’accès au logement. D’une manière plus générale, le racisme structurel contraint tous les aspects du quotidien des Montréalais noirs[29]. Néanmoins, en dépit de la persistance du racisme à Montréal, la Deuxième Guerre mondiale a métamorphosé la ville. Au début de la décennie, la reddition de la France a profondément bouleversé les relations entre la province et sa métropole traditionnelle, et nombreux sont les membres de l’élite intellectuelle canadienne-française qui appuient l’instauration du régime ultraconservateur de Vichy dans le sud de l’Hexagone[30]. Cependant, tandis que l’intelligentsia conservatrice du Québec soutient le régime politique de Philippe Pétain, une vague de mesures et d’idées progressistes balaie la province, particulièrement Montréal. Le gouvernement libéral d’Adélard Godbout promulgue plusieurs réformes et les nombreux exilés d’Europe accueillis par Montréal pendant la guerre apportent avec eux des conceptions politiques et artistiques nouvelles qui concordent avec les changements déjà en marche dans la ville. Dans les années tumultueuses de la guerre, mais surtout, dans l’immédiat après-guerre, les poètes anglophones, les artistes francophones et les écrivains yiddish explorent de nouvelles voies pour s’exprimer et témoigner de leur monde en pleine tourmente, inventant au fil de leurs recherches et de leurs œuvres des manifestations singulières du modernisme artistique. Des autrices telles que Mavis Gallant ou Gabrielle Roy offrent à Montréal des formes littéraires novatrices. Avec leurs créations avant-gardistes et leurs interventions politiques, peintres, danseurs et danseuses font trembler les piliers des institutions culturelles. Le jazz s’inscrit dans la droite ligne de ce vaste mouvement de renaissance culturelle, dont il constitue en quelque sorte la bande sonore. Il incarne la jeunesse et la modernité de Bonheur d’occasion, roman de Gabrielle Roy publié en 1945, et allume l’étincelle créatrice de Black and Tan Fantasy, chorégraphie audacieuse de danse moderne proposée par Françoise Sullivan en 1948 et présentée sur la pièce homonyme de Duke Ellington dont elle s’inspire[31]. Les interactions entre le jazz et les autres formes artistiques modernes n’échappent pas non plus aux penseurs conservateurs, qui dénigrent le premier et les secondes d’un même souffle[32].

L’International Band de Metcalf ne peut pas se comprendre en dehors de cette ébullition culturelle de l’après-guerre célébrant l’autonomie créatrice, l’innovation et le changement social. Les convulsions de la guerre ont également remis en question la discrimination raciale à Montréal : les soldats non-blancs se frayant une place dans des espaces qui leur étaient interdits jusque-là, les barrières ségrégationnistes les plus infranchissables autrefois commencent à s’assouplir[33]. La politique de ségrégation raciale de l’American Federation of Musicians vole en éclats; alors même que la guerre fait encore rage, des Noirs sont acceptés dans ses rangs. Dans les hôtels et autres lieux de spectacle élégants, par contre, le racisme et la ségrégation de facto perdurent[34]. Oscar Peterson les subit de plein fouet au Ritz-Carlton. Alors qu’il doit y jouer avec le Johnny Holmes Orchestra, des voix réclament qu’il en soit évincé en raison de sa couleur de peau. Seule la menace d’un scandale potentiellement préjudiciable fait reculer ses détracteurs[35]. Dans la presse, de nombreux articles fustigent encore le jazz, s’insurgent de sa médiocrité intrinsèque et s’offusquent de sa rupture radicale avec la musique « sérieuse ». Néanmoins, les choses changent[36]. Public et critiques reconnaissent de plus en plus les qualités intellectuelles du nouveau jazz, des adolescents organisent des regroupements d’appréciation et des séances d’écoute, les jam-sessions (séances d’improvisation) font fureur et la presse commence à publier des articles qui témoignent d’une bonne connaissance de l’avant-garde jazzistique, tant locale qu’internationale[37]. Metcalf débarque ainsi dans une ville en pleine mutation qui semble fin prête à s’ouvrir à la révolution du be-bop.

Fils d’un pasteur afro-américain et d’une mère d’ascendance mixte afro-américaine et cherokee travaillant à l’église, Metcalf grandit en banlieue de Saint Louis (plus tard, quand il constitue son International Band à Montréal, il se revendique avec force de ses racines maternelles cherokees). Il acquiert dans les années 1920 et 1930 une formation musicale riche et diversifiée : il est par exemple trompettiste dans l’orchestre de Duke Ellington et il enregistre et joue au Cotton Club de New York. En 1940, il fonde, au coin de la 145th Street et de la 8th Avenue, le Heat Wave, qui deviendra bientôt un haut lieu de l’improvisation pour les pionniers du be-bop[38]. Dans son autobiographie, Miles Davis relate qu’en septembre 1944, il a écumé tout New York à la recherche de Charlie Parker, légende du be-bop, qu’il a finalement trouvé devant le Heat Wave. Quand Parker entra dans le club pour jouer, ajoute Miles Davis, « tout le monde l’accueillit comme un roi[39]. » Avec ses rendez-vous d’improvisation de fin de soirée, le Heat Wave figure à l’époque parmi les salles de prédilection des musiciens qui jouent le be-bop et l’inventent à mesure[40]. Metcalf avait créé un lieu de rencontre physique pour l’avant-garde artistique, mais il tenait à ce que son projet s’incarne aussi dans la sphère politique. Pour ce faire, il participe à la fondation et au financement du périodique Music Dial, forum de discussion des enjeux de politique raciale dans la société en général et dans la musique en particulier[41]. Cette publication voit le jour dans le contexte des grands conflits raciaux et de l’essor du mouvement des droits civiques aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Plusieurs rassemblements, par exemple la Brotherhood of Sleeping Car Porters (Fraternité des porteurs des wagons-lits) d’A. Philip Randolph, s’élèvent alors vigoureusement contre l’hypocrisie d’une société qui va combattre le fascisme à l’étranger tout en maintenant la ségrégation raciale dans l’armée et dans le secteur de la défense à l’intérieur de ses propres frontières[42].

Le Music Dial s’inscrit ainsi dans une mouvance pro-changement plus ample. Aujourd’hui, ses numéros nous permettent de mieux cerner l’univers intellectuel et politique de Metcalf. Une multitude d’auteurs y dénoncent la discrimination économique et raciale et formulent une conception nouvelle de la démocratie : « Les saboteurs de notre démocratie, proclame le magazine, ne sont pas seulement ceux qui posent des bombes sous les ponts ou dans les usines de guerre; ce sont aussi ses politiciens […] qui cherchent par tous les moyens à briser l’unité grandissante des gens ordinaires[43]. » En tant que « langue universelle dans laquelle la discrimination n’a nulle place », ajoute le magazine, la musique peut s’avérer un outil de premier plan pour dégager des points de convergence entre des personnes d’horizons divers[44]. S’il s’intéresse essentiellement aux États-Unis, le Music Dial défend aussi une vision internationaliste, soulignant que, « dans une certaine mesure, le groupe minoritaire le plus important chez nous est traité de la même façon que les peuples opprimés d’Europe, d’Asie et d’Afrique[45] ». La publication porte incontestablement la marque de Metcalf : non seulement il en est le trésorier, mais le magazine annonce régulièrement les séances d’improvisation de son club[46]. Dans les années 1940, les pages du Music Dial témoignent par ailleurs des allers-retours constants entre New York et Montréal. Herb Johnson, qui rejoint plus tard l’orchestre de Metcalf, vend alors le magazine à Montréal et y tient une chronique sur l’actualité de la scène musicale montréalaise[47].

À Harlem, lieu de publication du Music Dial, un épisode de brutalité policière provoque une émeute en août 1943, quelques mois seulement après la parution du premier numéro. Le magazine témoigne de ce contexte explosif et s’efforce d’implanter la lutte pour la démocratie dans le monde de la musique. En dépit de tous ses efforts, le Music Dial doit arrêter ses presses en 1945. Le club de Metcalf connaît également son lot de déboires après qu’un policier a tué un marin hors de contrôle dans ses murs. En fin de compte, il ne rouvre jamais ses portes[48]. Metcalf a déjà vécu et travaillé à Montréal. Sa situation à New York n’étant pas des plus enviables, il décide de refaire cap sur le nord dans l’espoir d’y trouver des conditions plus favorables.

L’International Band de Metcalf

Metcalf se réinstalle donc à Montréal en décembre 1946, apportant dans ses bagages ses convictions politiques, son inventivité musicale et son esprit d’entreprise. Après l’Holocauste et la Deuxième Guerre mondiale, l’heure est à la réflexion et aux remises en cause dans tous les pays; en particulier, ces deux événements galvanisent le mouvement pour l’éradication de la discrimination raciale. Au Canada, nombreuses sont les voix qui s’élèvent contre l’internement et la déportation des Canadiens d’origine japonaise et des porteurs des wagons-lits organisent une campagne clandestine pour implanter l’association d’A. Philip Randolph au nord de la frontière, où ils obtiennent une convention collective en 1947. En juillet de la même année, Randolph lui-même débarque à Montréal, où il est chaleureusement accueilli par le maire lui-même à l’hôtel de ville[49]. En 1945, le célèbre chanteur et militant Paul Robeson se produit à Montréal et met un point d’honneur à s’arrêter entre ses chansons pour dénoncer le fascisme sous toutes ses formes[50]. À l’arrivée de Metcalf, la discrimination reste donc bien vivace à Montréal, mais les droits de la personne et la démocratie font aussi l’objet de vigoureux débats au niveau local comme à l’international et les artistes s’affairent à circonscrire et préciser le sens et la portée politiques de leurs démarches de création et de leurs œuvres[51].

L’arrivée de Metcalf marque l’avènement officiel du be-bop dans la vie nocturne montréalaise. Certes, quelques musiciens en ont entendu sur disques, à la radio ou lors de séjours à New York, où cette musique s’est fermement enracinée pendant la guerre[52], constituée en genre musical à part entière par des musiciens qui cherchaient à dépasser les limites du swing et à élever le jazz au rang d’art reconnu en tant que tel. Avec son tempo rapide et sa polyrythmie, ses changements d’accord complexes et ses longs solos, le be-bop s’est graduellement imposé comme symbole de la rigueur intellectuelle et du rejet du mercantilisme crasse. Charlie Parker et Dizzy Gillespie figurent parmi les fers de lance de cette musique par ailleurs porteuse d’un contenu politique. D’abord défendu par les musiciens afro-américains, le be-bop représente « une esthétique expérimentale ainsi qu’une disposition intellectuelle profondément enracinée dans la réalité des choses », et certains de ses adeptes les plus influents entendent bien le projeter au-delà des frontières états-uniennes[53]. Remise en question du statu quo musical et politique, le be-bop enclenche un débat « sur le rôle du musicien de jazz en tant qu’artiste et dans la société en général » et s’inscrit dans la droite ligne des luttes afro-américaines pour la justice sociale[54]. En affirmant la posture d’intellectuel du musicien, il s’insère aussi dans une mouvance plus large de l’après-guerre, une « vénération culturelle du masculin » qui « affirme la conception androcentrique du monde répandue dans la communauté jazz[55] ». À New York, pendant la guerre, Metcalf a baigné dans les révolutions politiques et esthétiques de la scène musicale. Au nord de la frontière, sachant la population montréalaise avide de musique nouvelle, il décide de former son International Band[56].

L’ensemble de Metcalf fait sensation par son répertoire, mais aussi par la diversité des origines ethniques et raciales des musiciens qui le composent. Les orchestres mixtes ne sont pas chose nouvelle à Montréal et le violoniste canadien-français Willy Girard joue avec des musiciens noirs depuis le début des années 1930. Néanmoins, le groupe de Metcalf marque un tournant majeur en ceci qu’il revendique sa diversité avec force[57]. Canadien d’ascendance japonaise, le tromboniste Butch Watanabe est né en Colombie-Britannique et a vu ses parents être emmenés en internement pendant la guerre. Séparé de sa famille, il a travaillé dans des champs de betterave à sucre, puis est parti à Montréal rejoindre sa sœur, qui y travaillait alors comme domestique. Après la guerre, il a étudié le piano et la théorie musicale au Conservatoire de McGill tout en jouant à droite et à gauche, jusqu’à ce qu’il entre dans l’orchestre de Metcalf, en 1947[58].

Tandis que Butch Watanabe est originaire de Colombie-Britannique, le pianiste Steep Wade, fils d’immigrants antillais, a grandi dans le quartier montréalais de Saint-Henri. D’abord féru de saxophone et de piano, il abandonne le premier à l’avènement du be-bop, « adhère pleinement à la nouvelle musique et devient vite le pianiste de bop le plus célèbre de la ville[59] ». Al King, d’ascendance afro-américaine et mexicaine, tient la basse. Né de parents suédois, le batteur Wilkie Wilkinson a grandi à Hamilton. Fils d’un Afro-Américain et d’une Canadienne française, le saxophoniste Herb Johnson a grandi à Hartford, dans le Connecticut, et a quitté les États-Unis pour Montréal en 1935[60]. Complétant l’orchestre, le violoniste canadien-français Willy Girard est, affirme Metcalf, « peut-être le seul musicien blanc que Duke Ellington ait invité à entrer dans son ensemble avant Django Reinhardt. L’ayant entendu jouer, Cab Calloway est retourné l’écouter tous les soirs et ne tarissait pas d’éloges à son égard[61] ». Incarnant le fermier canadien-français typique, souvent représenté la pipe au bec, Girard tisse un lien symbolique entre l’orchestre et la population canadienne-française du Québec.

Les dynamiques de coopération professionnelle entre les musiciens démentent les conceptions simplistes de la race et de la musique. Depuis sa naissance, le be-bop est associé au combat des musiciens noirs pour affranchir leur art d’une scène musicale dominée par les Blancs et, d’une manière plus générale, aux luttes des Noirs contre le racisme; néanmoins, il n’a jamais versé dans l’exclusivité raciale[62]. Wilkie Wilkinson décrira ultérieurement son parcours de musicien blanc dans les clubs noirs montréalais. Il transcrivait les chansons des disques de Charlie Parker et Dizzy Gillespie et apprenait son métier auprès des grands du jazz qui fréquentaient le St-Michel en fin de soirée : « Si tu ne savais pas jouer, tu ne travaillais pas dans le Corner – les musiciens noirs ne voulaient pas de toi. La première fois que j’y suis allé, il y avait aussi un peu de ressentiment… mais ils ont fini par m’accepter […]. J’étais plus ou moins considéré comme un Noir […] sauf que j’étais blanc[63]. » La danseuse Bernice Jordan Whims évoque Wilkinson en des termes similaires : intérieurement, « il était très négroïde. Le moindre de nos gestes, de nos mouvements, il le ressentait tout de suite[64] ». Canadien d’origine japonaise dans une culture musicale montréalaise ségrégationniste, Watanabe souligne que les musiciens blancs le regardaient de haut et qu’il lui était très difficile de jouer dans les clubs blancs du haut de la ville. Dans les boîtes métissées comme le St-Michel, il se sentait accepté et estimé en tant que musicien; ailleurs, il n’était jamais à l’abri du racisme, qui pesait toutefois plus lourdement encore sur les musiciens noirs[65].

D’emblée, Metcalf sait que le public exige du divertissement. Pendant le premier entracte, l’orchestre joue par conséquent de la musique de danse. Mais à l’entracte suivant et, surtout, après le spectacle principal et jusqu’au petit matin, son orchestre enchaîne les pièces de be-bop au grand ravissement de son auditoire. Le dimanche après-midi, l’ensemble tient des séances d’improvisation auxquelles participent des musiciens venus des quatre coins de la ville pour explorer les nouveaux styles musicaux devant un public complètement conquis. Avec l’orchestre de Metcalf à son affiche, le Café St-Michel devient le club de jazz le plus célèbre du pays[66]. « Même quand le spectacle fait un four, écrit le Montreal Herald, le public vient écouter Louie[67]. »

Certains des musiciens de l’ensemble, par exemple Wilkie Wilkinson ou Steep Wade, ont vite adhéré au be-bop. D’autres ont commencé à se familiariser avec ce genre musical à l’arrivée de Metcalf et ont alors été gagnés par le défi intellectuel qu’il représente, même s’il leur donnait bien du fil à retordre. Herb Johnson, qui écrit les arrangements par la suite, a entendu du be-bop pour la première fois le jour où il a commencé à travailler avec Metcalf : « [O]n se frottait à quelque chose de nouveau – de vraiment très, très nouveau; aucun d’entre nous ne connaissait ces progressions d’accords-là[68]. » Décrivant la méthode de répétition de l’orchestre, Johnson souligne que les musiciens devaient apprendre vite et s’adapter plus vite encore : Metcalf « fredonnait la mélodie; parfois, il la jouait à la trompette. Mais la plupart du temps, il fredonnait, tout simplement, et nous, on avait un morceau de papier et un crayon et on écrivait à toute vitesse les notes qu’on trouvait importantes. Sans ça, on n’aurait jamais joué que des arrangements pas très précis, comme ça, à la volée. Mais quand même, à la fin, on avait… au dernier décompte, quand j’étais dans l’ensemble, on avait une centaine d’arrangements, dont quatre-vingt-huit plus ou moins fixés, mais on les avait… écrits dans nos têtes… on les avait mémorisés[69] ».

Les musiciens accompagnaient les spectacles toute la soirée, mais c’était dans le be-bop qu’ils donnaient le meilleur d’eux-mêmes. « Pendant des années, on était restés assis à lire des partitions pour la danse à claquettes, la magie, la chanson et tout ça, confirme Johnson. Et d’un seul coup, on se retrouvait en plein milieu de la scène, sous les projecteurs. Alors, forcément, on se donnait à fond[70]. » Le be-bop offrait aux musiciens de nouvelles possibilités d’improvisation tout à la fois exaltantes et terrifiantes. Ils jouaient pour le public, bien sûr, mais aussi pour eux-mêmes et pour leurs confrères musiciens, pour la stimulation intellectuelle et artistique que le be-bop leur procurait – et ils savaient sur-le-champ si leurs envolées trouvaient grâce ou non aux yeux des autres membres de l’orchestre[71].

Sous la houlette de son fondateur, l’International Band devient l’orchestre attitré du Café St-Michel, bien que l’organisateur et homme d’affaires qu’est Metcalf monte également d’autres spectacles. Pendant ses semaines de congé, l’ensemble part en tournée pour arrondir ses fins de mois et se produit ainsi à Québec, Cornwall, Sherbrooke ou Granby[72]. Sa réputation grandissant, il donne aussi des prestations spéciales. Ainsi, Metcalf organise et finance un événement au théâtre His Majesty’s en 1948 – séance d’improvisation de l’International Band et ses invités, puis concert du trio Oscar Peterson. Le spectacle, écrit le Montreal Standard, « prouve hors de tout doute que Montréal produit d’excellents jazzmen, mais aussi, moyennant un peu d’organisation, un public enthousiaste pour aller les applaudir[73] ». Directeur de son ensemble et entrepreneur, Metcalf devient encore plus célèbre : certains spectacles de l’International Band sont diffusés en direct à la radio et plusieurs projets sont envisagés pour propulser l’orchestre plus loin encore[74]. C’est toutefois au St-Michel que Metcalf a contribué le plus concrètement à l’éradication des obstacles raciaux, c’est là aussi que le be-bop s’est imposé comme genre musical à part entière des concerts de soirée.

La « démocratie dans la musique » et sa réception

L’orchestre de Metcalf est vite considéré comme le meilleur groupe de jazz du pays. Pour le grand public, sa diversité ethnique et raciale s’avère au moins aussi fascinante que son be-bop de fin de soirée. Les origines bigarrées des sept musiciens deviennent ainsi l’un des principaux attraits du groupe. Les prospectus annonçant les concerts de l’ensemble montrent chacun de ses membres et soulignent leurs ascendances hétérogènes ainsi que la rareté et l’avant-gardisme d’une telle diversité ethnique et raciale dans un orchestre. Comme les citations de critiques disposées bien en évidence dans le matériel publicitaire, les images contribuent à réaffirmer le sens et la portée de la musique jouée par l’ensemble. Imprimée sur le carton promotionnel, une citation de William Brown-Forbes, de Toronto, affirme : « Ce n’est pas tant le style musical du groupe de Metcalf […] qui fait son originalité, mais plutôt les nationalités disparates de ses membres. Tous d’origines différentes, les sept musiciens sont par ailleurs des virtuoses de leur instrument. Il suffit de voir la composition de l’ensemble pour comprendre pourquoi Louie le surnomme “La démocratie dans la musique[75]”. »

En fait, Metcalf n’a jamais vraiment explicité le sens qu’il donnait au terme « démocratie » dans ce contexte. Néanmoins, l’intégration raciale et l’improvisation musicale constituent incontestablement deux piliers de sa conception de la démocratie dans la musique. Son orchestre métissé incarne en définitive d’autres relations possibles entre les êtres humains et entre les pays. L’époque reste profondément marquée par la guerre et le fascisme en Europe. En accordant à des musiciens d’horizons divers une plus grande latitude dans leurs improvisations, l’International Band leur permet de créer ensemble la musique qu’ils jouent chaque soir. Il rompt ainsi de manière radicale avec le modèle dominant qui persiste aussi bien chez les francophones que chez les anglophones de Montréal et qui repose sur une hiérarchisation des êtres humains selon leur race et leur nationalité. Hostiles à la diversification raciale, les lois de l’immigration interdisent alors à la majeure partie de la population mondiale de s’établir au Canada et façonnent au passage la composition démographique du pays. À l’intérieur des frontières, le racisme, qui s’explique en partie par les répercussions encore bien réelles de l’esclavage, continue de régir toutes les dimensions du quotidien des Montréalais non-blancs. Ainsi que nous l’avons vu, les liens étroits que Metcalf entretenait avec le Music Dial ont eu, en leur temps, une influence décisive sur sa pensée. Or, le terme « démocratie » revenait très souvent dans les pages du magazine, qui ramenait plus ou moins le concept à la coopération entre personnes d’appartenances raciales différentes. Définissant la démocratie comme l’inverse exact du racisme et de la discrimination, Music Dial la considérait comme l’ultime but du « combat contre le fléau du fascisme chez nous comme à l’étranger[76] ». Des lieux permettaient toutefois d’expérimenter d’autres modalités d’action et nourrissaient l’espoir d’un monde meilleur : les espaces de convergence caractérisés par « une attitude démocratique et tolérante », et dans lesquels « les musiciens blancs et noirs [pouvaient] jouer côte à côte sans jamais s’arrêter à la couleur de peau des uns et des autres[77] ». La montée du fascisme à l’étranger et la persistance du racisme à l’intérieur des frontières alimentaient alors une réflexion décisive sur le sens même de la démocratie, réflexion que Metcalf a poursuivie après s’être établi à Montréal.

En portant l’improvisation à de nouveaux sommets et en donnant à ses musiciens plus de liberté qu’ils n’en ont jamais eu, l’orchestre montréalais de Metcalf propose un modèle novateur du point de vue musical, mais aussi social, car il permet aux diverses voix de s’exprimer individuellement tout en créant ensemble un tout plus vaste. L’improvisation, affirment Fischlin, Heble et Lipsitz, « nous oblige à nous dépasser, à nous aventurer dans des territoires inconnus, à nouer des interactions significatives avec des gens de catégories et d’identités sociales différentes, à renforcer la démocratie dans la société par le déploiement d’activités culturelles en prise avec les contradictions et les possibilités d’action de notre époque[78]. » De plus, ajoutent-ils, « l’improvisation est toujours susceptible de transférer ce savoir, si intangible soit-il, aux auditoires auxquels elle s’adresse[79] ». L’extraordinaire liberté d’expression personnelle dont jouissent les musiciens de l’International Band leur prouve donc, ainsi qu’au public, que l’orchestre est porteur d’un message essentiel qui va au-delà de la musique proprement dite, qu’il a des choses à dire au vaste monde. En présentant des musiciens d’horizons aussi divers qui créent et qui improvisent ensemble, explique Metcalf, il prouve que « toutes les nationalités peuvent tout à fait coexister dans l’harmonie » – un exploit en forme de camouflet asséné à un monde qui vient de s’écarteler en dressant les pays les uns contre les autres, et qui reste divisé par des hiérarchies raciales tenaces[80].

En 1948, fidèle en cela à sa vision politique, l’orchestre participe au programme d’aide internationale mis sur pied à l’Université McGill. Devant l’ampleur des destructions causées par la guerre, nombreux sont les acteurs de la société civile qui s’engagent dans divers projets de reconstruction. Sur les campus, l’Entraide universitaire internationale (EUI; en anglais, International Student Service – ISS) recueille des fonds pour les étudiants européens. À l’hiver 1948, le McGill Daily publie plusieurs textes dans lesquels le recteur et des représentants de l’Association étudiante de McGill soulignent l’importance de la campagne d’EUI[81]. Cette initiative et la mission de l’organisme séduisent Metcalf et ses musiciens acceptent de donner un concert pour recueillir des fonds pour la cause. Le McGill Daily explique à son lectorat que « l’International Band tire son nom de la diversité des origines nationales et raciales de ses membres[82] » et souligne la convergence de vues entre l’orchestre et la campagne internationaliste. Pour cette prestation, indique Metcalf, un répertoire plus varié avait d’abord été annoncé, mais l’ensemble a tenu à ne jouer que du be-bop. Pour justifier ce changement de programme, Metcalf rappelle que « le be-bop est un style encore jeune qui offre de meilleures possibilités d’expérimentation et suscite bien des émotions et sensations nouvelles[83] ». Avec ce concert de soutien, l’ensemble jette un pont symbolique entre sa propre vision internationaliste d’harmonie raciale et un idéal de solidarité humaine plus ample et propulse aussi au premier plan son parti pris de voix individuelles s’exprimant et innovant au cœur d’un plus vaste ensemble.

Au quartier général de l’orchestre, le Café St-Michel, le public se fait chaque année plus nombreux et plus fervent. Mais l’International Bande suscite également beaucoup d’intérêt à l’étranger. Down Beat signale le caractère métissé du groupe et précise : « Dès qu’un grand orchestre joue à Montréal, ses membres vont au St-Michel; certains musiciens de haut calibre ont même pris des congés pour aller entendre l’ensemble ou jouer avec lui. » La publication laisse entendre que son métissage aurait valu certaines difficultés à l’orchestre, mais que « ces préjugés ont simplement renforcé sa détermination et resserré ses rangs[84] ». Le magazine britannique Melody Maker se montre tout aussi élogieux à l’égard du groupe. Henry Whiston écrit dans ses pages que l’ensemble s’est bâti une solide réputation nationale « grâce à son caractère progressiste et aux différentes nationalités qui le composent[85] ». Dans Record Exchange cette fois, Whiston ajoute que la presse a commencé à s’intéresser au groupe le jour où Metcalf a déclaré qu’il symbolisait la « démocratie dans la musique[86] ».

Si l’orchestre de Metcalf est reconnu à l’international, c’est à Montréal que son retentissement reste le plus fort. En mai 1947, le Montreal Standard publie sur deux pages les photos des musiciens avec leurs origines respectives, ainsi qu’une photo du groupe dans son ensemble. Sous la photo de Metcalf, la légende souligne que « le maestro lui-même, Louis Metcalfe, est en partie Indien Cherokee » et qu’il « s’impose désormais comme l’un des grands noms du jazz, aux côtés de Duke Ellington, Louis Armstrong, etc. ». Le journaliste Ken Johnstone écrit que le groupe ne se compose pas seulement de musiciens blancs et noirs, qu’il « va plus loin » et « représente les Nations Unies à lui tout seul ». En plus d’être désormais une nouvelle référence en musique, souligne-t-il, le groupe « dément les préjugés raciaux[87] ». À mesure que la réputation du groupe grandit, les séances d’improvisation organisées le dimanche après-midi par Metcalf deviennent autant de rendez-vous incontournables au cours desquels les musiciens de Montréal se familiarisent avec les sons nouveaux du be-bop et apprennent les uns des autres. Ainsi que l’indique Whiston, « le public [du St-Michel] s’accroît de saison en saison[88] ».

Les convictions politiques et sociales défendues par l’ensemble exercent manifestement une incidence bien concrète sur la vie culturelle montréalaise. De plus, la popularité de l’orchestre transcende les barrières linguistiques et les journaux francophones de Montréal l’encensent, eux aussi. En très peu de temps, le groupe de Metcalf se classe parmi les attractions musicales les plus célèbres de la ville, tout particulièrement ses séances d’improvisation du dimanche après-midi. Dans Le Canada, Paul Roussel détaille l’apport singulier de chacun des musiciens de l’ensemble et relève la virtuosité de leurs improvisations et de leur authenticité. Ce « curieux mélange de races, ajoute-t-il, […] contribue, cependant, à former l’un des meilleurs groupements de jazz jamais entendus dans cette ville ». Enfin, Roussel décrit le déroulement des improvisations au St-Michel et donne même à son lectorat un avant-goût de l’ambiance qui règne dans ces rencontres : « On écoute, on apprécie, on critique. Parfois, je dirais même souvent, des musiciens de jazz de Montréal [s’amènent], avec leur instrument, afin de contribuer d’un numéro […]. Ainsi, dimanche dernier, un formidable saxophoniste d’ici […] suscita une véritable ovation à l’exécution de deux ou trois “blues” magnifiques. Un autre artiste invité, un virtuose de l’harmonica, interpréta aussi quelques pièces, obtenant de cet instrument aux possibilités limitées, la plus belle sonorité, la plus chaude, qu’on puisse souhaiter. Il dansa aussi et ce grand artiste de couleur, fort sympathique, obtint un succès fou[89]. »

Ainsi que l’indique l’article de Roussel, les séances d’improvisation offrent aux musiciens d’origines et de formations diverses la possibilité de jouer ensemble, de s’influencer mutuellement et d’inventer de nouvelles interactions et dynamiques musicales au fil de leurs improvisations. Metcalf et son ensemble ayant aussi conquis les francophones de Montréal, le St-Michel fait paraître dans leurs journaux des publicités vantant l’orchestre et ses musiciens de tous horizons[90]. Metcalf ne ménage pas ses efforts pour séduire un public qu’il sait au moins en partie francophone, intégrant même à son répertoire une version be-bop d’Alouette, illustre chanson canadienne-française[91].

Comparativement aux articles dévastateurs qu’ils publiaient sur le jazz avant la guerre, les journaux francophones accueillent maintenant beaucoup plus favorablement le projet de Metcalf. Un article anonyme paru dans Le Petit Journal constate avec exaltation que les membres de l’orchestre de Metcalf « appartiennent à tous les pays, car les races et les couleurs n’empêchent pas de dire : “be-bop”! » L’article souligne ensuite que les séances d’improvisation produisent une impression saisissante sur le public : elles « vous sortent littéralement de votre chaise » et attirent « des foules de curieux qui se mêlent aux connaisseurs avec un enthousiasme des plus [démonstratifs] ». Décrivant les sons produits par la trompette, le violon, le trombone et le saxophone, il s’exclame enfin qu’ils « vous laissent bouche bée ou frénétiquement emballé[92] ». Dans Le Devoir, journal de l’élite intellectuelle du Québec, un journaliste insiste en ces termes sur le caractère novateur de l’orchestre : « Louis Metcalfe eut à surmonter de grandes difficultés afin de faire admettre sa théorie dans les établissements montréalais. Le succès qu’il remporte depuis un an confirme toutefois son talent[93]. » Évidemment, le jazz compte encore de nombreux détracteurs qui le honnissent et vilipendent avec force tout ce qu’il représente. À la fin des années 1940, néanmoins, cette musique fait de toute évidence de plus en plus d’adeptes.

Dans un autre article également publié dans Le Petit Journal, un dénommé « Alec » témoigne du périple riche en découvertes qui l’a mené jusqu’au Corner en descendant la rue de la Montagne. À son passage, écrit-il, « des sons aigus d’instruments de percussion ont frappé mon attention. Je me trouvais devant le café St-Michel, une boîte d’ambiance exotique et fort achalandée… en noir et blanc ». Intrigué par la musique et l’atmosphère, il entre. Entendant cet orchestre pour la première fois, il s’étonne de trouver à Montréal un jazz d’une telle qualité. Pour Alec, « le jazz-band du St-Michel se distingue non seulement par sa bonne interprétation de la mélodie choisie, mais aussi et surtout par son étonnante improvisation sur cette mélodie sans en négliger le rythme ». De fait, cette immense liberté d’improvisation, l’élargissement du langage harmonique ainsi que l’audacieuse mise en valeur des solos qui impressionnent tant Alec comptent maintenant parmi les principaux attraits du groupe. Alec souligne aussi la ferveur de la clientèle, les yeux du public constamment rivés sur Metcalf, le silence qui se fait dans l’auditoire quand l’orchestre commence à jouer : loin de danser ou de continuer à discuter, les spectateurs écoutent avec une prodigieuse attention. « [C]haque interprétation est saluée par des applaudissements frénétiques », observe Alec, si bouleversé par sa visite au St-Michel qu’il en propulse sur-le-champ le jazz de qualité au rang des arts sérieux. « Louis Metcalfe et ses musiciens font école chez nous », déclare-t-il. Ébranlé par cette découverte, Alec mesure soudainement toute l’importance du projet artistique et social de Metcalf. Ses premières impressions de la scène jazzistique montréalaise s’estompent au profit d’une compréhension plus juste de la complexité de cette musique et d’une appréhension admirative de l’effet qu’elle produit sur son auditoire. En conclusion, Alec signale que le jazz de Metcalf mérite de conquérir un plus large public, et il espère qu’il se frayera bientôt un chemin au-delà du quartier Saint-Antoine qui l’a vu naître[94]. Bien qu’il soit établi depuis peu à Montréal, Metcalf a déjà atteint son but : remodeler en profondeur la vie culturelle de sa ville d’adoption.

Après avoir joué au Café St-Michel pendant plus de deux ans, l’orchestre se dissocie de l’établissement. Une nouvelle équipe de direction a repris le club et exige maintenant de l’ensemble qu’il renonce au be-bop au profit de la musique de danse latino-américaine[95]. L’International Band quitte le St-Michel pour l’El Patio, boulevard Saint-Laurent, mais plusieurs de ses membres partent. Metcalf n’a jamais pu recréer l’atmosphère exceptionnelle de la longue résidence du groupe au St-Michel, de 1947 à 1949[96].

Les membres de l’orchestre étaient indubitablement très attachés à l’International Band. Pour jouer avec Metcalf, Willy Girard a renoncé à des prestations presque deux fois plus lucratives[97]. Convaincu que « le jazz, c’est dans le Corner que ça se passe, et pas ailleurs! » Wilkie Wilkinson s’est jeté corps et âme dans la musique. Il considérait ses années dans le Corner comme les plus stimulantes et les plus déterminantes de sa vie. S’il était resté « un musicien blanc du haut de la ville » au lieu de descendre dans le Corner, disait-il, il n’aurait « jamais pu évoluer autant que ça comme musicien de jazz ». Steep Wade ne désirait rien tant que de jouer du be-bop en y engageant toutes ses émotions, s’exprimer dans un monde dont le racisme l’avait tant fait souffrir[98]. Mais la vie de jazzman n’est pas toujours un jardin de roses. Très vite, à Montréal comme dans toutes les grandes villes des États-Unis, l’héroïne consumera de nombreux musiciens. Peu après avoir quitté l’orchestre, Wilkie Wilkinson entrera dans un centre de désintoxication. Steep Wade mourra en 1953, à l’âge de 35 ans, d’une surdose d’héroïne selon toute apparence[99].

Metcalf voulait élever le jazz au rang d’art permettant aux musiciens de s’exprimer à la fois individuellement et collectivement. Il voulait aussi pulvériser les frontières raciales et nationales qui atomisent l’humanité en petits groupes étanches. En fin de compte, toutefois, ce sont justement les frontières qui ont causé le démantèlement du groupe. Metcalf espérait emmener son groupe en tournée aux États-Unis et il avait même réservé des salles prestigieuses. Les règles très strictes d’immigration ont empêché ses musiciens de franchir la frontière. Après avoir patienté au consulat des États-Unis toute une journée, ils ont appris que parce qu’ils avaient simplement demandé à jouer aux États-Unis, ils y seraient interdits de séjour pendant un an[100]. La déception des membres de l’International Band était d’autant plus vive que les musiciens des États-Unis, eux, se produisaient au Canada sans encombre. Bien plus tard, revenant sur ces événements, Metcalf déclarait qu’il aurait « peut-être l’air amer » en disant cela, mais qu’il restait profondément déçu « qu’après des années à rêver et préparer notre arrivée aux États-Unis, et malgré notre solide réputation, on nous avait fermé la porte au nez[101] ».

Les politiques frontalières ont empêché Metcalf d’emmener son orchestre aux États-Unis. Elles vont aussi avoir d’autres répercussions, bien plus durables, sur son parcours. En novembre 1950, Metcalf et ses confrères musiciens Al King et Benny Winestone prennent la route d’Ottawa pour assister à un concert de Louis Armstrong, un bon ami de Metcalf. En chemin, la Gendarmerie royale du Canada intercepte leur voiture et la fouille de fond en comble. Ayant trouvé de la marijuana dans le véhicule, les policiers placent les trois hommes en état d’arrestation[102]. À leur procès, les musiciens tentent de convaincre le juge qu’ils n’avaient d’autre choix que de fumer de la marijuana pour « apporter toute satisfaction à leurs clients et à leurs admirateurs, qui leur réclamaient constamment des prestations très enlevantes ». Le juge n’a évidemment pas retenu leur argumentation. Metcalf et King ont finalement été reconduits à la frontière[103]. Avec cette arrestation et la déportation qui s’en est suivie, le séjour montréalais de Metcalf se terminait de manière bien abrupte. La réglementation frontalière aurait aussi des incidences déterminantes sur le parcours d’autres membres du groupe. Au début des années 1950, Lionel Hampton invite Butch Watanabe à travailler avec lui aux États-Unis. À cause des restrictions raciales, le visa de travail lui est refusé. Les services états-uniens d’immigration, résume Butch Watanabe, « ne voulaient tout simplement pas entendre parler des Japonais[104] ».

Dans le peu de temps qu’il a passé à Montréal, Metcalf a réussi à élaborer une vision d’avenir cherchant à dépasser les limites de l’univers dans lequel il évoluait. Née dans un contexte de contacts interculturels et d’improvisation, cette conception nouvelle, contestation esthétique d’un monde hiérarchisé selon les races, proposait un autre regard sur la démocratie. Dans la droite ligne de ses convictions, l’orchestre de Metcalf inventait et implantait « des relations de co-création inédites, inattendues et fructueuses[105] ». Pour l’International Band, la démocratie n’était pas un état immuable à atteindre une fois pour toutes, mais une réalité dynamique à construire, à improviser, à concrétiser. L’orchestre a vu le jour dans le cadre très singulier de Montréal, une ville profondément marquée par les contrecoups de l’esclavage et par une discrimination raciale et une ségrégation encore bien vivaces à l’époque, mais aussi par ses fractures linguistiques, ses démarcations nettes entre classes sociales et son passé de ville ayant appartenu à l’empire français, puis britannique. En dépit des limites, bien réelles, du projet de Metcalf, en particulier son caractère exclusivement masculin, il reste qu’au moment où le jazz moderne prenait son envol à Montréal, cette musique était porteuse d’une vision politique cherchant à transcender les frontières, favoriser l’internationalisme et combattre la ségrégation dans le cadre d’une démocratie véritablement mondiale. Metcalf affirmait que son ensemble était un « orchestre du futur », et nombreux sont les jeunes musiciens qui ont adopté sa conception du jazz en tant que force progressiste. Oscar Peterson, qui a raffiné son art en accompagnant régulièrement l’orchestre de Metcalf au St-Michel, est ainsi devenu un inlassable défenseur des droits civiques et de l’intégration raciale[106]. Metcalf quitte Montréal moins de cinq ans après s’être établi dans cette ville et le rideau se baisse alors définitivement sur son expérimentation musicale. Cependant, le mouvement culturel qu’il a enclenché s’est inscrit durablement dans les mémoires montréalaises et a incité les générations futures à inventer leurs propres modèles de contestation politique et culturelle et, par conséquent, à imaginer leur propre version d’un futur véritablement démocratique.


  1. Traduction de « Democracy in Music: Louis Metcalf’s International Band and Montreal Jazz History » dans The Canadian Historical Review, vol. 100, n° 3, septembre 2019, DOI: 10.3138/chr.2018-0058. Ces recherches ont bénéficié d’une subvention de développement Savoir du CRSH, d’une subvention d’équipe du FRQSC et d’un soutien financier des Chaires de recherche du Canada. Un immense merci à Michael Borsk, Christopher McGoey, Désirée Rochat et Matt Caron pour leur assistance de recherche inestimable. Mes discussions avec Seika Boye, Melanie Newton et Rodney Saint-Éloi ont beaucoup contribué à ma réflexion sur la culture et la politique. Merci aussi à Jarrett Rudy, Steve Penfold, Steve High et Eric Fillion ainsi qu’aux évaluateurs anonymes de la CHR qui ont bien voulu lire et commenter les versions antérieures de ce texte. Un grand merci à Catherine Ego pour son excellente traduction de cet article. Mais surtout, un immense merci à Esme Allen-Creighton d’avoir lu attentivement ce texte et de l’avoir si considérablement enrichi de ses connaissances en musique et de sa maîtrise de l’écriture.
  2. « La sautillante musique “be-bop” vient de naître », Le Petit Journal, 10 avril 1949.
  3. Ibid. Aznavour et Roche avaient déjà croisé Metcalf au moins une fois. Voir « Les adeptes du Be-bop », Photo Journal, 17 mars 1949, p. 7.­
  4. Voir Gene Lees, Oscar Peterson: The Will to Swing, Toronto, Prospero Books, 2008; Richard Palmer, Oscar Peterson, Paris, La Garancière, 1986; Alex Barris, Oscar Peterson: A Musical Biography, Toronto, HarperCollins, 2002; Marthe Sansregret, Oliver Jones. Le musicien et l’homme, Outremont, Stanké, 2005.
  5. Voir Mark Miller, Such Melodious Racket: The Lost History of Jazz in Canada, Toronto, Mercury Press, 1997; Nancy Marrelli, Stepping Out: The Golden Age of Montreal Night Clubs, Montréal, Véhicule Press, 2004; Nancy Marrelli, Burgundy Jazz: Little Burgundy and the Story of Montreal Jazz, Montréal, Véhicule Press, 2013. Voir aussi le webdocumentaire Jazz Petite-Bourgogne, réalisation David Eng, 2013.
  6. Voir John Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, traduit de l’anglais par Karen Ricard, Lux Éditeur, 2009; John Gilmore, Who’s Who of Jazz in Montreal: Ragtime to 1970, Montréal, Véhicule Press, 1998. Le chapitre 5 d’Une histoire du jazz à Montréal décrit en détail la vie montréalaise de Metcalf.
  7. Parmi les recherches situant l’histoire du jazz montréalais dans une perspective transnationale, voir : Lara Putnam, Radical Moves: Caribbean Migrants and the Politics of Race in the Jazz Age, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2013; Michael Denning, Noise Uprising: The Audiopolitics of a World Musical Revolution, New York, Verso, 2015; Penny M. Von Eschen, Satchmo Blows Up the World: Jazz Ambassadors Play the Cold War, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2006; Jeffrey H. Jackson, Making Jazz French: Music and Modern Life in Interwar Paris, Durham (North Carolina), Duke University Press, 2003; Steven Feld, Jazz Cosmopolitanism in Accra: Five Musical Years in Ghana, Durham (North Carolina), Duke University Press, 2012; Robin D. G. Kelley, Africa Speaks, America Answers: Modern Jazz in Revolutionary Times, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2012.
  8. Quelques recherches récentes sur les dimensions politiques du jazz à Montréal : Eric Fillion, « Jazz libre : ‘musique-action’ ou la recherche d’une praxis révolutionnaire au Québec (1967–1975) », Labour/Le Travail, n° 77, 2016, p. 93-120; Eric Fillion, « Jazz libre et free jazz » dans Karim Larose et Frédéric Rondeau (dir.), La contre-culture au Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2016, p. 25-54; Vanessa Blais-Tremblay, « Jazz, Gender, Historiography: A Case Study of the ‘Golden Age’ of Jazz in Montreal (1925–1955) », thèse de doctorat, McGill University, 2018. En s’intéressant à la musique dans le contexte plus vaste de la race, du genre et de la politique mondiale, Fillion et Blais-Tremblay analysent les dimensions politiques du jazz montréalais au fil de leurs travaux sur le free jazz des années 1960 et sur les aspects politiques de la danse au féminin, respectivement.
  9. « Une visite à l’exposition de peintures », La Presse, 27 mars 1922; Nathalie Bondil, « L’école "coup-de-poing-dans-l’œil", ou les peintres du "mur jazz"! » dans Jacques Des Rochers et Brian Foss (dir.), Une modernité des années 1920 à Montréal : le Groupe de Beaver Hall, Montréal, Musée des beaux-arts, 2016, p. 24.
  10. Kathy J. Ogren, The Jazz Revolution: Twenties America and the Meaning of Jazz, New York, Oxford University Press, 1989; Blais-Tremblay, « Jazz, Gender, Historiography ».
  11. Jackson, Making Jazz French, p. 5. À propos des points de vue canadiens-anglais sur la musique populaire, voir Miller, Such Melodious Racket; et Robin Elliott, « Ragtime Spasms – Anxieties over the Rise of Popular Music in Toronto » dans Bev Diamond, Denis Crowdy et Daniel Downes (dir.), Post-colonial Distances: The Study of Popular Music in Canada and Australia, Newcastle (Royaume-Uni), Cambridge Scholars Publishing, 2008, p. 67-89.
  12. Pierre Dalbec, « Spectacle touchant et risible », Le Nationaliste, vol. 16, n° 34, 5 octobre 1919, p. 1.
  13. Jean Saucier, « Musique et jazz », La Canadienne, novembre 1921, p. 8.
  14. J’ai beaucoup appris à ce sujet grâce à Fiona I. B. Ngô, Imperial Blues: Geographies of Race and Sex in Jazz Age New York, Durham (North Carolina), Duke University Press, 2014.
  15. Catherine Charlebois et Mathieu Lapointe, Scandale! Le Montréal illicite, 1940-1960, Montréal, Cardinal, 2016, p. 27; Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 215.
  16. Publicité pour le Club Belmar, 9 janvier 1951, fonds Herb Johnson, boîte HA 965, Archives et Collections spéciales, université Concordia (ACSC).
  17. Al Palmer, « Cabaret Circuit », Montreal Herald, 16 août 1954, fonds Herb Johnson, boîte HA 965, ACSC.
  18. Ngô, Imperial Blues, p. 32; Mimi Sheller, Consuming the Caribbean: From Arawaks to Zombies, New York, Routledge, 2003.
  19. Voir, par exemple, les nombreuses publicités figurant dans les fonds Meilan Lam, Herb Johnson et Myron Sutton, ACSC. Pour une analyse plus approfondie des questions de genre dans le jazz, voir Blais-Tremblay, « Jazz, Gender, Historiography ».
  20. Ngô, Imperial Blues, p. 163.
  21. Voir les publicités du Connie’s Inn, fonds Meilan Lam, ACSC.
  22. Cité dans Les Girls, réalisation Meilan Lam, Montréal, Office national du film du Canada, 1999; Blais-Tremblay, « Jazz, Gender, Historiography ».
  23. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 45 et 70-79.
  24. Voir James W. St G. Walker, “Race,” Rights and the Law in the Supreme Court of Canada: Historical Case Studies, Toronto, Osgoode Society for Canadian Legal History, 1997. Pour en avoir plus sur la longue histoire des Noirs au Québec, y compris celle de l’esclavage, voir Dorothy W. Williams, The Road to Now: A History of Blacks in Montreal, Montréal, Véhicule Press, 1997.
  25. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 65-66 et 154-155; Leonard Kunstadt, « The Story of Louie Metcalf », Record Research, n° 46, 1962, p. 8; dossier Metcalf, fonds John Gilmore, ACSC; Mark Miller, The Miller Companion to Jazz in Canada and Canadians in Jazz, Toronto, Mercury Press, 2001,p. 136.
  26. Williams, Road to Now; Steven High, « Little Burgundy: The Interwoven Histories of Race, Work, and Mobility in 20th Century Montreal », Urban History Review, vol. 46, n° 1, automne 2017, p. 23-44; Sarah-Jane Mathieu, North of the Color Line: Migration and Black Resistance in Canada, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2010; Marrelli, Burgundy Jazz.
  27. Transcription d’une entrevue de Herb Johnson, 27 mars 1981, fonds John Gilmore, ACSC.
  28. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 71-75, 122-127 et 169-171; Marrelli, Burgundy Jazz, p. 28 et 73; entrevue de Lou Hooper Jr, 1er septembre 1982, fonds John Gilmore, ACSC.
  29. Lou Hooper, « That Happy Road », p. 104, fonds Lou Hooper, vol. 1, n° 9, MUS 122, Bibliothèque et archives Canada (BAC); Williams, Road to Now.
  30. Voir Éric Amyot, Le Québec entre Pétain et de Gaulle. Vichy, la France libre et les Canadiens français (1940–1945), Montréal, Fides, 1999.
  31. Allana Lindgren, From Automatism to Modern Dance: Françoise Sullivan with Franziska Boas in New York, Toronto, Dance Collection Danse, 2003, p. 106; Sherry Simon, « Gabrielle Roy, Mavis Gallant et le Montréal des années 1940 » dans Gabrielle Roy et l’art du roman, Isabelle Daunais, Sophie Marcotte et François Ricard (dir.), Montréal, Boréal, 2010, p. 106-121; Sherry Simon, « Montréal: le tiers espace» dans Villes en traduction : Calcutta, Trieste, Barcelone et Montréal, traduit de l’anglais par Pierrot Lambert, Presses de l’Université de Montréal, 2013, p. 185-228; Ray Ellenwood, Égrégore : une histoire du mouvement automatiste de Montréal, traduit de l’anglais par Jean Antonin Billard, Montréal, Kétoupa Édition et Outremont, Les Éditions du Passage, 2014.
  32. René Bergeron, Art et bolchevisme, Montréal, Fides, 1946, p. 9.
  33. Entrevue de Lou Hooper Jr, 1er septembre 1982, fonds John Gilmore, ACSC.
  34. Au sujet de l’intégration de la section de l’American Federation of Musicians à Montréal, voir Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 76-79.
  35. Lees, Oscar Peterson, p. 58. Plus tard, Johnny Holmes soulignera que les incidents de ce genre étaient fréquents. Entrevue de Johnny Holmes, 1er mars 1982, fonds John Gilmore, ACSC.
  36. Voir par exemple Julien St-Georges, « Allons donc! pas tant de naïveté... », L’Action populaire, 27 août 1942, p. 4. Voir aussi Mavis Gallant, « What Is This Thing Called Jazz », Standard Magazine, 23 mars 1946, p. 12-13.
  37. Henry F. Whiston, « Montreal Musings », Jazz Panorama, décembre 1947, p. 4; « La sautillante musique “be-bop” vient de naître », Le Petit Journal, 10 avril 1949; J. G., « Les amants du jazz sont-ils des sauvages? », Le Front ouvrier, juillet 1949; Charles Delaunay, « Le style Be-Bop (1) », Le Devoir, 26 août 1948.
  38. Kunstadt, « Story of Louie Metcalf », p. 3 et 8-9; Scott DeVeaux, The Birth of Bebop: A Social and Musical History, Los Angeles, University of California Press, 1997, p. 368-369.
  39. Miles Davis, avec Quincy Troupe, Miles. L’autobiographie, traduit de l’américain par Christian Gauffre, édition revue et corrigée, Paris, Infolio, 2007, p. 59.
  40. Ibid., p. 65.
  41. Kunstadt, « Story of Louie Metcalf », p. 10; DeVeaux, Birth of Bebop, p. 368-369.
  42. George Lipsitz, Rainbow at Midnight: Labor and Culture in the 1940s, Chicago, University of Illinois Press, 1994.
  43. « Editorial », Music Dial, vol. 1, n° 1 (juin 1943), p. 1.
  44. « Editorial », Music Dial, vol. 1, n° 6 (novembre 1943), p. 1.
  45. « Editorial », Music Dial, vol. 1, n° 5 (octobre 1943), p. 1.
  46. Voir Music Dial, vol. 2, n° 4 (octobre 1944), p. 2. Au sujet de l’ambiance du Heat Wave, voir D. G. « The Heat Wave, LOUIE and AL Props », Music Dial, vol. 2, n° 2 (août 1944), p. 30; Kunstadt, « Story of Louie Metcalf », p. 9.
  47. Carte du Music Dial, 1943-1944, indiquant « Herbert Johnson représente le Music Dial. Le Music Dial vous remercie de votre considération à son égard. » [traduction], fonds Herb Johnson, P088/3A, boîte HA 963, ACSC. À propos des allers-retours des journalistes entre New York et Montréal, voir par exemple « GWEN TYNES », Music Dial, vol. 1, n° 7 (décembre 1943-janvier 1944), quatrième de couverture; Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 163.
  48. Kunstadt, « Story of Louie Metcalf », p. 10.
  49. Stephanie Bangarth, Voices Raised in Protest: Defending North American Citizens of Japanese Ancestry, 1942–49, Vancouver, UBC Press, 2008; Mathieu, North of the Color Line, ch. 5; High, « Little Burgundy »; « Noirs en congrès à Montréal », La Presse, 3 juillet 1945.
  50. « Critic Flays Paul Robeson in Canada », Pittsburgh Courier, 10 novembre 1945.
  51. François-Marc Gagnon, Paul-Émile Borduas, 1905-1960. Biographie critique et analyse de l’œuvre, Montréal, Fides, 1978; François Ricard, Gabrielle Roy, une vie. Biographie, Montréal, Boréal, coll. Boréal compact, 2000, p. 302-305.
  52. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 197-198.
  53. Voir Eric Porter, What Is This Thing Called Jazz? African American Musicians as Artists, Critics, and Activists, Los Angeles, University of California Press, 2002, p. 54-59; LeRoi Jones, Blues People: The Negro Experience in White America and the Music That Developed from It, New York, William Morrow, 1963; DeVeaux, Birth of Bebop.
  54. Tad Hershorn, Norman Granz: The Man Who Used Jazz for Justice, Los Angeles, University of California Press, 2011, p. 51-52.
  55. Porter, What Is This Thing Called Jazz? p. 81.
  56. Henry F. Whiston, « Metcalf in Montreal », Melody Maker, vol. 26, n° 9, 1950, p. 9; dossier Metcalf, fonds John Gilmore, ACSC; Kunstadt, « Story of Louie Metcalf », p. 10.
  57. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, 163-165. La composition de l’orchestre a légèrement changé au fil des ans. Quand le groupe a commencé à jouer au St-Michel, Gilbert (Buck) Lacombe tenait la guitare et Benny Winestone, le saxophone ténor. Tous deux ont cependant quitté le groupe peu après, cédant la place à Willy Girard et Herb Johnson. Miller, Such Melodious Racket, p. 226.
  58. Entrevue de Butch Watanabe, 17 décembre 1981, fonds John Gilmore, ACSC; Alan Hustak, « Jiro (Butch) Watanabe Trombonist », Gazette, 9 novembre 2002.
  59. John Gilmore, « Harold ‘Steep’ Wade: Canadian Jazz Legend », Names and Numbers, n° 6, janvier 1987, p. 20; dossier Steep Wade, fonds John Gilmore, ACSC.
  60. Gilmore, Who’s Who of Jazz in Montreal, p. 142-145, 156, 297-298 et 308.
  61. Cité dans William Brown-Forbes, « New Canadian Mixed Ork Wows Hot Jazz Fans », Down Beat, 21 mai 1947, p. 47; dossier Metcalf, fonds John Gilmore, ACSC.
  62. DeVeaux, Birth of Bebop, p. 18-19.
  63. Transcription d’une entrevue de Wilkie Wilkinson, 26 janvier 1982, fonds John Gilmore, ACSC.
  64. Transcription d’une entrevue de Bernice Jordan Whims, « Tape Cassette # 4 », s. d., fonds Meilan Lam, ACSC.
  65. Entrevue de Butch Watanabe, 17 décembre 1981, fonds John Gilmore, ACSC.
  66. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 153 et 166-167; Transcription d’une entrevue de Herb Johnson, 27 mars 1981, fonds John Gilmore, ACSC.
  67. Bruce Taylor, « Cabaret Circuit », Montreal Herald, 29 août 1949.
  68. Entrevue de Herb Johnson, 8 février 1981, fonds John Gilmore, ACSC. Voir également Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 167-168 et 198-199.
  69. Transcription d’une entrevue de Herb Johnson, 27 mars 1981, fonds John Gilmore, ACSC.
  70. Entrevue de Herb Johnson, fonds John Gilmore, s. d., ACSC.
  71. Ibid.
  72. Transcription d’une entrevue de Herb Johnson, 27 mars 1981, fonds John Gilmore, ACSC. Voir aussi « Will Be Heard Here », Sherbrooke Daily Record, 29 avril 1949; publicité dans Le Canada français du 22 juin 1950 pour un spectacle donné à Venise-en-Québec, baie Missisquoi; Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 170-174 et 177-178.
  73. K. S. S., « Metcalf Band Scores with Jazz Concert », Montreal Standard, 15 mai 1948.
  74. Miller, Such Melodious Racket, p. 228.
  75. Prospectus publicitaire pour l’International Band de Metcalf, s. d., fonds Herb Johnson, HA 965, ACSC.
  76. Pages liminaires, Music Dial, vol. 1, n° 6, novembre 1943, p. 1.
  77. « KEEP THEM OFF SWING ST. », Music Dial, vol. 1, n° 13, juillet 1944, p. 4.
  78. Daniel Fischlin, Ajay Heble et George Lipsitz, The Fierce Urgency of Now: Improvisation, Rights, and the Ethics of Co-creation, Durham (North Carolina), Duke University Press, 2013, p. xxxi.
  79. Ibid., p. 15. Voir aussi Ingrid Monson, Saying Something: Jazz Improvisation and Interaction, Chicago, University of Chicago Press, 1996.
  80. Cité dans Brown-Forbes, « New Canadian Mixed Ork », p. 47.
  81. « What is ISS? What’s Its Aim and Functions », McGill Daily, 24 février 1948.
  82. Grant Roberts, « Louis Metcalf Will Play for Benefit of I.S.S. », McGill Daily, 25 février 1948; « Musically Speaking: Metcalf Band Jams for ISS Campaign », McGill Daily, 24 février 1948.
  83. Cité dans « Louis Metcalf Will Play for Benefit of I.S.S. », McGill Daily, 25 février 1948.
  84. Brown-Forbes, « New Canadian Mixed Ork », p. 47.
  85. Whiston, « Metcalf in Montreal », p. 9.
  86. Henry F. Whiston, « Democracy in Music », Record Exchange, décembre 1949, dossier Louis Metcalf, fonds John Gilmore, ACSC.
  87. Ken Johnstone, « Mixed Band: Famed Jazz Musician Builds Unique Band », Montreal Standard, 15 mai 1947, p. 16-17. Photos : Louis Jacques. Le prénom et le nom de Louis Metcalf ont souvent été mal orthographiés. Je les indique ici tels qu’ils figurent dans les publications originales.
  88. Whiston, « Metcalf in Montreal », p. 9.
  89. Paul Roussel, « Sept virtuoses du “hot jazz” entendus au Café St-Michel », Le Canada, 29 décembre 1947.
  90. Voir par exemple Le Canada, 29 décembre 1947.
  91. Le Barbot, « Montréal, ville ouverte! », Le Devoir, 28 juillet 1949.
  92. « La sautillante musique “ be-bop” vient de naître », Le Petit Journal, 10 avril 1949.
  93. « Les “Jam Sessions” reprennent dimanche », Le Devoir, 10 septembre 1949. L’article annonce des séances d’improvisation postérieures au départ de l’International Band du St-Michel, mais témoigne néanmoins du vif enthousiasme suscité par l’orchestre.
  94. Alec, « Le jazz-band du St-Michel », Le Petit Journal, 14 décembre 1947.
  95. Bruce Taylor, « Cabaret Circuit », Montreal Herald, 29 août 1949.
  96. Miller, Such Melodious Racket, p. 227-230.
  97. Transcription d’une entrevue de Herb Johnson, 27 mars 1981, dossier Willy Girard, fonds John Gilmore, ACSC.
  98. Transcription d’une entrevue de Wilkie Wilkinson, 26 janvier 1982, 7 septembre 1982, fonds John Gilmore, ACSC.
  99. Voir les entrées consacrées à Wilkinson et à Wade dans le Who’s Who de Gilmore, p. 297-298 et 308-310.
  100. Entrevue de Herb Johnson, fonds John Gilmore, s. d., ACSC.
  101. Cité dans Kunstadt, « Story of Louie Metcalf », p. 10-11.
  102. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 178-184.
  103. « Four ‘Reefer’ Smokers Jailed for 6 Months », Montreal Herald, 25 novembre 1950. La citation est une paraphrase. Voir aussi William Wardwell, « Musicians’ Bail Readjusted in ‘Reefer’ Possession Case », Montreal Herald, 22 novembre 1950, fonds Herb Johnson, ACSC. Le musicien Sadik Hakim a également été arrêté après qu’une perquisition dans son appartement eut établi qu’il était en possession de marijuana; il a, lui aussi, été déporté. Gilmore, Une histoire du jazz à Montréal, p. 184-185.
  104. Entrevue de Butch Watanabe, 17 décembre 1981, fonds John Gilmore, ACSC.
  105. Fischlin, Heble et Lipsitz, Fierce Urgency of Now, p. xii.
  106. Kunstadt, « Story of Louie Metcalf », p. 10. Pour mieux connaître les points de vue et convictions de Peterson relativement au jazz, aux droits civiques et à l’intégration raciale, voir Oscar Peterson, Jazz Odyssey: The Life of Oscar Peterson, New York, Continuum, 2002, p. 50 et p. 232.

Licence